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Décisions

ADLC, 11 juin 2009, n° 09-D-20

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à la situation de la concurrence dans le secteur des travaux de voirie et d'entretien routier en région Rhône-Alpes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Philippe Komiha, sur l'intervention de M. Pierre Debrock, rapporteur général adjoint, par M. Bruno Lasserre, président, président de séance, Mmes Françoise Aubert, Anne Perrot, vice-présidentes.

ADLC n° 09-D-20

11 juin 2009

L'Autorité de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre du 26 juillet 2006 par laquelle la société Moulin TP a saisi le Conseil de la concurrence de ses difficultés pour obtenir des marchés de mise en œuvre d'enrobés en région Rhône-Alpes, saisine enregistrée sous le numéro 06/0053 F ; Vu la lettre du 14 mai 2007 par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur des travaux de voirie et d'entretien routier dans la région Rhône-Alpes, saisine enregistrée sous le numéro 07/0045 F ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ; Vu la décision du rapporteur général en date du 10 décembre 2008 procédant à la jonction des deux affaires ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et le représentant de la société Moulin TP, entendus lors de la séance du 12 mai 2009 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA JONCTION DES PROCÉDURES

1. La saisine de la société Moulin TP vise les difficultés d'accès au marché des travaux d'entretien routier en région Rhône-Alpes, qu'elle attribue, d'une part, au comportement des maîtres d'ouvrages, d'autre part, aux pratiques de prix anormalement bas que mettraient en œuvre ses principaux concurrents qu'elle nomme " les majors du secteur routier ", pratiques qu'elle qualifie à la fois d'abus de position dominante et d'entente de répartition des marchés.

2. A la suite à cette saisine, le rapporteur désigné initialement pour instruire ce dossier s'est rapproché de la DGCCRF pour demander la réalisation d'une enquête. La direction générale a signalé, en réponse, qu'une enquête générale était déjà en cours dans le secteur d'activité et dans la région visés par la saisine.

3. Sur la base des résultats de cette enquête, le ministre a saisi le Conseil de la concurrence le 14 mai 2007. Sa lettre de saisine fait directement référence à la saisine de la société Moulin TP, indiquant que la DGCCRF a établi un rapport " relatif au même secteur " à la suite d'une enquête diligentée " au cours de l'année 2006 ". Elle précise que " les investigations menées laissent supposer la mise en œuvre, par des sociétés filiales des majors du BTP, d'une stratégie d'éviction par les prix à l'égard d'un nouvel entrant sur le marché des enrobés : le groupement Guintoli - Moulin TP - SORALP. Ces pratiques, probablement facilitées par le comportement ambigu de certains maîtres d'ouvrage, pourraient caractériser un abus de position dominante par les prix ".

4. Compte tenu de ces similitudes entre les deux saisines, il a été procédé à leur jonction par décision du rapporteur général en date du 10 décembre 2008.

B. LES ÉLÉMENTS DE FAIT RELEVÉS

1. LES ÉLÉMENTS SIGNALÉS PAR LA SAISINE DE MOULIN TP

5. La société Moulin TP opère essentiellement en Rhône-Alpes. Entreprise de terrassement, elle a développé à partir de l'année 2000 une activité de travaux routiers, de génie civil, de travaux de voirie et réseaux divers (VRD) et d'assainissement. Pour les travaux routiers, elle s'est rapprochée de la société Guintoli qui lui apportait les qualifications professionnelles nécessaires pour satisfaire aux conditions des appels d'offres des collectivités publiques. Les sociétés Guintoli, Moulin TP et Soralp ont créé la société G.M.S. Enrobés, qui leur assure la fourniture d'enrobés depuis 2005.

6. En premier lieu, la société Moulin TP dénonce le comportement de certains maîtres d'ouvrage.

7. Ainsi, pour un marché de travaux de voirie lancé par la ville de Grenoble en février 2005, l'offre du groupement Guintoli/Moulin TP a été rejetée, alors que l'un des candidats, le groupement Eurovia/SCREG, avait eu connaissance de l'estimation du maître d'ouvrage. Sur recours du groupement Guintoli/Moulin TP, le tribunal administratif a annulé la procédure en raison du traitement de faveur dont aurait bénéficié l'attributaire. A l'issue du second appel d'offres, le groupement Eurovia/SCREG, moins disant, a été désigné titulaire du marché.

8. Pour un marché de travaux de voirie lancé par la commune de Seyssinet-Pariset en novembre 2005, l'offre de Moulin TP a été rejetée, le marché étant attribué à la société Sacer.

9. Pour un marché de travaux de chaussées lancé par la ville de Chambéry en décembre 2005, l'offre du groupement Guintoli/Moulin TP/Soralp, bien que moins disante, a été rejetée, la collectivité ayant considéré que les moyens matériels et humains mis en œuvre par l'attributaire étaient supérieurs. Sur le recours du groupement, le tribunal administratif de Grenoble a validé la décision de la Ville de Chambery d'attribuer le marché à son concurrent.

10. Sur les marchés pluriannuels d'entretien des routes départementales lancés par les conseils généraux, la société Moulin TP évoque également les difficultés qu'elle a rencontrées soit pour se faire admettre par les maître d'ouvrage, soit du fait des recours exercés par ses concurrents qui ont abouti à l'annulation de procédures de marchés publics pour lesquelles la société s'estimait en mesure de l'emporter.

11. En second lieu, Moulin TP dénonce certaines pratiques de ses principaux concurrents. Tout d'abord, elle évoque une répartition du marché entre les " majors " de la profession en constatant que très souvent, ce sont les mêmes sociétés qui obtiennent, d'une année sur l'autre, les mêmes lots à l'occasion des appels d'offres successifs relatifs à la mise en œuvre d'enrobés sur les routes départementales.

12. Ensuite, la société Moulin TP expose que ses principaux concurrents pratiquent des " prix anormalement bas " ou des " prix prédateurs ".

13. Les entreprises ainsi mises en cause sont les filiales locales des grands groupes de travaux routiers : Eurovia, Appia, Sacer, Colas et SCREG. Les trois dernières appartiennent au groupe Bouygues. Elles sont désignées par Moulin TP comme par le rapport d'enquête sous le nom de " majors " de la profession.

2. LES ÉLÉMENTS MATÉRIELS RECUEILLIS AU TERME DE L'ENQUÊTE

14. L'enquête menée par les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a porté sur les marchés départementaux visés par la saisine de Moulin TP pour la période 2002-2006. La brigade interrégionale d'enquête (BIE) de Lyon a passé au crible les appels d'offres en cause et a donc été en mesure de réunir, avec les pouvoirs d'enquête dont elle dispose, les éléments qui pouvaient faire défaut dans la saisine de la société Moulin TP aux fins d'établir l'existence de concertations ou d'abus de domination notamment par la mise en œuvre de prix prédateurs.

a) Les éléments relatifs à une éventuelle répartition des marchés

15. Dans ses conclusions, le rapport d'enquête évoque une baisse sensible du niveau de prix des offres des entreprises appartenant aux grands groupes, des échanges d'informations entre concurrents préalablement à la remise de leurs offres, la reconduction quasi systématique des mêmes titulaires pour chacun des lots des marchés départementaux.

16. A ce propos, les éléments matériels qui figurent au rapport d'enquête, par département, sont les suivants.

17. Dans le département de l'Ain, il est constaté pour l'appel d'offres de 2002, à propos de l'éloignement des centrales d'enrobés par rapport aux chantiers, que la clause kilométrique de 50 km maximum imposée par le maître d'ouvrage a été défavorable à une plus vive concurrence, en favorisant les propriétaires de centrales d'enrobés suffisamment proches. Pour le marché 2005-2007, la clause kilométrique est passée à 65 km. Le conseil général de l'Ain a écarté la candidature du groupement constitué par Moulin TP pour insuffisance de références, de capacités techniques et financières. Suite au recours exercé par Moulin TP, le tribunal administratif de Lyon a annulé la procédure de cet appel d'offres. Le conseil général a lancé un nouvel d'appel d'offres en février 2005. Le groupement Moulin TP a déposé des offres pour les lots n° 1 à 6 mais le conseil général a rejeté ces offres pour les lots n° 1, 5 et 6, sans en préciser les motifs exacts. Moulin TP a donc de nouveau saisi le tribunal administratif. La procédure était encore en cours au terme de l'enquête.

18. Sur ce même marché, on relève que, sur six lots, Eurovia titulaire du lot 6 des marchés 1996-1998 et 1999-2001 le perd au bénéfice de la société Sacer pour les marchés 2002-2004 et 2005-2007. Par ailleurs, à partir de 2002 un nouveau titulaire apparaît, la société Favier, qui obtient le lot n° 5, associée à Appia. Au surplus, le rapport relève que la concurrence a été plus ouverte avec l'arrivée de nouveaux opérateurs, favorisée par la clause kilométrique désormais de 65 km. Le rapport note également que tous les candidats, les " majors " comme les autres, ont remis des offres sensiblement inférieures à l'estimation du maître d'ouvrage, dans une fourchette d'écarts comprise, selon les lots, entre -7 % et -32 %.

19. Dans l'Ardèche, pour le marché 2005, lors du premier appel d'offres, le rapport constate que les entreprises indépendantes des grands groupes (Braja, Siorat, E26, SATP) ont remis des offres sensiblement inférieures à l'estimation du maître d'ouvrage alors que les offres des " majors " étaient proches de l'estimation. A la suite du recours exercé par Braja et Siorat, dont les offres avaient été écartées au regard de leur valeur technique, le département a déclaré sans suite le marché. Il a lancé une nouvelle consultation et Siorat, de nouveau évincée, a obtenu du tribunal administratif l'annulation du marché pour les lots n° 1, 4, 8, 9 et 12 sur un total de douze lots. A l'issue de la troisième consultation concernant ces cinq lots, en octobre 2005, seules sont retenues les offres des " majors ", tandis que l'offre de Siorat a été exclue de la consultation pour non conformité au regard de l'autorisation d'exploiter une centrale sur la durée totale du marché.

20. Par rapport au marché précédent, la répartition des tonnages s'est modifiée à l'issue de cette consultation 2005 : Appia passe de 39 % à 22 %, le groupement Sacer/Colas/SCREG passe de 19 % à 23 %, Eurovia passe de 26 % à 28 %. Si sur la moitié des lots les offres moins disantes de ces groupes sont proches des estimations, sur l'autre moitié les écarts sont importants. De fait, six lots sur douze changent de titulaire en 2005.

21. On relève que pour la troisième consultation, par rapport à leurs premières offres, Eurovia a baissé son prix sur les neuf lots pour lesquels elle a été candidate et fait une offre pour la première fois sur le lot 8. Le groupement Sacer/Colas/SCREG a baissé son prix sur onze lots et l'a maintenu sur un lot. Le groupement Appia a baissé son prix sur cinq lots, l'a augmenté sur trois lots et l'a maintenu sur un lot. Selon les lots, les offres des " majors " sont inférieures de 1,6 à 23 % par rapport à l'estimation du maître d'ouvrage. Les lots n° 7, 10 et 11 ont été attribués à des indépendants avec des prix en baisse par rapport au montant estimé de 34,5 %, 19 % et 38,5 %.

22. Dans la Drôme, le conseil général a d'abord annulé le premier appel d'offres lancé en octobre 2005. La seconde consultation lancée en mars 2006 a été à son tour annulée par le maître d'ouvrage à la suite de recours exercés par des candidats. Aucun des travaux n'a été commandé en 2006 sur la base des offres présentées. Pour le second appel d'offres, la collectivité a retenu les offres du groupement Guintoli/Moulin TP/GMS Enrobés pour les lots 8 à 11. On constate des offres inférieures de 26 à 38 % par rapport à l'estimation du maître d'ouvrage, tant de la part des " majors " que des entreprises indépendantes.

23. En Isère, pour le marché 2005-2007, une redistribution des lots s'est opérée au bénéfice d'Appia qui obtient huit lots sur onze contre trois lors du précédent marché, au détriment du groupe Colas/SCREG qui n'obtient que deux lots au lieu de six auparavant, et d'Eurovia qui obtient un lot contre deux auparavant. Par ailleurs, les offres sont sensiblement inférieures à l'estimation du maître d'ouvrage, dans des proportions variant de - 8 % à -47 % selon les lots, y compris chez Moulin TP. Le rapport conclut que " Dans ce département, il ne fait aucun doute que l'attribution de la quasi-totalité du marché d'entretien des routes départementales témoigne des effets d'une concurrence effective " et évoque la pression concurrentielle exercée notamment par Soralp, Guintoli et Moulin TP, mais aussi par Appia Isardrôme.

24. En Haute-Savoie, pour le marché lancé en septembre 2005, les sociétés Eurovia, SCREG, Colas et Gerland TP ont été attributaires des différents lots. Quatre lots sur onze changent de titulaires par rapport à la précédente consultation. La valeur technique de l'offre pesait pour 60 % dans l'appréciation, contre 40 % pour le niveau de prix. Pour tous les lots, l'offre présentée par le groupement Guintoli/Moulin TP était la moins bien classée, principalement en raison de prix plus élevés. Le rapport d'enquête signale des offres sensiblement inférieures à l'estimation du maître d'ouvrage, sans en déterminer l'importance. Le dossier se limite, pour ce département, à un examen des erreurs ou incohérences qu'il relève dans le détail des prix de la société Appia et conclut que ces prix " ne sont fondés sur aucune réalité économique, (...) mais réalisé(e)s dans le but de couvrir les offres ".

25. Dans ces cinq départements, le rapport d'enquête ne relève pas d'éléments relatifs à des contacts, des échanges d'informations ou des concertations à l'occasion des consultations en cause.

26. Pour la Savoie, en 2000 la société Eurovia a emporté les dix-huit lots du marché alors qu'elle n'en détenait aucun auparavant. En 2003, elle emporte cinq lots contre neuf pour Appia, un pour Colas et trois pour Sacer. En 2006, Eurovia emporte trois lots contre dix pour Appia, trois pour Colas et trois pour Sacer. Ainsi, il est constaté que les différents lots changent de titulaires et que la répartition quantitative de ces lots a été sensiblement modifiée à l'occasion de chaque consultation au cours des six années écoulées.

27. Pour l'appel d'offres lancé fin 2005, l'attribution du marché 2006-2009 s'est déroulée en deux étapes. A l'issue du premier appel d'offres, n'ayant obtenu aucun lot, Eurovia a exercé un recours auprès du tribunal administratif qui a annulé le marché en janvier 2006. Pour le deuxième appel d'offres, les conditions de concurrence ont été modifiées : les offres moins disantes de la consultation annulée ont été communiquées aux candidats et un 19ème lot a été créé. Cette communication des prix proposés lors du premier appel d'offres a été d'autant plus préjudiciable au jeu de la concurrence que la sélection s'opérait sur le seul critère du prix. Le rapport d'enquête signale, en outre, " l'arrivée du nouvel opérateur particulièrement compétitif qui disposait d'une centrale d'enrobés sur le site de Montmélian en Savoie " et souligne les incertitudes générées par ces nouvelles conditions. On constate que les offres pour la seconde consultation sont à un niveau de prix inférieur à celui de la première consultation, sauf pour Guintoli dont les niveaux de prix sont en hausse. Ensuite le rapport d'enquête fait un catalogue, pour chaque entreprise, des erreurs ou incohérences qu'il relève sur certains postes de prix et en déduit une stratégie de chacune qui consisterait à adapter les prix les plus bas sur les lots que chacune souhaite obtenir et à remettre des prix plus élevés sur les lots qui ne les intéressent pas.

28. Pour cette deuxième consultation du marché 2006-2009, le rapport d'enquête évoque l'hypothèse d'échanges d'informations préalables à la remise des offres.

29. En premier lieu, on relève une déclaration du chef de centre de Colas : " Lorsque j'ai contacté le fournisseur de granulats pour savoir s'il pouvait faire un effort financier sur les fournitures, j'ai appris par lui que je n'étais pas le seul à l'avoir appelé. Je lui ai dit de faire une réponse à la centrale d'enrobés GMECS. " Au paragraphe précédant cette déclaration, l'intéressé indique : " Lorsque le marché a été annulé, je n'ai pas su les raisons liées à cette annulation. J'ai été déçu d'apprendre que l'on passait au critère unique du prix. Quand j'ai appris que les prix des lots où nous étions les moins-disants étaient communiqués à tous les concurrents, j'ai su qu'il faudrait modifier mon offre mais de manière réfléchie et mesurée. J'ai revu certains prix de rabotage, j'ai vu certains de nos fournisseurs pour savoir s'ils pouvaient faire des efforts financiers. " L'un de ces fournisseurs est donc le fournisseur de granulats qui est invité à adresser son offre de prix directement à la centrale d'enrobés GMECS qui traitera ces granulats pour le compte de la société Colas qui en est une de ses actionnaires.

30. En deuxième lieu, un courrier adressé à GMECS par Granulats Rhône-Alpes consent le rabais demandé en ces termes : " Suite à nos différents entretiens, et compte tenu de l'importance du marché cité en objet, nous sommes en mesure de revoir nos conditions commerciales, de manière conséquente. Nous vous accordons un rabais de un euro sur le prix hors taxes de chaque tonne de granulat issue de notre carrière de Gilly sur Isère, pour vos besoins sur le marché cité en objet. Ces prix ne seront applicables que sur les granulats faisant partie du marché, dans la mesure où vous serez adjudicataires du marché. " Ce courrier est spécifiquement destiné à MM. X... et Y..., qui appartiennent tous deux à la société Colas. A aucun moment, il ne permet de constater un échange d'informations entre concurrents.

31. En troisième lieu, le rapport expose les déclarations de responsables des sociétés Sacer et Eurovia qui indiquent qui sont leurs fournisseurs de matériaux, la société Apprin pour Sacer, l'entreprise Beroud pour Eurovia, déclarations qui précisent qu'ils ont négocié les prix des granulats avec leur fournisseur respectif pour répondre à l'appel d'offres.

32. On constate qu'il s'agit donc d'échanges non pas entre des concurrents à l'appel d'offres, mais entre certaines des entreprises concernées et leur propre fournisseur en granulats.

b) Les éléments relatifs à une pratique d'éventuels prix prédateurs

33. Sous le titre " Les prix prédateurs " le rapport d'enquête procède à l'examen de trois postes de prix au sein des bordereaux des offres remises par les sociétés de travaux routiers appartenant aux grands groupes : d'une part, la mise en œuvre et le transport de l'enrobé, d'autre part la fourniture de l'enrobé BBSG 0/10.

34. Concernant le transport, la comparaison de son coût par rapport aux prix remis sur ce poste par les sociétés Appia, Eurovia, Screg, Colas et Sacer a été effectuée pour les marchés des routes départementales de la Savoie, de la Haute-Savoie et de l'Isère. On constate que le niveau des offres pour ce poste dans ces départements est supérieur à son coût total estimé. Le dossier ne comporte pas d'analyse des prix de ce poste ni de ceux des autres sociétés candidates dans ces départements, ni dans les départements de l'Ain, de l'Ardèche et de la Drôme. Par ailleurs, il n'est pas indiqué ce que représente ce poste de prix par rapport à la valeur totale de chaque offre sur chaque lot.

35. Concernant la mise en œuvre des enrobés, il a été procédé à une estimation de son coût et à sa comparaison avec le prix remis sur ce poste uniquement en ce qui concerne la société Appia et seulement pour le marché des routes départementales de la Savoie. On constate que l'offre d'Appia dans ce département est supérieure pour ce poste à son coût estimé. Le dossier ne comporte pas d'analyse des prix de ce poste ni de ceux des autres entreprises, ni dans les autres départements. Par ailleurs, il n'est pas indiqué ce que représente ce poste de prix par rapport à la valeur totale de chaque offre sur chaque lot.

36. Concernant la fourniture de l'enrobé le choix du BBSG 0/10 pour une analyse des prix prédateurs est ainsi justifié : " Pour l'entretien des routes départementales, plusieurs catégories d'enrobés sont susceptibles d'être demandées par les collectivités. Les quantités les plus souvent commandées restent néanmoins les bétons bitumineux semi-grenus (BBSG) avec des granulométries parfois différentes. Pour les besoins de l'enquête, le calcul des prix a porté sur le BBSG 0/10. " L'examen est effectué département par département.

37. Dans l'Ain, pour le marché triennal 2004-2006 qui comptait cinq lots, il est constaté que les prix de vente du BBSG 0/10 remis par Eurovia, Sacer et Appia pour les lots n° 1 à 4 sont supérieurs aux prix de revient. Le dossier ne comporte pas d'analyse comparative des prix et des coûts des autres participantes au marché (Siorat, Moulin TP/Guintoli, SCREG et Mazza), ni une analyse des autres postes de coûts des offres.

38. Pour l'Ardèche, le dossier ne comporte pas d'analyse des prix et des coûts de la fourniture des enrobés, BBSG 0/10 inclus.

39. Dans la Drôme où, pour le marché 2006-2010, trois consultations successives ont été lancées, portant sur onze lots, sans qu'aucun marché n'ait été finalement conclu, huit candidats ont présenté des offres : Eurovia, Appia, groupement Colas/Sacer/SCREG, E26, Missolin, Trabet, Braja, groupement Moulin TP/Guintoli/GMS. On relève que les prix remis sur l'enrobé BBSG 0/10 par Eurovia, Appia et le groupement Colas/Sacer/SCREG lors de la première consultation sont supérieurs aux prix de revient. Pour la deuxième consultation, le rapport d'enquête constate que Eurovia a remis des prix compris entre 39,60 euro/tonne et 40,90 euro/tonne selon les lots pour un prix de revient de 35,48 euro/tonne, Colas a remis un prix de 41,60 euro/tonne pour un prix de revient de 32,00 à 35,48 euro/tonne, Appia a remis des prix compris entre 40,00 et 48,00 euro/tonne selon les lots pour un prix de revient de 35,48 à 36,08 euro/tonne.

40. Le dossier ne comporte pas d'analyse comparative des prix et des coûts des autres participantes au marché, notamment Braja et le groupement Moulin TP/Guintoli/GMS. On constate que, tant pour la première que pour la deuxième consultation, ce groupement a remis une offre globale inférieure à celles d'Eurovia, Colas ou Appia sur les lots n° 8 à 11, de - 30 % fin 2005, de - 14 % à - 17 % en octobre 2006. Au surplus, le groupement Moulin TP/Guintoli/GMS a proposé pour le BBSG 0/10 des prix inférieurs à ceux d'Eurovia ou Colas, par exemple, 33,80 euro/tonne pour les lots n° 2 et 11, 28,60 euro/tonne pour le lot n° 10, contre 41,60 euro chez Colas et 35,00 à 48,00 euro selon les lots chez Eurovia. Par ailleurs, l'examen des tableaux détaillés des offres des entreprises poste par poste permet de constater que le poste relatif à la mise en œuvre d'enrobés BBSG 0/10 ne représente, selon les lots et les entreprises, que 3 % à 6 % du montant total de l'offre.

41. En Isère, la consultation pour le marché triennal 2005-2007 comportait onze lots. Dix candidats ont présenté des offres : Eurovia, Appia, groupement Colas/Sacer/SCREG, Perrier TP, Muet, Siorat, Routière du Midi, RMF TP, Favier et le groupement Moulin TP/Guintoli/GMS. Le rapport relève que les prix remis par Eurovia, Appia et le groupement Colas/Sacer pour le BBSG 0/10 sont inférieurs aux prix de revient. Un examen détaillé des offres de prix remis pour le BBSG 0/10 (poste n° 2121 du bordereau) par des concurrents indépendants des trois " majors " visés au dossier permet de constater que leurs niveaux de prix sont comparables à ceux de ces " majors ".

42. Le tableau suivant confronte ces offres. La dernière colonne mentionne, par lot, la part en valeur que représente ce poste par rapport au montant global de l'offre moins disante.

<emplacement tableau>

43. Ainsi, d'une part, on constate que le poids de ce poste n'excède jamais le tiers de la valeur totale de l'offre. D'autre part, des lots ont été attribués à des entreprises qui n'ont pas remis le plus bas prix sur ce poste. Ainsi, le lot n° 3 est attribué à Eurovia qui a pourtant proposé le prix le plus élevé. Le lot n° 4 est attribué à Colas malgré le prix plus bas d'Appia. Le lot n° 10 est attribué à Appia pourtant moins bien placée que Moulin TP. Le lot n° 11 est attribué à Appia moins bien placée que Perrier TP.

44. Par rapport aux autres candidats, y compris les trois groupes suspectés de pratiquer des prix prédateurs, les offres du groupement Moulin TP/Guintoli/GMS sont voisines ou inférieures à celles de Sacer, Siorat et Routière du Midi sur le lot 1, à celles de Eurovia sur les lots n° 2 et 4, à celles de Eurovia et Sacer sur le lot 3, à celles de Eurovia, SCREG et Muet sur les lots n° 5 et 7, à celles de Eurovia, Colas et Favier sur le lot n° 6, à celles de Eurovia, Routière du Midi et Sacer sur le lot 8, à celles de Eurovia, SCREG et Perrier sur les lots n° 9 et 10.

45. En Savoie, pour le marché 2006-2009, cinq candidats ont présenté des offres : Appia, Eurovia, Sacer, Colas et Guintoli. A l'issue du premier appel d'offres, annulé par le tribunal administratif, une nouvelle consultation a eu lieu, avec des modifications des conditions de concurrence. Le rapport conclut que les prix remis pour le BBSG 0/10 par Eurovia, Appia, Colas et Sacer sont inférieurs aux prix de revient chez Eurovia sur tout les lots, tant au premier tour qu'au deuxième tour ; chez Appia sur 12 lots au premier tour, sur 8 lots au deuxième tour ; chez Colas sur 4 lots au premier tour, sur 2 lots au deuxième tour.

Pour Sacer on ne relève aucune offre inférieure au prix de revient, ni au premier tour, ni au deuxième tour.

46. Pour Appia, qui a obtenu dix lots dont cinq sur lesquels les prix remis sont présumés prédateurs, il est néanmoins constaté, au chapitre consacré à l'analyse des " bilans de chantiers " que : " Les chiffres d'affaires produits par APPIA pour les marchés des RD en Savoie montrent qu'aucun d'eux ne génère des pertes. Si on compare les marges 2006 avec celles de ces mêmes lots en 2005, on constate que les écarts sont les mêmes alors que les prix unitaires étaient nettement plus élevés. "

47. Par ailleurs, on constate que les offres de Guintoli, au premier tour sont inférieures à celles d'Eurovia sur tous les lots, à celles d'Appia sur neuf lots, à celles de Colas sur deux lots, à celles de Sacer sur un lot. Au deuxième tour, malgré les modifications apportées par le maître d'ouvrage et la connaissance des offres moins disantes, Guintoli a augmenté le montant de ses offres sur tous les lots et s'est donc trouvée devancée par ses concurrents pour chaque lot. Au surplus, l'examen des offres de prix pour le BBSG 0/10 de Guintoli permet de constater que ses niveaux de prix sont comparables à ceux de ses concurrents. Le tableau suivant confronte ces offres. La dernière colonne mentionne, par lot, la part en valeur que représente ce poste par rapport au montant global de l'offre.

<emplacement tableau>

48. Ainsi, sur dix lots, Guintoli a remis pour le BBSG 0/10 des prix inférieurs à au moins l'un de ses concurrents. Par ailleurs, on constate que le poste de coût examiné représente moins du quart de la valeur totale de l'offre sur chaque lot, sauf pour le lot 12 où il en représente le tiers.

49. En Haute-Savoie, pour le marché 2006-2008 qui comporte onze lots, six candidats ont présenté des offres : Appia, Eurovia, Screg, Colas, Perrier TP et Guintoli. Le rapport relève que le prix offert pour le BBSG 0/10 serait inférieur aux prix de revient pour quatre lots chez Eurovia et Screg, pour cinq lots chez Appia, pour aucun lot chez Colas.

50. Par ailleurs, on relève que Eurovia obtient trois des lots où son prix de BBSG 0/10 serait anormalement bas mais perd le lot n° 2 au profit de Screg malgré un prix inférieur au sien ; que Appia n'obtient qu'un lot et trois lots reviennent à des concurrents (Colas et Perrier TP) qui n'auraient pas remis de prix inférieurs à leur coût de revient ; que Screg obtient un lot où son prix serait inférieur au coût de revient et un lot où son prix serait supérieur au coût de revient.

51. L'examen des offres de prix pour le BBSG 0/10 de Guintoli permet de constater, sur les huit lots (lots n° 1 à 4, 6 à 8 et 10) où des prix supposés prédateurs auraient été relevés que ses niveaux de prix sont comparables à ceux de ses concurrents. Ainsi, sur six lots Guintoli a proposé un prix de 38,40 euro alors que le prix de revient de ses concurrentes était de 37,30 euro ou de 38,53 euro, sur deux lots Guintoli a proposé un prix de 36,40 euro alors que le prix de revient de ses concurrentes était de 37,30 euro ou de 35,92 euro. Au surplus, on constate que le poste de coût examiné représente une faible part de la valeur totale de l'offre. Le rapport d'enquête indique : " Ce poste représente à lui seul 10 % du montant du marché de Haute-Savoie ". Lot par lot, ce poste représente entre 2 et 20 % du montant global des offres.

52. Enfin, le rapport sur l'analyse des offres établi par la commission d'appel d'offres, à propos du poste "fabrication des enrobés" note : " cette famille de prix révèle des niveaux d'offres très homogènes entre toutes les entreprises " et en " conclusions " : " L'apparition d'un nouvel opérateur sur le marché départemental a très vraisemblablement influé sur les résultats de la consultation. Néanmoins, au vu des éléments qui précédent, il ne semble pas possible de conclure à l'existence d'offres anormalement basses qui auraient été de nature à fausser le jeu normal de la concurrence ".

53. Dans aucun des départements examinés, le rapport ne comporte d'éléments factuels qui constatent que les comportements de prix relevés pour la fourniture d'enrobé BBSG 0/10 résulteraient d'une concertation ou d'un échange d'informations entre les entreprises désignées comme ayant proposé des prix de ce produit inférieurs à son coût de revient.

C. LA PROPOSITION DE NON-LIEU

54. Au vu des éléments matériels figurant au dossier, le rapporteur a considéré qu'il n'existait pas d'éléments démontrant l'existence de prix prédateurs, qui seraient appliqués par une entreprise en position dominante ou seraient le résultat d'une action concertée des entreprises visées. En conséquence, il a proposé de considérer qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre la procédure relative aux deux saisines en cause.

II. Discussion

A. SUR LA COMPÉTENCE DE L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

1. EN CE QUI CONCERNE LES COMPORTEMENTS REPROCHÉS AUX MAÎTRES D'OUVRAGE PUBLICS

55. La société Moulin TP évoque dans sa saisine les comportements des maîtres d'ouvrage, qu'il s'agisse de communes ou de départements, qui consistent, d'une part, à définir des critères d'accès au marché, tels que la distance des centrales d'enrobés, d'autre part, une fois les offres déposées, à traiter de façon discriminatoire ces offres, par exemple en arguant de l'insuffisance des moyens humains et techniques ou de l'absence de références, voire sans même donner de justification. Moulin TP énonce que de tels comportements favorisent les entreprises sortantes qui sont les " majors " de la profession, au détriment des nouveaux entrants tels Moulin TP ou Guintoli.

56. Le rapport d'enquête évoque aussi ce type de comportements des collectivités locales et signale ainsi, parmi les critères qu'elles imposent, la contrainte de détenir un poste d'enrobés ou l'obligation d'être accepté par les services techniques. Il qualifie ces contraintes de barrières à l'entrée sur les marchés départementaux.

57. Il n'appartient pas à l'Autorité de la concurrence de se prononcer sur la licéité des actes par lesquels les personnes publiques organisent les appels d'offres préalables à l'attribution de marchés publics, qui relèvent de la compétence de la juridiction administrative.

58. Dans la présente affaire, la société Moulin TP a d'ailleurs exercé cette voie de droit à plusieurs reprises. Dans un certain nombre de cas, le recours qu'elle a exercé a conduit à l'annulation partielle ou totale du marché par le tribunal administratif.

2. EN CE QUI CONCERNE LE CARACTÈRE " ANORMALEMENT BAS " DES OFFRES CONCURRENTES

59. La société Moulin TP dénonce les pratiques de prix de ses principaux concurrents et considère que leurs offres sont anormalement basses au sens du Code des marchés publics. En séance, son représentant a évoqué le fait que, pour les appels d'offres lancés en 2005 et 2006 par les départements de la région Rhône-Alpes, le niveau des offres des " majors " était en baisse de 30 % par rapport aux appels d'offres des années précédentes.

60. Le rapport d'enquête signale aussi des baisses sensibles du niveau des offres des " majors " en 2005-2006, et procède à l'examen de certains postes de prix pour lesquels il considère que les prix proposés sont inférieurs aux prix de revient du produit ou de la prestation. Sur ces constats, il énonce l'hypothèse d'offres anormalement basses.

61. Les dispositions relatives aux offres anormalement basses en matière de marchés publics figurent à l'article 55 du Code des marchés publics : " Si une offre paraît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut la rejeter par décision motivée après avoir demandé par écrit les précisions qu'il juge utile et vérifié les justifications fournies. Pour les collectivités territoriales (...) c'est la commission d'appel d'offres qui rejette par décision motivée les offres dont le caractère anormalement bas est établi. " En premier ressort, c'est donc à la collectivité publique qui a lancé le marché de juger le niveau des offres reçues et éventuellement d'écarter celles qu'elle jugerait anormalement basses, notamment s'il s'agit de l'offre la mieux placée. Un tel examen a été effectué pour les appels d'offres 2005-2006 dans la Drôme et en Haute-Savoie où les conseils généraux n'ont pas constaté d'offres anormalement basses. En second ressort, si la collectivité publique n'a pas examiné ou n'a pas écarté une offre anormalement basse, un concurrent lésé peut exercer un recours auprès de la juridiction administrative. L'examen ne relève donc pas de la compétence de l'Autorité de la concurrence.

62. Subsidiairement, le représentant de la société Moulin TP a mentionné en séance l'hypothèse de prix anormalement bas au sens du Code de commerce.

63. L'infraction de prix anormalement bas est définie par l'article L. 420-5 du Code de commerce et son examen relève de la compétence de l'Autorité de la concurrence. Toutefois, cette appréciation vise exclusivement les offres de prix ou de services faites au consommateur final. A plusieurs reprises, lorsqu'il a été saisi au regard de l'article L. 420-5 d'offres de prix en matière de marchés publics de collectivités locales, le Conseil de la concurrence a rappelé qu'une collectivité locale ne pouvait être assimilée à un consommateur final.

64. Ainsi, le Conseil a considéré, dans sa décision n° 07-D-38, que " (...) De plus, le Code des marchés publics fait peser sur ces acheteurs des exigences de contrôle des offres tarifaires et de respect des cahiers des charges qui nécessitent des compétences techniques incompatibles avec la notion de consommateur " sans expérience particulière " au sens de la jurisprudence évoquée ci-dessus ". Il a, en outre, précisé que : " La notion de prix abusivement bas concerne les pratiques de prix sur les marchés de détail : elle ne peut donc s'appliquer aux soumissions d'une entreprise de boulangerie industrielle à un appel d'offres d'une collectivité publique ".

B. SUR LE FOND

1. SUR L'ENTENTE ALLÉGUÉE DE RÉPARTITION DES MARCHÉS

65. Au cours des débats en séance, quatre types de comportements ont été dénoncés et présentés comme des éléments susceptibles de constituer les preuves ou des indices d'une entente entre les " majors " de la profession pour se répartir les marchés départementaux d'entretien des routes en région Rhône-Alpes : la reconduction des mêmes titulaires des lots des différents marchés, des échanges d'informations avant la remise des offres, des anomalies dans les prix unitaires selon les lots et, enfin, une baisse simultanée du niveau des offres en 2005-2006.

66. En premier lieu, pour les marchés lancés en 2005-2006, tant la société Moulin TP que le rapport d'enquête soulignent le caractère systématique de la reconduction des mêmes entreprises en tant que titulaires des mêmes lots sur chaque département, ces entreprises étant les " majors " de la profession. Le rapport en déduit que ces entreprises ne remettraient des offres compétitives que pour les lots qu'elles détenaient déjà et qu'elles obtiendraient de leurs confrères leur neutralité par le dépôt d'offres de couverture. Les éléments matériels exposés ne confirment cependant pas cette conclusion.

67. Tout d'abord, on ne constate pas une reconduction systématique des sortants pour tous les lots et tous les départements. En Ardèche, six lots sur douze changent de titulaire en 2005 par rapport à 2002, dont trois au bénéfice de sociétés autres que les cinq " majors " désignés. Dans la Drôme, quatre lots sur onze changent de titulaire, tous attribués à Moulin TP au détriment des " majors ". Par ailleurs, un cinquième lot n'est pas attribué à l'un des " majors ". Dans l'Isère, sept lots sur onze changent de titulaire. Appia emporte huit lots contre trois auparavant, au détriment de Colas qui en conserve deux contre six auparavant. En Savoie, la distribution des lots change constamment. En 2000, Eurovia obtient les 19 lots du marché. En 2005, Appia en gagne dix contre cinq à Eurovia, trois à Sacer et un à Colas. En 2006, Appia emporte dix lots contre trois à Eurovia, trois à Sacer et trois à Colas. En Haute-Savoie, quatre lots sur onze changent de titulaire, dont un n'est pas attribué à l'un des " majors ".

68. Ensuite, quand bien même il serait constaté la reconduction à l'identique des titulaires sur une partie ou sur la totalité des lots, cette constatation ne suffit pas à elle seule à caractériser une entente de répartition des lots des marchés. L'hypothèse du dépôt d'offres de couverture aux fins de maintenir les positions acquises par chacun des " majors " n'est étayée par aucun élément matériel tel que, notamment, des contacts entre les concurrents préalables au dépôt de leurs offres, des échanges d'informations sur le niveau de leurs offres, des tableaux de répartition des lots, des échanges où ils exprimeraient leurs souhaits d'obtenir ou de conserver des lots prédéfinis.

69. En deuxième lieu, en ce qui concerne les échanges d'informations préalables au dépôt des offres alléguées par les saisissants, il a été constaté que le seul cas exposé dans le rapport d'enquête concerne l'appel d'offres du département de la Savoie sur les seize appels d'offres signalés dans le rapport pour six départements. Les données présentées font état d'échanges non pas entre des concurrents à l'appel d'offres, mais entre trois des participants et chacun de leurs fournisseurs en granulats. Ces échanges portent sur le rabais consenti par chaque fournisseur à son client pour lui permettre, après l'annulation du premier tour de l'appel d'offres, de faire une offre plus compétitive au deuxième tour.

70. En troisième lieu, le rapport expose également qu'il a été constaté des anomalies ou des erreurs dans les prix proposés sur certains postes de prix, qui ne s'expliqueraient que par la volonté de ne pas gêner un concurrent afin qu'il obtienne le ou les lots qu'il revendique, ces anomalies étant la manifestation d'offres de couverture. Mais le rapport n'analyse pas d'anomalies de prix pour les marchés des départements de l'Ain, de l'Ardèche, de la Drôme et de l'Isère. Dans les deux autres départements, les éléments sont parcellaires.

71. En Savoie, le rapport relève des anomalies en comparant les prix remis entre les deux tours de la consultation pour 2006, notamment en constatant des baisses entre ces deux tours qui, selon le rapport, ne correspondraient pas " à la réalité économique du marché ". Or, après l'annulation du premier tour, les conditions économiques de cet appel d'offres ont été profondément modifiées avec la communication aux candidats par le maître d'ouvrage du niveau des offres moins disantes du premier tour et le jugement des offres sur le seul critère des prix, le critère de la valeur technique étant abandonné.

72. Ainsi, la connaissance des offres moins disantes précédentes a incité les candidats à baisser les prix de leur première offre pour optimiser leurs chances de l'emporter. Pour sa part, l'entreprise moins disante sur chaque lot au premier tour doit tenir compte, dans sa nouvelle stratégie de réponse, de la connaissance qu'ont ses concurrentes du niveau de sa première offre, anticiper leur réaction et à son tour adapter sa deuxième offre en conséquence. Par ailleurs, toutes les entreprises candidates doivent s'adapter au fait que seul le critère du prix entre en ligne de compte. Les déclarations des responsables des entreprises recueillies par le service d'enquête confirment que ces deux facteurs ont été pris en compte et expliquent la baisse de leurs prix.

73. Ensuite, les candidates ont seulement connaissance du niveau de prix global de l'offre moins disante, sans en connaître le détail pour chaque poste de prix du bordereau. Elles ont donc pu adapter le niveau de prix global de leur deuxième offre pour être mieux placées qu'au premier tour, en aménageant sommairement ensuite le détail des différents postes du bordereau. Cela explique les " incohérences ou erreurs " relevées dans le rapport d'enquête sur certains postes de prix. Cette hypothèse est d'ailleurs confortée par les déclarations d'un responsable de la société Sacer : " A la question de savoir pourquoi nous avons fait deux offres, c'est parce que, entre-temps, on nous a indiqué de baisser nos prix. C'est M. Z... qui m'a téléphoné qui m'a communiqué le nouveau montant que je devais remettre. Il m'a donné un montant total et j'ai dû adapter l'offre sur les prix unitaires ".

74. Enfin, le rapport d'enquête fait un catalogue, pour chaque entreprise, des erreurs ou incohérences qu'il relève et en déduit une stratégie de chacune qui consisterait à adapter les prix les plus bas sur les lots que chacune souhaite obtenir et à remettre des prix plus élevés sur les lots qui ne les intéressent pas. Il en déduit, pour Colas, Eurovia et Appia qu'il s'agit d'offres de couverture au profit de leurs concurrents afin que chacun conserve les positions acquises. Le rapport procède de même pour la Haute-Savoie, où il souligne que Appia, pour un seul poste de prix, aurait remis un prix plus élevé pour le lot n° 6 par rapport aux autres lots, et qu'Eurovia, pour un lot sur onze, a remis des prix inférieurs de 2 %.

75. L'Autorité de la concurrence considère de façon constante que des comportements en matière d'offres de prix à l'occasion de marchés publics similaires à ceux exposés au présent dossier peuvent aussi s'expliquer par la volonté des entreprises de définir leurs cibles commerciales selon leurs choix stratégiques, qui consistent à affecter et à répartir leurs moyens d'exploitation selon la charge de travail qu'elles peuvent envisager. Par conséquent, pour parvenir à ce résultat, elles peuvent proposer des prix différenciés de façon à privilégier les marchés ou les lots de marchés qu'elles souhaitent emporter. Le Conseil de la concurrence et la cour d'appel ont ainsi admis qu'une entreprise puisse déposer une offre dite " carte de visite ", a priori non compétitive, dans le but non d'obtenir sa sélection pour l'appel d'offres en cours, mais afin de marquer sa présence de telle sorte que le maître d'ouvrage songe à sa candidature pour les futures consultations.

76. A défaut d'éléments matériels qui établissent l'existence de contacts entre les concurrents préalables au dépôt de leurs offres, d'échanges d'informations sur le niveau de leurs offres, de tableaux de répartition des lots, ou encore d'échanges par lesquels ils exprimeraient leurs souhaits d'obtenir ou de conserver des lots prédéfinis, le simple constat d'écarts de prix entre les différents lots pour une même entreprise ou de différences de compétitivité des offres selon les lots, ne suffit pas à lui seul à caractériser un accord de volonté entre les participants à un appel d'offres qui aurait pour but une répartition des lots du marché.

77. En quatrième lieu, le représentant de la société Moulin TP en séance et le rapport d'enquête ont dénoncé des baisses concomitantes du niveau des offres en 2005-2006 chez les cinq " majors " dans le but de contrer les offres de Moulin TP et d'assurer la reconduction à l'identique des titulaires des lots dans les six départements en cause. En séance, le représentant de la société Moulin TP a évoqué une baisse de 30 % du niveau des offres.

78. Les éléments qui figurent au rapport d'enquête ne permettent pas cependant de constater une telle baisse. Tout d'abord, aucun exemple de baisse simultanée du niveau des offres n'est rapporté pour les départements de l'Ain et de la Savoie. Ensuite, pour les quatre autres départements sont exposés, non des baisses du niveau des offres des entreprises en 2005-2006 par rapport au niveau de leurs offres lors des précédents appels d'offres (2002-2003), mais les écarts constatés entre le niveau des offres et les estimations des maîtres d'ouvrage pour les appels d'offres de 2005-2006.

79. Ainsi, le rapport relève en Ardèche des offres inférieures à l'estimation dans des proportions comprises entre 37 et 50 % selon les lots, ces écarts étant constatés chez les entreprises autres que les cinq " majors " mis en cause. Il en est de même dans la Drôme où les entreprises outsiders ont fait des offres inférieures de 26 à 38 % à l'estimation du maître d'ouvrage. En Isère, le rapport relève des écarts du niveau des offres par rapport à l'estimation compris entre - 8 % et - 47 % selon les lots, tant en ce qui concerne les offres des " majors " que celles de Moulin TP. En Haute-Savoie, sont signalés des " écarts importants " par rapport à l'estimation sans préciser l'ampleur de ces écarts pour chaque lot.

80. L'hypothèse d'une baisse simultanée et concertée des niveaux des offres de la part des " majors " n'est donc pas vérifiée.

81. Il résulte de ce qui précède qu'il n'existe pas au dossier d'éléments matériels qui permettent de caractériser l'existence d'une concertation entre les principales entreprises de travaux d'entretien routier en région Rhône-Alpes, en vue de se répartir les lots des marchés départementaux, de maintenir les positions acquises sur ces marchés, de même que n'est rapportée ni la preuve de l'existence entre ces entreprises d'échanges d'informations préalables à la remise de leurs offres, ni la preuve du dépôt d'offres de couverture.

2. SUR LES PRATIQUES ALLÉGUÉES DE PRIX PRÉDATEURS

82. Des comportements de prix prédateurs peuvent être imputés soit à une entreprise en position dominante qui consentirait des pertes en vue d'évincer des concurrents susceptibles de menacer sa domination du marché, soit à plusieurs entreprises qui uniraient leur volonté pour mener la même stratégie en commun, et cela quelle que soit leur position sur le marché.

83. Par conséquent, en préalable à l'examen des comportements de prix supposés prédateurs, il convient d'examiner si ceux-ci sont susceptibles de résulter d'une position dominante ou de comportements collusifs dans le cadre d'une entente.

84. Sur le premier point, il n'est pas établi qu'une entreprise occuperait une position dominante dans le secteur des travaux d'entretien des routes ni dans la région Rhône-Alpes, ni dans chacun des départements constituant cette région. Le rapport d'enquête expose qu'il existe dans ce secteur cinq sociétés qualifiées de " majors " de la profession, soit Eurovia, Appia, Colas, Screg et Sacer. On relève également dans cette région la présence d'au moins dix autres sociétés, en dehors des cinq " majors " précitées.

85. Sur le second point, si l'hypothèse d'une concertation pour mettre en œuvre des prix prédateurs est évoquée dans la conclusion du rapport, qui indique que les baisses de prix pratiquées seraient le fruit " d'une stratégie commune d'évincer rapidement un intrus " , elle n'est pas étayée par des pièces probantes.

86. Le Conseil de la concurrence a sanctionné des comportements de prix d'éviction résultant d'une entente dans sa décision n° 97-D-39 du 17 juin 1997 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du béton prêt à l'emploi dans la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Au préalable, dans cette affaire, il a constaté l'existence d'une entente de répartition par l'établissement de quotas entre les entreprises et la fixation de prix en commun. Face à l'arrivée d'un nouvel opérateur qui proposait des prix inférieurs à ceux résultant de l'entente et menaçait la répartition convenue, les partenaires de l'entente ont pratiqué des prix prédateurs afin d'évincer le perturbateur. Sur la preuve que ces comportements résultaient d'une entente le Conseil a ainsi considéré : " Considérant, ainsi que le reconnaît la société Béton Chantiers du Var, que " si un parallélisme de comportement peut être constaté quant à une baisse des prix des entreprises ", ledit parallélisme de comportement constaté en matière de prix n'est pas à lui seul suffisant pour apporter la preuve d'une politique concertée de prix d'éviction à l'encontre de la SNBT ; qu'en revanche, la conjonction du parallélisme de comportements et de la preuve de la poursuite de l'entente entre les sociétés Béton de France, Unibéton, Super Béton et Béton Chantiers du Var suffit, même en l'absence d'autres facteurs, à caractériser une action concertée destinée à limiter l'accès au marché de la SNBT et le libre jeu de la concurrence ;

" qu'il n'est, en effet, pas nécessaire que la preuve soit apportée que la coordination des comportements ainsi observés ait abouti à la mise au point d'une convention dès lors que ladite coordination a abouti à des " conditions de concurrence qui ne correspondent pas aux conditions normales du marché " (CJCE, 16 décembre 1975, aff. Suiker Unie) ; que la persistance des prix inférieurs aux coûts ainsi que l'ampleur des pertes supportées par les entreprises à compter de la mise en œuvre de la pratique témoignent de la volonté d'éviction affichée par les entreprises susmentionnées à l'égard de la SNBT. "

87. Par ailleurs, le Conseil s'est appuyé sur des preuves matérielles telles que des mesures de surveillance (filatures, suivi du niveau d'activité), des documents internes et des " déclarations convergentes de plusieurs exploitants " témoignant d'une stratégie commune d'éviction vis à vis du nouvel entrant.

88. Statuant sur cette affaire par un arrêt du 20 octobre 1998, la Cour d'appel de Paris s'appuie sur les mêmes éléments pour conclure à une entente visant à évincer ce nouvel entrant : " Considérant toutefois que le Conseil a justement noté que les sociétés se trouvant préalablement dans une situation de concertation aux fins de répartition systématique des marchés, et cette situation s'étant prolongée pendant qu'était mise en œuvre la politique de baisse des prix, le fait de pratiquer des prix inférieurs à leurs coûts moyens de production était révélateur d'une entente et ne relevait pas d'un simple parallélisme des comportements, dans la mesure où il était démontré que cette stratégie avait un objet ou un effet anticoncurrentiel, consistant à interdire ou limiter l'accès du marché à un nouvel entrant ; "

" Qu'en l'espèce, et alors que selon les écritures des requérantes, la transparence du marché et ses dimensions limitées permettraient aux opérateurs d'être informés rapidement de l'intervention de la SNBT et de ses conditions favorables d'approvisionnement en ciment auprès d'un producteur grec, le Conseil a justifié, en s'appuyant sur les déclarations significatives recueillies au cours de l'enquête, de l'existence d'une volonté d'éviction de la part des sociétés requérantes ; Considérant qu'il résulte en outre des constatations opérées que les sociétés requérantes ont enregistré une baisse de leurs résultats au cours des exercices 1993 et 1994, non justifiée par l'évolution de leur chiffre d'affaires ; que ces pertes consenties par des sociétés filiales de groupes industriels importants et disposant d'un appui financier sans commune mesure avec celui dont disposent des entreprises indépendantes contribuent à démontrer l'existence de la concertation".

89. Or, dans le présent cas, le dossier ne comporte aucun élément matériel qui établisse soit l'existence d'une concertation préalable visant à se répartir les marchés d'entretien de travaux routiers ou à se concerter sur le niveau des prix des offres qui pourrait expliquer des comportements concomitants de prix d'éviction pour maintenir la répartition convenue, soit la mise en place d'une concertation visant à définir et établir une stratégie de prix d'éviction face aux nouveaux arrivants sur le marché local, et, éventuellement, d'actions de surveillance.

90. La simple constatation de comportements parallèles des " majors " du secteur des travaux routiers consistant à pratiquer des prix éventuellement inférieurs aux coûts à l'occasion des appels d'offres en région Rhône-Alpes ne suffit pas à démontrer l'existence d'une telle concertation.

91. Au surplus, le caractère prédateur des prix examinés par le rapport d'enquête n'est pas établi. En effet, les constatations effectuées ne correspondent pas aux critères d'analyse des prix prédateurs tels qu'ils ont été définis par les autorités de concurrence.

92. La détermination de l'existence d'une pratique de prix prédateur s'effectue en effet en comparant le prix proposé pour le marché avec le total des coûts variables supportés par l'entreprise pour fournir le bien ou le service demandé. Au cas d'espèce, la démonstration figurant au rapport n'a pas été établie en prenant en compte la totalité du coût variable des marchés en cause, mais le prix d'un seul d'entre eux : celui de l'enrobé BBSG 0/10.

93. Le comportement supposé prédateur des cinq entreprises en cause ne peut se résumer à l'examen d'un seul poste de prix. En effet, le choix de la collectivité qui lance l'appel d'offres se fait sur l'ensemble de la proposition de chaque entreprise et son appréciation concerne le montant total de leur offre par rapport au budget global que la collectivité a évalué pour l'entretien de son réseau routier. Chaque offre est une combinaison complexe de prestations multiples qui portent sur la fourniture de plusieurs matériaux et produits, leur transport, leur mise en œuvre, la mise à disposition de moyens matériels et humains, des qualifications techniques. Par conséquent, la seule prise en compte de la fourniture d'enrobé BBSG 0/10 est insuffisante pour apprécier le caractère prédateur des offres, d'autant plus que, pour les consultations examinées, ce poste de prix représente une proportion minoritaire du montant total de l'offre des entreprises.

94. Il résulte de ce qui précède qu'il n'existe pas au dossier d'éléments matériels établissant l'existence d'une concertation entre les principales entreprises de travaux d'entretien routier en région Rhône-Alpes, en vue de mettre en œuvre une stratégie d'éviction par la pratique de prix prédateurs vis-à-vis de concurrents extérieurs à l'entente.

C. SUR LES SUITES À DONNER

95. En séance, le commissaire du Gouvernement a déclaré prendre acte de la proposition de non-lieu du rapporteur et admis que le dossier en l'état ne comportait pas de preuves matérielles suffisantes des pratiques dénoncées par les saisines. Néanmoins il considère que les éléments recueillis constitueraient des indices suffisants de l'existence de ces pratiques pour poursuivre l'instruction, notamment par la mise en œuvre des pouvoirs de visite et de saisie définis à l'article L. 450-4 du Code de commerce. Il demande, en conséquence, à l'Autorité de la concurrence de renvoyer le dossier à l'instruction. Le représentant de la société Moulin TP a exprimé la même demande.

96. En premier lieu, l'Autorité relève qu'au terme d'une enquête qui, pendant dix mois, a passé au crible les marchés de travaux routiers de six départements de la région Rhône-Alpes, les éléments matériels réunis n'ont pas permis de caractériser les pratiques dénoncées. Au surplus, certaines constatations effectuées contredisent les hypothèses avancées. C'est le cas, notamment, des constatations relatives à la répartition dans le temps des lots, de celles relatives aux écarts entre le niveau des offres et les estimations des maîtres d'ouvrage dont l'initiative est souvent imputable aux autres entreprises que les " majors ". Il a aussi été constaté que le comportement de certaines " majors " a abouti à une redistribution des lots de certains marchés au détriment d'autres " majors " avec lesquelles elles sont supposées se répartir l'activité.

97. En deuxième lieu, il est constant qu'au cours de l'enquête, les filiales locales des cinq sociétés visées ont été visitées et auditionnées sur leurs comportements lors des réponses aux consultations pour lesquelles elles ont déposé des offres. Elles ont ainsi fait part de leurs explications sur le niveau des prix remis ou sur leur " intérêt " à présenter des offres plus ou moins compétitives selon les lots, et elles ont communiqué des éléments de coûts relatifs à ces offres. Elles ont donc été informées de l'existence d'une enquête et de son objet. Au surplus, elles appartiennent à des groupes qui, dans d'autres régions, ont fait l'objet d'enquêtes similaires dont certaines ont abouti à une saisine du Conseil de la concurrence et à des condamnations pour pratiques anticoncurrentielles, notamment à l'occasion de la décision n° 05-D-69 du 15 décembre 2005 concernant des pratiques relevées dans le secteur des travaux routiers en Seine-Maritime. Elles sont donc parfaitement informées des risques encourus si des pratiques anticoncurrentielles sont décelées à leur encontre. Par conséquent, la probabilité est forte que les éléments de preuve éventuels susceptibles d'établir l'existence d'une concertation et d'une stratégie d'éviction ne puissent pas être mis en évidence.

98. Pour l'ensemble de ces motifs un renvoi du présent dossier à l'instruction ne paraît pas justifié.

Décision

Article 1er : Il n'est pas établi que les filiales locales des sociétés Eurovia, Appia, Colas, Sacer et SCREG aient enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en se concertant en vue de se répartir les lots des marchés de travaux d'entretien routier en région Rhône-Alpes, ou en procédant au dépôt d'offres de couverture dans le cadre de cette répartition.

Article 2 : Il n'est pas établi que les filiales locales des sociétés Eurovia, Appia, Colas, Sacer et SCREG, dont aucune ne détient à elle seule une position dominante sur le marché, auraient enfreint les mêmes dispositions en se concertant pour définir une stratégie commune d'éviction vis-à-vis de leurs concurrents par la mise en œuvre de prix prédateurs à l'occasion des consultations pour l'attribution des marchés de travaux d'entretien routier en région Rhône-Alpes.