CA Riom, ch. com., 28 janvier 2009, n° 08-00084
RIOM
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Aximmo (SARL)
Défendeur :
Agence de Transactions Européennes (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bressoulaly
Conseillers :
M. Despierres, Mme Javion
Avoués :
Mes Gutton-Perrin, Mottet
Avocats :
Me Brodiez, Selarl Limagne-Fribourg-Gerardin-Vigier
Faits, procédure et demandes des parties
La SARL ATE a été immatriculée au RCS près le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand à compter du 7 avril 1992 dans le cadre d'une activité de transaction immobilière. Elle a étendu cette activité en différents lieux et notamment à Issoire à partir du 18.04.2001.
Le 21.03.2005 la société Aximmo a été immatriculée au RCS près le Tribunal de commerce de Thiers dans le cadre d'une activité d'achat et de vente de tous biens immobiliers. Le siège social de cette société a été transféré à Clermont-Ferrand en février 2006.
La SARL ATE reprochant à la société Aximmo des faits de concurrence déloyale, a assigné cette dernière en paiement de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, par acte en date du 18.10.2006.
Par jugement en date du 6 décembre 2007, le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand a:
- condamné la société Aximmo à payer à la société ATE la somme de 30 000 à titre de dommages-intérêts
- ordonné l'exécution provisoire du jugement
- débouté la société Aximmo de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles
- condamné la société Aximmo à payer à la SARL ATE la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le 11 janvier 2008, la SARL Aximmo a interjeté appel du jugement.
Vu les dernières conclusions signifiées le 05.11.2008 aux termes desquelles la SARL Aximmo demande de:
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée au paiement de 30 000 euro de dommages-intérêts et d'une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et en ce qu'il l'a déboutée de ses prétentions
- débouter la société ATE de l'intégralité de ses demandes
- à titre subsidiaire,
- constater le caractère fictif du préjudice alléguée par la société ATE et la débouter de sa demande d'indemnisation
- condamner la société ATE à lui payer la somme de 20 000 euro pour procédure abusive et atteinte à l'image et à la réputation de la société et la somme de 6 000 au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Aximmo fait valoir que pour prospérer en son action en concurrence déloyale la société ATE doit prouver l'existence de manœuvres illicites ; qu'or les départs allégués résultent du choix exercé par les personnes concernées dans le cadre de la liberté de travail.
Elle indique que le caractère massif des démissions ne suffit pas, à lui seul, à démontrer l'existence de manœuvres illicites et qu'il n'existe aucune preuve de détournement de clientèle.
Elle ajoute que, bien que n'étant pas tenue à la charge de cette preuve, elle démontre l'existence d'actes positifs attestant de la loyauté de la société Aximmo qui s'est renseignée sur la question de savoir si les candidats étaient libres de toute éventuelle clause les liant à leur précédent mandant ou employeur.
La société Aximmo dénonce le caractère inopérant des preuves alléguées en faisant valoir:
* qu'elle avait signé début 2006 des contrats d'essai de négociateurs immobiliers ce qui expliquait les indications figurant dans les annonces immobilières qui comportaient les numéros de portables des agents.
*que le témoignage de Monsieur Granget est sujet à caution que la mise en cause de Monsieur Veremes ne repose sur aucun élément.
Elle prétend que l'un des principaux dirigeants de la société ATE aurait donné l'ordre d'utiliser les mandats appartenant à la société Aximmo en vue de les redistribuer à son propre personnel. Elle estime être la seule victime d'actes caractéristiques de concurrence parasitaire dont elle doit être dédommagée.
Elle reproche enfin à la société ATE de lui avoir causé un préjudice en terme d'image qui justifie également une indemnisation.
Vu les dernières conclusions signifiées le 02.10.2008 aux termes desquelles la SARL ATE demande de:
- débouter la société Aximmo de son appel
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris, sauf à le réformer sur le montant des dommages-intérêts alloués
- condamner la société Aximmo à lui payer la somme de 80 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier, la somme de 13 000 au titre des frais de formation de l'équipe à reconstituer et la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
- débouter la SARL Aximmo de toutes ses demandes.
La SARL ATE expose que pour assurer son activité à Issoire, elle avait recruté des agents commerciaux, Monsieur Abdallah Ahmed en 2000, Mademoiselle Julie Lagrange, Monsieur Gildas Cozic, Monsieur Charles Mathieu en 2004 et Monsieur Alain Clemente dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée le 5 juin 2004.
En décembre 2005 et début 2006 elle indique que l'ensemble de ces personnes ont interrompu brutalement toute activité pour son compte, ce qui a eu pour effet de vider purement et simplement l'agence d'Issoire de l'intégralité de son personnel et d'entraîner une suspension d'activité. Elle aurait constaté durant le 4e trimestre 2005 une baisse d'activité significative sur cette agence.
Au soutien de ses prétentions, elle invoque le témoignage de Monsieur Jonathan Fore, attaché à l'agence de Thiers, qui aurait été démarché par Monsieur Abdallah Ahmed, ce dernier lui ayant annoncé qu'il souhaitait partir à la concurrence, lui ayant proposé de le rejoindre pour développer le secteur de Thiers et l'ayant informé de ce qu'une grande partie des employés de la société ATE l'avait rejoint.
La société ATE se prévaut également du rapport établi par le cabinet Encome pour dire que la présence de Monsieur Ahmed et celle de Mademoiselle Lagrange auraient été constatées auprès de l'agence Aximmo dès le début de l'année 2006 dans la continuité de leur activité professionnelle. Des parutions dans la presse se référant à l'agence Aximmo auraient comporté les numéros de portable de ces personnes. Un constat de Maître Fournier montrerait que Madame Larrouze qui s'apprêtait à acheter un bien immobilier par l'intermédiaire de Monsieur Clémente aurait été invitée à différer la vente et à ne plus appeler l'agence ATE.
Elle considère que la société Aximmo a ainsi récupéré différentes opérations immobilières qui étaient antérieurement en charge des agents commerciaux de la société ATE.
La société ATE produit enfin des constats d'huissiers effectués à l'agence de Clermont-Ferrand et à l'agence d'Issoire pour justifier du fait que Monsieur Charles, Monsieur Ahmed, Monsieur Cozic et Monsieur Clémente étaient affectés à l'agence d'Issoire de la société Aximmo tandis que Mademoiselle Lagrange était affectée à l'agence de Brioude.
Elle se plaint donc d'actes de débauchage collectif effectués par la société Aximmo au détriment d'un concurrent résultant de manœuvres déloyales et volontaires, la désorganisation du fonctionnement de l'entreprise concurrente, outre la captation par ce biais de sa clientèle caractérisant des actes fautifs à l'origine des préjudices subis.
En réponse aux moyens invoqués par la société Aximmo elle dénonce l'attitude de cette société qui aurait établi a posteriori des contrats d'essai de négociateurs immobiliers indépendants pour justifier l'activité de ces personnes pour son compte avant la régularisation des contrats dont elle avait fait état en première instance.
Elle considère que ce débauchage a été rendu possible par la connaissance que Monsieur Veremes, signataire de l'intégralité des contrats, avait de l'activité de l'agence d'Issoire de la société ATE. Il était en effet le gérant de la SARL Habitat Environnement dont l'activité consistait à établir des métrés, états des lieux dans le cadre des ventes immobilières réalisées par la société ATE. Il avait donc accès à toutes les transactions faites par la société ATE dans le secteur d'Issoire.
La société ATE fait valoir que la société Aximmo ne justifie pas des raisons du départ de tout le personnel, les reproches dirigés contre son directeur de l'agence d'Issoire, Monsieur Tournadre n'étant pas démontrés et n'ayant jamais été exprimés avant les démissions en chaîne.
Elle insiste sur l'importance de son préjudice financier résultant d'une part d'une perte totale du chiffre d'affaires, l'activité de l'agence d'Issoire ayant dû être interrompue après le départ de tout le personnel et d'autre part de la nécessité d'exposer des frais exceptionnels pour reconstituer une équipe.
Elle conclut au débouté de la demande reconventionnelle de la société Aximmo qui prétend que la société ATE aurait porté atteinte à son image et à sa réputation. Elle fait observer que la société Aximmo se fonde sur une attestation établie par Madame Vallas, ancienne secrétaire de Monsieur Viaud, qui a indiqué que la société ATE aurait utilisé les constatations faites dans le cadre de la procédure de concurrence déloyale pour exploiter la copie du registre des mandats et pouvoir faire démarcher ses propres négociateurs. La société ATE soutient que cette attestation n'est nullement objective car Madame Vallas, en litige avec Monsieur Viaud, aurait cherché à lui nuire.
Vu l'ordonnance de clôture de la procédure en date du 20.11.2008.
Motifs et décision
Attendu que l'action en concurrence déloyale engagée par la société ATE à l'encontre de la société Aximmo sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du Code civil n'est pas conditionnée par le statut et les obligations des personnes qui ont été débauchés (agents commerciaux ou salariés) à l'égard de la société ATE que peu importe également l'existence ou non de clauses de non-concurrence dans les contrats des personnes concernées ; qu'elle est recevable alors même qu'aucune action n'a été engagée contre les anciens agents commerciaux et/ou salariés;
Attendu qu'au vu des pièces communiquées, la concomitance entre les départs pratiquement simultanés des cinq agents commerciaux de l'agence de la société ATE à Issoire, et leur recrutement immédiat par la société Aximmo sont établis;
Que ces faits se sont produits au moment où la société Aximmo s'apprêtait à lancer sa propre activité dans le domaine d'achats et ventes de biens immobiliers dans le même secteur géographique resserré, en entrant en concurrence avec la société ATE qui travaillait déjà sur ce marché;
Que le débauchage de l'ensemble des collaborateurs de la société ATE à Issoire salariés et non salariés, a entraîné une cessation totale d'activité de l'agence de la société ATE installée dans cette ville, en favorisant à l'évidence l'activité de la société Aximmo du fait de la désorganisation totale du concurrent ayant entraîné son élimination au moins temporaire et du recrutement d'une équipe immédiatement performante auprès d'une clientèle potentielle qu'elle connaissait et qui n'avait plus la possibilité de s'adresser à l'agence de la société ATE dont la pérennité compromise ne pouvait qu'affaiblir son image;
Attendu que la société Aximmo se défend d'être responsable du départ massif des agents commerciaux de la société ATE qui serait la conséquence de problèmes internes à la société ATE ; qu'elle prétend avoir simplement bénéficié d'une situation dont l'origine lui serait étrangère; que toutefois ce moyen manque de pertinence en l'absence de réclamations antérieures au départ des agents qui puissent justifier les départs massifs et alors que d'autres agences gérées par le même directeur n'ont pas connu de phénomène semblable;
Attendu que la société Aximmo conteste en outre les preuves invoquées par la société ATE au soutien de son action;
Que le procès-verbal de constat établi par Maître Fournier relatant la démarche qu'aurait faite Monsieur Clémente auprès d'une cliente dans le but de l'inciter à cesser d'être en contact avec la société ATE n'est effectivement pas suffisant pour caractériser une faute à l'encontre de la société Aximmo, le fait signalé restant apparemment un acte isolé émanant d'un collaborateur indépendant qui a pu agir de sa propre initiative;
Que d'autres indices (résultats d'enquête) et attestations produits par la société ATE pour justifier de l'existence de manœuvres anormales auprès de ses anciens collaborateurs ayant pour but de les inciter à la quitter (attestation de Monsieur Fore notamment), doivent être examinés avec circonspection dans le contexte conflictuel qui a présidé à leur établissement sans pour autant que cette précaution n'impose de les écarter systématiquement dans la mesure où rien n'indique que certains faits relatés seraient inexacts;
Qu'il est en tout cas certain que les départs de tous les collaborateurs de la société ATE et leur recrutement immédiat par la société Aximmo, intervenus dans un laps de temps particulièrement bref, décembre 2005 - janvier 2006, ne sont pas le fruit d'une pure coïncidence;
Qu'ils ne peuvent s'expliquer que par les relations nouées entre les anciens collaborateurs de la société ATE et le signataire de leurs contrats passés avec la société Aximmo, Monsieur Guillaume Veremes ; que ce dernier détenait des informations privilégiées sur le fonctionnement de la société ATE et son personnel en raison de ses fonctions de gérant de la SARL Habitat Environnement dont l'activité consistant à établir des métrés, états des lieux dans le cadre de ventes immobilières, l'amenait à travailler fréquemment pour le compte de la société ATE;
Qu'à l'évidence, Monsieur Veremes a été investi par la société Aximmo d'un rôle prépondérant dans le recrutement de ces personnes dont il connaissait leur situation professionnelle antérieure et le contexte de leurs activités au sein de la société ATE;
Qu'étant de plus l'un des associés de la société Aximmo, il avait un intérêt personnel à la réussite de l'implantation de cette société dans le secteur d'Issoire que la société Aximmo a réalisée par le biais d'une concurrence sauvage, constitutive d'une faute engageant sa responsabilité;
Attendu que ces faits sont à l'origine d'un préjudice certain, la désorganisation totale de la société ATE par l'embauche simultanée de toute l'équipe travaillant pour son compte dans le même secteur d'activité ayant favorisé la captation de sa clientèle par la société Aximmo, et ce, d'autant plus facilement qu'elle l'a contraint à une cessation momentanée d'activité dans un secteur géographique restreint, tandis que les anciens agents commerciaux qui avaient une bonne connaissance du marché et de la clientèle potentielle poursuivaient leur travail sans interruption pour le compte du concurrent;
Qu'en conséquence, les premiers juges ont pertinemment considéré que la société Aximmo était responsable d'actes de concurrence déloyale justifiant sa condamnation à la réparation du préjudice occasionné à la société ATE;
Qu'ils ont écarté à juste titre la demande d'indemnisation des frais de formation d'une nouvelle équipe; que l'unique document (pièce n° 38), peu détaillé, produit devant la cour qui émane de la société ATE elle-même, n'est pas suffisant pour établir la preuve effective de la dépense;
Attendu que la société ATE soutient qu'en arrêtant à 30 000 euro le montant de son préjudice financier qui atteindrait la somme de 80 000 euro, le tribunal l'aurait nettement sous-estimé;
Attendu que la société ATE produit (pièce n° 30) des comptes annuels couvrant un exercice incomplet de 9 mois soit du 01/04/2006 au 31/12/2006 et retraçant les résultats antérieurs d'un exercice d'une durée de 15 mois allant du 01/01/2005 au 31/03/2006; que l'évolution des résultats consignés dans ces documents, perte de résultats de 53,40 % et perte de bénéfice net de 68 340 euro entre deux exercices comptables de durées sensiblement différentes, est d'une interprétation difficile en l'absence de plus amples renseignements ; qu'il est néanmoins incontestable que la chute brutale d'activité au début de l'année 2006 après une baisse significative en fin d'année 2005, est constitutive de préjudices en lien direct avec le départ programmé des collaborateurs à la concurrence, dès les premiers jours de janvier 2006; qu'il est évident que ces événements ont pesé sur les résultats de la société ATE tout au long de l'exercice 2006 même s'il faut aussi tenir compte d'un certain affaiblissement des résultats qu'une libre concurrence aurait pu en tout état de cause entraîner;
Qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, le préjudice global a été fixé à sa juste valeur par les premiers juges;
Attendu que la société Aximmo rétorque qu'elle aurait elle-même été victime d'actes de concurrence déloyale de la part de la société ATE du fait de l'utilisation de mandats lui appartenant ; qu'ils auraient été portés à la connaissance de la société ATE lors des constatations faites dans le cadre de la présente procédure, et elle les aurait distribués à ses propres agents en vue du démarchage des clients;
Que ces accusations, contestées par la société ATE, reposent sur l'attestation établie par Madame Vallas, ancienne secrétaire de Monsieur Viaud, gérant de la société ATE, avec lequel elle était en conflit, une procédure pénale les ayant opposés récemment devant le Tribunal de police de Clermont-Ferrand puis devant la chambre des appels correctionnels de la Cour d'appel de Riom; qu'aucun autre élément ne venant conforter ce témoignage unique, établi dans un contexte pouvant faire douter de son objectivité la société Aximmo sera déboutée de sa demande d'indemnisation, insuffisamment prouvée;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et après en avoir délibéré, Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris. Déboute la société Aximmo de toutes ses demandes. Déboute la société ATE du surplus de ses demandes. Condamne la société Aximmo à payer à la société ATE la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Aximmo aux entiers dépens qui comprendront le coût des constatations à concurrence de la somme de 1 069,72 euro et qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile