ADLC, 29 juillet 2009, n° 09-D-25
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à des pratiques d'entreprises spécialisées dans les travaux de voies ferrées
L'Autorité de la concurrence,
Vu la lettre enregistrée le 1er juin 2005, sous le numéro 05/0038 F, par laquelle le ministre de l'économie des finances et de l'industrie a saisi le Conseil de la Concurrence de pratiques mises en œuvre par des entreprises spécialisées dans les travaux de voies ferrées ; Vu les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 ; Vu la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ; Vu l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence, et notamment son article 5 ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par les sociétés Atlantique Voies Ferrées-Travaux Publics (AVF-TP), Entreprise Spécialisée en Activité Ferroviaire (ESAF), Gaujacoise de Voies Ferrées-Travaux Publics (GVF-TP), Sodesam, Colas Rail, R. Vecchietti, Européenne de Travaux Ferroviaires (ETF), Champenoise de travaux publics et de voies ferrées, TSO, Olichon, Entreprise Pichenot Bouillé, Travaux Publics et Ferroviaires (TPF), Entreprise P. Fourchard et R. Renard, SAS Meccoli, les établissements Offroy, Egénie, Ferroviaire de France (FDF) et Dijonnaise de Voies ferrées (DVF) et par le commissaire du Gouvernement; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les sociétés AVF-TP, Entreprise Spécialisée en Activité Ferroviaire (ESAF), Gaujacoise de Voies Ferrées-Travaux Publics (GVF-TP), Sodesam, Colas Rail, R. Vecchietti, Européenne de Travaux Ferroviaires (ETF), Champenoise de travaux publics et de voies ferrées, TSO, Olichon, Pichenot Bouillé, Travaux Publics et Ferroviaires (TPF), Entreprise P. Fourchard et R. Renard, SAS Meccoli, les établissements Offroy, Egénie entendus lors de la séance du 28 avril 2009, et les sociétés Ferroviaire de France (FDF) et Dijonnaise de Voies ferrées (DVF) ayant été régulièrement convoquées ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LE SECTEUR DE LA POSE ET DE L'ENTRETIEN DES VOIES FERREES
1. Le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence, après une enquête réalisée par la DNECCRF, de pratiques mises en œuvre par des entreprises de travaux ferroviaires dans le secteur de la régénération de voies ferrées.
1. LES TRAVAUX DE VOIES FERREES
a) La nature des travaux
2. Les travaux de régénération de voies ferrées sont des travaux de maintenance lourde qui comportent soit des travaux de renouvellement (pose) de voies, soit des travaux d'entretien consistant à redresser le ballast, à remplacer des embranchements, des traverses et des aiguillages défectueux.
3. Il faut distinguer les travaux dits de "suite rapide" et les travaux dits "hors suites". Les premiers correspondent à des chantiers à haut rendement qui permettent la réalisation de tronçons d'environ 800 mètres par jour et nécessitent l'utilisation d'un engin spécifique, le TSV, ainsi que la mise à disposition de moyens humains significatifs (plus de 200 personnes par chantier). Ces travaux sont encadrés par des marchés d'une durée comprise entre un à cinq ans. En revanche, les travaux dits "hors suites" concernés par la présente décision peuvent être réalisés avec les engins habituels (bourreuses, dégarnisseuses...), nécessitent des équipes moins nombreuses (généralement moins de 100 personnes par chantier) et donnent lieu à la signature de contrats dont la durée s'étale de quelques semaines à quelques mois.
b) La demande
4. Si Réseau Ferré de France (ci-après RFF), établissement public créé par la loi du 13 février 1997, est propriétaire de la quasi-totalité du réseau public de chemins de fer français (depuis 1998), il appartient à la Société Nationale des Chemins de Fer français (ci-après SNCF) d'assurer l'entretien des installations de ce réseau pour le compte de RFF en vertu d'une convention du 14 janvier 1999 par laquelle les fonctions de maîtrise d'ouvrage et de maîtrise d'œuvre lui ont été déléguées.
5. Le budget consacré à la régénération des voies ferrées s'est élevé entre 2002 et 2005 à 750 millions d'euro par an sur lequel ont été financés les marchés de travaux mais aussi les frais de fonctionnement de la SNCF. Plus spécifiquement, le budget consacré aux appels d'offres nationaux dits "hors suites", s'est élevé à 41 millions d'euro pour 2002, à 53 millions d'euro pour 2003 et à 62 millions d'euro pour 2004.
6. Ni RFF, ni la SNCF ne sont soumise au Code des marchés publics. A la date des marchés concernés, les textes applicables étaient notamment la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite loi Sapin et la directive européenne dite "transport" du 14 juin 1993 (n° 93-98). Par ailleurs, RFF a établi un règlement général des marchés, en vigueur à la date des marchés concernés, qui édictait des règles similaires à celles du Code des marchés publics.
7. La procédure d'appel d'offres se fait en deux phases : une phase de qualification qui fait l'objet de la publication d'un avis au journal officiel de l'Union Européenne (JOUE), puis une phase d'appel d'offres. Ne peuvent en effet participer à un appel d'offres de la SNCF que les entreprises qui ont été qualifiées. Cette qualification est obtenue à la suite d'une enquête financière et technique.
8. Ce système de qualification, destiné à s'assurer de la conformité de l'offre aux attentes du client en matière de compétences et de sécurité, ne favorise pas l'entrée de nouvelles entreprises sur le marché, qu'elles soient françaises ou étrangères. Ainsi, si la concurrence européenne est présente au niveau des travaux de "suite rapide", elle est peu développée sur le marché "hors suites". Sur la période 2001-2004 une seule entreprise étrangère a soumissionné pour un appel d'offres national "hors suites" : la société allemande Heitkamp. Elle a d'ailleurs remporté le lot pour lequel elle avait fait une proposition.
2. LES SOUMISSIONNAIRES AUX APPELS D'OFFRES DES MARCHES DE RFF
a) L'offre
9. Dans ce secteur coexistent de très petites entreprises, comme la Gaujacoise de Voies Ferrées (GVF-TP) ou l'Atlantique Voies-Ferrées-Travaux Publics (AVF-TP), et des sociétés comme Européenne de Travaux Ferroviaires (ETF), Séco Rail ou TSO, dont les chiffres d'affaires s'élevaient en 2004 à plusieurs dizaines de millions d'euro. Cinq sociétés sont d'envergure nationale : Séco Rail, ETF, Amec Spie Rail, TSO et Vossloh Infrastructures Services.
10. Un mouvement de concentration s'est produit au début des années 1980, époque à laquelle il existait environ une soixantaine de sociétés intervenant sur ce secteur, alors qu'elles ne sont plus qu'une quarantaine aujourd'hui. Ce mouvement qui s'explique par la nécessité d'effectuer des investissements importants en matériel lourd s'est poursuivi et renforcé, comme en témoigne l'acquisition en 2007 de la société Spie Rail par la société Colas.
11. Parallèlement, depuis quelques années sont apparues des nouvelles petites structures comme Egénie (créée en 2002), Entreprise spécialisée en activité ferroviaire ESAF (créée en 2000), Ferroviaires de France FDF (créée en 2003). De 1999 à 2007, le Syndicat des entrepreneurs de travaux de voies ferrées de France (SETVF) a vu le nombre de ses adhérents passer de 22 à 33. Ces créations de sociétés nouvelles sont souvent le fait d'anciens salariés du secteur. Par exemple, M. José X... qui a créé ESAF en 2000, travaillait auparavant pour ETF et son frère Jean-Baptiste était en 2004 directeur d'agence chez Séco-Rail. S'agissant de la société FDF, elle est dirigée par M. Bertrand Y..., alors que M. Olivier Y... est président de DVF et que M. Guy Y... était en 2004 directeur général délégué de ETF. Quant à la société Egénie, elle a, lors de sa création, racheté la société Sud Forage, société ayant déjà travaillé dans le secteur de la régénération de voies ferrées.
12. De manière générale, le secteur est caractérisé par l'existence de nombreuses interdépendances entre les entreprises qui revêtent des formes différentes et sont constituées soit par des liens financiers et/ou de personnes, soit par des groupements ou des relations de sous-traitance, soit enfin par d'autres types de relations commerciales.
13. Outre les liens familiaux ci-dessus rappelés entre entreprises "concurrentes", il faut mentionner qu'à la date des faits constatés, M. Joël Z... était président directeur général de l'entreprise Pichenot Bouillé et de l'entreprise TPF (Travaux Publics et Ferroviaires), ces deux sociétés ayant le même PDG et siège social, qu'ETF avait pour filiale Champenoise (99 %) et pour actionnaire Amec Spie Rail (FR) (50 %) et qu'ESAF avait pour filiale Sodesam (70 %).
14. Par ailleurs, dans ce secteur, les entreprises ont l'habitude de se grouper. C'est le cas, par exemple, des entreprises R. Vecchietti et Meccoli. Les relations de sous-traitance sont également importantes. Enfin, ces entreprises sont également conduites à collaborer entre elles dans le cadre de la gestion du matériel. La principale tâche des dirigeants de ce secteur consiste à établir des planning et à répartir leurs ressources en fonction de leur charge de travail. Lorsqu'il manque à l'une d'entre elles du matériel, elle peut être conduite à le louer.
b) Les chiffres du secteur
15. S'agissant des travaux hors suites, il faut noter que sur la période 2002-2004, plus des 3/4 des marchés nationaux "hors suites" ont été attribués à 6 entreprises : ETF, TSO, Séco Rail, Meccoli, R.Vecchietti et Pichenot Bouillé. Une quinzaine de petites entreprises obtiennent alternativement les chantiers restants et notamment les sociétés ESAF, Champenoise et Sodesam. Ces données issues des résultats d'appel d'offres fournies par la SNCF ne permettent toutefois pas de prendre en compte les indications relatives à la sous-traitance.
16. Par ailleurs, il est difficile d'évaluer les parts de marché de chaque entreprise sur le marché de la régénération des voies ferrées car de nombreuses entreprises ont des activités parallèles ou travaillent pour des entreprises privées (en réalisant des embranchements particuliers). Les graphiques suivants sont établis à partir des chiffres donnés par le Syndicat des entreprises de travaux de voies ferrées (SETVF). Or, ces chiffres d'affaires englobent tous les travaux de voies ferrées, sur lesquels sont calculées les cotisations. En outre, une dizaine de petites entreprises ne sont pas adhérentes au SETVF.
<emplacement tableau>
17. Ce graphique qui porte sur les entreprises directement concernées par les deux appels d'offres "hors suites" de l'année 2004, met en évidence une augmentation légère mais générale du chiffre d'affaires courant pour quasiment toutes ces entreprises entre 2001 et 2003.
18. Les petites entreprises sont celles qui ont connu les plus fortes variations. Par exemple, la société Lamblin VF a multiplié son chiffre d'affaires par 5, le chiffre d'affaires de ESAF a progressé de 123 % et celui de la société R. Legrand de 100 %.
19. Le chiffre d'affaires des entreprises leaders sur le marché a aussi augmenté de manière conséquente. Le chiffre d'affaires de TSO a progressé de 17 %, de 25 % pour ETF et de 40 % pour Séco Rail.
20. En moyenne, les entreprises du secteur ont vu leur chiffre d'affaires courant augmenter de 48 % entre 2001 et 2003. Toutes les entreprises du secteur, quelle que soit leur taille, à l'exception de Champenoise, Fornoni, Railwed et Sodesam ont suivi cette tendance.
21. Les entreprises expliquent toutefois cette hausse par celle du coût du matériel et par les transferts de charges et les nouvelles modalités de travaux imposées par la SNCF.
<emplacement tableau>
22. Les parts de marchés des entreprises considérées sur ce graphique ont très légèrement augmenté sans pour autant modifier le classement de départ. La somme de leurs parts de marché respectives est passée de 67 % en 2001 à 74 % en 2003.
23. Les entreprises les plus importantes ont conservé leur position initiale en termes de parts de marché par rapport aux autres entreprises. Ce constat est moins évident pour les entreprises plus modestes dont les parts de marchés sont inférieures à 3 %.
B. LES PRATIQUES RELEVEES
1. LES ECHANGES D'INFORMATIONS RELATIFS AU MARCHE DU 1ER SEMESTRE 2004
a) Les caractéristiques du marché
24. L'appel d'offres concernait 64 lots. Sur les 21 candidatures, 20 candidats titulaires de la qualification SNCF requise ont été retenus. Le 21ème candidat était l'entreprise Heitkamp, qui a également été acceptée sous réserve qu'elle obtienne la qualification. La liste des candidats à l'appel d'offres a été établie en y rajoutant les entreprises qualifiées AVF-TP, Champenoise, et sur demande du maître d'ouvrage, l'entreprise espagnole Comsa.
25. Un dossier d'appel d'offres a été adressé le 10 mars 2003 aux 24 entreprises appelées. La date de remise des offres était fixée au 19 août 2003 et l'ouverture des plis au 21 août 2003. Le rapport définitif d'attribution des lots adressé par la SNCF à RFF date du 1er octobre 2003.
26. Dans le dossier d'appel d'offres, "Il était demandé aux candidats d'évaluer le coût des chantiers, en considérant que la traction serait effectuée par la SNCF (solution de base), les prestations de traction par l'entrepreneur, alternatives à la traction SNCF, devaient être chiffrées dans le cadre d'une option". Le rapport de dépouillement des offres montre que les lots ont été attribués à l'entreprise qui a proposé une offre globalement moins-
disante, que ce soit avec une traction SNCF ou avec sa propre offre de traction.
<emplacement tableau>
b) Les pièces saisies dans l'entreprise Séco Rail à Lyon
27. Les enquêteurs de la DNECCRF ont saisi le 6 juillet 2004 plusieurs documents relatifs à l'appel d'offres "hors suites" du 1er semestre 2004 dans l'entreprise Séco Rail à Lyon.
Les documents 2 et 6 (cotes 2844 et 2848)
28. Parmi les documents saisis, deux documents intitulés respectivement document 2 (cote 2844) et 6 (cote 2848) se présentent sous la forme de tableaux imprimés non datés croisant des numéros de lots (de 1 à 66) avec des noms d'entreprises.
29. Interrogé sur ces documents, dont il est l'auteur, M. X... de l'entreprise Séco Rail a indiqué : "Concernant le document coté 6 (...), c'est un document qui a servi de brouillon à la réalisation de la pièce 2 (...). Les informations ne concernant pas Séco Rail m'ont été données par le client maître d'œuvre SNCF".
30. Or, le document 2 est plus complet et plus précis que le document 6, puisque les montants indiqués sur le document 2 tiennent compte des rabais et négociations intervenus après l'ouverture des offres, et que figurent également les montants avec traction, ce qui n'est pas le cas du document 6. La différence de nature des informations contenues entre ces deux documents montre, contrairement à ce que prétend M. X..., que le document 6 n'est pas le "brouillon" du document 2.
31. Si le document 2 a été établi sur la base d'informations provenant des résultats définitifs (c'est-à-dire après négociation avec les entreprises) de l'appel d'offres, il n'en est pas de même pour le document 6. En effet, ce document contient des informations qui ne correspondent que partiellement à ces résultats, puisque si ces informations sont parfois conformes, elles sont parfois différentes.
32. Ces discordances apparaissent tant dans le cadre d'une comparaison avec les résultats définitifs (donc après négociation des montants des offres des entreprises) de l'appel d'offres que dans le cadre d'une comparaison avec les offres initiales remises par les entreprises à l'ouverture des plis, telles qu'elles apparaissent dans le rapport de dépouillement des offres (cotes 569-642).
33. Il importe à ce stade de préciser que pour la suite de la présente décision, la comparaison des documents saisis sera effectuée à partir des offres initiales remises par les entreprises et avant la négociation de leur montant avec la SNCF et que l'expression "résultats de l'appel d'offres" doit s'entendre comme indiquant les montants initiaux des offres des entreprises à l'ouverture des plis.
34. Ainsi, s'agissant des lots n° 7, 9, 17, 23, 25, 28, 29, 39, 55, 57, 61, 62 et 63, les entreprises moins-disantes et les montants proposés par ces dernières tels qu'ils sont indiqués dans le document 6 sont conformes aux résultats. En revanche, on constate que les informations portées sur le document 6 sont erronées s'agissant des lots n° 18, 20, 37, 38, 41, 44, 47, 48, 52, 56, 59 et 66. Par ailleurs, il comporte la mention "NON ATTRIBUE" aux côtés de nombreux lots ainsi que la mention "REPARTITION NON OFFICIELLE" à côté du lot 62.
35. Ces dernières mentions de même que le caractère erroné d'une partie des informations contenues dans le document 6 montre que ce document n'a pas été établi après l'ouverture des plis et que les informations qu'il contient n'ont pas été communiquées à M. X... par la SNCF, comme il le prétend.
Les documents 11 et 12 (cotes 2853 et 2854)
36. Ces documents sont respectivement datés des 7 et 6 août 2003 et sont donc antérieurs à l'ouverture des plis qui a eu lieu le 21 août 2003. Ils se présentent sous la forme de tableaux dactylographiés associant à des lots des montants et contenant des annotations manuscrites qui apparaissent comme des "corrections".
37. Les lots listés dans les documents 11 et 12 sont des lots pour lesquels l'agence Séco Rail Ile de France a fait une offre (sauf pour les lots qui sont barrés, soit les lots n° 20, 36, 39, 41, 47 et 49). Les chiffres figurant dans ces tableaux correspondent au montant parfois corrigé de l'offre de Séco Rail pour chacun des lots listés sur le document, à l'exception des lots qui sont "barrés".
38. A leur sujet, M. X... a précisé dans ses déclarations du 24 novembre 2003 (procès-verbal d'audition-cotes 353-357) que "Les documents 11 et 12 constituent des documents de synthèse réalisés par le technicien des méthodes sur lesquels j'ai travaillé et fait des annotations. Dans la colonne "détail des travaux" j'ai indiqué au moment de l'ouverture quelle était l'entreprise qui avait fait la meilleure offre, information que j'ai obtenue auprès du maître d'ouvrage. Lorsque j'ai noté les initiales d'une entreprise dans la colonne "n° lot", et qu'il y a aussi les initiales d'une autre entreprise dans la colonne "détails des travaux", cela signifie que le maître d'ouvrage n'a pas encore décidé à qui il allait attribuer le lot entre ces deux entreprises, les deux offres étant proches. Sur les lignes correspondant aux lots 9, 24, 55 et 60 j'ai écrit "revoir" ou "à revoir" par rapport aux études qui avaient été faites par les conducteurs de travaux en l'occurrence jeunes et sans expérience".
39. Il a indiqué également que la signification des lettres annotées était la suivante : "S" : Séco Rail ; "PB" et "P": Pichenot Bouillé ou TPF ; "V" : Vecchietti; "E" : ETF; "O" : Olichon; "M" : Meccoli; "T" : TSO ; "MA" : signifie Sodesam ; "OK" signifie que j'ai validé l'affaire vis-à-vis du technicien des méthodes".
40. Or, si pour 16 des lots listés sur le document 11, l'entreprise désignée s'est avérée être l'entreprise attributaire, ce n'est pas le cas pour les lots n° 20, 57 et 58.
41. Par ailleurs, s'agissant des lots n° 23 et 25 pour lesquels figurent les initiales "MA" dans la colonne "n° lot" et respectivement les lettres "V" et "O" dans la colonne "détail des travaux", l'explication donnée par M. X... tenant à l'hésitation du maître de l'ouvrage due à la proximité des deux offres n'est pas corroborée par les montants de ces offres, puisque pour le lot n° 23, l'offre de Vecchietti s'élève à 274 860 euro tandis que l'offre de Sodesam est de 192 296 euro et que pour le lot n° 25, l'offre de la société Olichon s'élève à 148 580 euro tandis que celle de Sodesam est de 130 731 euro. Dans ces deux cas, la différence entre les deux offres est nette du point de vue financier et ne pouvait entraîner aucune hésitation du maître de l'ouvrage. En outre, s'agissant du lot 23, l'offre de Séco Rail est plus "proche" de celle de Sodesam que ne l'est celle de Vecchietti.
42. Ainsi, il en résulte que les initiales figurant dans la colonne "détail des travaux" et "n° lot" n'ont pas été inscrites à la suite des résultats de l'appel d'offres.
43. L'analyse du document 11 montre que les corrections manuscrites des montants des offres de Séco Rail, étroitement liées à ces mentions "ok" et "à revoir", portent parfois uniquement sur l'estimation de base et dans d'autres cas, incluent l'estimation traction.
44. La comparaison entre les montants non corrigés, les montants corrigés des offres de Séco Rail figurant sur le document 11 (1) et les offres des entreprises moins-disantes pour chacun des lots listés fait apparaître que lorsque la lettre "S" (Séco Rail) figure dans la colonne "détail des travaux", l'estimation est rarement modifiée (elle ne l'est que pour le lot n° 9) et à l'ouverture des plis, Séco Rail sera dans la plupart des cas l'entreprise moins-disante.
45. En revanche, quand une autre lettre est indiquée, on peut noter que les erreurs sont toujours des sous-estimations (à l'exception du lot n° 61, lequel constitue toutefois un cas très particulier puisque la correction à la baisse a porté sur un montant de 900 000 euro, soit plus de 20 % du montant total de l'offre et 50 % du montant de l'estimation traction).
46. En effet, lorsque Séco Rail n'est pas "désignée" moins-disante c'est-à-dire lorsque c'est une autre initiale que la lettre S qui apparaît dans la colonne "détail des travaux" et que sa première estimation est supérieure à l'offre de l'entreprise "désignée" par les initiales pour être moins-disante selon ce document daté du 7 août, il n'y a pas de correction. En revanche, si sa première estimation de base (ou la première estimation du montant total pour les lots 23 et 24) est inférieure à l'offre effectivement remise par le "moins-disant désigné", l'offre de Séco Rail est rectifiée à la hausse pour devenir supérieure à celle du "moins disant désigné" dont les initiales apparaissent dans la colonne "détail des travaux".
47. Une relation étroite existe donc entre les inscriptions manuscrites des initiales des entreprises concurrentes et les corrections effectuées par M. X.... De l'apposition de ces initiales découle la correction ou non des montants pré-imprimés.
48. Par ailleurs, on constate que la mention "OK" censée signifier, selon M. X..., que le dossier est validé vis-à-vis du technicien des méthodes, n'apparaît pas pour les lots n° 20 et 36, lesquels sont également barrés, et pour lesquels Séco Rail n'a pas fait d'offre, mais n'apparaît pas également pour les lots n° 23 et 25 pour lesquels M. X... a effectivement répondu.
49. L'absence de la mention "OK" sur les lots 23 et 25 aux côtés desquels figurent deux initiales montre que l'apposition de cette mention n'est pas liée à la validation de l'affaire avec le technicien des méthodes, comme il le prétend, mais plutôt avec ses concurrents, les lots n° 23 et 25 apparaissant comme des lots litigieux.
50. Il résulte de ce qui précède que les annotations portées sur le document 11 daté du 7 août 2003 sont bien antérieures à la remise des offres et à l'ouverture des plis, puisque les initiales apposées par M. X... ne correspondent pas systématiquement aux entreprises effectivement attributaires (ou moins-disantes) comme il le prétend. L'analyse des corrections apportées par M. X... au document 11 montre également que celui-ci a systématiquement corrigé son offre à la hausse lorsque les initiales d'une entreprise concurrente étaient apposées et que l'offre de Séco Rail était inférieure à celle effectivement proposée par cette société concurrente (à l'exception des deux cas rappelés ci-dessus, le lot n° 9 et le lot n° 61). Ces montants corrigés qui correspondent sauf exception aux offres déposées par Séco Rail ont les caractéristiques d'offres de couverture, les "OK" confirmant les accords passés entre les entreprises. Ces accords concernent les entreprises dont les initiales sont apposées sur le document 11, soit les entreprises Pichenot Bouillé, Vecchietti, ETF, Olichon, Meccoli et Séco Rail.
c) Les pièces saisies dans l'entreprise Pichenot Bouillé à Trappes
51. Au cours des opérations de visite et de saisie du 6 juillet 2004, les enquêteurs ont saisi des documents relatifs à l'appel d'offres "hors suites" du 1er semestre 2004 chez la société Pichenot Bouillé. L'analyse des enquêteurs a permis d'établir que le document intitulé "feuillet n° 2" était le plus abouti et qu'il reprenait les informations contenues sur les deux autres documents intitulés "1" et "Bon" (cotes 2644-2646).
52. La description de ce document intitulé "feuillet 2" fait apparaître que les montants indiqués dans la colonne "étude 3" correspondent aux offres proposées par M. Z..., P.D.G. des sociétés TPF et Pichenot Bouillé et auteur du document, au nom de l'une ou l'autre de ses sociétés, seul ou en groupement. Les montants figurant dans les colonnes "étude 1" et "étude 2" correspondent aux chiffres indiqués sur les documents "1" et "Bon" à l'exception des mentions chiffrées en italique et de la sous colonne appelée "TOTAL" dans la partie "étude 2". A la place de montants, on retrouve dans cette colonne des noms d'entreprises (sous forme d'abréviations ou de codes). A droite de celle-ci, s'est glissée entre les parties "étude 2" et "étude 3" une autre colonne, sans titre, dans laquelle figurent également des abréviations et des chiffres.
53. Interrogé sur la signification de ce document, M. Z... a indiqué (procès-verbal du 19 novembre 2003-cotes 331-334) que ce document avait été rempli avant et après l'ouverture des offres, qu'il ne se souvenait plus de la signification des abréviations apparaissant dans ce document, ni de la différence entre les indications notées dans la colonne nommée "Total" et la colonne située à droite et qui n'a pas de nom, mais que toutefois "DIJ": signifiait Dijonnaise ; "SODE" : Sodesam ; "FOUR" : Fourchard et "OFF" : Offroy.
54. Or, il apparaît que les abréviations notées dans la colonne "total" de la partie "étude 2" correspondent systématiquement aux entreprises ayant fait l'offre la plus basse pour le lot considéré. De cette constatation, on peut déduire le sens des chiffres et des abréviations mentionnées :
55.
<emplacement tableau>
56. Il ressort ainsi de cette comparaison que :1 : signifie ETF et parfois Champenoise (filiale à 99 % d'ETF) ; 2 : Séco Rail ; 3 : TSO et Offroy (dont TSO est actionnaire à 34 %); 4 : Meccoli ; 5 : Vecchietti et 6 : Pichenot Bouillé ou TPF ; E : ESAF; EUG : Egénie; CHAMP: Champenoise ; GV: GVF TP; ALLEM : entreprise allemande Heitkamp.
57. On peut déduire également d'une comparaison avec les résultats de l'appel d'offres la signification des abréviations apparaissant dans la colonne de droite : e signifiant ESAF; é : EGENIE; d: DIJONNAISE et "q" peut-être Olichon.
58. Dans cette colonne située à droite de la colonne "total", figurent dans la majorité des cas les mêmes entreprises que dans la colonne "total". Dans les autres cas, la comparaison avec les résultats de l'appel d'offres avant attribution définitive des lots ne montre pas non plus que les entreprises mentionnées correspondent systématiquement aux entreprises arrivées en seconde position. D'ailleurs, pour ce qui est des lots n° 3, 10, 11, 12, 13, 14, 15 et 16, aucune société n'est mentionnée. Cette colonne n'est donc pas relative aux résultats.
59. La présence côte à côte de deux colonnes contenant des informations sur les entreprises concurrentes pour chaque lot et alors que le fichier contenant le feuillet "2" a été ouvert la dernière fois le jour de l'ouverture des offres, s'explique en ce sens que la colonne "total", au sujet de laquelle il est admis qu'elle a été complétée le jour de l'ouverture des plis, mentionne les résultats de l'appel d'offres avant attribution définitive des lots tandis que la colonne sans titre ne correspondant pas aux résultats, elle mentionne des entreprises intéressées par le lot suivant des informations communiquées par elles préalablement à cette ouverture.
d) Les similitudes avec les documents retrouvés chez Séco Rail
60. L'enquête a également fait apparaître des similitudes entre les documents saisis dans l'entreprise Pichenot Bouillé et ceux qui ont été saisis chez Séco Rail.
61. S'agissant des lots n° 23, 25, 57 et 58 , les documents saisis dans les entreprises Séco Rail et Pichenot Bouillé (abréviations portées dans la colonne de droite sans titre) font référence aux mêmes entreprises alors que ces dernières n'ont pas été moins-disantes pour les lots concernés et qu'ainsi, ces informations, quoiqu'identiques, ne correspondent pas aux résultats de l'appel d'offres.
62. S'agissant des lots n° 29 et 55, les mêmes documents comportent des informations faisant état d'un partage entre Séco Rail et ETF alors que ces entreprises ont soumissionné de façon indépendante pour chacun de ces lots.
63. Dès lors qu'elles ne correspondent pas aux résultats de l'appel d'offres, ces informations sont donc antérieures à l'ouverture des plis, comme cela a du reste été démontré pour les inscriptions manuscrites figurant sur le document 11. Or ces informations ont été retrouvées à la fois chez Séco Rail et chez Pichenot Bouillé.
64. Ce constat met en évidence que les entreprises Pichenot Bouillé et Séco Rail ont eu connaissance d'informations similaires non validées par les faits et résultant d'un échange d'informations préalable à l'ouverture des plis.
65. Ces informations recueillies sur des documents élaborés par les deux entreprises mettent en cause également les différentes sociétés mentionnées sur le document 11 et le feuillet 2.
2. LES ECHANGES D'INFORMATIONS RELATIFS AU MARCHE DU 2EME SEMESTRE 2004
a) Les caractéristiques du marché
66. La date de remise des offres pour ce marché, qui comportait 38 lots, a été fixée au 23 mars et l'ouverture des plis au 24 mars 2004. Le rapport d'attribution des offres a été adressé par la SNCF à RFF le 29 avril 2004.
67. A l'instar du marché du 1er semestre, il était demandé aux candidats d'évaluer le coût des chantiers, en considérant que la traction serait effectuée par la SNCF (solution de base), les prestations de traction par l'entrepreneur, alternatives à la traction SNCF, devant être calculées dans le cadre d'une option.
<emplacement tableau>
b) Les pièces saisies dans l'entreprise Pichenot Bouillé à Trappes
68. Parmi les documents saisis le 6 juillet 2004 dans l'entreprise Pichenot Bouillé, 7 documents ont retenu l'attention des enquêteurs.
69. Comme en ce qui concerne le premier appel d'offres, il est précisé que l'analyse des documents saisis est fondée sur une comparaison avec les offres remises par les entreprises et avant la négociation de leur montant avec la SNCF et que l'expression "résultats de l'appel d'offres" doit s'entendre comme indiquant les montants initiaux des offres des entreprises à l'ouverture des plis, telles qu'elles apparaissent dans le rapport de dépouillement des offres (cotes 369-416).
Document 1 (cote 2249)
70. Selon les déclarations de M. Z... du 24 septembre 2004 (cotes 305-308), ce document contiendrait des informations que lui ou sa société aurait recueillies principalement auprès du maître d'ouvrage délégué lors de la visite des chantiers, avant la tenue de la commission d'appel d'offres.
71. Il a ainsi indiqué que "Les noms d'entreprises indiqués à côté des numéros correspondent aux entreprises qui ont visité le chantier ou dont j'ai appris d'une manière ou d'une autre (manière dont je ne me rappelle pas systématiquement) qu'elles étaient intéressées. (...) Nous avons visité à peu près tous les chantiers correspondant aux lots mentionnés sur le document".
72. En l'espèce, tous les lots du marché sont mentionnés sur ce document, qui comporte des informations qui sont parfois conformes aux résultats de l'appel d'offres et parfois différentes, comme en témoigne le fait qu'à droite de "FDF" on peut lire la mention "46+ETF ou Meccoli" et qu'à droite de "Offroy" on peut lire la mention "45 ou 47", alors que selon les résultats de l'appel d'offres, pour le lot 46, FDF a été désignée attributaire, ETF n'a pas fait d'offre, Sodesam et le groupement Vecchietti/ Meccoli ont soumissionné. Pour le lot 45, Pichenot-Bouillé, ETF, Séco Rail et le groupement Vecchietti/Meccoli ont fait une offre. En revanche, l'entreprise Offroy n'a pas soumissionné. Elle n'a pas plus présenté d'offre pour le lot 47.
73. Si l'antériorité du document 1 par rapport à l'ouverture des plis est établie et d'ailleurs attestée par les déclarations de M. Z..., les informations que comporte ce document n'ont pas la provenance indiquée par son auteur.
74. Dix attestations de visite de chantiers seulement ayant été retrouvées, il n'a pas été possible de vérifier si M. Z... avait effectivement procédé à ces visites.
75. Il est improbable toutefois que M. Z... et son équipe aient effectivement visité l'ensemble des chantiers concerné par l'appel d'offres, ce qui aurait impliqué la visite de cinquante et un chantiers répartis dans toute la France en l'espace d'un mois et demi et aurait été contraire aux choix stratégiques de l'entreprise tels qu'il les a présentés dans ses déclarations : "Quand j'ai repris la société j'ai souhaité dynamiser et recentrer notre activité dans la région parisienne". Cette assertion est du reste confirmée par l'analyse des lots pour lesquels M. Z... a soumissionné qui portent sur des chantiers essentiellement situés dans le "nord" de la France et plus généralement en région parisienne. Le document qui énumère des lots en face d'entreprises dénommées n'a pas été rempli à partir d'informations recueillies au cours de visites de chantier mais à partir d'informations ayant une autre origine.
76. D'ailleurs, les caractéristiques de ce document montrent que son auteur n'a pas cherché à savoir à propos d'un lot "x" quelles étaient les entreprises intéressées, mais pour chaque entreprise dont le nom figure dans la partie gauche des deux colonnes, quels étaient les lots susceptibles de l'intéresser, ce qui du reste ne pouvait se déduire d'une simple visite de chantier.
77. Ce document, en outre ne recense pas l'ensemble des entreprises ayant soumissionné pour chaque lot, ce qui devrait être le cas, si les propos de M. Z... étaient exacts et si les "noms d'entreprises indiqués à côté des numéros correspond(aient) aux entreprises qui ont visité le chantier (...)". Il convient de noter que l'auteur du document est loin d'avoir répertorié pour chaque lot l'ensemble des entreprises ayant visité le chantier.
78. Ainsi, par exemple, les sociétés de M. Z..., Pichenot Bouillé et TPF ont soumissionné à 12 lots de ce marché alors qu'en face des initiales PB ne figurent sur ce document que 5 numéros (soit les lots 6, 31, 11, 21 et 22) alors qu'il prétend avoir visité tous les chantiers. De fait, il fera une offre pour chacun de ces lots à l'exception du lot 31.
79. De même, l'entreprise Lamblin qui a soumissionné pour le lot 16 et donc visité le chantier puisque la visite est obligatoire pour faire acte de candidature ne figure pas sur le document et aucun chiffre n'est indiqué en face du nom de la société Robert qui a soumissionné pour le lot 51.
80. Contrairement à ce que prétend M. Z..., ces informations n'ont donc pas été communiquées par le maître de l'ouvrage délégué, à la suite des visites de chantiers effectuées par les entreprises concurrentes.
Les documents 7 (cote 2255) et 3 (cote 2251)
81. M. Z... a déclaré que le document 7 était postérieur à l'attribution des offres. Dans ses déclarations du 19 novembre 2004 (cotes 331-334), il indique : "Concernant le document coté 7 dans le scellé 1 saisi dans l'entreprise Pichenot Bouillé, des résultats sont annotés, j'ai eu ces informations en les recopiant sur un rapport de dépouillement des offres dans un bureau de la SNCF."
82. Ce document fait apparaître de façon manuscrite des résultats, sous la forme de numéros accompagnés d'un nom d'entreprise. Il correspond aux résultats de l'appel d'offres à quelques lacunes près.
83. Ainsi, il ne précise pas les groupements. Sur 5 lots remportés en groupement, il ne mentionne qu'un seul des partenaires. C'est le cas pour les lots suivants : 28- Olichon/ETF ; 29- ETF/Séco Rail ; 30- TSO/Offroy ; 31- TSO /Séco Rail ; 10- Vecchietti/Meccoli/Séco Rail ; 47- Meccoli/Vecchietti.
84. Il ne mentionne pas le lot n° 40 attribué à l'entreprise Fourchard.
85. Par ailleurs, il n'indique pas les lots qui ont été déclarés sans suite, soit les lots n° 6, 9, 13, 17, 25, 26, 27, 35 et 43.
86. Ces lacunes montrent que ce document n'a pas été retranscrit à partir d'informations figurant sur le rapport final de dépouillement des offres, même si des informations ont pu être obtenues de la part du maître d'ouvrage délégué, la SNCF, à l'ouverture des plis. Ainsi, en face des lots 25, 26 et 27 figure la mention des prix objectifs élaborés par la SNCF.
87. En ce qui concerne le document 3, M. Z... a également déclaré que ce dernier était postérieur à l'attribution des lots. Ainsi, dans ses déclarations retracées dans le procès-verbal du 24 septembre 2004, il indique :
"Le document coté 1 correspond à la phase précédant l'attribution et le document coté 3 à la phase suivant l'attribution".
"Dans le document coté 3 dans le scellé 1 saisi chez Pichenot Bouillé, on retrouve les résultats de l'appel d'offres pour les travaux "hors suite" deuxième semestre 2004 que j'ai pu glaner ça et là. Pour chaque lot j'ai essayé de savoir à qui il avait été attribué et à quel montant. Pour certains lots je n'ai obtenu que les montants et pas les noms des entreprises. Je ne sais pas exactement ce que veulent dire les petites croix ou les "ok" placés devant certains numéros. En haut à droite est marqué "Vecchietti", les numéros devant lesquels est placé un "ok" ou une petite croix signifient que Vecchietti a eu l'affaire. Je ne sais pas ce que cela signifie lorsqu'il n'y a aucun signe devant le numéro de lot. C'est un document que je complète au fur et à mesure des informations que j'obtiens".
88. L'analyse du document 3 (cote 2251) montre que sur ce document, sont inscrits au crayon à papier des noms d'entreprises au-dessous desquels figurent des listes de lots ainsi que des montants. A gauche de certains lots sont parfois annotés à l'encre noire des "ok", une petite croix, un trait ou un point d'interrogation ou parfois le nom d'une entreprise.
89. Une comparaison entre le document 7 et le document 3 montre que celui-ci a été élaboré antérieurement au document 7 et antérieurement aux résultats de l'appel d'offres et que seules les annotations à l'encre noire proviennent des indications portées sur le document 7 et ce pour trois raisons :
L'analyse des calculs apparaissant sur le document 3 montre que ce document a été élaboré avant le document 7
90. L'analyse des annotations "ok" portées à l'encre noire sur le document 3 fait apparaître que ceux-ci ont été écrits par M. Z... à partir des résultats qu'il a obtenus et figurant dans le document 7. Ainsi, et comme il l'a confirmé par des "ok" sur le document 3, l'entreprise ETF a bien été désignée attributaire pour les lots n° 5, 15, 18, 29, 33 et 37. Pour le lot 42, M. Z... a indiqué le nom de Meccoli, conformément aux résultats retranscrits sur le document 7. De même que n'ayant pas obtenu d'informations précises sur les lots n° 25, 26 et 27 (qui ont été déclarés sans suite), toujours au regard du document 7, il a apposé une petite croix à gauche des numéros de lot 25, 26, 27 situés dans la colonne Vecchietti. M. Z... a précisé à droite du numéro 43 dans la colonne Vecchietti sur le document 3 "Report marché" comme indiqué sur le document 7.
91. La mention "ok" apposée par M. Z... à côté d'un numéro de lot signifie que le lot "affecté" à une entreprise a été obtenu par cette dernière. Mais, l'absence de mention ne veut pas dire que l'entreprise considérée n'a pas été désignée attributaire. Tel est le cas de l'entreprise Fourchard qui a obtenu le lot 40 et de Pichenot Bouillé qui a obtenu les lots 11 et 22.
92. Si les annotations portées à l'encre noire sont postérieures à l'ouverture des plis, tel n'est pas le cas des autres mentions portées sur ce document, ce dont témoignent les calculs effectués par M. Z.... En effet, pour chaque entreprise et à partir des lots "affectés" à chacune, M. Z... a calculé un montant total. Ainsi, pour l'entreprise ETF, M. Z... obtient un total de 3 727 500 euro (2). Il n'avait donc pas encore les résultats définitifs de l'appel d'offres lorsqu'il a effectué ce calcul, puisque le montant total des lots attribués à ETF a été de 2 785 811 euro. Si l'on additionne seulement les sommes qui sont précédées d'un "ok", soit 30 + 350 + 400 + 200 + 650, le résultat est le suivant : 1 650 000 euro, ce qui est très éloigné du résultat noté par M. Z.... La même analyse peut être faite pour l'entreprise Séco Rail.
93. En outre, les lots figurant en dessous des noms d'entreprise ne correspondent pas systématiquement aux attributions de lots qui figurent sur le document 7.
94. La forme du document 3 donne aussi des indications sur les informations qui y sont contenues.
95. Dans ce document, M. Z... a établi une liste de lots pour chacune des entreprises citées auxquels il a associé un montant. Sa forme est donc différente de celle du document 7 où à chaque numéro de lot est associé le nom ou plusieurs noms d'entreprises (pour un groupement).
96. M. Z... n'a pas, comme il le prétend, retranscrit sur le document 3 le montant global de l'offre pour un lot donné mais a reporté pour chacune des entreprises membre du groupement la part lui revenant.
97. Ainsi pour le lot 28, l'offre du groupement Olichon/ETF a été retenue pour un montant de 736 570 euro. Or pour le lot 28, M. Z... a indiqué sous Olichon : 370 000 et sous ETF : 370 (000). La somme de ces deux montants est égale à 740 000 euro. A côté du numéro 28 pour Olichon est écrit "ok" à l'encre. M. Z... a apposé cette mention (qui figure sur le document 7) après avoir obtenu les résultats pour confirmer ce qu'il avait écrit précédemment.
98. Il ressort de ce document que M. Z... a calculé antérieurement à l'ouverture des plis un montant d'offre pour chacune des entreprises citées dans le document 3.
99. M. Z... a additionné tous ces montants pour obtenir la somme de "18 567"(3) (K euro) et a fait figurer ce chiffre à côté du mot "total". Puis il a soustrait le montant du lot 48 (3,8 M euro) pour parvenir à un montant de "14 767". Figure également sur ce document la mention "total petit" correspondant au résultat de "14 767" multiplié par 15 %, soit un montant de "12 557" (K euro).
100. Les montants mentionnés ci-dessus, qui ne correspondent pas aux montants des offres déposées concernant ce deuxième marché, réapparaissent sur les documents 2 et 4, assortis de pourcentages.
101. La comparaison entre les informations retranscrites sur le document 3 et les résultats de l'appel d'offres révèle des écarts entre les deux parfois importants qui implique l'antériorité du document 3.
102. Cette comparaison fait apparaître deux sortes de différences, l'une qui tient au nom de l'entreprise mentionnée et l'autre au montant de l'offre.
103. S'agissant des entreprises, les indications portées sur le document 3 sont exactes, à l'exception des lots n° 5, 10, 13, 15, 16, 24, 34-51 et 42 pour lesquels M. Z... a indiqué les noms de plusieurs entreprises alors qu'une seule des entreprises a répondu, ou a répondu en groupement avec une entreprise tierce ou encore une entreprise tierce a répondu comme c'est le cas pour le lot n° 16 attribué en réalité à la société Lamblin.
104. De plus, les montants de certains lots portés sur le document 3 ont été scindés et associés à plusieurs entreprises, en contradiction avec les résultats de l'appel d'offres. Mais les montants additionnés correspondent souvent de manière précise à l'offre effectivement proposée par l'entreprise moins-disante (l'une des sociétés indiquées sur le document). La ventilation du montant de certains lots entre plusieurs entreprises, alors qu'une seule est officiellement attributaire, révèle également un partage préalable de ces lots.
105. Les différences entre les sommes portées sur le document 3 et celles afférentes au résultat de l'appel d'offres montrent que les indications portées sur le document 3 ne correspondent pas à la retranscription d'informations données postérieurement à l'ouverture des plis.
* bien que non indiqué sur le document, M. Z... a signifié qu'il savait que ce lot serait attribué à TSO en apposant un "ok" devant le lot n°48 (le nom de TSO figurant de fait à côté de ce numéro de lot sur le document 7). En outre le lot n°48 figure bien dans la colonne correspondant à TSO.
106. Le document 3 a été rédigé avant l'ouverture des plis. Il désigne les entreprises intéressées par les différents lots et contient des informations parfois précises sur le montant des offres. Ces informations ont été obtenues auprès des entreprises intéressées. Le document 3 contient également des indications relatives à une répartition préalable des lots du marché entre les entreprises, ainsi qu'un partage de ces lots en dehors de toute forme de groupement officiel dont aurait été informé la SNCF ou RFF.
Le document 11 (cote 2259)
107. Le document 11 est constitué d'un tableau relatif à l'appel d'offres "hors suites" du 2ème semestre 2004. Il associe à des lots, classés en fonction de leur situation géographique, des montants apparaissant sur deux séries de 3 colonnes intitulées "hors traction", "traction" et "Total".
108. Ce tableau a été annoté par M. Z.... La première colonne "Montant hors traction" est complétée à la main. Les chiffres inscrits dans cette colonne correspondent presque exactement aux montants des offres figurant sur le document 3 pour chaque lot. D'ailleurs on retrouve aussi le montant total du marché figurant sur le document 3 "14,7" (millions d'euro) écrit à la main sous la colonne "Montant hors traction".
109. Les documents 3 et 11 sont étroitement liés et contiennent des informations similaires concernant les montants des propositions pour chaque lot. Plus précisément, le document 11 permet de vérifier l'hypothèse selon laquelle les montants de certains lots ont été "scindés" sur le document 3 par M. Z... et répartis entre plusieurs entreprises alors que celles-ci n'ont pas répondu en groupement. Il s'agit des lots n° 5, 10, 13, 15, 16, 24, 34 et 51, 42.
110. Dans la colonne "Montant Traction" à gauche, pour chacun des lots n° 34 et 51, sont indiqués de façon manuscrite les noms "Egénie" et "Meccoli". Ces deux sociétés n'ont pas répondu en groupement et Egénie a été désignée attributaire seule. Sur le document 3, M. Z... avait noté le nom de Vecchietti (à la place de Meccoli). Cette différence résulte certainement du fait que ces deux entreprises ont l'habitude de travailler en groupement et que M. Z... ne fait pas la distinction dans le cas présent.
111. Les informations retranscrites sur le document 11 ne sont pas conformes aux résultats de l'appel d'offres. M. Z... détenait donc des informations sur les offres des concurrents (en l'occurrence le montant de leur offre) avant la remise des plis, indications qui ne pouvaient provenir de la SNCF. Il y a donc bien eu un échange d'informations entre les entreprises soumissionnaires antérieur aux remises des offres.
Le document 5
112. Le document 5 est un tableau qui associe à des lots des montants et des noms d'entreprises. Les lots n° 17, 27, 28, 42, 6, 11, 29, 21, 22, 45, 46, 47 et 49 sont listés les uns en dessous des autres dans la première colonne de gauche.
113. Dans ses déclarations du 24 septembre 2004, M. Z... a indiqué : "Le document coté 5 dans le scellé 1 saisi dans l'entreprise Pichenot Bouillé consiste en un tableau que j'ai créé et qui répertorie les affaires auxquelles j'ai répondu pour le marché "hors suite" deuxième semestre 2004. J'ai obtenu les lots 11 et 22. Les montants indiqués dans les colonnes "hors traction", "traction" et "total" à gauche correspondent à des simulations d'offre. Lorsqu'il y a plusieurs montants cela correspond à plusieurs simulations pour le même lot. Les colonnes de droite correspondent aux offres que j'ai réellement proposées. Les noms des entreprises dans la partie gauche correspondent aux entreprises qui ont visité le chantier correspondant au lot indiqué dans la première colonne". Il l'a confirmé dans ses déclarations du 19 novembre 2004.
114. Selon les déclarations réitérées de M. Z..., ce document est donc antérieur à l'ouverture des plis.
115. Il ressort des résultats de l'appel d'offres que M. Z... a fait une offre pour l'ensemble des lots listés sur le document 5, sous le nom de TPF ou de Pichenot Bouillé, à l'exception du lot 46 tandis que les lots n° 6, 17 et 27 apparaissant dans le document 5 ont été déclarés sans suite.
116. La comparaison entre les informations contenues dans le document 5 et le rapport de dépouillement des offres de la SNCF montre que les sommes reportées dans la partie droite du tableau correspondent effectivement (au millier d'euro près) aux offres faites par M. Z....
117. Si l'on compare le document 5 et les résultats de l'appel d'offres s'agissant des lots non obtenus par Pichenot Bouillé ou TPF, on constate que les noms des entreprises ou groupements figurant dans la deuxième colonne à gauche et placés en premier, correspondent aux noms des entreprises ou groupements ayant fait la meilleure offre pour le lot identifié sur la même ligne à gauche et que les sommes indiquées dans la deuxième et la troisième colonne du tableau à partir de la gauche correspondent, parfois de manière approximative, aux montants des offres proposées par les concurrents dont les noms figurent à côté ou en dessous de ces chiffres.
118. Ces constatations invalident donc les déclarations de M. Z..., les montants indiqués ne correspondant pas à ses simulations pour le lot et les entreprises indiquées n'étant pas celles qui ont visité le chantier, mais celles qui ont été attributaires du lot.
<emplacement tableau>
119. L'analyse des lots 11 et 22 attribués à l'entreprise Pichenot Bouillé fait également apparaître que les offres des concurrents de Pichenot Bouillé sont indiquées avec précision, et que parmi ces offres, figurent des propositions qui n'ont pas été faites : tel est le cas de celle de Meccoli pour le lot n° 11, et de celle de Séco Rail pour le lot n° 22.
<emplacement tableau>
120. Pour M. Z..., ces similitudes s'expliquent par des "coïncidences". En effet, dans ses déclarations du 19 novembre 2004, il a indiqué : "Vous me montrez les résultats de l'appel d'offre pour le marché hors suite second semestre 2004, vous m'indiquez que l'entreprise ETF a fait une proposition à 594 044, 97 euro hors traction, j'ai noté quant à moi un chiffre de 594 000. Pour moi c'est une coïncidence si ces chiffres sont proches. Le fait que le nom "ETF" soit inscrit sur la même ligne que ce chiffre ne signifie pas que les deux soient liés. Vous m'indiquez que l'entreprise Séco Rail a fait une offre à 609 964 euro hors traction, j'ai noté quant à moi un montant de 610 000. Pour moi c'est une coïncidence si ces chiffres sont proches. Le fait que le nom "Séco" soit inscrit sur la même ligne que ce chiffre ne signifie pas que les deux soient liés. Vous m'indiquez que l'entreprise Offroy a fait une offre à 605 600 euro hors traction, j'ai noté quant à moi un montant de 605 000. Pour moi c'est une coïncidence si ces chiffres sont proches. Le fait que le nom "Offroy" soit inscrit sur la même ligne que ce chiffre ne signifie pas que les deux soient liés. D'ailleurs il est à noter que l'une des lignes fait apparaître un montant et le nom d'une entreprise qui n'apparaissent dans le rapport de dépouillement des offres pour ce marché. Mes explications sont les mêmes s'agissant du lot 22". Ces déclarations ne donnent pas d'explication valable à la connaissance du montant des offres des entreprises concurrentes.
121. Le document 5 saisi dans l'entreprise Pichenot Bouillé est un document récapitulatif des réponses de M. Z... à l'appel d'offres, sous le nom de Pichenot Bouillé ou de TPF, qui mentionne également les offres de ses concurrents, de manière approximative pour les lots qu'il n'a pas obtenus et de façon très précise pour les lots qui lui ont été attribués. Ce document qui selon les déclarations de M. Z... est antérieur à l'ouverture des plis, ce que vient confirmer les approximations de certaines offres, comportent des indications sur les entreprises qui seront moins-disantes et le montant de leurs offres démontrant que des informations ont été échangées entre les entreprises soumissionnaires avant la remise des offres.
Les documents 2 (cote 2250) et 4 (cote 2252)
122. Le document 2 détermine un pourcentage du montant total du marché affecté aux principales entreprises, soit Séco Rail, ETF et Champenoise, TSO, Meccoli-Vecchietti, Pichenot Bouillé et ESAF. Plus précisément, la 1ère colonne est une estimation des pourcentages, leur addition s'établissant à 110. La 2ème colonne est une estimation affinée de ces pourcentages aboutissant à un total de 100 %.
123. Sur le document 4, l'auteur a, pour chaque entreprise listée soit ETF, Pichenot, Meccoli/Vecchietti et Séco Rail, appliqué un pourcentage au montant global du marché tel que calculé sur le document 3 et repris sur le document 11 (soit 14 767 ou 12 557 hors lot n° 48).
124. Deux calculs ont été effectués pour chaque entreprise. Dans un premier cas, M. Z... a multiplié le montant "haut" soit 14 767 (montant global du marché "hors suites" deuxième semestre 2004 évalué par M. Z...) par un pourcentage. Dans le deuxième cas, il a utilisé le montant "bas" tel qu'il l'a appelé et qu'il l'a calculé, soit 12 557 auquel il a appliqué un autre pourcentage, un peu plus faible que le précédent. Le premier résultat correspond donc à une fourchette haute et le second à la fourchette basse d'un montant possible de commande.
Document 2
125. Les deux montants, haut et bas, ayant été calculés à partir d'une répartition établie antérieurement aux résultats de l'appel d'offres comme cela a été démontré dans le développement consacré au document 3 (§ 87 et suivants), les documents 2 et 4 sont par conséquent eux aussi antérieurs à l'ouverture des offres.
126. D'ailleurs, M. Z... a établi une fourchette de commande pour chaque entreprise et non un montant fixe, ce qui aurait été le cas s'il s'agissait d'un calcul postérieur au résultat. Dans cette situation, il n'aurait pas cherché à connaître le montant de leur commande mais la part de marché de chacune des entreprises. Sur le document 4, il a cherché à savoir à quelle somme correspondait une certaine part de marché sur un montant total de commande défini. Si l'origine des pourcentages indiqués sur le document 2 n'a pas été identifiée, les calculs faits par M. Z... tendent à montrer que les entreprises mentionnées sur ces documents devaient respecter une certaine proportion dans l'attribution des lots.
Document 4
C. LES GRIEFS NOTIFIES
127. Sur la base des éléments qui précèdent ont été notifiés les griefs suivants sur le fondement des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE.
128. S'agissant du marché "hors suites" du 1er semestre 2004 :
"1) le fait pour les sociétés Pichenot Bouillé, Champenoise, TSO, Egénie, ESAF, DVF, ETF, Colas Rail (ex-Séco Rail), TPF, Vecchietti, Meccoli, Olichon et Offroy d'avoir mis en œuvre une entente anticoncurrentielle en échangeant des informations concernant leurs offres respectives avant le dépôt de celles-ci,
2) le fait pour les mêmes sociétés de s'être réparti les lots du marché en désignant à l'avance les sociétés attributaires,
3) le fait pour la société Colas Rail (ex Séco Rail) d'avoir mis en place des offres de couverture au bénéfice des sociétés Pichenot Bouillé, ETF, Olichon, TSO, Vecchietti et Meccoli".
129. S'agissant du marché "hors suites" du 2e semestre 2004 :
"1) le fait pour les sociétés Pichenot Bouillé, TPF, ETF, Vecchietti, Meccoli, Colas Rail (ex Séco Rail), Olichon, Offroy, FDF, Sodesam, Egénie, DVF, ESAF, GVF-TP, TSO, Fourchard, AVF-TP et Champenoise d'avoir mis en œuvre une entente anticoncurrentielle en échangeant des informations concernant leurs offres respectives avant le dépôt de celles-ci,
2) le fait pour les mêmes sociétés de s'être réparti les lots du marché en désignant à l'avance les sociétés attributaires".
II. Discussion
A. SUR LA PROCEDURE
1. SUR LES VISITES ET SAISIES
130. Les sociétés Colas Rail, Vecchietti, ESAF, Sodesam, AVF-TP et GVF-TP demandent à l'Autorité d'écarter du dossier tous les documents saisis par la DGCCRF. Elles font valoir que l'ordonnance du juge autorisant les visites et saisies ne serait pas conforme aux exigences de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après CEDH), telles qu'interprétées par la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt Ravon du 21 février 2008 et qu'il en est de même s'agissant du recours prévu aux dispositions du deuxième alinéa du IV de l'article 5 de l'ordonnance du 13 novembre 2008.
131. A l'appui de leur demande, certaines sociétés font valoir que dans la présente affaire, si la Cour de cassation a rejeté par arrêt du 3 novembre 2005 le pourvoi contre l'ordonnance d'autorisation du juge des libertés et de la détention, elle n'a pu prendre en compte un élément de fait essentiel, tiré de ce que l'origine du dossier aurait été motivée par un faisceau d'indices de pratiques anticoncurrentielles recueillis auprès de la Mission de contrôle économique et financier des transports, qui n'est pas indépendante de la SNCF et qui a fait état d'une prétendue augmentation des prix dans le secteur, sans rappeler que cette hausse était imputable en majeure partie à la SNCF.
132. Elles soutiennent également que les dispositions de l'article 5 IV alinéa 2 de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence seraient un "véritable leurre" et ne permettraient pas un procès équitable au sens des exigences posées par la CEDH. Les entreprises mises en cause indiquent que cette nouvelle voie de recours, en ce qu'elle est ouverte postérieurement à la décision de l'Autorité de la concurrence, méconnaît le principe de l'égalité des armes, lequel requiert en vertu de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg "que chaque partie se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire", qu'il y a une atteinte subjective à l'impartialité de la Cour d'appel de Paris, cette dernière ne pouvant faire abstraction de la décision de l'Autorité lors de l'examen a posteriori de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, que ce recours crée une discrimination injustifiée entre les justiciables dès lors que l'appel ouvert par le 1-3°/ f de l'ordonnance du 13 novembre 2008 est un recours préalable à toute utilisation des pièces saisies et à toute
décision de l'Autorité de la concurrence, que "le délai raisonnable dans lequel toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal" est méconnu, que ce recours ne peut être "effectif dès lors que les pièces et le dossier remis au juge des libertés et de la détention par l'administration ne figurent pas au dossier soumis à la consultation des entreprises devant le Conseil de la concurrence".
133. Toutefois, comme l'a rappelé le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 08-D-30 du 4 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre par des sociétés des Pétroles Shell, Esso SAF, Chevron Global Aviation, Total Outre Mer et Total Réunion, il n'est pas établi que le régime de visites et saisies autorisées sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 13 novembre 2008, se heurte à la même incompatibilité que celle relevée par la Cour à propos de celles opérées en matière fiscale et douanière, alors qu'à la différence de ces dernières, les règles applicables en matière de concurrence permettent aux entreprises de contester devant le juge des libertés et de la détention le déroulement des opérations, en portant devant lui les contestations qui peuvent naître au cours des visites et saisies.
134. Par ailleurs, les dispositions transitoires prévues par l'ordonnance du 13 novembre 2008 précitée, offrent aux entreprises, notamment dans les cas où- comme en l'espèce- la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre une ordonnance d'autorisation de visite et saisie prise en application de l'article L. 450-4 du Code de commerce avant sa modification par l'ordonnance de 2008, la possibilité de contester cette autorisation devant la Cour d'appel de Paris saisie d'un recours au fond contre la décision du Conseil et désormais de l'Autorité statuant sur les pratiques reprochées. Eu égard à cette possibilité, elles ne peuvent se plaindre de ce que le droit positif ne leur permettrait pas d'avoir accès à un "juge effectif" au sens de l'arrêt Ravon précité, alors que leur est ouvert le droit de contester des opérations de visite et de saisie intervenues parfois de nombreuses années auparavant. Le dispositif juridique mis en œuvre tend à permettre aux entreprises de bénéficier d'un contrôle effectif tant en droit qu'en fait pour des autorisations accordées sous le régime ancien.
135. L'ouverture de ce recours postérieurement à la décision rendue par l'Autorité de la concurrence ne méconnaît pas le principe de l'"égalité des armes" puisqu'il n'est nullement fait obstacle à l'examen par la Cour d'appel, dans les conditions du procès équitable, du bien fondé de la contestation formée par les parties visant l'autorisation du juge, sauf à remettre en cause a priori l'impartialité et l'indépendance de la Cour d'appel. Par ailleurs, en se prononçant sur la contestation soulevée par les entreprises sur le fondement de l'alinéa 2 du IV de l'article 5 de l'ordonnance du 13 novembre 2008, la Cour d'appel ne sera pas amenée à statuer sur le bien fondé du grief notifié, mais seulement à vérifier le bien fondé de l'ordonnance ayant autorisé les opérations de visite et de saisie au regard des éléments produits devant le juge par l'administration. La Cour d'appel dans un arrêt du 16 juin 2009 (société Colas méditerranée) a rappelé que l'exigence d'impartialité doit être appréciée concrètement : "l'exigence d'impartialité du juge a pour finalité d'éviter qu'il ne soit habité d'un quelconque préjugé sur l'affaire qui lui est soumise ; que cela implique notamment que le même juge ne soit pas appelé à statuer s'il a dans une précédente intervention pris position ou émis une appréciation qui apparaît comme susceptible d'avoir une influence sur la seconde décision ; qu'ainsi l'exercice successif par un même juge de fonctions juridictionnelles différentes dans un même litige n'est pas forcément contraire à l'exigence d'impartialité mais doit être apprécié au cas par cas par rapport à la finalité recherchée".
136. En outre, l'ordonnance du 13 novembre 2008 ne crée aucune discrimination contraire aux dispositions de la CEDH lorsque d'une part, elle ouvre aux justiciables, à titre permanent, le droit de faire appel des décisions d'autorisation de visite et saisie et lorsque d'autre part, à titre transitoire, elle permet à ceux qui n'ont pu bénéficier de ce droit dans le passé de contester en appel l'autorisation judiciaire rendue en application des dispositions légales antérieures à l'occasion des procédures au fond engagées antérieurement à la publication de l'ordonnance. Il ne peut être par ailleurs valablement soutenu que le cumul de ce recours avec celui qui est exercé contre la décision au fond porte atteinte au droit des justiciables à voir juger leurs affaires dans un délai raisonnable puisque la Cour d'appel sera saisie dans le même délai des deux recours.
137. Enfin, contrairement à ce que soutiennent les entreprises mises en cause, les modalités d'exercice de ce nouveau recours ont été précisées par le texte, car l'alinéa 2 du IV de l'article 5 a de l'ordonnance du 13 novembre 2008 renvoie expressément à l'article L. 464-8 du Code de commerce qui prévoit le délai dans lequel le recours doit être introduit devant la Cour d'appel de Paris.
138. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'illégalité de l'ordonnance d'autorisation de visites et saisies du 23 juin 2004 doit être écarté dans toutes ses branches.
2. SUR LA DEMANDE DE SURSIS A STATUER PRESENTEE A TITRE SUBSIDIAIRE
139. Le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Versailles a rejeté par ordonnance du 5 juin 2009 les demandes en référé-rétractation présentées par les sociétés R. Vecchietti et Colas Rail contre la décision ordonnant les visites et saisies au motif que ces sociétés disposaient de voies de recours effectives au sens de l'article 6 § 1 de la CEDH.
140. Il n'y a donc pas lieu de faire droit, en tout état de cause, à la demande de sursis à statuer formée par ces sociétés et fondée sur la circonstance qu'elles avaient déposé un tel référé rétractation.
3. SUR LA REPONSE AUX OBSERVATIONS DES PARTIES
141. Certaines parties estiment insuffisantes les réponses faites par le rapport à leurs observations.
142. Selon une jurisprudence constante, il n'est pas nécessaire que le rapport réponde au détail de l'argumentation des parties, dès lors qu'il contient l'essentiel des considérations concernant les éléments soumis à la discussion contradictoire. Ainsi, dans l'arrêt "Ordre des avocats au barreau de Marseille" du 24 janvier 2006, la Cour d'appel de Paris a jugé que le rapporteur n'a pas à répondre à tous les arguments développés par les parties. Cette règle concernant la motivation a été rappelée dans l'arrêt de la Cour d'appel du 4 avril 2006 : "la décision du Conseil étant motivée en droit et en fait, aucune nullité ne saurait résulter de ce qu'il n'a pas suivi la société (...) dans le détail de son argumentation, que celle-ci a du reste tout loisir de soumettre à nouveau à la Cour au soutien de son recours de pleine juridiction, qu'il s'agisse d'éléments non écartés expressément par la décision ou selon elle retenus à tort en ce qu'ils seraient erronés ou dénués de pertinence".
143. Les critiques relatives au rapport sont donc sans fondement.
B. SUR L'APPLICABILITE DU DROIT COMMUNAUTAIRE
144. Les sociétés Colas Rail et Vecchietti contestent l'applicabilité de l'article 81 du traité CE au triple motif que les sociétés étrangères sont peu intéressées par les marchés de la SNCF, ce qui ressortirait, selon ces entreprises, des auditions des représentants de cette dernière, que la publication de ces marchés au niveau communautaire au JOUE n'a été effectuée que pour des raisons juridiques, c'est-à-dire "pour satisfaire aux obligations d'information et de mise en concurrence, mises à la charge des entités adjudicatrices par les articles 21 et 22 de la directive 93/98" et que la communication de la Commission européenne, en date du 27 avril 2004, relative à la notion d'affectation du commerce entre États membres ne pose qu'une "présomption positive réfutable" d'affectation sensible du commerce entre États membres dès lors que le chiffre d'affaires réalisé par les parties avec les produits concernés par l'accord excède 40 millions d'euro.
145. L'article 81 du traité CE s'applique aux accords horizontaux et verticaux qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres. Les cartels nationaux sont, par définition, susceptibles d'affecter le commerce intracommunautaire. Ainsi que l'énonce le paragraphe 53 de la communication 2004-C 101-07 de la Commission du 27 avril 2004 comportant lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité (JO C 101, p. 81), l'affectation sensible du commerce intracommunautaire est présumée dès lors que le chiffre d'affaires réalisé par les parties avec les produits concernés par l'accord excède 40 millions d'euro et que cet accord couvre l'ensemble du territoire national. Selon le paragraphe 79 de la communication: "(...) en principe, ces accords peuvent également, par leur nature même, affecter sensiblement le commerce entre États membres, compte tenu de la couverture de marché requise pour assurer l'efficacité de ces ententes". Dans une décision n° 05-D-38 du 5 juillet 2005 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché du transport public urbain de voyageurs, ainsi que plus récemment dans la décision n° 09-D-05 du 2 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le travail temporaire, le Conseil de la concurrence a ainsi considéré que : "Les cartels nationaux sont par définition susceptibles d'affecter le commerce intra-communautaire dès lors que le cartel couvre l'ensemble du territoire national et est mis en œuvre par des sociétés d'envergure internationale". Comme le relèvent les deux entreprises ci-dessus citées, il ne s'agit cependant que d'une présomption qui est réfutable.
146. En l'espèce, les pratiques mises en cause sont présumées affecter sensiblement le commerce intra-communautaire, en raison des montants des deux marchés de travaux de voies ferrées concernés, considérés globalement, et parce qu'elles couvrent l'ensemble du territoire national. De plus, elles sont mises en œuvre par des sociétés d'envergure internationale, comme la société Séco Rail (devenue Colas Rail) qui est implantée dans d'autres pays européens ou la société TSO qui a effectué de nombreux chantiers à l'étranger et notamment en Europe.
147. De plus, malgré les difficultés liées au processus de qualification exigé par la SNCF, la concurrence étrangère existe dans ce secteur d'activité, puisque la société allemande Heitkamp a soumissionné sur le 1er marché "hors suites" 2004 et a remporté le lot pour lequel elle avait fait une offre. Enfin, il résulte clairement de l'instruction que la SNCF et RFF souhaitaient à l'époque des faits, comme aujourd'hui, ouvrir le marché à la concurrence européenne. Ainsi, M. Jean-Pierre A..., contrôleur financier à la mission de contrôle économique et financier des transports déplorait, lors de son audition du 17 décembre 2003 (cotes 3548-3552), que le Syndicat des Entrepreneurs des Voies Ferrées de France ait réagi contre l'offre d'une société espagnole relative à la réouverture de la ligne Cannes-Grasse, tandis que M. B..., chef de la division marchés à la direction générale des infrastructures de la SNCF, regrettait lors de son audition du 15 janvier 2008 que la candidature des entreprises étrangères ne soit pas plus fréquente.
148. En conséquence, les pratiques en cause sont susceptibles d'avoir affecté sensiblement le commerce intracommunautaire. Elles doivent donc être examinées aussi au regard de l'article 81 du traité.
C. SUR LE BIEN FONDE DES GRIEFS
1. SUR LE FONCTIONNEMENT DES APPELS D'OFFRES RELATIFS AUX MARCHES FERROVIAIRES
149. Les entreprises mises en cause prétendent que certaines modalités de fonctionnement des marchés ferroviaires et le comportement du maître de l'ouvrage délégué, la SNCF, rendent improbable l'existence d'ententes (1er point), que les marchés auraient été déclarés infructueux par la SNCF en cas d'entente (2e point), que la porosité de ces marchés facilite la circulation naturelle des informations en dehors de toute concertation (3ème point), que l'infériorité des prix d'attribution des lots par rapport aux prix objectifs établis par la SNCF démontre l'absence d'entente (4e point), que le choix de certaines entreprises était lié à leur localisation géographique et n'impliquait pas un échange d'informations (5e point).
Sur les modalités de fonctionnement des marchés ferroviaires et le comportement du maître d'ouvrage délégué (1er point)
150. Une entreprise fait remarquer que les marchés passés par la SNCF n'étant pas soumis au Code des marchés publics, la jurisprudence du Conseil de la concurrence n'est pas applicable, oubliant que cette jurisprudence s'applique aussi bien aux marchés publics qu'aux marchés privés sur appel d'offres.
151. Plusieurs entreprises font valoir que de nombreux paramètres ne peuvent être anticipés de manière fiable par les opérateurs, car ils interviennent postérieurement à l'ouverture des plis et rendent inutile ou improbable toute entente entre les entreprises. Elles indiquent également que la structure du marché qui est à la fois peu concentrée, du fait du grand nombre d'entreprises et asymétrique du fait de l'existence de trois acteurs importants et d'une multitude de plus petits, est défavorable à la mise en place d'une entente, à tout le moins sous la forme d'une collusion tacite et que par ailleurs, "des échanges d'informations sur un tel marché n'ont pas forcément des effets anticoncurrentiels".
152. Toutefois, l'incertitude liée à certains paramètres tenant à la possibilité d'une déprogrammation de certains lots par la SNCF, au nombre important de sociétés soumissionnaires potentielles pour chaque lot et à l'existence de nouveaux entrants, est commune à de nombreux marchés et ne saurait par elle-même empêcher toute concertation entre les entreprises, et notamment tout échange d'informations. En outre, la déprogrammation de certains lots est souvent suivie d'un report sur le marché suivant, comme ce fut le cas s'agissant du 1er marché "hors suites", pour lequel un nouvel appel d'offres concernant certains lots a été lancé (4).
153. Quant aux autres paramètres invoqués par les sociétés, fondés l'un sur une renégociation par la SNCF des offres notamment avec une entreprise qui n'était pas initialement la moins disante, et l'autre sur l'attribution des lots dépendant du prix total constitué par l'addition de deux composantes dont l'une était inconnue des entreprises, c'est-à-dire l'offre faite par la SNCF pour la traction, ils ne rendent pas impossible toute concertation.
154. Il faut noter, en premier lieu, que la SNCF a toujours négocié avec l'entreprise ayant présenté l'offre la moins-disante, soit globalement, soit sur la prestation de base, en tenant compte de l'offre de traction présentée par la SNCF.
155. En effet, il ressort de l'instruction et notamment du procès verbal d'audition (cotes 4505-4507) du 25 mars 2008 de M. C..., qui était à l'époque des faits, chef du pôle achat à la direction de l'infrastructure de la SNCF, que cette dernière "en 2004 n'avait aucun intérêt à communiquer des informations aux entreprises (il n'y avait pas à l'époque de liste restreinte pour la négociation comme c'est le cas aujourd'hui et on ne négociait qu'avec le moins-disant, sauf impossibilité technique de réalisation)". Il ressort également des déclarations de M. C... que la mise en place d'un nouveau système de négociation avec une liste restreinte d'entreprises moins-disantes pour chaque lot, système plus aléatoire que le précédent, a eu pour objet de déjouer les éventuelles ententes entre les entreprises.
156. En second lieu, la circonstance que le prix de la traction retenu par la SNCF n'ait pas été connu des entreprises, ne pouvait à elle seule empêcher toute forme de concertation et d'anticipation des résultats, si ce n'est sur le montant final des lots attribués, dès lors que cette inconnue était une constante. En outre, la SNCF n'a pas fait d'offre de traction pour de très nombreux lots.
157. La société ETF souligne de son côté que la SNCF faisait évoluer ses demandes de prestations avant et après la remise des offres, mais il apparaît que dans le premier cas elle demandait aux concurrents de présenter une nouvelle offre.
158. En tout cas, ces caractéristiques que les entreprises allèguent comme propres aux marchés de la SNCF ne sont pas de nature à rendre impossible toute forme de collusion en raison d'une trop grande incertitude.
159. Le comportement de la SNCF sur ces marchés est non seulement mis en cause en raison de l'exercice de son pouvoir de renégociation pour parvenir à l'attribution des lots mais aussi en raison de l'existence de "fuites".
160. Ainsi parmi les documents saisis chez la société Pichenot Bouillé, figure un document intermédiaire de la SNCF relatif au dépouillement des offres du marché du 1er semestre 2004, différent du document final remis à RFF, tendant à établir que certaines informations postérieures à l'ouverture des plis, ont fait l'objet de "fuites" de la part de la SNCF.
161. Cependant, si ces "fuites" d'informations rendent plus difficile l'analyse des documents saisis, elles n'empêchent pas d'y procéder mais exigent de faire la part entre les informations qui ont pu être transmises par la SNCF et celles qui n'ont pu l'être.
162. Comme l'a indiqué M. C... lors de son audition du 25 mars 2008 (cotes 4505-4507), "s'agissant des documents que vous me montrez, je ne sais pas si certaines informations ont fuité ou pas. Mais je ne vois pas comment ces documents peuvent porter des informations chiffrées, à supposer qu'elles viennent de la SNCF, différentes du montant de l'offre ou du montant d'attribution de l'offre, ou n'étant pas comprises dans la fourchette de ces deux montants tels qu'ils sont indiqués dans le rapport de dépouillement des offres.". De plus, il a été rappelé plus haut que la SNCF ne négociait, lors des marchés concernés, qu'avec le moins-disant, et qu'après ouverture des plis, de sorte que l'allégation d'ETF selon laquelle "il peut arriver que le niveau de certaines offres soit connu de la SNCF dès avant l'ouverture des plis" n'est pas établie.
163. D'ailleurs, selon une jurisprudence constante du Conseil de la concurrence, les pratiques utilisées par le maître de l'ouvrage à l'occasion d'un appel d'offres, même si elles facilitent les pratiques irrégulières des entreprises, ne peuvent pas faire échec à l'application des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ni 81 du traité CE, dès lors que sont établies à l'encontre des sociétés des pratiques tendant à fausser le jeu de la concurrence (arrêt Sogéa de la Cour de cassation du 12 janvier 1993, décision du Conseil de la concurrence n° 05-D-19 du 12 mai 2005 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre des marchés de construction des ouvrages d'art pour la réalisation de l'autoroute A 84).
164. Enfin, le moyen tiré de ce que sur un tel marché, les échanges d'informations n'auraient pas nécessairement un effet anticoncurrentiel doit être écarté.
165. Il est en effet constant qu'en matière de marchés sur appels d'offres, qu'ils soient publics ou privés, un échange d'informations a pour objet de connaître la position des concurrents et de définir son offre à partir des informations ainsi recueillies qui, en réduisant l'incertitude relative au contenu des autres offres, fait disparaître la concurrence que l'organisation de l'appel d'offres a justement pour fonction de promouvoir.
Sur l'existence d'une procédure propre au règlement général des marchés (point n° 2)
166. Bien que ni la SNCF ni RFF n'aient fait application de leur règlement général des marchés qui précise qu'une consultation peut être déclarée infructueuse notamment lorsqu'une présomption d'entente ressort de l'appel d'offres, cette prise de position ne laisse pas présumer l'absence de concertation entre les entreprises mais peut s'expliquer par le coût représenté par l'organisation d'un nouvel appel d'offres et l'urgence des travaux à réaliser.
Sur la circulation naturelle des informations et la porosité de ces marchés (point n° 3)
167. La société Pichenot Bouillé fait valoir que la porosité du marché due à la nécessité de disposer d'une habilitation de la SNCF pour soumissionner aux appels d'offres permet la circulation des informations en l'absence de tout échange entre les entreprises. Elle soutient ainsi que les contraintes techniques qui impliquent la sous-traitance et la location de matériel entre les entreprises ainsi que la "mobilité des hommes et plus particulièrement des cadres qui intervient dans ce micro milieu favorise sa porosité". Cette argumentation relative à l'interdépendance naturelle des entreprises dans le secteur est reprise par les sociétés TSO et Olichon, qui d'ailleurs produisent un schéma présentant la situation des sociétés et des personnes au moment des faits.
168. La société ETF a reconnu dans ses observations à la notification des griefs qu'un de ses collaborateurs avait pu transmettre de manière frauduleuse à M. Jean-Baptiste X... des informations et que ce salarié qui avait accès à l'information en cause, a démissionné pour rejoindre M. Jean-Baptiste X... très peu de temps après que ce dernier ait intégré la société ESAF. (voir infra l'analyse du document 5 sur le 2ème marché au § 265).
169. Dans leur dernier mémoire, les sociétés Champenoise et ETF font valoir qu'elles "ne contrôlent aucun moyen d'accès à l'information concernant d'autres acteurs mais (qu'elles) ont pu être, malgré elles, la cible de ces réseaux, notamment via certains de leurs actionnaires directs et indirects : tout d'abord, certains projets d'offres d'ETF ont été retrouvés lors des visites et saisies dans les locaux d'un de ses actionnaires, Amec Spie ; ensuite, Jean-Baptiste X... a occupé des fonctions au sein de Drouart, Spie Drouart, puis Amec Spie dans les années qui ont précédé les faits, avant qu'il rejoigne Séco Rail ; enfin, Franck Bataille, conducteur de travaux (participant en cette qualité à l'élaboration des offres) a suivi peu de temps après JB X... et pourrait l'avoir également alimenté en informations alors qu'il était encore dans l'entreprise, en dehors évidemment de l'exercice de ses fonctions". Elles en concluent que l'information ayant transité par le biais de leurs actionnaires, aucune infraction ne peut leur être reprochée en vertu de la jurisprudence européenne du 27 novembre 2002, plaques en plâtre, COMP/E-1/37.152 ou du Conseil de la concurrence (décision n° 07-D-29 du 26 septembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés publics d'installations électriques lancés par l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles).
170. Mais il ressort des observations susmentionnées d'ETF ainsi que de celles mentionnées au § 265 de la présente décision que les informations relatives aux offres d'ETF, et plus spécifiquement à l'offre de cette entreprise sur les lots 11 et 22 du 2e marché de 2004, n'ont pas été relayées par des actionnaires mais par un collaborateur d'ETF, de sorte que la jurisprudence invoquée ne saurait s'appliquer en l'espèce. Au demeurant, la décision du Conseil susmentionnée n° 07-D-29, également citée dans le rapport, ne concerne pas la transmission d'informations par des actionnaires, mais celles dont sont responsables les salariés de l'entreprise. Cette décision rappelle le principe affirmé dans la décision n° 02-D-37 du 14 juin 2002 relative à la situation de la concurrence dans le secteur des tuyauteries de gaz selon lequel "le fait que l'échange d'informations et la coordination des offres aient procédé d'initiatives individuelles de salariés, agissant dans le cadre leurs fonctions, est sans influence sur la qualification de la pratique".
171. De manière générale, le moyen tiré de la porosité naturelle du milieu ne saurait venir utilement étayer la thèse des entreprises relative à l'impossibilité d'une entente sur les marchés concernés et montre au contraire que les échanges d'informations entre les entreprises sont facilités et constituent une menace sérieuse contre la concurrence.
Sur l'infériorité des prix d'attribution des lots par rapport aux prix objectifs établis par la SNCF (point n° 4)
172. Les entreprises soutiennent que les travaux des marchés concernés ont été globalement réalisés à un prix inférieur au prix objectif initialement établi par la SNCF démontrant l'absence d'entente entre les entreprises.
173. Mais ainsi que l'a rappelé le Conseil de la concurrence dans une décision n° 06-D-07 du 21 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des travaux publics dans la région Ile de France : "Les entreprises ne peuvent pas soutenir pour leur défense que dans de nombreux cas, l'offre retenue était d'un montant inférieur à l'estimation de l'administration. Seul le fonctionnement normal de la concurrence et l'incertitude sur le montant des offres proposées par les concurrents sont de nature à garantir l'obtention du juste prix".
174. S'il est vrai que les entreprises ont soumissionné en dessous du prix objectif, ce résultat n'est pas dû à une concurrence intense lors du dépôt des offres mais provient en grande partie des remises importantes accordées à la SNCF après attribution des lots. L'argument mis en avant par les entreprises est sans influence sur la qualification des pratiques concernées.
Sur le choix de certaines entreprises pour certains lots en fonction de la localisation géographique de ces entreprises (point n° 5)
175. Certaines entreprises de petite taille font valoir qu'il était facile de deviner les lots pour lesquels elles allaient soumissionner en comparant leur localisation géographique et celle des lots en question de sorte que la mention de leur nom sur les documents saisis en face d'un certain lot ne saurait établir l'échange d'informations.
176. Mais, cet argument tiré de la localisation géographique ne signifie pas pour autant que l'on puisse "deviner" le ou les quelques lots pour lesquels elles allaient soumissionner. En l'espèce, il ressort des documents saisis qu'ils ne se bornent pas à faire état pour chaque petite entreprise de l'ensemble des lots situés dans sa zone géographique d'intervention, mais seulement de quelques lots, auxquels l'entreprise a soumissionné ou dont elle a été attributaire, ce qui ne pouvait se laisser "deviner" d'une simple localisation géographique.
2. SUR LE STANDARD DE PREUVE
177. Chaque marché passé selon une procédure d'appel d'offres constitue un marché pertinent, résultant de la confrontation concrète, à l'occasion de cet appel d'offres, d'une demande du maître de l'ouvrage et des propositions des candidats qui soumissionnent à cet appel d'offres.
178. La jurisprudence du Conseil de la concurrence en matière de marchés publics ou privés sur appels d'offres considère qu'il est établi que les entreprises ont conclu une entente anticoncurrentielle dès lors que la preuve est rapportée, soit qu'elles sont convenues de coordonner leurs offres, soit qu'elles ont échangé des informations antérieurement à la date où le résultat de l'appel d'offres est connu ou peut l'être (voir en ce sens par exemple la décision n° 03-D-19 du 15 avril 2003 du Conseil relative à des pratiques relevées sur le marché des granulats dans le département de l'Ardèche).
179. Ces pratiques peuvent avoir pour objet de fixer des niveaux de prix auxquels seront faites les soumissions, voire de désigner à l'avance le futur titulaire du marché en le faisant apparaître comme le moins disant. Mais de simples échanges d'informations portant sur l'existence de compétiteurs, leur nom, leur importance, leur disponibilité en personnel ou en matériel, leur intérêt ou leur absence d'intérêt pour le marché considéré, ou les prix qu'ils envisagent de proposer, altèrent également le libre jeu de la concurrence en limitant l'indépendance des offres (voir en ce sens notamment les décisions du Conseil n° 01-D-13 du 19 avril 2001 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du transport public de voyageurs dans le département du Pas-de-Calais et n° 06-D-08 du 24 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés publics de construction de trois collèges dans le département de l'Hérault).
Sur l'entente
180. Certaines des sociétés mises en cause soutiennent que "la qualification d'une pratique d'entente anticoncurrentielle est subordonnée à la démonstration de la volonté des entreprises d'adhérer à l'action collective" et que les exigences en matière de preuve d'une concertation entre les entreprises ne seraient pas réunies dès lors que les indices résultent seulement de documents internes saisis chez les entreprises Colas Rail et Pichenot Bouillé sans que soient produits des échanges de courriels, de compte rendus de réunions ou que l'offre d'une entreprise ait été retrouvée chez une entreprise concurrente. Elles font également valoir, en se fondant notamment sur l'arrêt de la Cour d'appel du 15 janvier 2008 "Société Devin Lemarchand Environnement" que lorsque les preuves avancées sont constituées par des documents internes à une entreprise, il est nécessaire d'apporter la preuve d'un "acte positif d'échange d'information", lequel manquerait en l'espèce.
181. Cependant, lorsque l'entente anticoncurrentielle prend la forme d'un échange d'informations antérieur au dépôt des offres, un tel échange, en lui-même, exprime la volonté de limiter l'indépendance des offres et de s'entendre pour fausser le jeu de la concurrence sur le marché public considéré (décisions n° 89-D-42, n° 01-D-17, n°07-D-47). De plus, il est de jurisprudence constante que la preuve de l'échange d'informations et de son antériorité au dépôt des offres peut résulter soit de preuves se suffisant à elles mêmes, soit d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants, constitué par le rapprochement de diverses pièces recueillies au cours de l'instruction, même si chacune des pièces prises isolément n'a pas un caractère suffisamment probant (voir notamment la décision n° 01-D-17 du 25 avril 2001 relative à des pratiques anticoncurrentielles dans les marchés d'électrification de la région du Havre, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 4 février 2003 et l'arrêt de la CJCE du 28 mars 1984, CRAM et Rheinzink c/ Commission aff. 29-83 et 30-83).
182. Par ailleurs, comme l'a rappelé à maintes reprises le Conseil de la concurrence, en droit de la concurrence, la preuve est libre.
183. Ainsi, dans une décision n° 07-D-48 du 18 décembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du déménagement national et international, le Conseil a indiqué que "pour apprécier la valeur probante d'une déclaration ou d'un document, il faut en s'inspirant de ce que jugent les juridictions communautaires : en premier lieu vérifier la vraisemblance de l'information qui y est contenue. Il faut alors tenir compte, notamment, de l'origine du document, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et se demander si, d'après son contenu, il semble sensé et fiable" (Tribunal de première instance des Communautés européennes, 25 octobre 2005, Groupe Danone, T 38-02)". La Cour de cassation a en outre rappelé dans un arrêt du 8 décembre 1992 (chambre commerciale), que c'est moins la valeur intrinsèque de chaque indice pris isolément qui est déterminante que la force de conviction que fait naître, à l'issue du débat contradictoire, la réunion de tous les indices. Ainsi, contrairement à ce que prétendent les parties, la jurisprudence n'a jamais exigé que la preuve d'une concertation au moyen d'un échange d'informations nécessite la preuve d'un acte positif d'information tel qu'un échange de mails ou la découverte de compte- rendus de réunions ou encore d'une offre communiquée à une entreprise concurrente.
184. Il est encore constant que l'échange d'informations peut être prouvé à partir de documents internes à une entreprise. Un document régulièrement saisi, quel que soit le lieu où il l'a été, est opposable à l'entreprise qui l'a rédigé, à celle qui l'a reçu et à celles qui y sont mentionnées. Il sert à prouver que cet échange a eu lieu par son origine, son contenu et le cas échéant, par le rapprochement avec d'autres indices concordants (Cour d'appel de Paris, décisions du 18 décembre 2001, SA Bajus Transport, et du 26 novembre 2003, société Préfall ; Cour de cassation, arrêt du 12 janvier 1993, société Sogea). Une entreprise ne peut donc pas arguer du fait qu'elle n'a pas fait l'objet d'une opération de visites et saisies, ou qu'aucun des documents qui fondent les griefs n'a été saisi chez elle, pour démontrer son absence de participation à l'entente.
185. De surcroît, la Cour de cassation, dans un arrêt du 25 avril 2001, a considéré que "la variété des indices qui doivent être retenus pour présumer l'existence d'une entente anticoncurrentielle n'impose pas la diversité de leurs sources".
186. Enfin, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 15 janvier 2008 société Devin, Lemarchand Environnement ne saurait constituer un précédent pertinent en l'espèce, la Cour ayant, dans cet arrêt, censuré le Conseil au motif qu'un document unique constituait une preuve insuffisante en l'absence d'acte positif d'échange d'informations ou d'autre élément extrinsèque. Or, dans la présente affaire, la preuve recherchée est celle d'un faisceau d'indices graves précis et concordants, constitué de plusieurs documents.
Sur l'exigence du renforcement du niveau de preuves
187. Contrairement aux allégations des parties, la jurisprudence ne pose pas une exigence du renforcement du standard de preuves lorsque des informations sont susceptibles d'être fournies par une source autre que les entreprises elles-mêmes, comme par exemple le maître d'ouvrage.
188. Les parties mises en cause, soutiennent qu'un standard de preuve plus élevé doit être appliqué lorsque des informations peuvent provenir d'une source extérieure, en l'espèce la SNCF, et pour étayer leur thèse, elles invoquent la décision n° 04-D-01 du 6 février 2004 du Conseil de la concurrence relative à des pratiques concernant un marché de travaux souterrains gaz et électricité organisés par EDF-GDF en Seine-et-Marne. Elles font notamment valoir que le Conseil a, à cette occasion, considéré que le fait que les indications portées sur un document présentent des différences avec le résultat de l'appel d'offres ne pouvait à lui seul constituer la preuve que ces informations provenaient d'un échange entre les entreprises concernées, préalable au dépôt des offres.
189. Mais, la décision précitée du Conseil ne pose, contrairement à ce qui est soutenu, aucun principe de renforcement du standard de preuve car elle se borne à constater qu'un seul tableau non daté ne peut à lui seul constituer la preuve d'un échange d'informations préalable au dépôt des offres, dès lors que les informations n'avaient pu être communiquées que par EDF-GDF, en principe détenteur exclusif des informations concernées. Cette jurisprudence ne trouve pas à s'appliquer dans le cas d'espèce dès lors que nombre d'informations portées sur les documents saisis ne peuvent, eu égard à leur contenu, avoir été communiquées par la SNCF.
190. Par ailleurs, il faut rappeler qu'en vertu d'un arrêt de la Cour d'appel du 2 avril 1996, société Pro Gec SA, "La preuve de l'antériorité de la concertation par rapport au dépôt de l'offre peut être déduite à défaut de date certaine apposée sur un document de l'analyse de son contenu et du rapprochement de celui-ci avec des éléments extrinsèques et notamment avec le résultat des appels d'offres".
Sur la nécessaire individualisation de la preuve
191. La société Colas Rail soutient qu'en vertu d'un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 26 juin 2007, Société Guerlain SA et autres, "la recherche de la preuve d'une éventuelle entente exige l'examen individuel des éléments du dossier, société par société...[et que] la notification de griefs aurait par conséquent dû s'attacher à démontrer l'existence d'échanges d'informations entre la société Colas Rail et chacune des sociétés avec lesquelles il lui est reproché de s'être concertée".
192. Mais, contrairement à ce qui est soutenu, l'arrêt invoqué qui a statué en matière d'entente verticale n'a pas exigé la preuve individualisée d'une entente entre un fournisseur et la multitude de ses distributeurs. La conception de l'entente par échange d'informations ci-dessus rappelée (§ 181) répond à l'individualisation de la preuve. Parmi les entreprises qui ont participé à un appel d'offres, il convient de déterminer les entreprises qui ont échangé des informations car de ce fait elles ont renoncé à préserver l'indépendance de leur offre et voulu fausser la concurrence à l'égard des entreprises avec lesquelles elles sont en concours. Cependant, s'il convient d'établir qu'une entreprise a échangé des informations avec une autre entreprise participant au même appel d'offres, il n'y a pas lieu d'établir qu'il y a eu un échange avec chacune des entreprises mises en cause dans l'entente. L'individualisation de la preuve implique donc de vérifier que les documents retenus à titre d'indices comportent bien la mention des entreprises auxquelles est reproché l'échange d'informations comme cela ressort de la jurisprudence citée au § 184 selon laquelle un document régulièrement saisi peut être utilisé comme preuve d'une concertation ou d'un échange.
3. SUR LA PREUVE
a) Sur le marché "hors suites" du 1er semestre 2004
1) Les documents 2 et 6
193. Comme il a été dit ci-dessus au § 28, le document 2 contient des informations qui ont été obtenues sur la base des résultats définitifs de l'appel d'offres après négociation des offres par la SNCF. En revanche, le document 6 comporte des informations qui ne sont que partiellement conformes aux résultats de l'appel d'offres tels qu'ils sont apparus à l'ouverture des plis et n'ont donc pas été communiquées par la SNCF. Les entreprises mises en cause soutiennent au contraire que les informations contenues dans ce document ont été communiquées par le maître de l'ouvrage lors de l'ouverture des plis, qui a précédé de 40 jours le résultat final de l'appel d'offres, ce qui expliquerait d'une part, la mention "non attribué" figurant sur le document 6 qui correspondrait à trois catégories de lots, la première concernant les lots dont l'attribution a été retardée après l'ouverture des plis, la deuxième, concernant les lots sans suite, la troisième, les lots qui ont fait l'objet d'une révision du prix objectif et d'autre part, les discordances entre les montants des offres, lesquelles résulteraient des "discussions et révisions" de la SNCF sur les montants des offres.
194. En premier lieu, l'interprétation faite par les parties de la mention "non attribué" n'explique pas en l'espèce pourquoi figure à côté du lot 64 le nom d'ETF, alors que la SNCF a estimé ce lot non attribuable à l'ouverture des plis en raison du montant excessif des offres remises au regard de l'estimation initiale du prix objectif, ni pourquoi figure à côté du lot 8 la mention "non attribué", alors que la SNCF a estimé ce lot attribuable à l'ouverture des plis, ni enfin pourquoi figure le nom de Meccoli à côté du lot 66 alors que la SNCF n'a jamais estimé ce lot attribuable et qu'il ne lui a pas été donné de suite.
195. En outre, si la mention "non attribué" correspondait aux trois catégories de lots ci-dessus énumérés, cette mention devrait concerner un nombre important de lots, soit au total 25 lots, dont 6 ont été déclarés sans suite (les lots n° 11, 33, 47, 49, 58 et 66), 13 ont faitl'objet d'une négociation préalable (les lots n° 8, 9, 25, 26, 27, 30, 37, 38, 40, 53, 54, 62 et 64), 5 une révision du prix objectif (les lots n° 1, 2, 4, 36 et 53) et 1, le lot 24, l'objet d'une remise d'une nouvelle offre de la part d'une société soumissionnaire. Or, la mention figurant sur le document 6 apparaît aux côtés de 11 lots seulement (soit les lots n° 1, 2, 4, 8, 24, 30, 33, 36, 40, 53 et 54). Il en résulte qu'il n'est pas établi que cette mention soit postérieure à l'ouverture des plis comme le soutiennent les parties.
196. Par ailleurs, la circonstance invoquée par certaines sociétés, que ce document porte aux côtés de certains lots la mention "annulé" (soit les lots 22, 42, 49 et 58) ne peut pas être retenue comme la preuve de ce qu'il est postérieur à l'ouverture des plis, dès lors que l'information relative à cette annulation pouvait être connue antérieurement à l'ouverture des plis. C'est ce qu'a du reste indiqué M. X... dans ses déclarations du 24 novembre 2004 : "Annulé" signifie que le client ne donnera pas suite à un lot, cette information étant connue avant l'ouverture des offres". Il ressort en effet du rapport de dépouillement des offres que les lots 22 et 42 n'ont pas donné lieu à ouverture de plis, que le lot 49 devait faire l'objet d'une réalisation au 7 juin 2003, soit à une date antérieure à l'ouverture des plis et que le lot 58 a été déclaré sans suite en raison d'un report de l'opération en 2005.
197. En second lieu, les discordances relatives aux montants des offres observées entre le document 6 et les résultats de l'appel d'offres à l'ouverture des plis montrent que ces chiffres n'ont pas été communiqués par la SNCF.
<emplacement tableau>
198. Le tableau ci-dessus reproduit montre que les différences entre le document 6 et les résultats de l'appel d'offres à l'ouverture des plis sont au nombre de 13 (soit les lots 18, 20, 29, 37, 38, 41, 44, 47, 48, 52, 56, 59 et 66) sur 25 lots renseignés et mentionnant un montant. Ces différences sont parfois minimes (quelques euro) pour les lots 29, 52 et 56 et parfois beaucoup plus importantes pour les autres lots.
199. L'affirmation des entreprises mises en cause selon laquelle il s'agit de montants simplement "arrondis" de l'offre du moins disant n'est pas corroborée pour tous les lots. Elle ne l'est pas pour les lots susmentionnés 29, 52 et 56, pour lesquels les différences ne sont que de quelques euro. Elle ne l'est pas plus pour le lot 20, le chiffre de 150 000 figurant sur le document 6 ne pouvant être regardé comme l'"arrondi" du montant de l'offre de 183 924 euro soumise par le groupement Vecchietti-Meccoli. Le même raisonnement peut être suivi pour le lot 47 où la somme de 850 000 ne peut être l'"arrondi" de l'offre effectivement soumise de 900 841, le lot 48, où le chiffre de 400 000 ne peut être l'"arrondi" du montant de l'offre de 357 929 euro. L'explication donnée n'est donc pas valable.
200. Outre ces différences concernant les montants, le tableau n'indique pas exactement l'attributaire des lots 43 et 60, soit en ne mentionnant pas le groupement, soit en ne donnant pas la composition exacte du groupement. Enfin, il faut rappeler que s'agissant du lot 38, le montant indiqué ne concerne qu'un seul des chantiers de ce lot.
201. Il en résulte qu'il ne peut être soutenu que les informations figurant dans le document 6 proviennent toutes de la SNCF, ni que les erreurs ci-dessus rappelées seraient "dues au désintérêt porté par M. X... à ces lots, ou à la mauvaise compréhension des estimations qui lui ont été remises par ses interlocuteurs de la SNCF". En effet, comme l'a rappelé le Conseil de la concurrence dans une décision n° 06-D-08 du 24 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés publics de construction de trois collèges dans le département de l'Hérault, confirmée par la Cour d'appel "Des montants exacts pourraient sans doute faire hésiter entre une élaboration antérieure ou postérieure au résultat de l'appel d'offres, mais des montants seulement approchants, comme en l'espèce, permettent d'écarter la thèse d'informations reçues a posteriori". (voir également en ce sens notamment les décisions n° 01-D-14 du 14 mai 2001 confirmée en appel et pourvoi en cassation rejeté par un arrêt du 13 novembre 2003 ; et n° 88-D-25 du 14 juin 1988 confirmée par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 15 décembre 1988).
202. Enfin, le caractère incomplet du document n'établit pas, contrairement à ce que soutiennent les entreprises ETF et Champenoise, qu'il serait postérieur à l'ouverture des plis. De même, la mention "sté allemande" à côté du lot 50 ne peut établir à elle seule que ce document est postérieur à l'ouverture des plis. Cette mention peut s'expliquer autrement, en ce sens que l'auteur du document a su qu'une société allemande, sans pouvoir davantage l'identifier, était bien placée pour le lot 50 qu'elle a d'ailleurs remporté, confirmant la prévision.
203. Le document 6, qui comporte des informations qui ne sont que partiellement conformes à l'appel d'offres est donc antérieur à l'ouverture des plis. Il comporte également la mention "Répartition non officielle" aux côtés du lot 62, information dont il ne peut être soutenu qu'elle a été communiquée par la SNCF. Ce document constitue donc un indice relatif à un échange d'informations entre les entreprises antérieur à l'ouverture des plis.
204. Enfin, le moyen invoqué par les sociétés mises en cause selon lequel ce document est impropre à démontrer leur participation à une concertation au motif que les informations qu'il contient correspondent, soit parfaitement au montant de leur offre lors de l'ouverture des plis, soit comportent de grossières erreurs, soit constituent des "arrondis" doit être écarté.
205. En effet, dès lors que ce document est antérieur à l'ouverture des plis, le caractère exact ou inexact des informations qu'il contient ne peut emporter comme conséquence que ce document ne puisse être retenu comme indice à l'encontre de l'entreprise qui s'y trouve mentionnée.
2) Les documents 11 et 12
206. Les parties contestent tant l'antériorité des annotations portées sur ces documents que la signification des corrections manuscrites apportées au montant des offres de Séco Rail.
Sur l'antériorité des annotations portées sur les documents
<emplacement tableau>
207. Il faut rappeler en premier lieu que ces documents imprimés sont datés des 7 et 6 août 2003 antérieurement à l'ouverture des plis et le document 11 révèle par ses annotations manuscrites que M. X... connaissait les entreprises concurrentes quinze jours avant l'ouverture des plis. L'antériorité des annotations manuscrites figurant dans la colonne "détail des travaux" ressort non seulement de la date du document mais aussi de leurs discordances avec les résultats de l'appel d'offres à l'ouverture des plis.
208. Le moyen invoqué par certaines parties d'après lequel les différences entre les informations portées sur le document 11 et les résultats de l'appel d'offres ne seraient que partielles (en concernant toutefois 5 lots sur 18) n'est évidemment pas un argument pertinent pour remettre en cause la datation des annotations. Par ailleurs, on ne peut pas davantage admettre l'argumentation, déjà développée par M. X... lors de ses auditions (cotes 353-357), selon laquelle la SNCF aurait hésité ou négocié avec les sociétés pour l'attribution des lots dès lors que les lots sont toujours attribués au moins disant et négociés s'il y a lieu avec lui. Les annotations révèlent que M. X... connaissait le nom d'entreprises concurrentes intéressées par certains lots avant le dépôt des offres. Tel est le cas, par exemple du lot n° 57 qui comporte les initiales de la société ETF, l'entreprise moins-disante étant Sodesam.
209. La raison avancée par certaines parties pour contester la date des annotations et expliquer les différences entre les entreprises mentionnées sur la colonne "détail des travaux" et les entreprises moins-disantes est que la qualification de la société Sodesam au moment de l'ouverture des plis aurait été insuffisante eu égard au montant des lots pour lesquels elle avait soumissionné, supérieurs à 150 000 euro.
210. Or, le document (cote 5775) produit par la société ESAF relatif à la société Sodesam est daté du 6 décembre 2004 et n'établit pas que la société Sodesam aurait obtenu une qualification pour les lots concernés en août ou en septembre 2003. Par ailleurs, il ressort du rapport de dépouillement des offres en date du 1er octobre 2003 que la société Sodesam avait obtenu cette qualification au moment de l'attribution définitive des lots, car dans le cas contraire son nom aurait été mentionné sur ce rapport et l'attribution des lots effectuée sous réserve de l'obtention de la qualification, comme cela a été le cas pour la société Heitkamp (voir cote 570 et § 24 de la présente décision).
211. En outre, le document produit indique des types de travaux en face desquels figure soit la somme de 150 000 euro soit celle de 300 000 euro. A supposer que le montant de 150 000 euro s'applique, les offres de la société Sodesam pour les lots 23, 57 et 58 étaient supérieures à 150 000 euro, rendant possible une hésitation du maître de l'ouvrage dans l'attribution de ces lots. En revanche, pour le lot 25, l'offre de Sodesam était de 130 731 euro, sa qualification était donc suffisante pour ce lot et le maître de l'ouvrage ne pouvait avoir d'hésitation pour l'attribution du lot. L'argumentation des parties ci-dessus développée n'est donc pas valable et la prétendue insuffisance de qualification de la société Sodesam ne peut justifier les annotations figurant dans la colonne "détail des travaux" et leurs discordances par rapport aux résultats de l'appel d'offres à l'ouverture des plis. En outre, si cette argumentation était exacte, les initiales MA auraient dû également apparaître à côté des lots 57 et 58 sur le document 11, puisque les offres de Sodesam étaient supérieures à 150 000 euro, ce qui n'est pas le cas.
212. Il en résulte que les initiales portées sur ce document sont antérieures à l'ouverture des plis et résultent d'échanges d'informations entre les entreprises concernées. . Sur les corrections manuscrites apportées au montant des offres de Séco Rail
213. La société ESAF, actuellement dirigée par M. Jean-Baptiste X..., reprend l'argumentation de ce dernier pour expliquer les corrections manuscrites portées sur le document 11 : ces corrections seraient liées à la nécessité de modifier les offres qui avaient été préparées par des conducteurs de travaux jeunes et inexpérimentés. Elle fait valoir que les directeurs de travaux qui supervisaient le secteur des Mureaux (document 11) et d'Epinay (document 12) étaient en congé au mois d'août 2003, et que les études ont été réalisées par deux jeunes conducteurs de travaux, MM. D... et E... qui n'avaient à l'époque que 3 et 7 mois d'ancienneté. Elle établit ses dires par deux attestations datées de mai 2008 fournies par MM. D... et E... (voir cotes 5772-5774).
214. La société Colas Rail produit les bulletins de paie des directeurs de travaux du secteur des Mureaux et de l'agence d'Epinay, dont il ressort que ces directeurs de travaux étaient respectivement en congé du 4 au 23 août 2003 et du 11 au 26 août 2003.
215. Mais, en toute hypothèse quelles que soient les explications données par M. X..., le document 11 porte l'indication d'offres de la société Séco Rail qui ont été corrigées et qui sont celles qui ont été remises de sorte qu'il convient d'examiner le rôle qu'ont eu ces corrections sur le fonctionnement de l'appel d'offres.
216. Pour contester l'existence d'offres de couverture avancée par l'instruction, les sociétés mises en cause font valoir que les corrections n'auraient pas été systématiquement faites à la hausse puisque pour les lots 61, 41, 48, 62 et 66, les corrections ont été faites à la baisse, qu'il n'existe aucune corrélation entre la correction du montant de l'offre de Séco Rail et le caractère moins disant de l'entreprise dont les initiales sont indiquées sur les documents 11 et 12 (en ce qui concerne les lots 62, 38, 60 et 66), que s'agissant du lot 9, c'est la lettre S qui apparaît alors qu'il y a eu une correction à la hausse et que s'agissant du lot 24, Séco Rail a procédé à une correction à la hausse alors que sa première estimation était supérieure à l'offre d'ETF, qui a remporté ce lot.
217. Ces "exceptions" n'emportent pas la conviction. Tout d'abord, il faut rappeler que l'analyse des corrélations entre les initiales apparaissant dans la colonne "détail des travaux" et l'offre corrigée de Séco Rail ne peut être menée de manière pertinente qu'à partir du document 11, sur lequel seules figurent des initiales d'entreprises concurrentes de Séco Rail. Ainsi, les exceptions constituées par les lots 41, 48, 62 et 66 n'en sont pas, puisque ces lots figurent sur le document 12. En outre, il est inexact de dire que les corrections ont été faites à la baisse pour les lots 48 et 66.
218. Le tableau suivant récapitule les informations contenues dans le document 11 et celles figurant dans les résultats de l'appel d'offres à l'ouverture des plis.
<emplacement tableau>
219. Il ressort de ce tableau qu'il n'y a pas "d'exception" au raisonnement conduit par l'instruction, si ce n'est celle, déjà mentionnée dans la notification des griefs, constituée par le lot n° 9 à côté duquel une modification à la hausse a été portée sur le document 11 alors même que l'initiale S figurait dans la colonne "détail des travaux", et celle du lot 61, retenue au stade du rapport.
220. En effet, s'agissant du lot 61, la correction de l'estimation traction a été faite à la baisse avec une réduction de 900 000 euro. Rappelons à ce titre que l'estimation initiale de la traction par la société Séco Rail s'élevait à 1 784 000 euro alors que les sociétés Meccoli et TSO l'estimaient respectivement à 388 000 et 668 000. Concernant cette estimation, il s'agit sans doute d'une véritable correction, d'autant que l'offre totale de Séco Rail était supérieure à celle de ses concurrents. Par conséquent, le grief d'avoir bénéficié d'une offre de couverture de la part de la société Séco Rail doit être abandonné à l'encontre de la société Meccoli.
221. En revanche, ni les lots 23, 24 et 60 ne constituent des exceptions, contrairement à ce que soutiennent les parties mises en cause.
222. S'agissant du lot 23, la correction opérée par Séco Rail devait permettre à Vecchietti d'être moins-disante en prenant en compte le montant avec traction (cf. tableau et commentaire du tableau). S'agissant du lot 24, ce sont les deux montants, celui de l'estimation de base et celui de l'estimation traction qui ont été modifiés afin que l'offre de la société ETF soit moins-disante. S'agissant du lot n° 60, le montant de l'estimation de base hors traction de Séco Rail avant correction (270 288) était inférieur à celui de Vecchietti (320 440) pour devenir supérieur après correction (330 000). Il est vrai que le montant de l'offre effectivement proposée a été ramené à 303 086 euro, mais comme il a été dit ci-dessus le montant total de l'offre de Séco Rail était nettement supérieur à celui de Vecchietti.
223. Sur les seize cas analysés, il existe quatre cas dans lesquels en ne prenant en compte que l'option de base, le dépôt de l'offre corrigée par Séco Rail a permis à l'entreprise concurrente désignée, Pichenot Bouillé pour les lots 8 et 38, Olichon pour le lot 25 et ETF pour le lot 55 d'être moins disante. Dans les autres cas, il faut compléter l'offre de base par la traction pour que le dépôt corrigé de l'offre par Séco Rail ait permis à l'entreprise désignée, soit Vecchietti pour le lot 23 et ETF pour le lot 24 d'être moins-disante.
224. Il résulte de ce qui précède que le document 11, rapproché des autres indices décrits plus loin, démontre l'existence d'un échange d'informations antérieur à l'ouverture des plis entre les entreprises qui y sont mentionnées et d'offres de couverture de la société Séco Rail au bénéfice des sociétés Pichenot Bouillé, Vecchietti, Olichon et ETF.
3) le document "feuillet 2" saisi chez l'entreprise Pichenot Bouillé à Trappes
225. Ce document intitulé "feuillet 2" qui porte la date du 21 août 2003 (19 h 37) comporte des indications qui étaient antérieures à cette date.
Sur le déchiffrement du document
226. La comparaison entre les résultats de l'appel d'offres et les chiffres et abréviations apparaissant sur le feuillet n° 2 a permis le déchiffrement de ce document, puisqu'il est admis que la colonne "Total Etude 2" correspondait aux résultats de l'appel d'offres. Cette comparaison est établie par le tableau suivant figurant à la page 42 de la notification de griefs.
<emplacement tableau>
227. Selon la société Pichenot Bouillé, dont le PDG, M. Z..., est l'auteur du document concerné, "la colonne Etude 1 correspond à des études réalisées avec des ratios sur différents lots du marché. Le but de ces études est de se donner une idée de la valeur de chaque affaire (...) La colonne Etude 2 correspond à une Etude plus poussée, à une présélection des lots qui serait susceptible d'intéresser Pichenot Bouillé ou TPF (...) La colonne Total dans Etude 2 correspond aux résultats. La colonne Etude 3 correspond à une étude plus poussée et aux lots qui intéressent la société Pichenot Bouillé ou TPF, et pour lesquels elle a soumissionné. La colonne sans titre est une colonne complétée après l'ouverture des plis et correspond aux entreprises qui ont soumissionné et qui pour Pichenot Bouillé s'avéreraient être compétitives, voire dangereuses. La concordance entre les chiffres des 2 colonnes est liée à l'outil informatique EXCEL. La colonne sans titre est indépendante et est utilisée pour être recoupée avec d'autres documents. Chaque colonne a une nature d'information indépendante. Ce document est un document évolutif et non figé. Il a été complété au fur et à mesure afin d'assurer une veille commerciale (...) la rapporteure n'établit pas la preuve d'un quelconque contact entre la société Pichenot Bouillé et les autres sociétés".
228. Il faut tout d'abord remarquer que le déchiffrement opéré dans la notification de griefs n'a pas été contesté par la société Pichenot Bouillé, laquelle a confirmé que les indications portées dans la colonne "Total Etude 2" correspondaient bien aux résultats de l'appel d'offres. Il en résulte que ce déchiffrement est correct et que par suite, les objections qui lui sont opposées par les autres sociétés doivent être écartées.
229. Ainsi, la société ESAF ne peut valablement soutenir que le déchiffrement opéré par le service d'instruction a été effectué à partir de la colonne de droite sans titre, ce qui de fait n'aurait guère eu de sens, et que chaque chiffre correspond à plusieurs entreprises, puisque la colonne "Total Etude 2" ne comporte en général pour chaque lot qu'une seule abréviation, une seule lettre ou un seul chiffre. Il n'y a pas lieu en outre d'expliciter, comme le demande cette société, la signification des nombres "12", "23" et "16" qui correspondent vraisemblablement à une combinaison de deux chiffres. Ainsi, le lot 43 a été remporté par un groupement composé d'ETF (1) et de Pichenot Bouillé (6) : il comporte donc l'annotation "16".
230. S'agissant des objections présentées par les sociétés TSO et Offroy, il faut rappeler que le déchiffrement a été effectué à partir de la colonne "Total Etude 2", qui représente les résultats de l'appel d'offres, et qu'ainsi, la circonstance que pour les lots 30 et 39, la société TSO n'a pas soumissionné est sans influence sur ce déchiffrement. S'il est exact que la société Offroy est mentionnée, comme l'a indiqué M. Z... par l'abréviation "OFF" dans la colonne "Total Etude 2", il a été déduit, compte tenu des liens existant entre les société TSO et Offroy, que le chiffre 3 pouvait également correspondre à la société Offroy dans la colonne de droite, dès lors qu'aucune autre abréviation ne semblait lui correspondre. La désignation de deux entreprises par une même initiale vaut également pour ETF et Champenoise (maison-mère et filiale), ainsi que pour TPF et Pichenot Bouillé qui ont le même PDG.
231. S'agissant par ailleurs des lettres "é", "e", "d" et "q" qui apparaissent dans la colonne de droite, il est difficile d'en contester la signification comme le fait la société ESAF. En effet, la lecture du tableau reproduit ci-dessus fait apparaître que la lettre e correspond toujours à la lettre E, qui désigne ESAF, que la lettre "d" correspond toujours à l'abréviation "DIJ", qui désigne la société Dijonnaise et que la lettre "é" correspond à l'abréviation "EUG", qui signifie Egénie. Ainsi, pour le lot 28, la colonne de droite sans titre fait apparaître la mention "4é" qui doit être interprétée en ce sens que le lot 28 a fait l'objet d'une offre conjointe par Meccoli (4), Vecchietti et Egénie (é).
232. En revanche, la lettre "q" n'ayant qu'une seule occurrence, il est difficile d'en établir avec certitude la signification.
Sur la signification de la colonne de droite sans titre
233. Selon les explications avancées par la société Pichenot Bouillé dans ses observations, la colonne de droite sans titre a été complétée après l'ouverture des plis et correspond aux entreprises qui ont soumissionné et qui, pour Pichenot Bouillé, s'avéreraient être compétitives voire dangereuses, le document intitulé "feuillet 2" ayant été conçu comme un outil de veille commerciale. Cette société fait également valoir que la concordance des chiffres entre les deux colonnes étant liée à l'outil Excel, il faut considérer cette colonne comme indépendante du document et comme devant être utilisée en liaison avec d'autres documents.
234. Cette argumentation présentée tardivement, soit plus de 5 ans après la rédaction dudit document, ne peut être retenue. En effet, il n'est pas compréhensible que M. Z... n'ait pas su, lors de ses auditions en 2004, expliquer l'utilité du document "feuillet 2". Par ailleurs, s'il s'agissait effectivement d'un instrument de veille commerciale, il n'était d'aucune utilité pour son auteur d'employer des abréviations chiffrées, dont il aurait oublié la signification quelques mois plus tard ou de connaître les entreprises particulièrement compétitives sur un lot une fois l'appel d'offres passé ou encore dès lors que le déchiffrement proposé n'est pas contesté, de faire apparaître le chiffre 6 correspondant à l'entreprise Pichenot Bouillé dans la colonne de droite sans titre qui est censée indiquer les entreprises concurrentes.
235. Les explications données par la société Pichenot Bouillé ne sont pas plausibles et ne remettent pas en cause l'interprétation selon laquelle cette colonne de droite correspond à des informations données par les entreprises, antérieurement à l'ouverture des plis.
236. Les sociétés ETF et Champenoise contestent l'antériorité de cette colonne par rapport à l'ouverture des plis, au motif que "sa non correspondance parfaite avec les résultats de l'appel d'offres n'est pas conclusive, en particulier lorsque l'on ignore l'exercice auquel s'est livré M. Z... dans cette colonne. De nombreuses hypothèses peuvent être formulées : premiers résultats informels communiqués en début de journée par ses contacts au sein de la SNCF, pronostics personnels après avoir eu confirmation des entités ayant déposé des offres ?". Les sociétés contestent également que cette colonne de droite ferait état d'un échange d'informations entre les entreprises et d'une entente de répartition entre les candidats.
237. La colonne de droite du feuillet 2 désigne des entreprises soumissionnaires selon les informations reçues par l'auteur du document antérieurement à l'ouverture des plis non seulement parce que ces désignations ne correspondent pas aux résultats de l'appel d'offres mais aussi parce que les différences observées et présentées dans le tableau ci-dessus reproduit au § 226, font apparaître que dans la quasi-totalité des cas les "différences" ou les omissions concernent les sociétés ESAF (à l'exception des lots 4, 5 et 6), GVF-TP, Sodesam, Fourchard et Heitkamp, ce qui laisse entendre que ces entreprises n'ont pas participé à l'entente ou qu'elles en ont, en tout cas, méconnu les consignes. Ainsi, lorsque ces sociétés ont remporté le lot, l'initiale apparaissant dans la colonne de droite correspond au 2ème moins-disant (à l'exception du lot 44). Dans les autres cas, l'initiale apparaissant dans la colonne de droite correspond aux résultats de l'appel d'offres, sauf dans trois cas, les lots 8 et 9 pour lesquels il y a une inversion entre Séco Rail et Pichenot Bouillé, les lots 30 et 46, pour lesquels il y a une inversion entre TSO et ETF et le lot 60 pour lequel le groupement Vecchietti-Meccoli a été désigné par la lettre M et non par la lettre V. S'agissant des lots 8 et 9 cependant, l'inversion peut s'expliquer par une erreur de frappe et une inversion de lignes.
238. Cette interprétation se trouve renforcée par l'absence d'explications plausibles fournies par le concepteur du document lui même, M. Z..., comme cela a été rappelé ci-dessus.
4) Les similitudes entre les documents saisis dans l'entreprise Séco Rail et le feuillet 2 saisi dans l'entreprise Pichenot Bouillé
239. Le tableau ci-dessous reproduit montre les "similitudes", c'est-à-dire des indications identiques quoique non conformes aux résultats de l'appel d'offres, entre le document 11 saisi chez Séco Rail et la colonne du document intitulé "feuillet 2" saisi dans l'entreprise Pichenot Bouillé. Elles concernent les lots 23, 25, 29, 55, 57 et 58, les autres similitudes n'étant pas pertinentes puisque conformes aux résultats de l'appel d'offres, à l'exception des lots 8, 9 et 60, dont il a déjà été fait état ci-dessus et pour lesquels la colonne de droite du feuillet 2 ne correspond pas aux résultats de l'appel d'offres pour les raisons indiquées ci-dessus (paragraphe 237).
240. S'agissant des lots 23, 57 et 58, les documents saisis dans les entreprises Séco Rail, d'une part, et Pichenot Bouillé, d'autre part, font référence aux mêmes entreprises alors que ces dernières n'ont pas été moins-disantes pour les lots concernés et que dans chacun de ces cas, c'est en fait l'entreprise Sodesam qui a fait la meilleure offre. Pour le lot 25, aucune conclusion ne peut être tirée compte tenu de l'incertitude concernant la signification de la lettre (q) déjà relevée au § 232 ci-dessus.
241. S'agissant des lots 29 et 55, les documents recueillis dans les locaux des entreprises Séco Rail, d'une part, et Pichenot Bouillé, d'autre part, font état d'un partage entre Séco Rail et ETF alors que ces entreprises ont soumissionné de façon indépendante pour chacun de ces lots.
242. Les sociétés mises en cause soutiennent d'une part, que ces similitudes entre les deux documents ne concernent que 5 lots sur 66, qu'elles reposent seulement sur des hypothèses quant aux entreprises effectivement mentionnées dans le feuillet 2 et qu'en outre, de nombreuses différences existent entre le document 11 saisi chez Séco Rail et le feuillet n° 2.
243. Mais il convient d'observer que le document 11 ne porte que sur un nombre restreint de lots et que les chiffres indiqués correspondent, selon les auteurs des documents, aux propositions ou aux simulations respectivement des sociétés Séco Rail et Pichenot Bouillé. Quant aux divergences entre le feuillet 2 et le document 11, elles portent comme il a été dit ci-dessus sur les lots 8 et 9 et peuvent s'expliquer par une erreur de frappe et une inversion de lignes faite par M. Z.... Elles ne sauraient remettre en cause les similitudes relevées ci-dessus entre ces documents, non conformes aux résultats de l'appel d'offres.
244. Les "contradictions" alléguées entre le document 6 et le feuillet 2 ne remettent pas en cause l'existence d'un échange d'informations entre les entreprises mais montrent que ces documents font état d'informations recueillies à des périodes différentes. Enfin, le moyen tiré de ce que la concertation, si elle avait existé, n'aurait pas été très efficace, doit également être écarté. En effet, selon une jurisprudence constante, la circonstance que les résultats de l'appel d'offres ne sont pas conformes à la concertation ne saurait en elle même démontrer l'absence d'entente, dès lors que les entreprises qui ont remporté les lots peuvent dans certains cas être extérieures à l'entente ou avoir méconnu au dernier moment les consignes de l'entente (voir en ce sens notamment la décision du Conseil n° 01-D-13 du 19 avril 2001 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du transport public de voyageurs dans le département du Pas-de-Calais ou la décision n° 05-D-19 du 12 mai 2005).
Conclusion relative au marché "hors suites" du 1er semestre 2004
245. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les documents 6 et 11, le feuillet n° 2 et les similitudes entre le feuillet n° 2 et le document 11, saisis pourtant au sein de deux entreprises différentes, constituent un faisceau d'indices graves, précis et concordants établissant une pratique d'échange d'informations entre les entreprises antérieure à l'ouverture des plis et donc contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE.
246. Il est constant toutefois que seules certaines entreprises sont concernées par l'ensemble de ces indices. Il s'agit en l'espèce, des sociétés Pichenot Bouillé, Séco Rail, ETF et Vecchietti, lesquelles sont concernées non seulement par le document 6 et le feuillet 2 mais aussi par le document 11 et naturellement les similitudes existant entre ce document et le feuillet 2.
247. Il en résulte que la preuve de la participation à la pratique anticoncurrentielle d'échange d'informations n'est établie qu'à l'encontre des sociétés mentionnées ci-dessus.
248. Par ailleurs, au cours de cet échange d'informations Séco Rail a pris l'initiative de présenter des offres de couverture qui ont été suivies d'effet à l'égard de Pichenot Bouillé, ETF et Vecchietti qui ont été les entreprises moins-disantes. La participation de la société Olichon à cette offre de couverture bien qu'elle ait été moins-disante n'est pas retenue dans la mesure où faute d'indices suffisants, l'existence d'un échange d'informations n'est pas établie. Enfin, les indices réunis par l'instruction et ci-dessus rappelés ne sont pas suffisants pour établir et caractériser une entente de répartition ou une pré-allocation des lots entre les entreprises soumissionnaires. Ce grief doit donc être écarté à l'encontre de ces entreprises.
b) Sur le marché "hors suites" du 2ème semestre 2004
Le document 1
249. Selon son auteur, M. Z... (Pichenot Bouillé), ce document est antérieur à l'ouverture des plis et contient des indications qu'il aurait obtenues de la SNCF lors de la visite des chantiers. Dans ses écritures, il fait valoir qu'il s'agit d'un document de "veille commerciale", et qu'il a pu obtenir de la part des agents de la SNCF, tant des informations sur les entreprises qui avaient déjà visité les chantiers que sur celles dont la visite était programmée, le caractère incomplet de ces informations s'expliquant par la multiplicité de ses interlocuteurs à la SNCF.
250. Les informations contenues dans ce document ne peuvent avoir été recueillies auprès de représentants du maître d'ouvrage délégué lors de la visite de chantiers comme le prétend M. Z... (§ 71). Elles ne peuvent avoir été obtenues qu'auprès des candidats, comme le révèle sa conception (en face du nom d'entreprises sont énumérés les lots qui les intéressent accompagnés du nom d'autres entreprises susceptibles d'être également intéressées) et comme le révèle également l'existence de lacunes mais aussi d'informations partielles mais exactes. Ainsi, par exemple GVF-TP n'est mentionnée que pour le lot 7 qu'elle a obtenu, Sodesam pour le lot 49 qu'elle a obtenu, Fourchard pour le lot 40 qu'elle a obtenu. Or, la veille commerciale qu'une entreprise est en droit d'effectuer ne peut inclure le recueil, auprès de ses concurrents, d'informations sur les offres qu'ils ont l'intention de déposer en réponse à un appel d'offres.
251. Il résulte de ce qui précède que ce document, qui est antérieur à l'ouverture des plis et qui comporte des informations qui ne peuvent avoir été transmises par la SNCF, constitue un indice indiquant un échange d'informations entre les entreprises antérieur à la remise de leurs offres, qui doit être interprété en relation avec les autres documents saisis.
Le document 3
252. Comme il a été dit supra (§ 89 et suivants), les informations portées sur ce document sont antérieures à l'ouverture des plis, à l'exception des "ok" et des croix en marge, lesquelles résultent d'indications retranscrites à partir du document 7. Ces informations ne sont pas conformes aux résultats de l'appel d'offres à l'ouverture des plis comme le montrent les écarts figurant sur le tableau du paragraphe 105, même si ces écarts sont parfois minimes. En outre, ce document fait apparaître une répartition préalable de certains lots du marché entre les entreprises en dehors de toute forme de groupement officiel dont auraient pu être informées la SNCF ou RFF.
253. La société Pichenot Bouillé soutient cependant que ce document a été rédigé postérieurement à l'ouverture des plis, les informations qui y sont contenues provenant "d'informations téléphoniques (qui) ont été apportées par plusieurs informateurs de la SNCF, ce qui explique les discordances et le fait que M. Z... ait annoté des éléments qui se sont révélés approximatifs, voire erronés. Les informations ont été fournies le jour de l'ouverture des offres et ont été résumées par soumissionnaire. D'où la retranscription arrondie des chiffres, l'existence d'erreurs et la forme du document". Elle fait valoir, par ailleurs, que le fait que les montants indiqués sur ce document sont différents des résultats de l'appel d'offres est la preuve d'une absence d'échange d'informations entre les entreprises.
254. La société ETF présente deux objections, tirées de ce que ce document 3 doit être étudié non par comparaison avec le document 7, mais par comparaison avec le document 5 et que l'hypothèse formulée par l'instruction d'une répartition occulte de certains lots entre les entreprises est inexacte, notamment eu égard au fait que les attributaires n'auraient pas pu dissimuler à l'acheteur de tels groupements, d'une part, parce que la SNCF exige de justifier d'une autorisation à pénétrer sur le site ainsi qu'une déclaration contractuelle des sous-traitants et d'autre part, qu'elle n'était pas cohérente s'agissant de 4 lots pour les raisons présentées dans le tableau reproduit ci-dessous :
<emplacement tableau>
255. Les allégations de la société Pichenot Bouillé doivent être rejetées. D'abord, aucune explication n'est donnée par M. Z... s'agissant des calculs et des montants additionnés qu'il a effectués sur ce document et qui montrent qu'il a cherché à connaître le montant de la commande, entreprise par entreprise, alors que ces montants totaux additionnés ne correspondent pas aux résultats de l'appel d'offres. Ensuite, le document 3 ne mentionne pas des informations qui figurent sur le document 7 et étaient connues après ouverture des plis : ainsi, il ne mentionne pas que l'entreprise Lamblin a obtenu le lot 16, comme l'indique le document 7, mais au contraire les entreprises ETF et Séco Rail qui sont effectivement les autres soumissionnaires pour ce lot. Il indique par exemple les offres de la société Pichenot Bouillé pour des montants inférieurs de 15 % aux offres effectivement faites. Enfin, il comporte des indications qui ne pouvaient pas être connues du maître de l'ouvrage relatives à des ventilations du montant de certains lots entre plusieurs entreprises alors qu'une seule entreprise a été officiellement attributaire.
256. Le document 3 ne retranscrit pas les résultats de l'appel d'offres mais au contraire sert à établir le montant total de commande envisagé pour chaque entreprise. Ainsi, si dans la plupart des cas, les entreprises mentionnées sont bien celles qui ont obtenu les lots concernés, il apparaît que s'agissant des lots 5, 10, 13, 15, 24, 34, 51 et 42, M. Z... a indiqué plusieurs entreprises alors même que celles ci n'ont pas répondu en groupement, de sorte que la SNCF, qui ignorait cette information, ne pouvait pas être l'informateur de M. Z.... Certaines parties font remarquer, qu'il s'agit d'une pure spéculation de M. Z..., ce que ce dernier n'a jamais prétendu, et que ces répartitions ne correspondent pas à un partage de lots mais plutôt à des locations de matériel. Mais, peu importent les raisons à l'origine de la répartition de la commande entre les entreprises, le fait notable est que ces informations n'étaient pas connues de la SNCF et que lorsqu'on additionne les montants apparaissant sur le document 3 relatif à ces lots, on aboutit à un résultat proche de celui de l'offre du moins-disant, à l'exception du lot 15.
257. Les arguments avancés par les sociétés ETF et Champenoise, doivent également être écartés. D'une part, il n'a jamais été prétendu que la "scission" de certains lots apparaissant sur le document 3 et corroborée par le document 11 résulterait d'une sous-traitance non déclarée, mais bien au contraire consistait en des informations qui n'étaient pas en possession de la SNCF et qui ne pouvaient donc avoir été communiquées par elle. D'autre part, le tableau reproduit au § 254 s'il révèle certaines "incohérences" ne correspondant pas aux résultats de l'appel d'offres, ne remet pas en cause l'analyse concernant de nombreux autres lots et révélatrice d'une répartition occulte des lots.
258. Enfin, le moyen tiré de ce que le document 3 devrait se lire non par comparaison avec le document 7 mais par comparaison avec le document 5 ne présente guère de pertinence. La comparaison entre les documents 3 et 7 s'impose puisqu'il est admis que le document 7 mentionne les résultats de l'appel d'offres et que certaines indications ont été retranscrites sur le document 3 (mention des croix et des "ok") alors que le document 5 selon les déclarations de M. Z... est antérieur à l'ouverture des plis.
259. Il résulte de ce qui précède que ce document constitue un indice d'échange d'informations entre les entreprises antérieur à l'ouverture des plis.
Le document 11
260. Ce document sert à vérifier l'hypothèse selon laquelle le montant de certains lots a été "scindé" sur le document 3 par M. Z... et réparti entre plusieurs entreprises alors que celles-ci n'ont pas répondu en groupement.
261. Selon les écritures de la société Pichenot Bouillé, ce document constitue un outil de veille commerciale dont la partie dactylographiée a été établie à partir de ratios pour mesurer le coût de chaque chantier et a été élaborée entre le lancement de l'appel d'offres et les visites de chantiers. "La colonne manuscrite a été établie concomitamment au document 3 à partir des informations fournies par téléphone par la SNCF après l'ouverture des plis. Dans le but toujours d'assurer une veille commerciale, M. Z... a retranscrit à la main les informations du document 3 sur le document 11".
262. Ainsi la société Pichenot Bouillé admet que les informations portées sur ce document ont été retranscrites à partir du document 3 qui recense des informations provenant d'entreprises. Il en résulte que ce document qui doit être lu en liaison avec le document 3 constitue bien un indice d'échange d'informations entre les entreprises antérieur à l'ouverture des plis.
Le document 5
263. Il a été rappelé supra (§ 112 et suivants) que ce document réunit l'ensemble des lots à propos desquels l'entreprise Pichenot Bouillé a présenté une offre, mentionne approximativement le montant des offres des concurrents de la société Pichenot Bouillé s'agissant des lots que cette entreprise n'a pas obtenus et de façon beaucoup plus précise, s'agissant des lots qui lui ont été attribués. Selon les premières déclarations de M. Z... en 2004, ce document est antérieur à l'ouverture des plis (voir cotes 305-308 et § 113) et contient des simulations d'offres et les initiales des entreprises correspondent aux entreprises ayant visité les chantiers. Les constatations faites aux § 117 et suivants confirment les déclarations sur le premier point mais les infirment sur les deux autres points.
264. La société Pichenot Bouillé soutient dans ses écritures que ce document constitue un document évolutif, qu'"une partie des données chiffrées reprend les informations des documents 3 et 11 obtenues suite à l'ouverture des plis. Pour les lots 11 et 22 attribués à la société Pichenot Bouillé, M. Z... a reporté les résultats du dépouillement, afin d'apprécier le positionnement et l'agressivité de ses concurrents".
265. Dans ses observations à la notification de griefs, la société ETF a fait valoir d'une part, que l'instruction a conclu à tort que M. Z... aurait reconnu l'antériorité de ce document à l'ouverture des plis dès lors qu'il a indiqué dans les mêmes déclarations qu'il s'agissait "d'un document vivant (qu'il) complète en fonction de l'évolution des affaires" et d'autre part, que s'agissant des lots 11 et 22, pour lesquels le document (5) indique de manière assez précise les offres d'entreprises concurrentes et notamment celle d'ETF, qu'elle "ne peut totalement exclure que Jean Baptiste X... ait pu acquérir ces informations de manière frauduleuse auprès d'employés de ETF. ETF note en particulier qu'au moins un salarié du groupe, qui avait accès à l'information en cause, a démissionné pour rejoindre Jean-Baptiste X... très peu de temps après que ce dernier ait intégré Esaf. Toutefois, l'ancienneté de ces évènements est trop grande pour qu'une enquête interne puisse être menée et ETF ne dispose d'aucun élément de preuve à cet égard. En tout état de cause, il faut souligner que, même si elle était avérée, une fuite, résultant d'une fraude ou d'un vol du point de vue de la société ne saurait suffire à établir la preuve d'un accord de volontés constitutif d'une entente".5
266. Dans le dernier état de ses écritures, cette société soutient que l'on ne peut tirer aucune conclusion relative à l'antériorité de ce document, dès lors qu'il comporte des annotations "OK" comparables à celles identifiées sur le document 3 et considérées par l'instruction comme postérieures à l'ouverture des plis , ce qui montre que certains documents ont été adaptés après leur création.
267. Mais il convient de souligner que, de même que le document 3 avec lequel la société Pichenot Bouillé le rapproche, le document 5 a été établi avant l'ouverture des plis comme le montrent les indications approximatives relatives au montant des offres pour les lots autres que les lots 11 et 22 et comme le montrent les indications pour ces deux derniers lots qui tout en étant plus précises mentionnent néanmoins la société Meccoli qui n'a pas fait d'offre s'agissant du lot 11, et la société Séco Rail qui n'a pas fait d'offre s'agissant du lot 22. Cette antériorité du document n'est pas remise en cause quelle que soit la date à laquelle ont été portées les mentions "ok" qui sont sans influence sur la datation des autres mentions du document.
268. L'existence d'un échange d'informations ressort avec une grande évidence des observations d'ETF rappelées ci-dessus (§ 265) selon lesquelles elle n'a pas exclu l'échange d'informations entre sa société et la société Séco Rail dans le premier état de ses écritures. Même si cette société est revenue sur ses premières assertions, dès lors qu'il "n'est pas exclu" par la société ETF elle même, qu'une information a pu être transmise par un de ses collaborateurs à Séco Rail et que cette information se retrouve dans les documents saisis chez la société Pichenot Bouillé, ce fait apporte la preuve d'une concertation entre Séco Rail, Pichenot Bouillé et ETF.
269. La société ETF ne peut pas prétendre que cette information transmise par un subordonné, ne saurait être qualifiée d'échange d'informations contraire au Code de commerce. En effet, comme l'a rappelé le Conseil de la concurrence dans une décision récente n° 07-D-29 du 26 septembre 2007, confirmée par la Cour d'appel, "le fait que l'échange d'informations et la coordination des offres aient procédé d'initiatives individuelles de salariés, agissant dans le cadre de leurs fonctions est sans influence sur la qualification de la pratique". En outre, ETF ne saurait invoquer que le document 5 mentionne par erreur des offres de Meccoli et de Séco Rail qui n'ont pas été remises à la SNCF pour contester l'échange d'informations alors que sa propre offre a été fidèlement reprise dans ce document. Cet élément montre au contraire qu'à la date à laquelle a été élaboré ce document, nécessairement antérieur à la remise des offres, les entreprises Meccoli et Séco Rail ont envisagé de déposer une offre sur des lots qui intéressaient Pichenot Bouillé, puis se sont désistées. La différence de traitement des différents lots suivant les tableaux reproduits aux § 118 et 119 montre avec quel soin M. Z... a recherché les indications lui permettant de connaître le montant très précis des offres auprès de ses concurrents les plus sérieux sur les lots 11 et 22, Vechietti, Séco Rail, Offroy, ce qui lui a permis d'ajuster ses offres et de faire remporter ces lots par Pichenot Bouillé. Il est probable qu'en raison de ce choix il s'est moins intéressé aux offres concernant les autres lots.
270. Le document 5 marque une progression par rapport aux documents 1 et 3 en étant centré sur des lots qui intéressaient Pichenot Bouillé et en reprenant des informations plus détaillées notamment en ce qui concerne le montant des offres. La progression de ces documents montre qu'il ne s'agit pas d'une veille commerciale qui aurait été assurée par un seul document reproduisant les résultats des différentes offres mais au contraire du recueil d'informations de plus en plus précises auprès des entreprises concernées par l'appel d'offres.
Les documents 2 et 4
271. La société Pichenot Bouillé fait valoir que ces documents reflètent les résultats de la veille commerciale de M. Z... qui s'est fondé sur la capacité matérielle et humaine de ses concurrents et sur ses veilles commerciales des années précédentes, qu'ils ne correspondent pas aux pourcentages d'attribution du marché "hors suites" du 2ème semestre 2004, et que l'instruction n'apporte aucune preuve de la concordance entre les ratios des documents 2 et 4 avec les autres données du marché.
272. Ces documents présentent un lien avec les autres documents saisis chez la société Pichenot Bouillé, comme cela a été démontré supra, puisque les chiffres qui apparaissent sur le document 4 sont ceux qui apparaissent sur le document 3 et que les pourcentages qui apparaissent sur le document 4 sont fidèlement retranscrits sur le document 2.
273. Malgré l'indication de pourcentages et des différents calculs faits par M. Z... qui peuvent cependant résulter de sa propre initiative, il n'est pas établi que les entreprises se soient entendues sur une clé de répartition des lots de ce marché.
Conclusion relative au marché "hors suites" du 2ème semestre 2004
274. Il résulte de tout ce qui précède que doivent être retenus à titre d'indices les éléments suivants : le document 1, les documents 3 et 11, le document 5 et les informations relatives aux lots 11 et 22 sur le document 5.
275. Ces éléments constituent un faisceau d'indices graves, précis et concordants qui démontrent l'existence d'un échange d'informations antérieur à l'ouverture des plis et donc contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du traité CE entre les entreprises Offroy, Séco Rail, ETF, Vecchietti, et Pichenot Bouillé qui sont concernées par l'ensemble de ces indices.
276. Enfin, comme sur le premier marché, les indices retenus par l'instruction sur ce marché, ne constituent pas un faisceau d'indices graves, précis et concordants permettant d'apporter la preuve d'une entente de répartition entre les soumissionnaires du marché. Ce grief doit donc être écarté.
4. SUR LES SANCTIONS
277. Les pratiques retenues ont été commises postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. Il en résulte que les dispositions du livre IV du Code de commerce applicables en l'espèce sont celles de la loi du 15 mai 2001. Or, le 4ème alinéa de l'article L. 464-2 prévoit que "le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ."
278. Pour déterminer le montant de la sanction infligée à chaque entreprise, le Conseil tient compte de la gravité des faits, de l'importance du dommage causé à l'économie, de la situation de l'entreprise sanctionnée et de l'éventuelle réitération des pratiques prohibées.
a) Sur la gravité des pratiques
279. L'objet même de l'appel d'offres sur un marché public est d'assurer une mise en concurrence pleine et entière des entreprises susceptibles d'y répondre au profit de la personne publique. De jurisprudence constante, comme l'a rappelé le Conseil de la concurrence (décision n° 05-D-17 du 12 mai 2005 relative à la situation de la concurrence dans le secteur des marchés de travaux de voirie en Côte d'Or ; décision n° 04-D-03 du 18 février 2004 relative à des pratiques relevées lors d'un appel d'offres lancé par la direction régionale des douanes de Marseille pour la mise en conformité électrique de la cité de la Joliette), le fait de faire échec au déroulement normal des procédures d'appels d'offres en empêchant la fixation des prix par le libre jeu du marché et de tromper la personne publique quant à la réalité et l'étendue de la concurrence s'exerçant entre les entreprises soumissionnaires, perturbe le secteur où s'exerce une telle pratique et porte une atteinte grave à l'ordre public économique. Il en résulte qu'une pratique de cette nature est particulièrement grave puisqu'elle limite l'intensité de la pression concurrentielle à laquelle auraient été soumises les entreprises, si elles s'étaient déterminées de manière indépendante.
280. En outre, comme l'a rappelé le Conseil de la concurrence dans une décision n° 07-D-47 du 18 décembre 2007 relative à des pratiques relevées dans le secteur de l'équipement de la navigation aérienne, le caractère ponctuel ou la faible durée effective de la concertation n'est pas un critère, contrairement à ce que soutiennent les entreprises mises en cause, pour atténuer la gravité d'une pratique d'entente horizontale en matière de marché public, puisqu'un appel d'offres est, par nature, un marché instantané qui peut être faussé sans recourir à une entente durable. Il y a lieu de prendre en compte pour apprécier la durée de la pratique, celle de l'exécution du marché (voir en ce sens la décision n° 08-D-30 du 4 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés des Pétroles Shell, Esso SAF, Chevron Global Aviation, Total Outre Mer et Total Réunion dans laquelle le Conseil a estimé que "S'agissant d'un marché instantané la durée pertinente n'est toutefois pas la durée du déroulement de l'appel d'offres lui-même mais la durée de son exécution pendant laquelle sont ressentis les effets sur le marché". En l'espèce, les deux marchés ont eu une durée d'exécution de 6 mois.
281. Le système de qualification mis en place par la SNCF pour disposer d'un volant d'entreprises compétentes afin d'effectuer des travaux de régénération de voies ferrées sur l'ensemble du territoire dans les délais requis a été utilisé par les entreprises pour établir des relations entre elles de nature à faire obstacle au jeu normal de la concurrence lors des appels d'offres qui en ce qui concerne la seule année 2004 ont porté sur 66 lots en ce qui concerne le premier et sur 51 lots pour le second et empêcher que des entreprises étrangères ne viennent animer la concurrence sur ces marchés comme le souhaitait le maître d'ouvrage délégué.
282. La porosité des marchés qui selon certaines entreprises est due à ce système de qualification et qui permettrait la circulation d'informations en l'absence d'échange entre les entreprises est au contraire due aux liens familiaux et à l'échange de collaborateurs illustrés par le tableau reproduit à la page 14 du rapport ainsi que par les liens capitalistiques et professionnels existant entre les entreprises. Cette situation dont les entreprises sont responsables lorsqu'elle facilite les échanges d'informations faussant le jeu de la concurrence lors des appels d'offres est encore accentuée par l'accès que revendiquent certaines entreprises à des informations qui seraient données par les agents de la SNCF avant que ne soit autorisée la divulgation des résultats de l'appel d'offres. Cette recherche systématique d'informations auprès du donneur d'ordre n'atténue pas la responsabilité des entreprises qui doivent préserver leur autonomie vis-à-vis des autres entreprises comme du maître d'ouvrage délégué.
283. Au cas d'espèce, les comportements reprochés émanent d'entreprises qui pour certaines sont d'envergure internationale telles que la société Séco Rail (devenue Colas Rail) qui appartient au groupe Bouygues ou nationale telle qu'ETF. Dès lors, leurs comportements sont d'autant plus graves dans la mesure où ils peuvent et ont pu avoir un effet de banalisation et d'entraînement sur les sociétés de taille plus modeste du secteur. C'est notamment le cas de la société Colas Rail, qui par sa taille a une influence prédominante dans le secteur et l'a exercée dans la mise en œuvre des pratiques reprochées par le rôle joué par M. X....
284. Par ailleurs, les sociétés Vecchietti et ETF ont été sanctionnées par la décision n° 06-D-15 du 14 juin 2006 relative à une entente portant sur les travaux mis en œuvre dans le secteur de la pose et de l'entretien des voies de chemins de fer. Ces condamnations sont intervenues postérieurement aux faits qui leur sont reprochés dans le cas présent mais leur attention avait déjà été attirée par une enquête menée par la DGCCRF sur la prohibition des ententes, ce qui constitue un facteur aggravant de leur comportement (voir en ce sens la décision du Conseil de la concurrence n° 96-D-12 du 5 mars 1996, Société Lilly France).
b) Sur le dommage à l'économie
285. La présomption d'un dommage à l'économie est admise lorsque l'entente est établie : "le dommage à l'économie est présumé par la loi dès lors que l'existence d'une entente est établie" (Cour de cassation, Chambre commerciale, arrêt du 10 janvier 1995, Sogéa ; décision du Conseil n° 01-D-17 du 25 avril 2001 relative à des pratiques anticoncurrentielles dans les marchés d'électrification de la région du Havre).
286. Par ailleurs, le dommage à l'économie est indépendant du dommage souffert par le maître d'ouvrage en raison de la collusion entre plusieurs entreprises soumissionnaires (arrêt de la Cour d'appel de Paris 22 septembre 1998) et s'apprécie en fonction de l'entrave directe portée au libre jeu de la concurrence (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 15 juin1999, Solatrag).
287. Les pratiques anticoncurrentielles qui caractérisent un dommage à l'économie sont répréhensibles du seul fait de leur existence, en ce qu'elles constituent une tromperie sur la réalité de la concurrence dont elles faussent le libre jeu, nonobstant la circonstance que l'échange d'informations entre entreprises sur les prix a pu être suivi d'une attribution des marchés à un prix inférieur aux estimations du maître d'œuvre (Cour d'appel de Paris, 12 décembre 2000, Sogea Sud Est), que les entreprises concernées n'aient pas présenté d'offres ou ne se soient pas vu attribuer le marché (voir en ce sens la décision n° 00-D-53 du 18 janvier 2001 relative aux marchés de travaux de revêtement de sols et de peintures dans le Finistère).
288. Pour apprécier le dommage à l'économie, le Conseil tient compte du montant total des marchés attribués, soit dans la présente affaire un montant de 55 356 095,42 euro, qui a été supérieur à celui qui aurait résulté du libre jeu de la concurrence, mais aussi de la malheureuse valeur d'exemple que ce type de comportement peut susciter pour d'autres appels d'offres.
289. Dans les circonstances de l'espèce toutefois, l'importance du dommage à l'économie a été limitée par le fait que la SNCF disposait d'un fort pouvoir de négociation, qu'elle a utilisé pour réduire le montant initial des offres proposées par le moins disant, qu'elle était en mesure de détecter tout prix anormalement élevé et de décider en conséquence de déclarer infructueux le lot concerné, et enfin que le montant global de chacun des marchés a été inférieur aux prix objectifs élaborés par la SNCF, et ce de manière conséquente s'agissant du premier marché. Il n'en demeure pas moins que les difficultés rencontrées pour faire respecter la concurrence et le fonctionnement normal d'appel d'offres, permettant de désigner l'entreprise qui a fait la meilleure offre, créent des entraves au bon fonctionnement de l'économie lorsque des travaux d'intérêt public sont en jeu.
c) Sur les suites à donner
En ce qui concerne la société Colas Rail (ex Séco-Rail)
290. La société Colas Rail (ex Séco Rail) a pris une part active et prépondérante à la pratique d'échanges d'informations et d'offre de couverture. Le chiffre d'affaires mondial réalisé en 2008 par la société Colas Rail est de 237 millions d'euro. Les pertes de la société Colas Rail pour cet exercice ont atteint 5,5 millions d'euro. Les comptes de cette société sont toutefois consolidés avec ceux de l'ensemble des sociétés du groupe Bouygues dont le chiffre d'affaires mondial s'est élevé en 2007 à 29 613 millions d'euro, et le résultat net à 1593 millions d'euro. En fonction des éléments généraux et individuels exposés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction de 2 600 000 euro.
En ce qui concerne la société R. Vecchietti
291. La société Vecchietti fait état de ce qu'elle est un "acteur modeste du secteur" puisqu'elle détenait une part de marché réduite : 3,29 % en 2001, 3,31 % en 2002 et 3,73 % en 2003. Le chiffre d'affaires réalisé en 2008 s'élève à 24 872 215 euro et pour cet exercice les pertes ont atteint 790 000 euro. Les comptes de cette société sont toutefois consolidés avec ceux de l'ensemble des sociétés du groupe Bouygues dont le chiffre d'affaires mondial s'est élevé en 2007 à 29 613 millions d'euro, et le résultat net à 1593 millions d'euro. En fonction des éléments généraux et individuels exposés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction de 200 000 euro.
En ce qui concerne la société ETF
292. Le chiffre d'affaires réalisé par la société ETF en 2008 s'élève à 127 600 000 euro. En fonction des éléments généraux et individuels exposés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction de 1 200 000 euro.
En ce qui concerne la société Entreprise Pichenot Bouillé
293. Le chiffre d'affaires réalisé par la société Entreprise Pichenot Bouillé en 2008 s'élève à 14 700 000 euro. En fonction des éléments généraux et individuels exposés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction de 150 000 euro.
En ce qui concerne les établissements Offroy
294. Les pratiques reprochées aux établissements Offroy ne concernent que le 2ème marché "hors suites" de l'année 2004. Le chiffre d'affaires réalisé en 2008 s'élève à 10 900 000 euro. En fonction des éléments généraux et individuels exposés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction de 50 000 euro.
DÉCISION
Article 1er : Il n'est pas établi que les sociétés Atlantique Voies Ferrées-Travaux Publics, Champenoise de travaux publics et de voies ferrées, Gaujacoise de voies ferrées-travaux publics, Dijonnaise de voies ferrées, Egénie, Entreprise Spécialisée en Activité Ferroviaire, Ferroviaire de France, P. Fourchard et R. Renard, Meccoli, Olichon, Sodesam, Travaux Publics et Ferroviaires, et TSO aient enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE.
Article 2 : Il est établi que les sociétés Colas Rail (ex Séco Rail), R. Vecchietti, Européenne de Travaux Ferroviaires, Entreprise Pichenot Bouillé et Etablissements Offroy ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du traité CE.
Article 3 : Il est infligé :
- à la société Colas Rail (ex- Séco Rail) une sanction de 2 600 000 euro ;
- à la société R. Vecchietti une sanction de 200 000 euro ;
- à la société ETF une sanction de 1 200 000 euro ;
- à la société Entreprise Pichenot Bouillé une sanction de 150 000 euro ;
- à la société Etablissements Offroy une sanction de 50 000 euro.
(1) Le document 12 est en réalité difficile à exploiter et n'a pas été retenu à titre d'indice au stade du rapport.
(2) Ce total correspond à peu près au calcul réel des montants portés sur le document 3, lequel est de 3 867 500 euro, soit 30 + 500 + 720 + 225 + 15 + 7,5 + 350 + 50 + 370 + 400 + 110 + 240 + 200 + 650.
(3) En réalité le montant total est de 18 596 000 euro, si on prend en compte le montant du lot 48 qui est de 3,8 M euro.
(4) Le rapport de dépouillement des offres (cote 547) précise expressément que "cette nouvelle consultation inclut également quelques chantiers qui, en raison de leur coût, avaient été déclarés "sans suite" lors de la première mise en concurrence".
(5) Observations de la société ETF p. 30.