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Décisions

CA Dijon, ch. soc., 23 avril 2009, n° 08-00771

DIJON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

La Villette Hôtel (SNC)

Défendeur :

Louerat (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jeannoutot

Conseillers :

MM. Richard, Besson

Avocats :

Me Chevallier, Ravassard

Cons. prud'h. Dijon, du 15 sept. 2008

15 septembre 2008

Exposé de l'affaire

Par jugement du 15 septembre 2008, le Conseil des prud'hommes de Dijon, section encadrement, dans l'affaire opposant Monsieur Cyril Louerat à la SNC La Villette Hôtel a constaté l'existence d'un contrat de travail entre Monsieur Louerat et le groupe Villages Hôtel et plus particulièrement la SNC La Villette Hôtel puis s'est déclaré compétent pour statuer sur le fond du litige.

Par jugement du même jour dans l'affaire opposant Madame Claire Suteau épouse Louerat à la SNC La Villette Hôtel a constaté l'existence d'un contrat de travail entre Madame Louerat et le groupe Villages Hôtel et plus particulièrement la SNC La Villette Hôtel puis s'est déclaré compétent pour statuer sur le fond du litige.

Le 26 septembre 2008, la SNC La Villette Hôtel a formé un contredit motivé à l'encontre de chacun des jugements précités.

La société demanderesse au contredit expose que les époux Louerat-Suteau sont associés et cogérants d'une SARL Kanaghann, dont l'objet est des prestations de service en matière hôtelière, que par contrat du 1er octobre 2003, la SNC La Villette Hôtel a donné mandat à la SARL Kanaghann de diriger et exploiter un hôtel situé à 93300 Aubervilliers à l'enseigne "Villages Hôtel", que la convention de gérance-mandat conclue en l'espèce se distingue clairement du contrat de travail (Cass. soc. 6 juin 2007), que les défendeurs au contredit ne démontrent nullement avoir été liés à la SNC La Villette Hôtel par un contrat de travail caractérisé par les trois éléments indissociables que sont l'exercice d'une activité professionnelle, une rémunération et surtout un lien de subordination, que dans la convention précitée les époux Louerat-Suteau ont refusé d'opter pour le statut de salarié démontrant ainsi leur choix clair de conserver un statut commercial indépendant, que le chiffre d'affaire réalisé a conféré à la SARL Kanaghann une réelle autonomie sur le plan économique et qu'ils ont eux-mêmes procédé à des embauches de salariés, fixé eux-mêmes leur rémunération, sous-traité une partie de leur activité à des entreprises tierces ainsi que géré librement leurs absences.

Elle conclut à l'absence de preuve de l'existence d'un contrat de travail, à la réformation du jugement déféré à la cour, au renvoi de la procédure devant le tribunal de commerce et à la condamnation de chacun des époux Louerat-Suteau à lui payer une somme de 2 000 euro au titre des frais irrépétibles.

Monsieur Cyril Louerat répond que le jugement critiqué s'inscrit dans le cadre d'un mouvement jurisprudentiel requalifiant les conventions de gérance-mandat en contrats de travail eu égard à l'absence de marge de manœuvre dans l'organisation du travail des gérants de sociétés exploitant des hôtels, que la clause d'attribution de compétence (article 22 de la convention) est inapplicable, la compétence du conseil des prud'hommes étant d'ordre public, qu'il démontre par les pièces produites que lui-même et son épouse exécutent leur travail sous l'autorité d'un employeur, qui a toujours eu le pouvoir de leur donner des ordres ou directives (clauses de la convention de gérance-mandat, recueil dit "de savoir-faire", ...). d'en contrôler l'exécution (par la société Hôtels actions ou par un salarié du siège) et de sanctionner les manquements (clauses de la convention précitée, bible "Villages Hôtel", ...), ce qui caractérise un lien de subordination juridique selon la Cour de cassation (Soc. 10 mai 2006), qu'il existe d'autres contraintes imposées par l'employeur (lieu et horaires de travail, choix des remplaçants, commissions constituant un salaire déguisé) et qu'enfin l'article L. 146-1 du Code de commerce n'est pas applicable aux contrats conclus avant son entrée en vigueur.

Il conclut à l'existence d'un contrat de travail entre la SNC La Villette Hôtel et lui-même, à la compétence prud'homale en l'espèce, au renvoi de l'examen de l'affaire pour évoquer le fond et à la condamnation de la société précitée à lui payer une somme de 3 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Madame Claire Suteau épouse Louerat a présenté les mêmes observations ainsi que les mêmes demandes.

Lors des débats le 11 mars 2009 les parties ont repris oralement les moyens exposés dans leurs écritures respectives, auxquelles la cour se réfère.

Motifs de la décision

Sur la jonction des procédures

Attendu que les époux Louerat-Suteau, associés et co-gérants de la SARL Kanaghann, ont présenté une argumentation rigoureusement identique à l'encontre de la SNC La Villette Hôtel, qui a répliqué de manière similaire à l'encontre de chacun des défendeurs au contredit; qu'il est donc d'une bonne administration de la justice de joindre les procédures n° 08-00771 et n° 08-00772 conformément aux dispositions de l'article 367 du Code de procédure civile;

Sur la compétence de la juridiction prud'homale

Attendu que le 1er octobre 2003 la SNC La Villette Hôtel a signé un contrat de gérance-mandataire avec la SARL Kanaghann, représentée par ses deux co-gérants Monsieur Cyril Louerat et Madame Claire Suteau;

Que par cette convention la SNC La Villette Hôtel, franchisée de la SA SFIH, propriétaire d'un hôtel situé à 93300 Aubervilliers à l'enseigne "Villages Hôtel", a donné mandat à la SARL Kanaghann d'exploiter celui-ci "dans le respect:

- du contrat de franchise visé au paragraphe I de l'exposé qui précède,

- des normes d'exploitation de la chaîne "Villages" telles qu'exprimées dans le recueil de savoir-faire communiqué par le franchiseur à la société mandante et dont la société mandataire reçoit ce jour copie en dépôt ainsi que Monsieur Cyril Louerat et Madame Claire Suteau,

- la société mandataire accomplira ses missions avec l'autonomie que lui confère son statut devant favoriser la prise d'initiative dans le respect des normes d'exploitation gérance de l'homogénéité du concept Villages Hôtel...

Ladite société devra notamment :

- tenir régulièrement à jour tous registres et documents comptables, préparer et transmettre à la société mandataire tous les renseignements statistiques correspondant aux normes d'exploitation de la chaîne Villages Hôtel exprimées dans le recueil de savoir-faire..." ; que le 7 septembre 2005 les gérants de la SARL Kanaghann et la société demanderesse au contredit ont déclaré mettre fin à la convention du 1er octobre 2003 ;

Attendu que la clause de compétence (article 14 de la convention) ainsi rédigée : " tous litiges auxquels la présente convention pourrait donner lieu, notamment sa validité, son interprétation, son exécution, sa résiliation seront soumis au Tribunal de commerce de Dijon", ne peut régler les relations entre les parties, si les dispositions d'ordre public du Code du travail relatives à la compétence du Conseil des prud'hommes s'appliquent, ce qu'il appartient aux juridictions sociales de dire;

Attendu que la convention du 1er octobre 2003 (article 15) dispose pour la SARL Kanaghann que "le droit d'occuper les locaux cessera de plein droit sans préavis... si Monsieur Cyril Louerat et Madame Claire Louerat, co-gérants, cessent pour quelque raison que ce soit, de participer à l'exploitation de la société mandataire..." que cette dernière, qui n'a pas d'autres locaux, que ceux appartenant à la SNC La Villette Hôtel, n'a pas d'autre activité que la gérance, la direction et l'exploitation de l'hôtel situé à 93300 Aubervilliers sous l'enseigne "Villages" (l'article 5 de la convention du 1er octobre 2003 prévoyant un exercice exclusif);

Attendu que par application de l'article 12 de la convention susmentionnée le départ des époux Louerat-Suteau entraînerait la résiliation de cette convention de gérance-mandat, peu importe qu'il ait été prévu tout pouvoir d'agrément à la SNC La Villette Hôtel à un éventuel successeur;

Attendu en outre que l'article 3 de la convention mentionnée plus haut prévoit que "la société mandataire (SARL Kanaghann) devra assurer pour le compte de la société mandante (la SNC La Villette Hôtel) l'exploitation de l'hôtel de ce dernier (reprise d'une rédaction antérieure, où la SNC La Villette Hôtel est dénommée le franchisé) dans le respect:

- du contrat de franchise visé au paragraphe I de l'exposé qui précède,

- des normes d'exploitation de la chaine "Villages" telles qu'exprimées dans le recueil de savoir-faire communiqué par le franchiseur à la société mandante et dont la société mandataire reçoit ce jour copie en dépôt ainsi que Monsieur Cyril Louerat et Madame Claire Suteau...";

Attendu que dans ces circonstances il est remis aux directeurs d'hôtels, qui ont suivi auparavant un stage de formation organisé par la SA SFIH un recueil de soixante trois pages particulièrement détaillé, la "bible Villages Hôtel", répertoriant non seulement les normes habituelles de la franchise mais détaillant à chaque instant de la journée les tâches incombant aux co-gérants ;

Attendu notamment qu'il y est prévu que les cogérants doivent faire payer toute chambre "avant son utilisation et donner lieu à l'édition d'une facture, sauf avis dûment signé du siège vous autorisant à passer cette facture au débiteur" et qu'il est interdit à ceux-ci " de proposer gratuitement à titre de dédommagement une chambre même à un habitué, qui n'aurait pas utilisé sa chambre lors d'un précédent séjour...";

Attendu que le chapitre 2 de cette " bible " prévoit également que "durant ces plages horaires (tous les jours de 6h30 à 12h00 et de 17h00 à 22h00) la présence des gérants à la réception ou en salle petit-déjeuner est indispensable et obligatoire" ; que des stipulations particulièrement strictes concernent la présentation des gérants, dont "il convient donc de soigner particulièrement:

- la coiffure,

- le rasage (Monsieur),

- le maquillage (Madame),

- pas de jean's,

- port de la cravate obligatoire,

- port obligatoire du badge "Villages Hôtel à votre service" pour vous et votre assistant(e)" ;

Que ces mêmes dispositions organisent les absences :

- "information du siège au plus tard douze heures avant le départ par télécopie,

- remplaçants accrédités par le siège au plus tard vingt-six heures avant le départ ou connus...";

Attendu que le chapitre 3 de ce même règlement prévoit que " le gérant est tenu de répondre au téléphone chaque jour de la semaine de 6h30 à 22h00 ", que les co-gérants doivent informer le siège en cas de réservation d'un groupe ou d'un tour-opérator ne pouvant dans ce cas leur offrir un tarif particulier et la gratuité de chambre (pour le guide ou le chauffeur) sauf accord du siège, qu'en ce qui concerne les réservations faites par les entreprises tout contrat signé avec une entreprise doit être obligatoirement être rédigé sur le modèle du contrat-type de la chaîne et soumis au préalable à l'approbation du gestionnaire":

Que pour ce qui est du paiement des chambres, perçu par les gérants, il est effectivement encaissé sur le compte de la SNC La Villette Hôtel, " tout chèque impayé pour raison de vol et qui n'a pas fait l'objet de contrôle d'identité sera déduit de la commission du mois " et qu'enfin "il est interdit aux gérants de l'hôtel d'utiliser une chambre de l'hôtel à des fins personnelles";

Attendu que le chapitre 4 de la même " bible " réglemente de manière particulièrement détaillée (trois pages) et stricte le dressage du buffet et le déroulement du service du petit-déjeuner, les gérants devant en outre respecter la condition impérative suivante : " exiger le pré-paiement " et "éditer la facture" ; que le chapitre suivant (5) détermine avec le même luxe de détails et d'instructions obligatoires le nettoyage et l'entretien de l'hôtel, spécialement des chambres;

Attendu que la SNC La Villette Hôtel a également le pouvoir de sanctionner financièrement les co-gérants en cas d'impayé ou de tout autre manquement à la "bible" par la déduction d'un chèque impayé ou du prix dune chambre et même par la résolution de la convention (articles 21-1 et 13-1);

Attendu qu'ainsi l'examen des clauses des contrats ainsi que les conditions effectives d'exercice de leurs fonctions par les époux Cyril Louerat-Claire Suteau démontrent que les co-gérants étaient soumis à des obligations spécialement permanentes, précises et détaillées ; que dans l'organisation de leur travail les défendeurs au contredit ne disposaient d'aucune marge de manœuvre eu égard aux directives de la SA SFIH et de la SNC La Villette Hôtel:

Attendu enfin que les co-gérants se trouvaient en état de dépendante économique à l'égard de ces deux sociétés, qui en application de l'article 10 de la convention précitée organise la manière, dont les résultats de la SARL Kanaghann devaient être affectés;

Qu'en réalité c'est la SNC La Villette Hôtel, qui versait un salaire déguisé aux époux Louerat-Suteau, ceux-ci ne percevant pas le prix des prestations qu'ils réalisaient, celui-ci étant versé directement sur le compte bancaire des sociétés mentionnées plus haut;

Attendu que l'article L. 146-1 du Code du commerce n'est pas applicable en l'espèce s'agissant d'une convention conclue antérieurement à la promulgation de la loi du 2 août 2005;

Attendu qu'en conséquence en l'absence de tout élément d'autonomie, qui permettrait de retenir la qualité de gérant, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres éléments évoques par les défendeurs au contredit, il convient compte tenu d'une situation de subordination caractérisant l'existence d'un contrat de travail, le montage juridique analysé n'ayant d'autre objet que d'éluder la législation sociale applicable aux travailleurs salariés, de confirmer les jugements entrepris en ce qu'ils ont exactement considéré qu'il existait un contrat de travail entre la SNC La Villette Hôtel d'une part et les époux Louerat-Suteau d'autre part;

Attendu que l'affaire devant être jugée au fond dans un délai raisonnable la saisine du Conseil de prud'hommes de Dijon remontant à décembre 2006), l'affaire sera renvoyée à une audience ultérieure de la cour, qui par application de l'article 568 du Code de procédure civile en ordonne l'évocation;

Attendu qu'une somme de 1 800 euro sera accordée aux défendeurs contredit en application de l'article 700 du même Code; que la SNC La Villette Hôtel, qui succombe, ne saurait bénéficier de dispositions et sera condamnée aux dépens ;

Par ces motifs, LA COUR, Ordonne la jonction des procédures numéros 08-00771 et 08-00772, Confirme les jugements déférés, Ajoutant, Ordonne l'évocation desdites procédures et renvoie leur examen à l'audience jeudi 19 novembre 2009 à 13h45, salle B, Dit que la notification aux parties du présent arrêt vaut convocation, Condamne la SNC La Villette Hôtel à payer aux époux Louerat-Suteau une somme de 1 800 euro au titre des frais irrépétibles, Condamne la même aux dépens devant la cour.