Livv
Décisions

Ministre de l’Économie, 13 janvier 2005, n° ECOC0500215Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseils de la société Rhodia

Ministre de l’Économie n° ECOC0500215Y

13 janvier 2005

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maîtres,

Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 10 décembre 2004, vous avez notifié l'acquisition par la société anonyme Rhodia (ci-après " Rhodia ") de l'ensemble des actions de la SAS Chloralp (ci-après " Chloralp "). Cette acquisition a fait l'objet, le 26 novembre 2004, d'une dérogation permettant sa réalisation anticipée. Elle a été formalisée par un protocole de cession signé le 10 décembre 2004.

I. LES ENTREPRISES CONCERNÉES ET L'OPÉRATION

Rhodia est un groupe mondial de chimie qui regroupe actuellement trois grands pôles d'activités : les matériaux et services de spécialités, la chimie fine et la chimie d'applications (avec quatre segments de marché : " Home, Personal Care & Industrial Ingredients " [HPCII], " Phosphorus and Performance Derivatives " [PPD] ; " Rare Earths, Silicones and Silica Systems " [RE3S], " Performance Products for Multifunctional Coatings " [PPMC] (1)).

Rhodia a réalisé en 2003 un chiffre d'affaires consolidé de 5 453 millions d'euro, dont environ 1 673 millions en France.

Chloralp a pour activité la production et la commercialisation de chlore, de soude, d'hydrogène, de sel et de leurs dérivés. L'unité de production de ces produits est intégrée sur la plate-forme chimique de Pont-de-Claix. Par ailleurs, Chloralp produit et commercialise de la javel.

Chloralp exploite un site d'extraction de sel situé à Hauterives dans la Drôme ainsi que les cavités qui y sont attachées, en vertu d'un contrat de concession et des autorisations en vigueur qui seront transférés à l'issue de l'opération. La saumure (2) en provenance de Hauterives fait l'objet d'une électrolyse à diaphragme dans l'unité de production de Pont-de-Claix, produisant simultanément du chlore, de la soude, du sel solide ainsi que de l'hydrogène (3). La saumure est acheminée directement vers l'usine de Pont-de-Claix, via un pipeline (" saumoduc ") de 85 kilomètres de long. Chloralp dispose également d'un site situé à Saint-Fons, dans le Rhône, comprenant une unité de stockage et de vaporisation de chlore, une installation de fabrication d'eau de javel ainsi qu'une installation de stockage de soude. La javel est produite à partir de chlore et de soude sur le site de Saint-Fons.

Chloralp est détenue à 100 % par la SARL Société financière Chloralp, laquelle est détenue à 100 % par la société américaine Laroche Industries Inc. Chloralp était une filiale de l'actuel groupe Rhodia jusqu'en juin 1999. Chloralp a réalisé en 2003 un chiffre d'affaires mondial de 73 millions d'euro, dont 67,7 millions en France.

La présente opération constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Compte tenu du chiffre d'affaires des entreprises concernées, elle ne revêt pas une dimension communautaire et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. MARCHÉS CONCERNÉS

L'opération consiste en l'acquisition par Rhodia de son fournisseur exclusif de chlore et quasi exclusif de soude à Pont-de-Claix. Rhodia ne produit et ne commercialise pas de chlore, de soude, de sel solide ou d'eau de javel, qui représentent les seules productions de Chloralp. Par ailleurs, Chloralp ne produit ni ne commercialise aucun des produits que Rhodia met sur le marché. L'opération s'analyse donc comme une intégration verticale.

Rhodia est active sur un très grand nombre de marchés dans le secteur de la chimie. L'activité de Rhodia sur la plate-forme de Pont-de-Claix consiste à produire des di-isocyanates (HDI, IPDI, TDI) et des chlorophénols. Le marché des di-isocyanates est, selon la partie notifiante, au moins de dimension européenne. En effet, ces produits, bien que dangereux, sont couramment transportés et les sociétés européennes qui les produisent approvisionnent, au-delà de l'Europe, l'Afrique, le Moyen-Orient, et marginalement l'Asie. Quant aux chlorophénols, les parties estiment que ce marché est mondial. Il n'apparaît toutefois pas nécessaire de définir de manière plus fine les marchés sur lesquels Rhodia est présent, les conclusions de l'analyse demeurant inchangées.

Chloralp est active sur les marchés de la production et de la commercialisation de chlore, de soude, de sel solide et de javel.

L'unité de Chloralp à Pont-de-Claix est l'une des dix unités de production de chlore implantées sur le territoire français. Le chlore est à la base de très nombreux produits intermédiaires et de produits finis. Il peut se présenter sous forme gazeuse ou sous forme liquide. Sous forme gazeuse, le chlore ne peut être transporté que sous faible pression par " chloroduc ". Lorsqu'il est liquéfié, le chlore peut être transporté par wagons-citernes ; le transport du chlore liquide est cependant relativement coûteux et très réglementé du fait de sa toxicité. Selon la partie notifiante, la question se pose de la distinction de deux marchés du chlore, celui du chlore gazeux et celui du chlore liquide. En effet, la partie notifiante indique que le chlore gazeux ne peut être fourni qu'aux industriels implantés à proximité du site chlorier et qu'il est moins pur, moins cher d'environ 20 % et utilisé à des fins de production différentes de celles du chlore liquide. Toutefois, au cas présent, la question peut rester ouverte, dans la mesure où les conclusions de l'analyse demeurent inchangées. En ce qui concerne la dimension géographique du marché du chlore, la partie notifiante considère qu'il est local (chlore gazeux) ou limité à une zone de 800 kilomètres autour du site (chlore liquide). La Commission européenne a eu l'occasion de constater que le chlore et ses dérivés n'étaient généralement pas commercialisés à une distance significative de leur site de production (4). De fait, des flux transnationaux de chlore liquide existent, mais ils sont généralement limités aux zones frontalières. Au cas présent, la question peut rester ouverte, dans la mesure où, quelle que soit la dimension géographique retenue, les conclusions de l'analyse demeurent inchangées.

La soude (hydroxyde de sodium), également appelée soude caustique, est co-produite avec le chlore lors de l'électrolyse du chlorure de sodium. Il s'agit d'une base soluble qui donne lieu à de nombreuses applications (5). Selon la partie notifiante, la dimension géographique du marché de la soude est limitée à une zone géographique de l'ordre de 800 kilomètres autour du site de production. Au cas présent, la question peut rester ouverte, dans la mesure où, quelle que soit la dimension géographique retenue, les conclusions de l'analyse demeurent inchangées.

En ce qui concerne le sel, Chloralp produit et commercialise à la fois de la saumure et du sel solide ou " sel de pêche ". Ces deux produits se situent respectivement à l'amont et à l'aval du procédé de l'électrolyse à diaphragme. Ainsi que l'a constaté le ministre dans la décision K+S Salz/Esco (6), il existe plusieurs marchés du sel. Dans sa décision K+S / Solvay / JV (7), la Commission européenne a examiné, tout en laissant la question ouverte, le marché global du sel, le marché du sel de déneigement, ainsi que le marché du sel hors sel de déneigement, lui-même décomposé en plusieurs segments : le sel destiné à la consommation humaine, le sel destiné à des usages industriels et techniques, et enfin le sel destiné à la transformation chimique (électrolyse). Ces applications diffèrent notamment quant aux besoins des clients en matière de pureté, de taille des grains ou d'additifs. En l'espèce, le segment concerné est celui du sel destiné à la transformation chimique (la saumure est auto-consommée par le procédé de l'électrolyse à diaphragme et le sel solide est vendu à Arkéma diffèrent notamment quant aux besoins des clients en matière de pureté, de taille des grains ou d'additifs. En l'espèce, le segment concerné est celui du sel destiné à la transformation chimique (la saumure est auto-consommée par le procédé de l'électrolyse à diaphragme et le sel solide est vendu à Arkéma (8), qui l'utilise pour son propre procédé d'électrolyse). La Commission européenne avait considéré que ces marchés étaient plus larges que nationaux et qu'ils couvraient " l'Europe continentale ". Au cas d'espèce, la question de la dimension géographique de ce marché peut rester ouverte, dans la mesure où les conclusions de l'analyse en demeurent inchangées.

La javel (hypochlorite de sodium) est un désinfectant pouvant se présenter de manière liquide (" eau de javel ") ou solide. Elle est produite à partir de chlore et de soude. Chloralp est le premier producteur de javel en France, mais n'en assure pas le conditionnement ni la distribution. Rhodia n'intervenant pas sur ce marché comme client, producteur ou fournisseur, l'opération n'aura aucun impact sur le marché de la javel et celui-ci ne sera pas abordé dans l'analyse concurrentielle.

III. ANALYSE CONCURRENTIELLE

Comme cela a déjà été souligné, il n'existe pas de chevauchement d'activités entre les parties, et seuls les effets verticaux de l'opération seront examinés.

Trois sociétés du groupe Rhodia interviennent sur le site de Pont-de-Claix :

Rhodia PPMC, qui produit et commercialise de l'HDI/IPDI et leurs dérivés ; ces produits sont utilisés pour la fabrication de tolonate, employé en particulier pour la fabrication de peintures haut de gamme pour carrosserie automobile ;

Rhodia Organique, qui fabrique des chlorophénols destinés essentiellement aux producteurs agrochimiques ;

Rhodia Intermédiaires, qui est l'opérateur des installations de la société Lyondell Chimie, de Rhodia PPMC et de Rhodia Organique ; Rhodia Intermédiaires exploite en qualité de prestataire de services les ateliers de Lyondell Chimie (9), qui produisent du TDI vendu par Lyondell Chimie aux producteurs de mousses polyuréthane.

L'activité de Rhodia sur la plate-forme de Pont-de-Claix consiste ainsi à produire des di-isocyanates (HDI, IPDI, TDI) ainsi que des chlorophénols, ces productions requérant l'utilisation de chlore.

La production de di-isocyanates requiert du phosgène, et la production de phosgène nécessite du chlore. Pont-de-Claix est le seul site de production de phosgène en France (10). Rhodia est ainsi le seul producteur de di-isocyanates en France.

En ce qui concerne l'HDI et l'IPDI, les concurrents principaux de Rhodia en Europe sont Bayer, BASF et Degussa, groupes disposant d'une puissance financière importante. Bayer et BASF produisent leur propre chlore.

En ce qui concerne le TDI, que Lyondell Chimie fait produire par Rhodia mais vend lui-même aux producteurs de mousses polyuréthanes, les concurrents principaux de Lyondell Chimie sont Bayer, BASF et Dow Chemical. Parmi ces concurrents, seul Dow Chemical ne fabrique pas son chlore, qu'il obtient de la société EVS.

Ainsi, l'intégration de son fournisseur en chlore n'apportera aucun avantage concurrentiel à Rhodia en ce qui concerne les di-isocyanates.

Rhodia Organique produit [...] tonnes de chlorophénols par an et les vend à des industriels français et européens et réalise un chiffre d'affaires de [...] millions d'euro sur ce marché. La partie notifiante estime sa part de marché en volume sur le marché mondial des chlorophénols à moins de 10 %. En ce qui concerne les chlorophénols produits à Pont-de-Claix, Rhodia dispose de parts de marché de [40-50] % pour le PMCP (paramonochlorophénol), de [30-40] % pour le 2,4-DCP (dichlorophénol) et de [20-30] % pour l'OMCP (orthomonochlorophénol). Il existe une concurrence effective sur ces marchés. Les concurrents de Rhodia sont notamment la société britannique AH Marks ainsi que de nombreuses sociétés asiatiques, qui possèdent leur propre source d'approvisionnement en chlore, qu'elle soit ou non intégrée.

En ce qui concerne le chlore, Chloralp a assuré en 2003 environ [10-20] % de la production française. Une partie est auto-consommée pour la production de javel. Près des deux tiers du chlore produit sont utilisés sous forme gazeuse sur le site de Pont-de-Claix ou à proximité.

Rhodia est le principal client de Chloralp, consommant plus de 50 % de sa production sous forme gazeuse. Ces deux opérateurs sont liés par un contrat pluriannuel de fourniture exclusive préexistant à l'opération. Le deuxième client de Chloralp en chlore sous forme gazeuse est Polimeri Europa, qui achète et consomme [10-20] % du chlore produit par Chloralp (11). Cette société, qui utilise ce chlore pour produire du chloroprène (élastomère de qualité), n'est pas un concurrent de Rhodia. Rhodia n'a besoin de chlore que pour son activité située sur le site de Pont-de-Claix. Ainsi, l'opération ne modifiera pas les quantités de chlore disponibles sur le marché local du chlore gazeux, et Rhodia n'aura aucun intérêt à priver les opérateurs voisins d'accès à cette matière première.

Chloralp vend sur le marché sous forme liquide le reste de sa production non auto-consommée et non utilisée sur le site ou à proximité immédiate. Ses clients principaux sont Eramet, Lubrizol et Gazechim ; la cible fournit également du chlore sous forme liquide à Ineos et à Arkéma, entreprises exploitant elles-mêmes des sites chloriers. La production de chlore est sur capacitaire (de l'ordre de 15 % de la production française) et d'autres grands producteurs de chlore en France tels que Métaux Spéciaux (MSSA), Arkéma et Albemarle vendent également du chlore liquide à des tiers.

Ainsi, qu'il s'agisse des relations clients-fournisseurs pour le chlore gazeux ou pour le chlore liquide, l'opération n'est pas susceptible d'entraîner un phénomène de forclusion sur le marché du chlore. Elle n'a pour effet que de consolider un contrat de fourniture exclusive préexistant entre Rhodia et Chloralp.

En ce qui concerne la soude, Chloralp a assuré en 2003 environ [10-20] % de la production française. Rhodia utilise de la soude sur presque tous ses sites de production, et se fournit actuellement pour [80-90] % de ses besoins auprès de Chloralp, ce qui représente [20-30] % de la production de la cible. Rhodia déclare vouloir s'approvisionner également à l'avenir pour les [0-10] % restants auprès de Chloralp. Cependant, même dans ce cas, Rhodia n'utilisera pas plus [20-30 %] de la production de soude de Chloralp. Le client le plus important de Chloralp est Adisséo, qui lui achète [20-30] % de sa production pour produire de la méthionine. Polimeri Europa et Arkéma achètent également de la soude à Chloralp. Rhodia n'aura aucun intérêt à cesser d'approvisionner ces clients, puisqu'elle sera incitée à valoriser ce qui n'est pas auto-consommé. De plus, il existe de nombreux fournisseurs alternatifs en soude. En effet, il convient de rappeler que les opérateurs qui produisent du chlore par électrolyse de saumure co-produisent nécessairement de la soude.

Ainsi, l'opération n'est pas susceptible d'entraîner un phénomène de forclusion sur le marché de la soude.

Enfin, en ce qui concerne le sel solide, le seul client de Chloralp est Arkéma. Le sel est envoyé sur son site de Jarrie, où il est utilisé pour l'électrolyse à mercure. La vente de sel à Arkéma représente [0-10] % du chiffre d'affaires de Chloralp, et l'acquéreur n'aurait aucun intérêt à se priver de cette source de revenus. Par ailleurs, Chloralp et Arkéma ont des intérêts communs sur le site de Pont-de Claix, puisqu'ils partagent le coût du saumoduc. Enfin, de nombreux fournisseurs alternatifs existent pour cette matière première très courante. Ainsi, il apparaît que l'opération n'a aucune incidence sur le marché du sel solide.

En conclusion, il ressort de l'instruction du dossier que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement de position dominante. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.

Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de ma considération distinguée.

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale. Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.

1 Ce quatrième segment couvre notamment les activités développées par Rhodia sur la plate-forme chimique de Pont-de-Claix à l'exception des chlorophénols, qui font partie de la chimie fine.

2 La saumure est une solution de sel dans l'eau (chlorure de sodium). On l'obtient en envoyant de l'eau dans le minerai de sel gemme. L'électrolyse à diaphragme ne peut être alimentée qu'en saumure.

3 L'hydrogène est entièrement consommé sur le site, principalement pour la fourniture d'énergie ; il n'est donc pas nécessaire dans la présente décision d'examiner les effets concurrentiels de l'opération concernant ce sous-produit.

4 Décision Azko/Nobel Industrier du 10 janvier 1994 (M. 390) : "Trade in chlorine and derivatives is rather limited and generally these products are further processed on the manufacturing sites. In any case, they are not marketed a significant distance from the manufacturing plant because of transport restrictions (safety and cost)."

5 Fabrication de savon, de papier, de textiles, réactif dans l'industrie chimique, source de sodium, traitement de l'eau etc.

6 Décision du 12 juillet 2004, en instance de publication au BOCCRF.

7 Décision M.2176 du 10 janvier 2002.

8 Anciennement Atofina (branche chimie du groupe Total).

9 Le chlore gazeux produit par Chloralp est d'ailleurs utilisé pour sa plus grande part au bénéfice de Lyondell chimie, dans un rapport d'environ [...] pour Rhodia à [...] pour Lyondell chimie.

10 Le phosgène est difficilement transportable et très réglementé car hautement toxique.

11 Polimeri Europa est implanté à proximité du site de Pont-de-Claix, à Champagnier. Il est alimenté en chlore sous forme gazeuse par Chloralp grâce à un " chloroduc " long de 4 kilomètres.