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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 13 février 2009, n° 08-10191

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Ivresse (SAS)

Défendeur :

Fitoussi, Les Complices (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Girardet

Conseillers :

Mmes Regniez, Saint-Schroeder

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, Me Huyghe

Avocats :

Mes Guiziou, Cohen Mizrahi

TGI Paris, du 27 oct. 2005

27 octobre 2005

Monsieur Paul Fitoussi est propriétaire de la marque figurative n° 1 579 557 déposée le 9 mars 1990 et renouvelée le 21 février 2000 pour désigner les produits de la classe 25 "vêtements, chaussures et chapellerie". Cette marque est constituée par la représentation d'une étoile à cinq branches de couleur claire située dans un cercle de couleur contrastée. Monsieur Fitoussi dirige la société Les Complices à laquelle il a consenti une licence d'exploitation de sa marque qu'elle appose sur les vêtements qu'elle commercialise. Cette société est elle-même titulaire de la marque figurative représentant le même signe n° 97 666 125 qu'elle a déposée le 27 février 1997 pour protéger des produits compris dans les classes 3, 9, 14, 16, 18, 20, 24 et 28. L'enregistrement de cette marque a été publié au BOPI le 8 août 1997.

Paul Fitoussi et la société Les Complices ayant constaté que la société Ivresse commercialisait sous la marque Lulu Castagnette des vêtements et des sacs sur lesquels était apposé un signe qu'ils estiment identique à leur marque, ont assigné cette société par acte du 27 septembre 2004 en contrefaçon et en concurrence déloyale devant le Tribunal de grande instance de Paris.

Par jugement contradictoire du 27 octobre 2005, le Tribunal de grande instance de Paris a rejeté l'exception d'irrecevabilité de l'action en contrefaçon de la marque n° 1 579 557 introduite par la société Les Complices, dit que la société Ivresse avait commis des actes de contrefaçon par imitation de la marque n° 1 579 557 au préjudice de Monsieur Paul Fitoussi et de la marque n° 97 666 125 au préjudice de la société Les Complices ainsi que des actes de concurrence déloyale distincts au préjudice de cette société au regard de la marque n° 1 579 557 et a débouté la société Les Complices de sa demande de concurrence déloyale au regard de la marque n° 97 666 125. Il a condamné la société Ivresse à payer à Monsieur Paul Fitoussi et à la société Les Complices la somme de 20 000 euro en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon des marques n° 97 666 125 et n° 1 579 557, et à la société Les Complices la somme de 50 000 euro du fait des actes de concurrence déloyale au regard de la marque n° 1 579 557, il a également ordonné des mesures d'interdiction et de publication et a condamné la société Ivresse à payer à Monsieur Paul Fitoussi et à la société Les Complices la somme globale de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions du 30 octobre 2008, la société Ivresse, appelante, demande pour l'essentiel à la cour d'infirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté Monsieur Fitoussi et la société Les Complices de leurs demandes en contrefaçon par reproduction des marques figuratives n° 1 579 557 et 97 666 125, débouté la société Les Complices de sa demande en concurrence déloyale au regard de la marque n° 97 666 125 et rejeté la demande de confiscation des produits incriminés, de prononcer la déchéance à compter du 8 août 1997 des droits de la société Les Complices sur la marque n° 97 666 125 pour l'ensemble des produits désignés, d'ordonner la publication du présent arrêt, d'ordonner le remboursement avec intérêts au taux légal des sommes versées par la société Ivresse à la société Les Complices et à Monsieur Paul Fitoussi et de condamner in solidum les intimés à lui verser la somme de 50 000 euro à tire de dommages et intérêts pour procédure abusive outre celle de 30 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans leurs dernières écritures du 27 novembre 2008, Monsieur Paul Fitoussi et la société Les Complices concluent à l'irrecevabilité de la demande de déchéance de la marque n° 97 666 125 formée par la société Ivresse en ce que cette demande est nouvelle et faute d'intérêt à agir pour cette société, subsidiairement, à la confirmation du jugement entrepris du chef des principes de condamnations prononcées à l'encontre de la société Ivresse mais à sa réformation s'agissant du montant des indemnisations qu'ils demandent à la cour de porter à 40 000 euro au titre de la contrefaçon des marques n° 1 579 557 et 97 666 125 et à 60 000 euro au titre de la concurrence déloyale. Ils réclament, en outre, la somme de 27 000 euro au titre de leurs frais irrépétibles.

Sur ce

Sur les fins de non-recevoir

Sur la recevabilité à agir de la société Les Complices

Considérant que la société Ivresse persiste à soutenir que la société Les Complices est irrecevable à agir à son encontre en contrefaçon de la marque n° 1 579 557 alors que la société intimée n'agit, pas plus en appel qu'en première instance, en contrefaçon de ladite marque mais en concurrence déloyale en sa qualité de licenciée de cette marque et en contrefaçon de la marque n° 97 666 125 dont elle est propriétaire;

Que la fin de non-recevoir soulevée par la société Ivresse est donc sans objet comme l'a dit le tribunal.

Sur la recevabilité de l'action en déchéance

Considérant que la société Ivresse a conclu pour la première fois devant la cour, le 24 mars 2006, à la déchéance de la marque n° 97 666 125 pour l'ensemble des produits visés dans l'enregistrement;

Que la société Les Complices objecte que cette demande est irrecevable s'agissant des produits compris dans les classes 3, 9, 14, 16, 20, 24 et 28 dès lors qu'elle ne poursuit la société Ivresse du chef de contrefaçon de sa marque que pour les seuls sacs protégés par celle-ci en classe 18.

Considérant qu'aux termes de l'article 564 du Code de procédure civile, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est notamment pour faire écarter les prétentions adverses;

Qu'en l'espèce, la société Ivresse soulève la déchéance de la marque n° 97 666 125 pour faire échec à l'action en contrefaçon dirigée à son encontre par la société Les Complices ; qu'elle n'est donc recevable à agir à cette fin que pour les produits qui lui sont opposés, à savoir les sacs à l'exclusion des autres produits;

Que la société appelante sera, en conséquence, déclarée irrecevable à agir en déchéance de la marque n° 97 666 125 pour les produits autres que les sacs.

Sur la demande en déchéance de la marque n° 97 666 125 en ce qu'elle vise les sacs

Considérant que l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle sanctionne par la déchéance de ses droits le propriétaire d'une marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux pour les produits et services désignés durant une période ininterrompue de cinq ans;

Que pour faire obstacle à une mesure de déchéance, l'exploitation de la marque doit être réelle ce qui implique que le signe déposé exerce sa fonction qui est de distinguer les produits offerts à la vente en étant apposé sur eux ou bien en accompagnant leur mise à disposition du public dans des conditions ne laissant aucun doute sur cette fonction.

Considérant qu'en l'espèce les fiches modèles sont dénuées de toute valeur probante faute de démontrer la réalité de l'exploitation de la marque de même que l'affiche non datée de Shanghai Novation ; que la publicité parue au mois de janvier 2004 dans le magazine TV Envie pour un sac à main est tout aussi insuffisante à établir la preuve d'un usage sérieux de la marque concernée;

Que le projet de décision de l'INPI du 5 juin 2008 vise un dépôt de marque effectué le 19 octobre 2007 par des tiers ; qu'elle ne porte pas sur l'exploitation réelle de la marque opposée mais sur le seul risque de confusion existant sur l'origine des deux marques en présence;

Que l'exigence du caractère réel et sérieux de l'exploitation de la marque conduit à écarter le contrat signé le 8 novembre 2002 par la société Les Complices et la société Tennessee aux fins de renouvellement pour deux ans du contrat de licence signé en 1999, lequel, outre qu'il ne mentionne pas les marques que le licencié est autorisé à exploiter, ne constitue pas en lui-même une preuve d'exploitation de la marque n° 97 666 125;

Que la déclaration du chiffre d'affaires pour le 2e trimestre 2004 adressée par la société Tennessee à la société Les Complices n'identifie pas les produits ni la marque sous laquelle ils ont été vendus ; que la photographie, non datée, agrafée à ce document donne à voir une trousse et non un sac;

Que la marque n'apparaît à aucun endroit de la facture envoyée le 29 janvier 2004 par la société CSM International à la société Syfreco Diffusion; que l'attestation de cette société établie le 9 septembre 2004 pour certifier que les produits facturés par la société CSM International ont été distribués par les magasins Auchan est tout aussi taisante sur la marque sous laquelle lesdits produits ont été commercialisés.

Considérant, en conséquence, que la société Ivresse est bien fondée en sa demande de déchéance des droits de la société Les Complices sur la marque n° 97 666 125 à compter du 8 août 2002, soit cinq ans après la publication de l'enregistrement de cette marque au BOPI, en ce qu'elle désigne les sacs à main, sacs du soir, sacs de sport et sacs de voyage.

Sur la contrefaçon

Sur la contrefaçon de la marque n° 1 579 557

Considérant que le signe argué de contrefaçon qui a été apposé par la société Ivresse sur plusieurs références de vêtements est constitué d'une étoile à cinq branches au centre de laquelle ont été brodés les contours d'un ourson, l'ensemble étant placé dans un cercle de couleur;

Que la présence de cette broderie qui, pour être discrète comme l'a indiqué le tribunal, n'en est pas moins visible si l'on examine attentivement le dessin, exclut la contrefaçon par reproduction dès lors que les deux signes ne sont pas identiques;

Que c'est donc au regard des dispositions de l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle que doit être appréciée la contrefaçon.

Considérant que le signe reproduit sur les vêtements commercialisés par la société Ivresse reprend les caractéristiques essentielles de la marque dont est titulaire Monsieur Fitoussi ; que la seule présence du contour brodé d'un ourson ne fait pas disparaître le caractère distinctif de la marque ni la similitude visuelle qui existe entre les deux signes et qui est de nature à entraîner un risque de confusion dans l'esprit d'un consommateur d'attention moyenne sur l'origine des produits concernés, étant rappelé que les notions de d'originalité et de banalité sont étrangères au droit des marques et que le caractère décoratif d'une marque déposée n'autorise pas son usage par un tiers non autorisé contrairement à ce que prétend la société appelante;

Que la contrefaçon par imitation de la marque n° 1 579 557 est ainsi réalisée.

Sur la contrefaçon de la marque n° 97 666 125

Considérant que les actes de contrefaçon ont été commis au cours de la saison printemps-été 2002 que la déchéance des droits de la société Les Complices sur la marque n° 97 666 125 étant prononcée pour Les produits précités avec effet au 8 août 2002, la demande en contrefaçon de cette société en ce qu'elle porte sur des actes de contrefaçon commis avant cette date doit être accueillie pour les mêmes motifs que ceux précédemment exposés pour la marque n° 1 579 557 dès lors que le signe étoile dans un cercle tel qu'il vient d'être décrit se retrouve sur deux références de sacs présentes dans le catalogue printemps-été 2002 de la société Ivresse.

Sur la concurrence déloyale

Considérant qu'il est constant que la société Les Complices dirigée par Monsieur Fitoussi a été autorisée par celui-ci à exploiter la marque n° 1 579 557 pour commercialiser des vêtements ;

Que les sociétés Ivresse et Les Complices s'adressent toutes deux à une même clientèle composée de jeunes et d'adolescents et commercialisent le même type de vêtements ; qu'elles utilisent un même mode de diffusion qu'il s'agisse de magasins à leur enseigne, de grands magasins ou de vente par correspondance qu'elles sont donc en concurrence directe comme l'ont justement relevé les premiers juges ;

Qu'il suit que les actes de contrefaçon de la marque n° 1 579 557 constituent des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Les Complices.

Sur les mesures réparatrices

Considérant qu'ainsi que l'a relevé le tribunal, la marque dont Monsieur Fitoussi est titulaire a été reproduite sur plusieurs références de vêtements qui ont été commercialisés en plusieurs tailles et plusieurs coloris ; que l'ampleur de la contrefaçon justifie que soit alloué à Monsieur Fitoussi la somme de 20 000 euro en réparation de l'atteinte à son droit privatif sur la marque et à la société Les Complices la somme de 50 000 euro en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait des actes de concurrence déloyale.

Considérant que le préjudice résultant de l'usage illicite de la marque sur laquelle la société Les Complices disposait d'un droit privatif jusqu'au 8 août 2002 s'agissant des sacs tels que visés ci-dessus sera justement réparé par l'allocation de la somme de 10 000 euro;

Que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a ordonné des mesures de publication et d'interdiction mais seulement pour la marque n° 1 579 557 s'agissant de l'interdiction.

Sur la demande de dommages-intérêts formée par la société Ivresse

Considérant que la société Ivresse ne démontre pas que les intimés dont les demandes ont été accueillies pour l'essentiel ont agi à son encontre avec mauvaise foi ou dans l'intention de lui nuire ; que sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive sera donc rejetée.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande d'allouer aux intimés la somme de 8 000 euro au titre de leurs frais irrépétibles d'appel.

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la société Ivresse à payer à Monsieur Paul Fitoussi et à la société Les Complices la somme de 20 000 euro en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon des marques n° 97 666 125 et n° 1 579 557 et interdit à la société Ivresse de faire usage sous quelle que forme que ce soit et à quelque titre que ce soit de la marque n° 97 666 125, L'infirme de ces chefs et statuant à nouveau, Déclare la société Ivresse irrecevable à agir en déchéance de la marque n° 97 666 125 pour les produits autres que les sacs. Prononce la déchéance des droits de la société Les Complices de la marque n° 97 666 125 avec effet au 8 août 2002 en ce qu'elle vise les sacs à main, sacs du soir, sacs de sport et sacs de voyage. Condamne la société Ivresse à verser à la société Les Complices la somme de 10 000 euro en réparation du préjudice résultant des actes de contrefaçon de la marque n° 97 666 125 et à Monsieur Paul Fitoussi celle de 20 000 euro en réparation du préjudice résultant des actes de contrefaçon de la marque n° 1 579 557. Déboute la société Ivresse de sa demande de dommages-intérêts. La condamne à verser aux intimés la somme globale de 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Dit que le présent arrêt sera transmis à l'INPI sur réquisition du greffier pour transcription sur le Registre national des marques. Condamne la société Ivresse aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile par Maître Louis Chartes Huyghe, avoué.