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Décisions

CJCE, 4e ch., 11 juin 2009, n° C-429/07

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Inspecteur van de Belastingdienst

Défendeur :

X BV

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Lenaerts

Avocat général :

M. Mengozzi

Juges :

MM. von Danwitz, Juhász (rapporteur), Arestis, Malenovský

Avocats :

Mes Meussen, Arena

CJCE n° C-429/07

11 juin 2009

LA COUR (quatrième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 15, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO 2003, L 1, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant l'Inspecteur van de Belastingdienst (inspecteur du service des impôts, ci-après l'"inspecteur") à X BV, société de droit néerlandais dont le siège est établi à P, au sujet de la déductibilité fiscale d'amendes infligées par la Commission des Communautés européennes pour violation des règles communautaires de la concurrence.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 Aux termes du vingt et unième considérant du règlement n° 1-2003:

"L'application cohérente des règles de concurrence requiert également la mise en place de mécanismes de coopération entre les juridictions des États membres et la Commission. Cela vaut pour toutes les juridictions des États membres qui appliquent les articles 81 et 82 du traité [CE], qu'elles le fassent dans le cadre de litiges entre particuliers, en tant qu'autorités agissant dans l'intérêt public ou comme instances de recours. En particulier, les juridictions nationales doivent pouvoir s'adresser à la Commission pour obtenir des informations ou des avis au sujet de l'application du droit communautaire de la concurrence. D'autre part, il est nécessaire de permettre à la Commission et aux autorités de concurrence des États membres de formuler des observations écrites ou orales devant les juridictions lorsqu'il est fait application de l'article 81 ou 82 du traité. Ces observations doivent être communiquées conformément aux règles de procédure et aux pratiques nationales, y compris celles qui sont destinées à sauvegarder les droits des parties. À cette fin, il y a lieu de s'assurer que la Commission et les autorités de concurrence des États membres disposent d'informations suffisantes sur les procédures intentées devant les juridictions nationales."

4 L'article 15 du règlement n° 1-2003 prévoit:

"Coopération avec les juridictions nationales

1. Dans les procédures d'application de l'article 81 ou 82 du traité, les juridictions des États membres peuvent demander à la Commission de leur communiquer des informations en sa possession ou un avis au sujet de questions relatives à l'application des règles communautaires de concurrence.

2. Les États membres transmettent à la Commission copie de tout jugement écrit rendu par des juridictions nationales statuant sur l'application de l'article 81 ou 82 du traité. Cette copie est transmise sans délai lorsque le jugement complet est notifié par écrit aux parties.

3. Les autorités de concurrence des États membres, agissant d'office, peuvent soumettre des observations écrites aux juridictions de leur État membre respectif au sujet de l'application de l'article 81 ou 82 du traité. Avec l'autorisation de la juridiction en question, elles peuvent aussi présenter des observations orales. Lorsque l'application cohérente de l'article 81 ou 82 du traité l'exige, la Commission, agissant d'office, peut soumettre des observations écrites aux juridictions des États membres. Avec l'autorisation de la juridiction en question, elle peut aussi présenter des observations orales.

Afin de leur permettre de préparer leurs observations, et à cette fin uniquement, les autorités de concurrence des États membres et la Commission peuvent solliciter la juridiction compétente de l'État membre afin qu'elle leur transmette ou leur fasse transmettre tout document nécessaire à l'appréciation de l'affaire.

4. Le présent article est sans préjudice des pouvoirs plus étendus que le droit national confère aux autorités de concurrence des États membres de présenter des observations aux juridictions."

5 Aux termes des points 31 à 35 de la communication de la Commission sur la coopération entre la Commission et les juridictions nationales pour l'application des articles 81 et 82 du traité CE (JO 2004, C 101, p. 54):

"31. Conformément à l'article 15, paragraphe 3, du règlement [n° 1-2003], les autorités de concurrence nationales et la Commission peuvent soumettre des observations sur des questions liées à l'application des articles 81 [CE] ou 82 CE à une juridiction nationale appelée à les appliquer. [Ce] règlement fait une distinction entre les observations écrites, que les autorités de concurrence nationales et la Commission peuvent soumettre d'office, et les observations orales, qu'elles ne peuvent présenter qu'avec l'autorisation de la juridiction nationale [...]

32. Le règlement précise que la Commission ne soumettra d'observations que lorsque l'application cohérente de l'article 81 [CE] ou 82 CE l'exige. Ceci étant l'objectif de sa soumission, la Commission limitera ses observations à une analyse économique et juridique des faits en cause dans l'affaire dont la juridiction nationale est saisie.

33. Pour permettre à la Commission de soumettre des observations utiles, les juridictions nationales peuvent être invitées à communiquer ou à faire transmettre à la Commission une copie de l'ensemble des documents nécessaires à l'appréciation de l'affaire. Conformément à l'article 15, paragraphe 3, second alinéa, du règlement [1-2003], la Commission n'utilisera ces documents que pour préparer ses observations [...]

34. Comme [ce] règlement n'établit pas de cadre procédural pour la soumission d'observations, ce sont les règles de procédure et pratiques des États membres qui déterminent le cadre procédural pertinent. Si un État membre n'a pas encore établi ce cadre, la juridiction nationale doit décider quelles sont les règles de procédure à appliquer pour la présentation d'observations dans l'affaire dont elle est saisie.

35. Le cadre procédural doit respecter les principes rappelés au point 10 de la présente communication. Cela signifie notamment que le cadre procédural de la soumission d'observations sur les questions liées à l'application des articles 81 [CE] ou 82 CE

a) doit être compatible avec les principes généraux du droit communautaire, et notamment avec les droits fondamentaux des parties en cause;

b) ne peut rendre la soumission de ces observations excessivement difficile ou pratiquement impossible (principe d'efficacité) [...] et

c) ne peut rendre la soumission de ces observations plus difficile que dans le cas de procédures judiciaires dans lesquelles le droit national équivalent est appliqué ([...] principe d'équivalence)."

La réglementation nationale

6 La loi portant de nouvelles règles en matière de concurrence économique (loi relative à la concurrence) [wet houdende nieuwe regels omtrent de economische mededinging (Mededingingswet)], du 22 mai 1997 (Stb. 1997, n° 242), telle que modifiée par la loi du 9 décembre 2004 (Stb. 2005, n° 172, ci-après la "loi relative à la concurrence"), dispose à son article 89h:

"1. Lorsqu'ils ne sont pas partie à l'affaire, le Conseil [d'administration de la Nederlandse Mededingingsautoriteit (autorité néerlandaise de la concurrence, ci-après la "NMa")] ou la Commission des Communautés européennes peuvent, aux fins du traitement d'un recours formé devant la juridiction administrative, soumettre des observations écrites conformément à l'article 15, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1-2003 si le Conseil [de la NMa] ou la Commission des Communautés européennes en ont exprimé le souhait. Le juge peut fixer un délai à cet effet. Avec l'autorisation du juge, ils peuvent aussi présenter des observations orales lors de l'audience.

2. Sur demande faite en vertu de l'article 15, paragraphe 3, second alinéa, du règlement n° 1-2003, le juge transmet au Conseil [de la NMa] et à la Commission des Communautés européennes tous les documents visés par cette disposition. Les parties peuvent, dans un délai fixé par le juge, faire part de leur avis concernant les documents à transmettre.

3. Les parties peuvent réagir aux observations du Conseil [de la NMa] ou de la Commission des Communautés européennes dans un délai fixé par le juge. Ce dernier peut autoriser les parties à réagir à leurs observations respectives."

7 Ledit article 89h est issu de la loi de modification de la loi relative à la concurrence ainsi que de certaines autres lois en relation avec la mise en œuvre des règlements (CE) nos 1-2003 et 139-2004 (wet tot wijziging van de Mededingingswet en van enige andere wetten in verband met de implementatie van EG-verordeningen 1-2003 en 139-2004), du 30 juin 2004 (Stb. 2004, n° 345). Il résulte de la décision de renvoi que l'exposé des motifs de cette loi (Kamerstukken II, session 2003-2004, 29276, n° 3) contient les développements suivants:

"2.5 Coopération avec les juridictions nationales

La coopération entre la Commission et les juridictions nationales est exposée à l'article 15 et au 21e considérant [du règlement n° 1-2003].

[...]

Le paragraphe 3 de cet article dispose en outre que la Commission et les autorités nationales de la concurrence peuvent formuler des observations écrites et orales pendant le traitement d'une affaire par le juge (amicus curiae). Ces observations ont le statut d'avis et ont pour objectif de favoriser l'application cohérente des règles de concurrence.

La Commission et les autorités nationales de la concurrence sont tenues à cette fin de respecter les règles de procédure néerlandaises. En effet, dans la procédure entre deux parties, le juge est passif et c'est lui qui détermine le rythme du procès. Le juge n'est en outre pas lié par l'avis de la Commission (21e considérant). L'indépendance du juge n'est donc pas mise en cause. La Commission et les autorités nationales de la concurrence doivent respecter les droits des parties et veiller à ce que les données d'affaires confidentielles restent confidentielles. Enfin, conformément à l'article 15, paragraphe 1, du règlement [n° 1-2003], la juridiction nationale est habilitée à demander à la Commission de lui communiquer des informations ou un avis.

[...]

3.4 Collaboration entre le directeur général de la NMa, la Commission et les juridictions

L'article 15, paragraphe 3, du règlement [n° 1-2003] dispose que les autorités nationales compétentes en matière d'application du droit de la concurrence et la Commission, agissant d'office, peuvent soumettre des observations écrites concernant l'application des articles 81 et 82 du traité et que, avec l'autorisation du juge, elles peuvent même présenter des observations orales.

L'article 15, paragraphe 1, du règlement [n° 1-2003] prévoit en outre la possibilité pour le juge de demander à la Commission des informations ou des avis concernant l'application des articles 81 et 82 du traité [...]

[...] Devant les juridictions administratives, l'article 15 du règlement [n° 1-2003] est mis en œuvre par l'adaptation de la loi relative à la concurrence (article 1er, partie G, [de la loi modificative,] articles 89h, 89i et 89j [de la loi relative à la concurrence]) et, devant les juridictions civiles, par adaptation du code de procédure civile [(Wetboek van Burgerlijke Rechtsvordering)] (article III)."

8 Intitulé "Frais généraux non déductibles", l'article 3.14 de la loi relative à l'impôt sur les revenus de 2001 (Wet Inkomstenbelasting 2001), dans sa version applicable aux revenus perçus en 2002, prévoyait:

"1. Lors du calcul des bénéfices, ne sont pas déductibles les frais et les coûts liés aux postes suivants:

[...]

c. Les amendes infligées par un juge néerlandais et les sommes versées à l'État pour éviter des poursuites judiciaires aux Pays-Bas ou pour satisfaire à une condition liée à une décision de remise de peine ainsi que les amendes infligées par une institution de l'Union européenne et les amendes et majorations imposées en application de la loi générale relative aux impôts d'État [(Algemene wet inzake rijksbelastingen)], de la loi en matière de douane [(Douanewet)], de la loi coordonnée sur l'assurance sociale [(Coördinatiewet Sociale Verzekering)], de la loi portant règlement administratif pour les infractions à certaines dispositions du code de la route [(Wet administratiefrechtelijke handhaving verkeersvoorschriften)] et de la loi relative à la concurrence;

[...]"

Le litige au principal et la question préjudicielle

9 Par la décision de la Commission 2005-471-CE, du 27 novembre 2002, relative à une procédure d'application de l'article 81 du traité CE à l'encontre de BPB PLC, Gebrüder Knauf Westdeutsche Gipswerke KG, Société Lafarge SA et Gyproc Benelux NV (Affaire COMP/E-1/37.152 - Plaques en plâtre) (JO L 166, p. 8), les sociétés BPB, Knauf, Lafarge et Gyproc se sont vu infliger des amendes de, respectivement, 138,6 millions, 85,8 millions, 249,6 millions et 4,32 millions d'euros. Ces amendes ont été provisoirement payées ou garanties par une caution bancaire.

10 Les sanctions ainsi infligées par la Commission ont été confirmées par les arrêts du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 8 juillet 2008, Saint-Gobain Gyproc Belgium/Commission (T-50-03, non encore publié au Recueil), Knauf Gips/Commission (T-52-03, non encore publié au Recueil), BPB/Commission (T-53-03, non encore publié au Recueil) et Lafarge/Commission (T-54-03, non encore publié au Recueil). Les sociétés Knauf et Lafarge ont introduit un pourvoi devant la Cour contre les arrêts du Tribunal ayant rejeté leur recours (affaires C-407-08 P et C-413-08 P).

11 Avant que n'aient été rendus ces arrêts du Tribunal, l'une des sociétés concernées, dont il ressort du dossier qu'elle est établie en Allemagne, dénommée X KG par la juridiction de renvoi, a répercuté partiellement l'amende qui lui avait été infligée au sein du groupe dont elle est la société mère, et notamment sur l'une de ses sociétés filiales néerlandaises, X BV.

12 Le 13 mars 2004, l'administration fiscale néerlandaise a adressé un avis d'imposition à charge de X BV au titre de l'impôt des sociétés pour l'exercice 2002. Par lettre du 8 avril 2004, cette société a introduit une réclamation contre cet avis d'imposition auprès de l'inspecteur, contestant que l'amende infligée par la Commission et que sa société mère a partiellement répercutée sur elle constitue une amende au sens de l'article 3.14, initio et paragraphe 1, sous c), de la loi relative à l'impôt sur les revenus de 2001, qui n'autorise pas la déduction des amendes infligées par les institutions communautaires aux fins du calcul des bénéfices imposables d'une société. L'inspecteur a rejeté cette réclamation par décision du 11 mars 2005.

13 Le 19 avril 2005, X BV a introduit un recours devant le Rechtbank Haarlem (tribunal de Haarlem).

14 Par jugement du 22 mai 2006, celui-ci a admis la déductibilité partielle de cette amende.

15 L'inspecteur a interjeté appel de ce jugement devant le Gerechtshof te Amsterdam (cour d'appel d'Amsterdam) par requête du 30 juin 2006.

16 La Commission, avertie par voie de presse et par l'intermédiaire des autorités nationales de concurrence, a informé la juridiction de renvoi, par lettre du 15 mars 2007, de son souhait d'intervenir en tant qu'amicus curiae en vertu de l'article 15, paragraphe 3, du règlement n° 1-2003 et conformément à l'article 89h de la loi relative à la concurrence. De plus, la Commission a demandé qu'un délai soit fixé à cet effet et que les pièces nécessaires à la compréhension du litige lui soient communiquées.

17 Au cours de l'audience du Gerechtshof te Amsterdam du 22 août 2007, les parties au principal ainsi que la Commission ont été invitées à s'exprimer sur la question de savoir si l'article 15, paragraphe 3, du règlement n° 1-2003 autorise la Commission, agissant d'office, à présenter des observations écrites dans le cadre de la procédure pendante devant lui.

18 C'est dans ce contexte que le Gerechtshof te Amsterdam a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"L'article 15, paragraphe 3, du règlement [...] n° 1-2003 autorise-t-il la Commission à soumettre d'office des observations écrites dans une procédure relative à la possibilité de déduire des bénéfices (fiscaux) réalisés par la partie intéressée durant l'exercice 2002 une amende que la Commission a imposée à la société X KG pour violation du droit [communautaire] de la concurrence et que cette dernière a (partiellement) répercutée sur la partie intéressée?"

Sur la question préjudicielle

19 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 15, paragraphe 3, du règlement n° 1-2003 autorise la Commission à soumettre d'office des observations écrites devant une juridiction nationale dans le cadre d'une procédure relative à la possibilité de déduire des bénéfices imposables le montant d'une amende ou une partie de celle-ci que la Commission a infligée pour la violation de l'article 81 CE ou 82 CE.

20 Afin de garantir une application cohérente des règles de concurrence dans les États membres, un mécanisme de coopération entre la Commission, les autorités nationales de concurrence ainsi que les juridictions des États membres a été instauré au chapitre IV du règlement n° 1-2003.

21 Cette coopération s'inscrit dans le cadre du principe général de coopération loyale, mentionné à l'article 10 CE, qui régit les relations entre les États membres et les institutions communautaires. Comme la Cour l'a constaté, l'obligation de coopération loyale, qui s'impose aux institutions communautaires, revêt une importance particulière dès lors qu'elle s'établit avec les autorités judiciaires des États membres chargées de veiller à l'application et au respect du droit communautaire dans l'ordre juridique national (voir ordonnance du 13 juillet 1990, Zwartveld e.a., C-2-88 IMM, Rec. p. I-3365, point 18).

22 Dans ce cadre, les juridictions nationales, d'une part, et la Commission et les juridictions communautaires, d'autre part, agissent en fonction du rôle qui leur est assigné par le traité (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2000, Masterfoods et HB, C-344-98, Rec. p. I-11369, point 56).

23 Les articles 11 à 14 du règlement n° 1-2003 prévoient des formes différentes de coopération entre la Commission et les autorités nationales de concurrence.

24 L'article 15 dudit règlement, intitulé "Coopération avec les juridictions nationales", met en place un système d'échange d'informations réciproque entre la Commission et les juridictions des États membres, et prévoit, dans des circonstances déterminées, la possibilité d'intervention de la Commission et des autorités de concurrence des États membres dans les procédures pendantes devant les juridictions nationales.

25 Comme le mentionne le vingt et unième considérant du règlement n° 1-2003, le mécanisme de coopération entre la Commission et les juridictions des États membres vaut pour toutes les juridictions des États membres qui appliquent les articles 81 CE ou 82 CE dans le cadre de litiges entre particuliers, en tant qu'autorité agissant dans l'intérêt du public ou comme instance de recours.

26 L'article 15, paragraphe 1, du règlement n° 1-2003 dispose, d'une part, que lesdites juridictions peuvent demander à la Commission de leur communiquer des informations en sa possession ou un avis au sujet de questions relatives à l'application des règles communautaires de concurrence. Le paragraphe 2 de cet article énonce, d'autre part, que les États membres transmettent à la Commission copie de tout jugement écrit rendu par des juridictions nationales statuant sur l'application des articles 81 CE ou 82 CE.

27 Les première et deuxième phrases du paragraphe 3, premier alinéa, dudit article 15 autorisent les autorités de concurrence des États membres à soumettre des observations écrites d'office, et des observations orales avec l'autorisation de la juridiction concernée, aux juridictions de leur État membre respectif au sujet de l'application de l'article 81 CE ou 82 CE. Les troisième et quatrième phrases de cette disposition autorisent également la Commission à soumettre des observations écrites d'office, et des observations orales avec l'autorisation de la juridiction en question, devant les juridictions des États membres lorsque l'application cohérente de l'article 81 CE ou 82 CE l'exige.

28 Ainsi, l'article 15, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1-2003 vise deux types d'intervention différents ayant des champs d'application distincts: l'intervention des autorités nationales de concurrence devant les juridictions de leur État membre respectif au sujet de l'application de l'article 81 CE ou 82 CE et l'intervention de la Commission devant les juridictions des États membres lorsque l'application cohérente de l'article 81 CE ou 82 CE l'exige.

29 Les quatre phrases de cet alinéa, et surtout le fait que les deuxième et quatrième phrases de celui-ci sont presque entièrement identiques, soulignent que le législateur communautaire avait l'intention de séparer ces deux hypothèses, malgré le fait qu'elles se trouvent dans le même alinéa.

30 Par conséquent, une interprétation littérale de l'article 15, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1-2003 conduit à considérer que la faculté pour la Commission, agissant d'office, de soumettre des observations écrites aux juridictions des États membres est subordonnée à l'unique condition que l'application cohérente de l'article 81 CE ou 82 CE l'exige. Cette condition peut être remplie même dans des cas où la procédure concernée ne se déroule pas au sujet de l'application de l'article 81 ou 82 du traité.

31 Ladite interprétation n'est pas remise en cause par la quatrième phrase du vingt et unième considérant du règlement n° 1-2003, aux termes de laquelle il est nécessaire de permettre à la Commission et aux autorités de concurrence des États membres de formuler des observations écrites ou orales devant des juridictions lorsqu'il est fait application de l'article 81 CE ou 82 CE. Ce considérant vise tout simplement une situation typique sans exclure d'autres hypothèses où la Commission peut intervenir. De plus, un considérant d'un règlement, s'il peut permettre d'éclairer l'interprétation à donner à une règle de droit, ne saurait constituer par lui-même une telle règle (arrêts du 13 juillet 1989, Casa Fleischhandels, 215-88, Rec. p. 2789, point 31, et du 24 novembre 2005, Deutsches Milch-Kontor, C-136-04, Rec. p. I-10095, point 32 et jurisprudence citée).

32 Par ailleurs, contrairement à ce qui est soutenu par X BV ainsi que par le gouvernement néerlandais, l'interprétation de l'article 15, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1-2003 donnée au point 30 du présent arrêt n'est pas contredite par les points 31 à 35 de la communication de la Commission sur la coopération entre la Commission et les juridictions nationales pour l'application des articles 81 et 82 du traité CE, qui énoncent que la Commission peut soumettre des observations sur des questions liées à l'application des articles 81 CE ou 82 CE. En effet, la notion générale de "questions liées à l'application des articles 81 [...] CE ou 82 [CE]" retenue par ladite communication comprend la possibilité, pour la Commission, de déposer des observations écrites devant les juridictions nationales lorsque l'application cohérente de l'article 81 CE ou 82 CE l'exige. En toute hypothèse, le contenu d'une communication de la Commission ne saurait prévaloir sur les dispositions d'un règlement.

33 Le droit communautaire a établi un système complet de contrôle des ententes et des abus de position dominante qui définit un principe d'interdiction, contenu aux articles 81 CE et 82 CE, et sa sanction, prise sur le fondement de l'article 83 CE. Lesdits articles doivent être entendus comme faisant partie d'un ensemble global de prescriptions visant à interdire et à sanctionner les pratiques anticoncurrentielles.

34 Il ressort de l'article 83, paragraphe 2, sous a), CE que les amendes et les astreintes qui peuvent être infligées aux entreprises dans le cadre de l'application du droit communautaire de la concurrence ont pour objet "d'assurer le respect des interdictions visées à l'article 81, paragraphe 1, [CE] et à l'article 82 [CE]". L'objectif dudit article 83 CE est ainsi, notamment, d'assurer l'effectivité du contrôle des ententes et des abus de position dominante.

35 Le pouvoir de la Commission d'infliger des amendes aux entreprises qui, de propos délibéré ou par négligence, commettent une infraction aux dispositions des articles 81, paragraphe 1, CE ou 82 CE constitue un des moyens attribués à celle-ci en vue de lui permettre d'accomplir la mission de surveillance que lui confère le droit communautaire (voir, en ce sens, arrêts du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100-80 à 103-80, Rec. p. 1825, point 105, et du 7 juin 2007, Britannia Alloys & Chemicals/Commission, C-76-06 P, Rec. p. I-4405, point 22).

36 Dissocier le principe de l'interdiction des pratiques anticoncurrentielles des sanctions prévues en cas d'inobservation de celui-ci reviendrait dès lors à priver d'effectivité l'action des autorités chargées de surveiller le respect de cette interdiction et de sanctionner de telles pratiques. Ainsi, les dispositions des articles 81 CE et 82 CE seraient inopérantes si elles n'étaient pas accompagnées de mesures coercitives prévues à l'article 83, paragraphe 2, sous a), CE. Comme l'a exposé M. l'avocat général au point 38 de ses conclusions, il existe un lien intrinsèque entre les amendes et l'application des articles 81 CE et 82 CE.

37 L'effectivité des sanctions infligées par les autorités de concurrence nationales ou communautaires sur le fondement de l'article 83, paragraphe 2, sous a), CE est donc une condition de l'application cohérente des articles 81 CE et 82 CE.

38 Or, dans le cadre d'une procédure concernant des sanctions en matière de pratiques anticoncurrentielles prévues à l'article 83, paragraphe 2, sous a), CE, la décision que la juridiction saisie est amenée à rendre est susceptible de porter atteinte à l'effectivité de ces sanctions et, donc, risque de compromettre l'application cohérente des articles 81 CE ou 82 CE.

39 Dans les circonstances de l'affaire au principal, il est manifeste que l'issue du litige relatif à la déductibilité fiscale d'une partie du montant d'une amende infligée par la Commission est susceptible de porter atteinte à l'effectivité de la sanction imposée par l'autorité communautaire de concurrence. L'effectivité de la décision de la Commission par laquelle elle a infligé une amende à une société pourrait en effet être sensiblement réduite si la société concernée, ou du moins une société qui est liée à celle-ci, était autorisée à déduire en tout ou en partie le montant de cette amende du montant de ses bénéfices imposables, puisqu'une telle possibilité aurait pour effet de compenser partiellement la charge de ladite amende par une réduction de la charge fiscale.

40 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que l'article 15, paragraphe 3, premier alinéa, troisième phrase, du règlement n° 1-2003 doit être interprété en ce sens qu'il autorise la Commission à soumettre d'office des observations écrites à une juridiction d'un État membre dans une procédure relative à la possibilité de déduire des bénéfices imposables le montant d'une amende ou une partie de celle-ci que la Commission a infligée pour la violation de l'article 81 CE ou 82 CE.

Sur les dépens

41 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, LA COUR (quatrième chambre) dit pour droit:

L'article 15, paragraphe 3, premier alinéa, troisième phrase, du règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, doit être interprété en ce sens qu'il autorise la Commission des Communautés européennes à soumettre d'office des observations écrites à une juridiction d'un État membre dans une procédure relative à la possibilité de déduire des bénéfices imposables le montant d'une amende ou une partie de celle-ci que la Commission a infligée pour la violation de l'article 81 CE ou 82 CE.