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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 13 mai 2009, n° 07-05611

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Chenevat

Défendeur :

Dépêche Mag (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Albert

Conseillers :

M. Belières, Mme Salmeron

Avoués :

SCP Boyer Lescat Merle, SCP Dessart-Sorel

Avocats :

SCP Monferran-Carrière-Espagno, Me Sacrez

T. com. Versailles, 4e ch., du 29 juin 2…

29 juin 2007

Exposé des faits et procédure

La société MPS qui éditait une revue économique du même nom a confié à Mme Béatrice Delattre épouse Chenevat exerçant sous l'enseigne Regitec la promotion des abonnements ainsi qu'une activité de prospection pour développer la publicité de cette revue.

Courant 2005 elle a été rachetée par la société des journaux La Dépêche du Midi et Le Petit Toulousain qui est elle-même devenue actionnaire majoritaire d'une autre société Hima Media oeuvrant également dans le domaine de l'édition et qu'elle a absorbé par voie de fusion avec changement de dénomination sociale pour s'appeler désormais la SA Dépêche Mag.

Par acte du 5 janvier 2006 cette société a notifié à ce prestataire la résiliation des relations contractuelles avec effet au 5 avril 2006.

Par courrier du 10 mars 2006 Mme Chenevat a sollicité une indemnisation mais s'est heurtée à un refus.

Par acte du 29 août 2006 elle a fait assigner la SA Dépêche Mag devant le Tribunal de grande instance de Toulouse en déclaration de responsabilité et réparation des préjudices subis.

Par jugement du 1er octobre 2007 cette juridiction :

- a débouté Mme Chenevat de ses chefs de demande

- l'a condamnée à payer à la SA Dépêche Mag la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile

- a mis les entiers dépens à sa charge.

Par acte du 14 novembre 2007, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, Mme Chenevat a interjeté appel général de cette décision en intimant l'ensemble des parties.

Par ordonnance du magistrat de la mise en état du 8 avril 2008 elle s'est désistée partiellement de son appel vis-à-vis de la société Midi Presse Service MPS qui a été absorbée par la SA Dépêche Mag.

Moyens des parties

Mme Chenevat dans ses conclusions du 12 mars 2008 sollicite l'infirmation du jugement déféré et demande :

En principal, vu l'article 1134 du Code civil de :

- constater le préjudice économique qui découle de la rupture du contrat

- condamner la SA Dépêche Mag à lui verser à titre d'indemnisation la somme de 84 138 euro

A titre subsidiaire, vu l'article L. 442-6-I du Code de commerce et 1147 du Code civil

- dire et juger que la durée du préavis conforme aux usages doit être fixée à 24 mois

- condamner la SA Dépêche Mag à lui verser à titre d'indemnisation la somme de 73 370 euro

En toute hypothèse,

- lui allouer la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile

- mettre les entiers dépens à la charge de la SA Dépêche Mag.

Elle fait valoir que pendant près de 20 ans elle a par son activité contribué à faire accroître considérablement le nombre d'abonnements et le nombre d'annonces publicitaires au sein de la revue MPS et donc sa notoriété et son chiffre d'affaires, estime que la brusque rupture de ce contrat qui générait 75 % du chiffre d'affaires de son activité et une marge de 100 % est abusive et lui donne droit à l'obtention de dommages et intérêts substantiels et précise que pour les années 1999 à 2005 son chiffre d'affaires moyen HT s'établit à la somme de 110 781 euro et la moyenne des commissions à 42 069 euro.

Subsidiairement, elle soutient que les modalités de rupture du contrat ont généré un préjudice important pour elle tant au regard de la brièveté du délai de préavis que des circonstances l'ayant entourée.

Elle souligne que la durée des relations contractuelles soit dix huit années pleines de 1988 à 2006 exigeait le respect d'un préavis suffisamment long qui ne peut être inférieur à 24 mois et ajoute que la SA Dépêche Mag a décidé de rompre les relations dès les premiers jours de l'année 2006 sans l'avoir reçue personnellement ni lui en avoir exposé les raisons, ce qui constitue un comportement empreint de déloyauté de la part d'un partenaire contractuel.

La SA Dépêche Mag dans ses conclusions du 8 octobre 2008 demande la confirmation du jugement déféré avec octroi d'une indemnité de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle explique avoir entrepris en 2006 sa restructuration en particulier au niveau des services commerciaux, s'agissant en particulier d'intégrer les salariés de l'ancienne société Hima Media absorbée par voie de fusion, de sorte que l'intervention de Mme Chenevat en tant que prestataire extérieur est apparue inutile.

Elle indique avoir étudié la situation spécifique de l'intéressée à partir du dossier transmis par le dirigeant de la société MPS et s'être aperçue à partir de factures et documents commerciaux que des commissions lui avaient été versées à partir de 1995 seulement avec une forte baisse de chiffres d'affaires réalisé sur les quatre dernières années et une véritable dégringolade à partir de l'année 2003 ; il n'y avait aucune convention écrite et aucune exclusivité, ayant toujours disposé en son sein de personnel commercial salarié pour développer le nombre des abonnements et accords publicitaires, que l'activité parallèle de régie publicitaire exercée par ce prestataire lui permettait de travailler sans difficulté pour d'autres clients sur Toulouse et de se réorganiser rapidement et que dans un tel contexte un préavis de trois mois apparaissait parfaitement adapté aux circonstances.

Elle souligne que les relations n'ont duré que dix ans, de surcroît de façon discontinue, notamment en 2002, que l'activité de ce prestataire était réduite les dernières années puisque le chiffre d'affaires est passé entre 2001 à 2002 de 169 024 euro à 106 880 euro puis à 58 105 euro en 2003, 59 159 euro en 2004 et 73 486 euro en 2005 soit cette année là 1/4 seulement du chiffre d'affaires publicité et 6,5 % du chiffre d'affaires abonnements du donneur d'ordre, que ce changement à partir de 2001 coïncide avec l'arrivée de la Dépêche du Midi dans le capital social de la société MPS de sorte que dès cette date Mme Chenevat a entrepris de redéployer son activité auprès de nouveaux clients en travaillant beaucoup moins pour son compte.

Elle conclut au rejet de sa demande en principal aux motifs qu'un contrat à durée indéterminée peut être résilié à tout moment par l'un des co-contractants en raison du principe de la prohibition des engagements perpétuels et que la nature du contrat souscrit exclut qu'elle puisse revendiquer une indemnité de clientèle en fin de contrat.

Elle conclut de même sur la demande subsidiaire, le préavis de trois mois devant être entériné puisque validé implicitement par Mme Chenevat elle-même qui ne s'est nullement manifestée à réception du courrier de rupture mais a attendu deux mois pour réagir et contester initialement non pas la durée de son préavis mais le principe de la rupture sans octroi d'une indemnité de clientèle et dont l'entreprise a manifestement prospéré au-delà de la rupture.

Elle considère que la durée accordée est conforme aux usages applicables et fait référence à cet égard au contrats-type de régie publicitaire édités par le syndicat national des régies de publicité de presse qui non seulement éliminent toute notion d'indemnité de création de clientèle automatique mais sont toujours conclues pour une période déterminée renouvelable par tacite reconduction sauf manifestation de volonté contraire adressée au contractant quelques mois avant l'expiration de la période en cours.

Elle prétend que Mme Chenevat n'a pas participé à l'accroissement de son chiffre d'affaires de manière aussi intense qu'elle le laisse croire puisque s'il s'est établi durant la période de 1996 à 2005 à une moyenne de 100 000 euro HT par an, le sien s'est élevé à 730 307 euro pour 1999 et s'est accru d'année en année pour atteindre 931 630 euro en 2005, que sur les quatre dernières années celui de ce prestataire est passé à 74 407 euro et sur les trois dernières à 63 583 euro et ne peut être rattaché au fait que les abonnements ont lourdement chuté après la guerre du Golfe puisque son propre chiffres d'affaires de ce chef est passé à 491 369 euro en 2002 et à 452 985 euro en 2003 avant de revenir à 461 570 euro en 2004 et souligne qu'il en va de même du chiffres d'affaires publicité de l'intéressée qui a baissé de plus de moitié passant de 112 940 euro en 2001 à 65 256 euro en 2002 et 52 159 euro en 2003.

Elle ajoute que l'importance prétendue du chiffre d'affaires réalisé par Mme Chenevat avec elle, soit dans de premiers écrits 50 % puis 75 %, n'est nullement démontrée en l'absence de tout document exploitable alors qu'elle ne peut lui faire supporter des choix de gestion qui lui sont propres, pouvant aisément diversifier sa clientèle dans une ville de la taille de Toulouse, ce qu'elle avait commencé de faire au demeurant dès 2002, de sorte qu'elle n'a absolument pas souffert de la rupture objet du présent litige, d'autant que les prestations confiées se réduisaient à du démarchage téléphonique ou physique ne nécessitant aucun investissement.

Motifs de la décision

Sur la responsabilité encourue dans la rupture du contrat

La SA Dépêche Mag et Mme Chenevat étant liées par un contrat verbal à durée indéterminée, chacune des parties pouvait y mettre fin unilatéralement sans avoir à justifier d'un motif légitime, sous la seule réserve de l'abus de droit.

Aucune circonstance de la cause ne permet de retenir une quelconque faute de la SA Dépêche Mag dégénérant en abus dans l'exercice de son droit de rompre.

La lettre de résiliation du 5 janvier 2006 est motivée par " la réorganisation de ses activités et notamment de ses services commerciaux ", dont la réalité est établie par les différentes opérations de prise de participation, fusion-absorption entre diverses sociétés du secteur de la presse intervenues en 2000, 2004 et 2005.

Elle a été adressée à Mme Chenevat trois mois avant sa date de prise d'effet, de sorte que celle-ci en a été avisée à l'avance.

La demande d'indemnisation pour rupture abusive présentée par l'intéressée sur le fondement des articles 1134 et 1147 du Code civil doit, dès lors, être rejetée.

Aux termes de l'article 442-6 5° du Code de commerce engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait pour tout commerçant de rompre brutalement même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

La lettre de résiliation du 5 janvier 2006 a été notifiée avec effet au " 5 avril 2006 compte tenu du préavis d'usage en matière de contrats verbaux ".

Les parties sont en désaccord sur la durée de leurs relations d'affaires suivies et continues ayant pour objet la commercialisation d'une partie de la publicité et des abonnements du titre " Midi Presse Service. Le rendez-vous des décideurs ", la SA Dépêche Mag fixant leur point de départ à l'année 1995 et Mme Chenevat le situant en 1988.

Cette dernière date est uniquement étayée par la couverture de la revue Midi Presse Service de septembre, octobre et décembre 1991 qui mentionne sous les références "développement commercial Louis Bayssade, Béatrice Chenevat".

L'ancien PDG évoque dans une attestation du 12 janvier 2005 une activité régulière de prospection depuis 1998 mais ne mentionne dans la seconde du 4 janvier 2006 que le montant des chiffres d'affaires réalisé à compter de 1999.

Les attestations de deux employés Mme Marques du 17 janvier 2007 et M. Bayssade du 22 janvier 2007 indiquent que Mme Chenevat travaillait au sein de la société en qualité d'attachée commerciale mais sans aucunement préciser son statut ni donner une quelconque indication de volume d'activité.

Les seuls éléments comptables versés aux débats qui établissent le versement de commissions remontent pour les plus anciens à l'année 1995 seulement.

L'existence d'un véritable courant d'affaires n'est, ainsi, démontré qu'à compter de cette date.

En toute hypothèse, diverses données établissent que si l'activité exercée était en constante progression jusqu'en 2002, elle a considérablement chuté à compter de cette année là et que ce recul s'est accentué d'année en année jusqu'en 2005.

Le tableau dressé et certifié par le commissaire aux comptes le 22 janvier 2007 révèle que le chiffre d'affaires de Mme Chenevat a été en constante progression de 1997 à 2001 tant pour les abonnements (24 295 euro à 56 084 euro) que pour la publicité (66 505 euro à 112 940 euro) mais qu'il s'est ensuite effondré pour les abonnements passant de 41 624 euro en 2002 à 5 946 euro en 2003, 4 370 euro en 2004 et 4 101 euro en 2005 ; un même mouvement décroissant s'observe pour la publicité même s'il est plus limité puisque le chiffre d'affaires est passé de 65 256 euro en 2002 à 52 159 euro en 2003, 54 789 euro en 2004 et 69 385 euro en 2005.

Ainsi, toutes prestations confondues, le volume de chiffre d'affaires réalisé par ce prestataire était en progression constante de 1996 à 2001 (hormis l'année 1997) passant de 109 264 euro à 169 024 euro mais a décliné dès 2002 passant de 106 880 euro cette année là à 73 486 euro en 2005.

Par ailleurs, Mme Chenevat n'était pas contractuellement liée à titre exclusif à la SA Dépêche Mag ; cette société a toujours eu un service interne et des commerciaux salariés pour la commercialisation des abonnements et de la publicité et elle a elle-même travaillé pour d'autres clients, même si elle ne fournit que peu d'éléments objectifs à ce sujet, évoquant sans autre précision une activité perdue représentant dans ses premiers écrits 50 % de son chiffre d'affaires total puis dans ses écritures ultérieures 75 % et l'attestation de son expert comptable du 19 juin 2006 n'étant guère exploitable puisque donnant des chiffres d'affaires globaux, à cheval sur deux années, sans préciser la date d'arrêt de l'exercice.

"La fragilité qui sera celle de ma société à partir de la date de rupture indiquée" évoquée par Mme Chenevat dans sa lettre du 10 mars 2006 n'est aucunement étayée ; elle ne communique pas le moindre élément relatif à son chiffre d'affaires pour l'année 2006 ni dans les années suivantes.

Au vu de l'ensemble de ces données et en l'absence d'usages reconnus par des accords interprofessionnels, le préavis donné d'une durée de trois mois était suffisant pour permettre au co-contractant qui n'avait réalisé aucun investissement et n'entretenait qu'un courant d'affaires limité de réorienter ses activités ou de rechercher de nouveaux clients.

Le jugement déféré sera donc confirmé.

Sur les demandes annexes

Mme Chenevat qui succombe supportera donc la charge des dépens de première instance et d'appel; elle ne peut, de ce fait, bénéficier des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'équité ne commande pas de faire application de ce dernier texte au profit de la SA Dépêche Mag en cause d'appel, en complément de la somme déjà allouée de ce chef par les premiers juges, au égard à son montant et qui doit être parallèlement approuvée.

Par ces motifs, LA COUR, - Confirme le jugement déféré. Y ajoutant, - Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties. - Condamne Mme Béatrice Delattre épouse Chenevat aux entiers dépens. - Dit qu'ils seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile au profit de la SCP Dessart Sorel Dessart, avoués.