TPICE, 3e ch., 19 juin 2009, n° T-269/03
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Socratec - Satellite Navigation Consulting, Research & Technology GmbH, Qualcomm Wireless Business Solutions Europe BV
Défendeur :
Commission des Communautés européennes, Daimler AG, Daimler Financial Services AG, Deutsche Telekom AG, Toll Collect GmbH, République fédérale d'Allemagne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Azizi
Juges :
Mme Cremona, M. Frimodt Nielsen
Avocats :
Mes Adolf, Lüken, Berrisch, Hull, Schütze, von Graevenitz, Karpenstein, Rosenfeld
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),
Faits à l'origine du litige
1 Socratec - Satellite Navigation Consulting, Research & Technology GmbH (ci-après " Socratec ") est un fournisseur de produits et de services télématiques en Allemagne.
2 En 2002, le ministère fédéral allemand des Transports, de la Construction et du Logement a organisé, pour le compte du Gouvernement fédéral allemand, un appel d'offres public pour la création et la gestion d'un système de prélèvement automatique et manuel des péages dus par les poids lourds d'un poids égal ou supérieur à 12 tonnes (ci-après les " poids lourds ") empruntant les autoroutes allemandes.
3 Le contrat a été conclu avec un consortium formé par Daimler Chrysler Services AG, filiale de Daimler Chrysler AG, Deutsche Telekom AG et la Compagnie financière et industrielle des autoroutes SA (Cofiroute) (ci-après, prises ensemble, les " entreprises de la concentration "), qui a ensuite créé Toll Collect GmbH pour élaborer et gérer le système de prélèvement des péages sur les poids lourds.
4 Les entreprises de la concentration ont développé une solution télématique pour le prélèvement automatique des péages. Cette solution consiste à installer des unités embarquées de Toll Collect dans les poids lourds dont les propriétaires veulent recourir au prélèvement automatique des péages. Outre leur fonction de prélèvement des péages, les unités embarquées de Toll Collect ont la capacité d'être utilisées pour des services télématiques.
5 Le 11 novembre 2002, Daimler Chrysler Services et Deutsche Telekom ont notifié à la Commission, conformément à l'article 4 du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1), tel que rectifié (JO 1990, L 257, p. 13) et tel que modifié par le règlement (CE) n° 1310-97 du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 180, p. 1) (ci-après le " règlement concentration "), un projet de concentration prévoyant qu'elles acquerront le contrôle conjoint de Toll Collect.
6 À la suite de cette notification, la Commission a examiné l'opération de concentration en question. Lors de cet examen, les entreprises de la concentration ont soumis plusieurs versions d'engagements visant à résoudre les problèmes de concurrence résultant de la concentration notifiée. Socratec est intervenue à diverses reprises au cours de la procédure d'examen de cette concentration.
7 Par décision du 30 avril 2003, la Commission a déclaré l'opération de concentration notifiée compatible avec le marché commun et avec l'accord sur l'Espace économique européen (EEE) sous réserve du respect intégral des engagements pris par les entreprises de la concentration (Affaire COMP/M.2903 - Entreprise commune Daimler Chrysler/Deutsche Telekom) (JO L 300, p. 62, ci-après la " décision attaquée ").
8 Plus particulièrement, la Commission a considéré que le projet de concentration, qui prévoyait l'utilisation de l'infrastructure de Toll Collect pour la fourniture de services télématiques par les entreprises de la concentration, entraînerait une position dominante de Daimler Chrysler, par l'intermédiaire de l'entreprise commune Toll Collect, sur le marché des systèmes de télématique routière pour les entreprises de transport et de logistique en Allemagne, ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun.
9 La Commission a toutefois considéré que les engagements finaux proposés par les entreprises de la concentration étaient suffisants pour empêcher la création d'une telle position dominante. Les entreprises de la concentration s'étaient engagées, notamment, d'une part, à créer un portail télématique central, exploité par une société indépendante, la Telematics Gateway Gesellschaft mbH, devant permettre aux fournisseurs de services télématiques d'accéder aux données de base des unités embarquées de Toll Collect et, d'autre part, à ce que l'utilisation des unités embarquées de Toll Collect pour offrir des services autres que la perception des péages ne soit permise que lorsque les entreprises de la concentration auraient installé une interface opérationnelle vers la fonction GPS [Global Positioning System (système de positionnement global par satellite)] de l'unité embarquée de Toll Collect et auraient donné la possibilité aux tiers intéressés de développer leurs propres appareils, lesquels pourraient être utilisés pour le prélèvement des péages une fois reliés aux modules de péage développés par les entreprises de la concentration (ci-après le " moratoire qualitatif ").
Procédure
10 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 juillet 2003, Socratec a introduit le présent recours.
11 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 11 septembre 2003, Daimler AG (anciennement Daimler Chrysler), Daimler Financial Services AG (anciennement Daimler Chrysler Services), Deutsche Telekom et Toll Collect ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.
12 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 8 décembre 2003, Qualcomm Wireless Business Solutions Europe BV (ci-après " Qualcomm ") a demandé à intervenir au soutien des conclusions de Socratec.
13 Par ordonnance du président de la troisième chambre du 26 mai 2004, la demande de Daimler, de Daimler Financial Services, de Deutsche Telekom et de Toll Collect d'intervenir au soutien des conclusions de la Commission et la demande de Qualcomm d'intervenir au soutien des conclusions de Socratec ont été accueillies.
14 Par acte déposé au greffe du Tribunal du 28 mai 2004, la République fédérale d'Allemagne a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Par ordonnance du président de la troisième chambre du 26 octobre 2004, cette demande a été accueillie.
15 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure prévues à l'article 64 du règlement de procédure du Tribunal, posé par écrit certaines questions aux parties. Celles-ci y ont répondu dans les délais impartis.
16 Par lettre du 13 juin 2008, la Commission a informé le Tribunal qu'elle venait de prendre connaissance de la dissolution de Socratec et de sa mise en liquidation judiciaire depuis le 11 mars 2004. Au vu de ces faits nouveaux, la Commission soutient que Socratec n'a plus d'intérêt à agir et qu'il n'y a plus lieu de statuer sur le présent recours. Le Tribunal a demandé, par écrit, à Socratec ainsi qu'aux parties intervenantes de prendre position sur cette demande de non-lieu à statuer. Socratec et les parties intervenantes ont répondu à cette demande dans les délais impartis.
17 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l'audience du 1er juillet 2008.
Conclusions des parties
18 Socratec, soutenue par Qualcomm, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- annuler la décision attaquée ;
- à titre subsidiaire, annuler la décision attaquée dans la mesure où elle autorise les entreprises de la concentration à exploiter des services télématiques en utilisant le système de perception des péages commandé par la République fédérale d'Allemagne ;
- à titre encore plus subsidiaire, enjoindre à la Commission d'ordonner aux entreprises de la concentration de suspendre la création de l'entreprise commune notifiée Toll Collect aussi longtemps que les engagements pris par Daimler Chrysler Services et Deutsche Telekom ne seront pas respectés ;
- condamner la Commission aux dépens.
19 La Commission, soutenue par Daimler, Daimler Financial Services, Deutsche Telekom, Toll Collect et la République fédérale d'Allemagne, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :
- rejeter le recours ;
- condamner Socratec aux dépens.
En droit
20 L'intérêt à agir d'une partie requérante au vu de l'objet du recours est, lors de l'introduction de ce dernier, une condition de recevabilité. Cet intérêt à agir doit cependant perdurer jusqu'au prononcé de la décision juridictionnelle sous peine de non-lieu à statuer (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C-362-05 P, Rec. p. I-4333, point 42, et la jurisprudence y citée).
21 Le Tribunal estime, dès lors, qu'il convient d'examiner l'allégation de la Commission dans sa lettre du 13 juin 2008 selon laquelle Socratec n'aurait plus d'intérêt à agir depuis le 11 mars 2004.
Arguments des parties
22 La Commission, soutenue par Daimler, Daimler Financial Services, Deutsche Telekom, Toll Collect et la République fédérale d'Allemagne, estime que, puisque Socratec a été mise en liquidation judiciaire depuis le 11 mars 2004, elle n'a plus d'intérêt à agir dans la présente affaire à compter de cette date. Dès lors, il n'y aurait plus lieu de statuer sur ce litige. Subsidiairement, la Commission conclut que le présent recours doit être rejeté comme irrecevable.
23 La Commission précise que, selon l'extrait du registre du commerce de l'Amtsgericht Regensburg (tribunal cantonal de Ratisbonne, Allemagne) du 28 mai 2008, la dissolution de Socratec a été enregistrée d'office le 11 mars 2004. Cette inscription serait intervenue après que la demande d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité contre Socratec a été rejetée par décision de l'Amtsgericht Regensburg au motif que les actifs restants de l'entreprise ne suffiraient vraisemblablement pas à couvrir les frais d'une telle procédure et après que cette décision de l'Amtsgericht Regensburg est devenue exécutoire.
24 D'après la Commission, cette dissolution de Socratec a pour conséquence, en vertu du droit allemand, qu'elle n'existe plus en tant que société à responsabilité limitée et qu'elle perd sa qualité de commerçant. Socratec deviendrait une société en liquidation dont le but serait d'abord le partage de l'actif social puis la radiation de la société (article 69 du Gesetz betreffend die Gesellschaften mit bestränkter Haftung, loi allemande sur les sociétés à responsabilité limitée, ci-après GmbH-Gesetz). Les liquidateurs ne pourraient conclure de nouveaux engagements que pour mettre fin à ceux qui sont en suspens (article 70 de la GmbH-Gesetz). La société en liquidation conserverait toutefois généralement sa capacité à ester en justice jusqu'à sa liquidation complète [arrêt du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) du 31 mars 2008, II ZR 308-06]. Enfin, la Commission souligne que la société en liquidation a l'obligation, en droit allemand, d'annoncer clairement et sans ambiguïté sa mise en liquidation, ce qu'elle n'aurait pas fait en l'espèce.
25 Au vu de la mise en liquidation de Socratec à compter du 11 mars 2004, la Commission estime que, à partir de cette date, Socratec ne pouvait plus avoir d'intérêt juridique à voir annuler la décision attaquée au sens de la jurisprudence.
26 La Commission rappelle que l'obligation de posséder un intérêt à agir garantit, au niveau procédural, que les tribunaux ne sont pas saisis de recours dans l'unique but d'obtenir une clarification d'hypothétiques questions de droit. Pour cette raison, l'intérêt à agir serait une condition sine qua non de recevabilité qui devrait être examinée d'office et qui pourrait s'avérer pertinente à différents stades de la procédure. La Commission souligne que cet intérêt à agir doit exister au stade de l'introduction du recours mais doit également perdurer jusqu'au prononcé de la décision juridictionnelle sur le fond. Pour qu'un requérant puisse poursuivre un recours tendant à l'annulation d'une décision, il devrait conserver un intérêt personnel à l'annulation de la décision attaquée.
27 En l'espèce, l'insolvabilité et la dissolution de Socratec impliqueraient que celle-ci n'est plus active en tant que société commerciale, en particulier sur le marché visé par la décision attaquée. Son recours ne pourrait plus lui procurer le moindre bénéfice.
28 D'une part, la Commission souligne que la mise en liquidation de Socratec impliquerait que celle-ci n'est plus un concurrent des entreprises de la concentration sur le marché des systèmes de télématique routière et, dès lors, qu'elle n'est plus directement et individuellement concernée par la décision attaquée. Il s'ensuivrait que Socratec ne serait plus en droit d'ester en justice et qu'elle n'aurait plus d'intérêt à poursuivre son recours (arrêt du Tribunal du 27 avril 1995, Casillo Grani/Commission, T-443-93, Rec. p. II-1375, point 7).
29 D'autre part, la Commission estime que la concentration ne peut plus causer un préjudice à Socratec dès lors qu'elle n'est plus active sur le marché des systèmes de télématique routière.
30 Socratec estime avoir été contrainte, en 2004, en raison des effets sur le marché en cause de l'annonce du projet de concentration et de la décision attaquée, de demander à l'Amtsgericht Regensburg l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité. Socratec précise que cette demande a été rejetée par ce dernier en raison de l'absence d'une masse suffisante. Cette décision a eu pour conséquence la dissolution de Socratec, qui a conduit à sa liquidation. Socratec précise toutefois que, aussi longtemps que sa liquidation n'est pas effective, elle conserve son identité et son existence juridique. Elle ne peut toutefois plus exercer d'activité commerciale.
31 Socractec conteste ne plus avoir d'intérêt à agir à la suite de sa mise en liquidation. Elle estime en effet que, malgré sa mise en liquidation, elle a un intérêt à agir, car elle disposerait, en principe, de la possibilité d'introduire des recours en indemnité à l'encontre de la Communauté et des entreprises de la concentration. En cas de succès de ces recours, elle pourrait à nouveau exercer des activités de prospection.
32 En ce qui concerne le recours en indemnité contre la Communauté, Socratec considère que la notification du projet de concentration, la décision attaquée imposant un moratoire qualitatif et l'application de ce moratoire qualitatif par les entreprises de la concentration ont conduit à une érosion définitive de sa clientèle. Une protection juridictionnelle effective exigerait qu'un recours en indemnité soit possible contre l'organe des Communautés qui a violé ses droits. Une telle action en responsabilité à l'encontre d'un organe communautaire ne serait pas prescrite, puisque Socratec devait d'abord remédier à l'illégalité de cet acte juridique avant de pouvoir introduire une demande en réparation à l'encontre de la Communauté (ordonnance du Tribunal du 1er décembre 1999, Schuerer/Commission, T-81-99, RecFP p. I-A-239 et II-1193). D'après Socratec, l'adoption de la décision attaquée a eu pour conséquence directe son insolvabilité et sa mise en liquidation. Socratec s'estime dès lors concernée de manière actuelle et directe par cette décision.
33 En ce qui concerne le recours en indemnité contre les entreprises de la concentration, Socratec estime que, en application de la loi allemande contre les restrictions à la concurrence, les entreprises de la concentration ainsi que la République fédérale d'Allemagne sont tenues de l'indemniser, car les entreprises de la concentration, en lien avec la République fédérale d'Allemagne, se seraient rendues coupables d'un abus de position dominante sur le marché en cause en excluant d'autres entreprises de la livraison de terminaux télématiques. Socratec ajoute que la décision du Tribunal pourrait également avoir un effet préjudiciable, car une décision de ce dernier entérinant la décision attaquée rendrait son recours en indemnité illusoire.
34 Enfin, Socratec estime que la présente affaire se distingue de l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Casillo Grani/Commission, point 28 supra, en ce que son insolvabilité repose tant sur la notification du projet de concentration et sa réalisation effective par les entreprises de la concentration que sur la décision attaquée.
35 Qualcomm estime que la question de l'intérêt à agir de Socratec dépend de la pertinence des faits avancés par la Commission. Selon Qualcomm, seule Socratec serait en mesure d'apprécier pleinement ces faits. Qualcomm précise toutefois que si ces faits avancés par la Commission devaient être confirmés, cela ne pourrait en aucun cas aboutir à l'irrecevabilité du recours, puisque celle-ci s'apprécie au moment de l'introduction du recours et que, à ce moment-là, le recours était recevable. En outre, Qualcomm précise que Socratec a un intérêt à agir, car, si l'arrêt rendu à la suite de ce recours lui est favorable, il lui est possible d'introduire une demande en indemnité. Enfin, Qualcomm considère que, en tout état de cause, les dépens devraient être supportés par la Commission, puisque c'est sa décision illicite qui est à l'origine du recours et de l'intervention.
Appréciation du Tribunal
36 Il convient de rappeler que l'existence d'un intérêt à agir d'une requérante suppose que l'annulation de l'acte attaqué soit susceptible, par elle-même, d'avoir des conséquences juridiques, que le recours soit ainsi apte, par son résultat, à procurer un bénéfice à la partie qui l'a intenté et que celle-ci justifie d'un intérêt né et actuel à l'annulation dudit acte (voir ordonnance du Tribunal du 17 octobre 2005, First Data e.a./Commission, T-28-02, Rec. p. II-4119, point 42, et arrêt du Tribunal du 12 octobre 2007, Pergan Hilfsstoffe für industrielle Prozesse/Commission, T-474-04, non encore publié au Recueil, point 38, et la jurisprudence y citée).
37 En principe, une partie conserve son intérêt à poursuivre un recours en annulation dès lors qu'il peut constituer la base d'un recours éventuel en responsabilité (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 5 mars 1980, Könecke Fleischwarenfabrik/Commission, 76-79, Rec. p. 665, point 9, et du 31 mars 1998, France e.a./Commission, C-68-94 et C-30-95, Rec. p. I-1375, point 74).
38 Cependant, l'intérêt à agir d'une partie requérante doit perdurer jusqu'au prononcé de la décision juridictionnelle sous peine de non-lieu à statuer (voir point 20 ci-dessus). Cette exigence garantit en effet, au niveau procédural, que les tribunaux ne soient pas saisis de demandes d'avis et/ou de questions purement théoriques.
39 En outre, il a été jugé que si l'intérêt dont se prévaut une requérante concerne une situation juridique future, celle-ci doit établir que l'atteinte à cette situation se révèle, d'ores et déjà, certaine. Dès lors, une requérante ne saurait invoquer des situations futures et incertaines pour justifier son intérêt à demander l'annulation de l'acte attaqué (arrêts du Tribunal du 17 septembre 1992, NBV et NVB/Commission, T-138-89, Rec. p. II-2181, point 33, et du 14 avril 2005, Sniace/Commission, T-141-03, Rec. p. II-1197, point 26).
40 En l'espèce, il n'est pas contesté que depuis le 11 mars 2004 Socratec est en liquidation. En outre, il est constant qu'une telle mise en liquidation a pour conséquence, en vertu du droit allemand applicable en l'espèce, que Socratec n'exerce plus d'activité commerciale à compter de cette date.
41 Or, l'intérêt à agir dont se prévalait Socratec dans sa requête résidait, en substance, dans le fait qu'elle prétendait être une concurrente des entreprises de la concentration sur le marché des systèmes de télématique routière et qu'elle pâtissait des éventuels effets anticoncurrentiels générés par le projet de concentration. En l'absence d'activité commerciale, Socratec ne peut plus prétendre être une entreprise concurrente des entreprises de la concentration sur ce marché ni subir un quelconque désavantage concurrentiel du fait de la mise en œuvre du projet de concentration. Par conséquent, force est de constater que, à compter du 11 mars 2004, l'annulation de la décision attaquée n'était plus susceptible de procurer à Socratec un bénéfice direct (voir, en ce sens, arrêt Casillo Grani/Commission, point 28 supra, point 7).
42 Socratec estime toutefois conserver un intérêt à agir en annulation contre la décision attaquée, et ce nonobstant sa mise en liquidation, au motif qu'une telle annulation constituerait un préalable à l'introduction d'un possible recours en indemnité à l'encontre des entreprises de la concentration et de la Communauté.
43 S'agissant, en premier lieu, d'un éventuel recours en indemnité à l'encontre des entreprises de la concentration, il convient de constater que Socratec ne peut faire valoir un intérêt né et actuel à agir de ce fait dès lors que le recours en annulation est exclusivement dirigé contre la décision attaquée, qui ne peut être imputée qu'à la Commission. Par conséquent, une annulation de cette décision ne pourrait être à l'origine d'un recours en indemnité à l'encontre des entreprises de la concentration. En effet, si les agissements des entreprises de la concentration peuvent être à l'origine d'actes susceptibles d'engager leur responsabilité au regard du droit national applicable, force est de constater qu'un éventuel recours en indemnité devant les juridictions nationales est indépendant d'une éventuelle annulation de la décision attaquée. En tout état de cause, Socratec n'a pas avancé d'éléments permettant d'établir dans quelles conditions, en l'espèce, une annulation de la décision attaquée permettrait de faciliter un recours en indemnité à l'encontre des entreprises de la concentration.
44 La circonstance avancée par Socratec que la législation allemande permet des actions en indemnisation à l'encontre des entreprises de la concentration, voire à l'encontre de la République fédérale d'Allemagne, lorsque celles-ci se sont rendues coupables d'abus de position dominante est dépourvue de pertinence à cet égard. En effet, l'appréciation par la Commission d'opérations de concentration n'a pas pour objet l'analyse d'un possible abus de position dominante. Par conséquent, la circonstance qu'une action en indemnité soit possible en cas d'abus de position dominante ne dépend pas du résultat du recours en annulation à l'encontre de la décision attaquée.
45 S'agissant, en second lieu, d'un éventuel recours en indemnité dirigé contre la Communauté à la suite d'une annulation de la décision attaquée, il convient de rappeler que le recours en indemnité a été institué par le traité comme une voie de recours autonome (voir arrêt de la Cour du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts, C-234-02 P, Rec. p. I-2803, point 59, et la jurisprudence y citée) et qu'un tel recours peut dès lors être introduit en parallèle au recours en annulation. En l'espèce, force est toutefois de constater que Socratec n'a, jusqu'à ce jour, pas intenté un recours en indemnité contre la Communauté, et ce alors qu'elle soutient que la décision attaquée, et en particulier son moratoire qualitatif, serait à l'origine, dès son adoption, de l'érosion de sa clientèle et donc, en 2004, de sa mise en liquidation.
46 En outre, il convient de constater que, lors de l'audience, Socratec a reconnu que ce n'était qu'à titre hypothétique qu'il pourrait être envisagé qu'elle intente un recours en dommages et intérêts. En réponse aux questions orales du Tribunal, Socratec a indiqué que ses actionnaires ne l'ont ni avant ni après sa mise en liquidation autorisée à introduire un tel recours au cas où le résultat du recours en annulation, qui fait l'objet du présent litige, lui serait favorable. Socratec a précisé sur ce point que ses actionnaires ne se sont pas mis d'accord pour supporter les coûts d'une telle procédure et que ces coûts ne seraient pas supportés personnellement par le liquidateur.
47 Le caractère purement hypothétique d'un tel recours en indemnité est confirmé par l'attitude contradictoire de Socratec, qui a omis d'intenter ce recours en 2004 alors même qu'elle prétend avoir subi les conséquences dommageables de la décision attaquée déjà à ce stade, puisque la décision attaquée aurait été à l'origine de sa mise en liquidation. À cette attitude contradictoire s'ajoute la négligence manifeste dont a fait preuve Socratec à l'égard du Tribunal en ne l'informant pas de sa mise en liquidation. En effet, cela accentue le caractère hypothétique de l'argument de Socratec tiré d'un éventuel recours en indemnité.
48 En conséquence, il convient de constater que Socratec n'a pas indiqué à suffisance les raisons pour lesquelles elle disposerait toujours d'un intérêt né et actuel à la poursuite de la présente procédure en vue de l'introduction d'un possible recours en indemnité à la suite d'un éventuel arrêt en annulation rendu dans la présente procédure, alors même qu'elle se trouve actuellement en cours de liquidation, qu'elle ne peut déjà plus exercer d'activité commerciale et qu'au stade actuel tant ses actionnaires que son liquidateur refusent de supporter les coûts d'une telle procédure en indemnité.
49 Partant, pour l'ensemble des raisons qui précèdent, il convient de constater que Socratec n'a plus d'intérêt à agir. Il s'ensuit qu'il n'y a plus lieu de statuer sur la présente affaire.
Sur les dépens
50 Aux termes de l'article 87, paragraphe 6, du règlement de procédure, en cas de non-lieu à statuer, le Tribunal règle librement les dépens.
51 En l'espèce, Socratec ayant omis d'informer le Tribunal de sa mise en liquidation, il y a lieu de condamner Socratec à ses propres dépens ainsi qu'à ceux exposés par la Commission, Daimler, Daimler Financial Services, Deutsche Telekom et Toll Collect, qui étaient intervenues à l'appui des conclusions de la Commission.
52 Qualcomm, qui est intervenue au soutien des conclusions de Socractec, supportera ses propres dépens.
53 Enfin, en application de l'article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. La République fédérale d'Allemagne supportera donc ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre),
déclare et arrête :
1) Il n'y a plus lieu de statuer sur le présent recours.
2) Socratec - Satellite Navigation Consulting, Research & Technology GmbH est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que les dépens exposés par la Commission, Daimler AG, Daimler Financial Services AG, Deutsche Telekom AG et Toll Collect GmbH.
3) Qualcomm Wireless Business Solutions Europe BV supportera ses propres dépens.
4) La République fédérale d'Allemagne supportera ses propres dépens.