CA Caen, 1re ch. civ. et com., 15 janvier 2009, n° 07-03687
CAEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Batard (Epoux)
Défendeur :
Prodim (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Calle
Conseillers :
Mmes Boissel Dombreval, Vallansan
Avoués :
SCP Mosquet Mialon d'Oliveira Leconte, SCP Parrot Lechevallier Rousseau
Avocats :
SCP Brouard & Associés, SCP Bednarski-Charlet, Associés
Un contrat de franchise Shopi a été conclu le 8 mars 1994 entre la société Prodim franchiseur et M. et Mme Batard, franchisés.
Ce contrat stipulait qu'il était d'une durée de sept ans assortie d'une clause de tacite reconduction par période de trois ans.
Ce même contrat comportait une clause compromissoire.
Par lettre recommandée du 30 juillet 1999, M. Batard a pris l'initiative de demander la rupture anticipée du contrat au 31 août 1999 et a désigné son arbitre.
Il reprochait entre autres griefs à Prodim de lui refuser l'enseigne "Shopi Nouveau concept" et de lui proposer en lieu et place l'enseigne 8 à Huit.
Par courrier recommandé du 16 août 1999, Prodim a confirmé sa volonté de voir le contrat de franchise se poursuivre jusqu'à son terme.
Les parties ont alors soumis le litige à un tribunal arbitral.
Aux termes d'une sentence avant dire droit du 25 janvier 2002, le tribunal a rejeté la demande d'expertise sollicitée par les époux Batard, a ordonné la communication de pièces et a fixé un calendrier de procédure.
Prodim a demandé au tribunal de constater la rupture unilatérale et abusive du contrat de franchise par les époux Batard et a sollicité des dommages et intérêts :
- au titre de la rupture abusive,
- au titre du trouble commercial,
- au titre des cotisations de franchise demeurées impayées,
- en application de la clause de non-affiliation.
Les demandeurs n'ont pas déposé de mémoire ni de pièces.
Une demande de sursis à statuer a été présentée par les époux Batard.
Aux termes de sa sentence en date du 10 juin 2002, le tribunal arbitral a déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer, a constaté que les époux Batard n'ont déposé aucun mémoire ni aucune pièce pour soutenir leurs demandes au fond, les a déboutés de leurs demandes, et statuant sur les demandes reconventionnelles de la société Prodim, a déclaré abusive la rupture du contrat de franchise par les époux Batard et les a condamnés à payer à Prodim:
- la somme de 22 500 euro au titre de la rupture abusive du contrat de franchise,
- la somme de 38 000 euro à titre de dommages et intérêts du chef du trouble commercial subi,
- la somme de 4 229,35 euro au titre des cotisations de franchise demeurées impayées,
- la somme de 70 000 euro à titre de dommages et intérêts du chef de l'apposition de l'enseigne Coccinelle en violation des termes du contrat de franchise,
- celle de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le 26 juillet 2002, les époux Batard ont formé contre cette décision un recours en annulation.
Prodim a formé une requête en exequatur le 5 août 2002.
Le conseiller de la mise en état a débouté Prodim de sa demande d'exequatur par ordonnance du 15 octobre 2002.
Par arrêt du 26 février 2004, la cour a joint ces deux instances, infirmé l'ordonnance en ce qu'elle a entièrement refusé l'exequatur, annulé la sentence arbitrale du 17 juillet 2002 seulement en ce qu'elle a condamné les époux Batard à payer à la SAS Prodim les sommes de 20 000 euro, 38 000 euro et 70 000 euro, ordonné l'exequatur de cette sentence en ses autres dispositions, ordonné la réouverture des débats sur les points annulés, dit n'y avoir lieu à sursis à statuer et invité les parties à conclure sur l'existence et le montant d'un préjudice procédural non réparé par l'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, d'un préjudice commercial non réparé par la clause pénale, la validité de la clause de non-réaffiliation, l'existence et le montant d'un préjudice résultant de la violation de celle-ci.
Prodim a conclu le 17 septembre 2004.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 janvier 2005 sans que les époux Batard n'aient conclu.
Ils ont sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture qui leur a été refusée par ordonnance du 1er mars 2005.
Les époux Batard ont alors conclu à l'annulation de l'ordonnance de clôture.
Par arrêt du 19 mai 2005, la cour a annulé l'ordonnance de clôture et a rouvert les débats.
Les époux Batard ont conclu le 30 juin 2005.
Prodim a déposé des conclusions le 28 juin 2005.
Par arrêt du 29 septembre 2005, la cour a déclaré nulle la clause de réaffiliation insérée dans le contrat de franchise et a débouté Prodim de ses demandes.
Prodim a formé des pourvois en cassation à l'encontre des arrêts rendus les 19 mai et 29 septembre 2005.
Par arrêt du 23 octobre 2007, la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 19 mai 2005, a remis en conséquence les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et a renvoyé devant cette cour autrement composée.
Par un second arrêt du même jour, la Cour de cassation a constaté en application de l'article 625 du Code de procédure civile l'annulation par voie de conséquence de l'arrêt du 29 septembre 2005.
Prodim a procédé à une déclaration de reprise d'instance en date du 22 novembre 2007.
Elle a fait signifier aux époux Batard par acte du 4 février 2008 copie de la déclaration de reprise d'instance et copie des conclusions déposées par elle le 16 septembre 2004 en invoquant le bénéfice de l'ordonnance de clôture rendue le 24 janvier 2005 et en se prévalant de l'irrecevabilité des conclusions déposées postérieurement à cette ordonnance de clôture.
Lors de l'instruction devant la cour de renvoi, Prodim a déposé des conclusions récapitulatives le 13 novembre 2008.
M. et Mme Batard ont déposé des conclusions récapitulatives le 12 novembre 2008.
C'est en état que l'affaire revient devant la cour. Le débat porte :
- sur les conséquences de la cassation,
Prodim soutenant que du fait de la cassation, l'ordonnance de clôture du 24 janvier 2005 a retrouvé tous ses effets et les époux Batard soutenant qu'elle se trouve anéantie et que les parties se retrouvent en l'état de l'arrêt rendu le 26 février 2004,
- à titre subsidiaire sur la révocation de l'ordonnance de clôture,
- sur la validité de la clause de réaffiliation au regard du droit interne et du droit communautaire,
- sur les demandes de dommages et intérêts.
Sur les effets de la cassation
La Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 19 mai 2005 par cette cour qui, pour déclarer recevables les conclusions prises par les époux Batard postérieurement à l'ordonnance de clôture rendue le 24 janvier 2005, avait annulé cette ordonnance.
La cassation a été prononcée au visa notamment des articles 537, 782, 784 et 910 du Code de procédure civile, au motif qu'une ordonnance de clôture est insusceptible de recours par voie d'appel-nullité.
C'est à juste titre que Prodim soutient que par l'effet de la cassation l'ordonnance de clôture du 24 janvier 2005 a retrouvé son plein effet
L'arrêt de cette cour du 19 mai 2005 ne statuait que sur la seule question de l'annulation de l'ordonnance de clôture dont l'avaient saisie les époux Batard par conclusions du 7 avril 2005, Prodim soutenant quant à elle qu'aucune révocation de clôture ne pouvait plus être réclamée, au vu des rejets déjà intervenus, et indiquant que la demande d'annulation n'était pas recevable.
Aux termes de son arrêt en date du 23 octobre 2007, la Cour de cassation remet la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant l'arrêt cassé.
L'arrêt cassé, statuant sur un strict problème de procédure et non au fond, la cassation de l'arrêt annulant l'ordonnance de clôture ne peut avoir pour effet que de redonner toute sa force à l'ordonnance rendue le 24 janvier 2005.
Les époux Batard ne sauraient utilement soutenir que la cour serait tenue de statuer au vu des dernières conclusions échangées entre les parties au motif que les conclusions antérieures sont réputées abandonnées alors que Prodim a maintenu tout au long de la procédure ce moyen soulevé dès la déclaration de reprise d'instance.
Sur la révocation de l'ordonnance de clôture
A titre subsidiaire, les époux Batard sollicitent la révocation de l'ordonnance de clôture sur le fondement de l'article 784 du Code de procédure civile.
La révocation ne peut intervenir que sur justification d'un motif grave.
Le seul temps passé depuis l'intervention de cette ordonnance ne saurait constituer un juste motif de révocation.
Ensuite de l'arrêt du 26 février 2004, qui invitait les parties à conclure sur l'existence et le montant d'un préjudice procédural, d'un préjudice commercial et sur la validité de la clause de non-réaffiliation, l'affaire a été appelée aux conférences de mise en état du 21 avril 2004 et du 15 septembre 2004.
Prodim a déposé ses conclusions le 17 septembre 2004.
Un avis d'audience précisant que l'affaire était fixée à l'audience du 22 mars 2005 et que ta clôture serait rendue le 24 janvier 2005 a été diffusé aux parties le 3 novembre 2004.
Les époux Batard disposaient d'un délai suffisant pour conclure. Ils n'ont pas fait état avant que l'ordonnance ne soit rendue de circonstances qui les auraient empêchés de conclure dans le délai imparti.
Si les époux Batard n'ont pas reçu d'injonction de conclure du conseiller de la mise en état, ils étaient suffisamment avertis de la nécessité de conclure d'une part par le dispositif de l'arrêt du 26 février 2004 et d'autre part par l'avis d'audience.
Le fait que des décisions aient été rendues depuis dans un litige parallèle opposant Logidis aux époux Batard ou que le Conseil de la concurrence ait été saisi à la requête du Syndicat de l'Epicerie d'une procédure visant Carrefour pour des faits d'atteinte à la concurrence n'est pas non plus constitutif d'un motif grave justifiant la révocation de la clôture, ces procédures n'étant pas de nature à avoir une incidence sur le litige dont est saisi la cour.
Dans ces conditions, il ne saurait y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture.
Les conclusions prises postérieurement à l'ordonnance du 24 janvier 2005 sont donc irrecevables et la cour statuera en conséquence au vu des conclusions déposées par Prodim le 17 septembre 2004 et par les époux Batard le 23 novembre 2003, ainsi qu'au vu des pièces communiquées avant cette date.
La saisine de la cour est déterminée par l'arrêt du 26 février 2004.
Il convient donc d'examiner les seuls points annulés par la cour dans cet arrêt concernant la condamnation des époux Batard au paiement des sommes de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, de 35 000 euro à titre de dommages et intérêts pour trouble commercial et de 70 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la violation de la clause de non-réaffiliation.
S'agissant de la demande de dommages et intérêts pour violation de la clause de non-réaffiliation, la cour a invité les parties à s'expliquer sur la validité de cette clause.
Sur la validité de la clause de réaffiliation
Dans leurs écritures du 23 novembre 2003, les époux Batard soutiennent que cette clause ne respecte pas les dispositions d'ordre public nationales et communautaires, que notamment elle ne remplit pas la condition de protection de savoir-faire mais tend à la protection d'un territoire ce qui constitue une véritable entrave à la concurrence, le savoir-faire ne pouvant être protégé que s'il est substantiel et non s'il est devenu accessible.
Prodim soutient que cette clause ne tend qu'à restreindre partiellement et à court terme le champ d'activité de l'ex-franchisé ; qu'elle est limitée dans le temps et donc l'espace, qu'elle tend à protéger les intérêts légitimes du franchiseur tenant à la protection de son réseau de franchise et à celle de son savoir-faire.
Elle indique que cette clause est parfaitement valable tant au regard du droit interne que du droit communautaire mais que dans le cas d'espèce, ladite clause n'est pas soumise à l'application du droit communautaire, le réseau de franchise Shopi restant exclusivement français et n'affectant pas le commerce entre les Etats membres.
Aux termes de l'article 6 du contrat de franchise signé le 8 mars 1994 entre les parties, le franchisé s'oblige, en cas de rupture de la convention avant son terme, à ne pas utiliser directement ou indirectement, personnellement ou par personne interposée, en société ou autrement, durant une période d'un an à compter de la date de résiliation du contrat, une enseigne de renommée nationale ou régionale déposée ou non et à ne pas offrir en vente des marchandises dont les marques sont liées à ces enseignes (marques propres) dans un rayon de cinq kilomètres du magasin Shopi faisant l'objet de l'accord.
Une telle clause s'analyse en une clause de non-concurrence en ce qu'elle restreint la possibilité de l'ex-franchisé de poursuivre son activité dans les mêmes conditions avec une enseigne concurrente.
Il est constant que pour être valable une clause de non-concurrence ne doit pas porter une atteinte trop grande à la liberté du débiteur.
Elle doit donc être limitée dans le temps et dans l'espace, ne pas interdire à l'ancien franchisé de continuer à exercer normalement son activité professionnelle, être justifiée par un intérêt légitime et être limitée à ce qui est indispensable à la sauvegarde des intérêts légitimes du franchiseur.
En l'espèce, si la clause est limitée dans le temps et dans l'espace, les époux Batard contestent depuis l'origine de la procédure d'arbitrage la transmission d'un savoir-faire original par son cocontractant.
Or, seule la protection d'un savoir-faire substantiel ou la protection du réseau peut être constitutif de l'intérêt légitime dont peut se prévaloir le franchiseur pour imposer des restrictions à la liberté du commerce de son franchisé.
En l'espèce Prodim, sur qui pèse la charge de la preuve, ne produit aucune pièce de nature à justifier de la transmission d'un savoir-faire substantiel identifié et secret qui lui soit propre et ne soit pas aisément accessible.
La seule affirmation de l'existence d'un savoir-faire dont la description n'est même pas indiquée ne saurait suffire à établir l'existence et la transmission aux époux Batard d'un savoir-faire spécifique distinct de la seule transmission de l'expérience de gestion du franchiseur ou de la formation aux techniques commerciales qui relèvent d'un savoir-faire banal et ne s'auraient justifier la clause restrictive de concurrence.
La protection du réseau de franchiseur ne peut être légitime que s'il tend à préserver un savoir-faire original.
En outre, la clause ne peut avoir pour finalité le maintien d'un point de vente et la cohérence du réseau dès lors qu'à la fin du contrat le franchisé retrouve toute sa liberté et que la reconstitution du réseau local peut être faite indépendamment de la clause de non-réaffiliation.
Il apparaît par ailleurs qu'un commerce de la taille de celui exploité par M. et Mme Batard dans un petit chef-lieu de canton de l'Oise n'a d'espoir de pérenniser une exploitation économiquement viable qu'en ayant recours à un approvisionnement en provenance d'un réseau ou d'une centrale d'achat permettant du fait du regroupement l'accès à des prix compétitifs.
Faute de disposer de produits que seule une enseigne de renommée régionale ou nationale est susceptible de lui fournir l'ancien franchisé ne peut espérer poursuivre son exploitation dans des conditions normales.
Il apparaît ainsi qu'en l'absence de démonstration de ce qu'elle tendrait à la protection d'un savoir-faire original, et à la cohérence du réseau, la clause de non-réaffiliation n'a en fait pour but que de dissuader les franchisés, par une sanction dépassant la réparation du préjudice du franchiseur prévue par la clause pénale, de résilier le contrat par anticipation, et de rendre plus difficile la pénétration du marché par les enseignes concurrentes.
Elle n'a pas ainsi pour objet de protéger un intérêt légitime du franchiseur.
Elle est en outre disproportionnée par rapport à son objectif dès lors qu'elle fait perdre de façon quasi-certaine toute possibilité de survie à ce type de petit commerce.
Elle constitue ainsi une atteinte illégitime au libre jeu de la concurrence et doit être déclarée nulle.
Par les motifs ci-dessus exposés, Prodim ne peut donc tant en droit qu'en équité prétendre à des dommages et intérêts de ce chef.
Sur les autres demandes de dommages et intérêts
S'agissant de la demande de dommages et intérêts pour trouble commercial, Prodim ne fait pas la démonstration d'un préjudice distinct de celui qui est réparé au titre de la clause pénale pour rupture abusive du contrat, la perte du point de vente Shopi résulte en effet de la rupture du contrat qui n'aurait pas été elle-même fautive si elle avait eu lieu à terme, les époux Batard étant libres en fin de contrat de ne pas maintenir l'enseigne.
En outre, elle ne démontre pas en quoi la rupture anticipée du contrat aurait entraîné une perte d'image de marque auprès de la clientèle.
S'agissant de la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, Prodim ne fait pas la démonstration de ce que, dans le cadre de la procédure arbitrale, les époux Batard lui auraient causé par leur mauvaise foi un préjudice procédural distinct de celui qui est réparé au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; en toute hypothèse, la cour ayant fait partiellement droit au recours en annulation de la sentence arbitrale, cela exclut le caractère abusif de la résistance des époux Batard.
En équité, les parties conserveront chacune à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'elles ont exposés devant la cour.
Prodim succombant pour l'essentiel, les dépens de la procédure postérieurs à l'arrêt du 26 février 2004 seront mis à sa charge.
Par ces motifs, LA COUR, - Déboute la SAS Prodim de ses demandes; - Déboute M. et Mme Batard de leur demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile; - Condamne la SAS Prodim aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.