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ADLC, 29 juillet 2009, n° 09-D-26

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société DKT international dans le secteur de la reprise et de la valorisation des déchets d'emballages ménagers plastiques

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Jean-Pierre Camby, l'intervention de M. Jean-Marc Belorgey, rapporteur général adjoint, par Mme Elisabeth Flüry-Hérard, vice-présidente, présidente de séance, Mme Pierrette Pinot, MM. Jean-Bertrand Drummen, Pierre Godé, membres.

ADLC n° 09-D-26

29 juillet 2009

L'Autorité de la concurrence,

Vu la lettre, enregistrée le 17 mars 2006, sous le numéro 06/0022 F, par laquelle la société DKT international a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la reprise et de la valorisation des déchets d'emballages ménagers en plastique, par les sociétés Eco-Emballages et Valorplast, qu'elle estime anticoncurrentielles ; Vu la lettre enregistrée le 25 juin 2008, sous le numéro 08/0072 M, par laquelle la société DKT international a formulé une demande de mesures conservatoires ; Vu les articles 81 et 82 du Traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu le Code de l'environnement ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par les sociétés Eco-Emballages, Valorplast, DKT International et par le commissaire du Gouvernement ;

Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés précitées, entendus lors de la séance du 6 mai 2009 ;

Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA SAISINE

1. La société DKT international (ci-après "DKT"), créée en 2004 pour exercer une activité de négoce de déchets plastiques en vue de leur recyclage, a saisi aux fins de mesures conservatoires le 25 juin 2008 le Conseil de la concurrence de pratiques des sociétés Eco-Emballages et Valorplast, qu'elle estime anticoncurrentielles. DKT affirme qu'elle a été, au cours des années 2005 et 2006, c'est-à-dire au moment du renouvellement de la plupart des contrats passés entre Eco-Emballages et les collectivités territoriales en vue de la reprise des déchets d'emballages pour leur valorisation, victime de pratiques d'éviction sur le marché particulier des déchets d'emballages en plastique, notamment en s'étant vue imposer des exigences discriminatoires par Eco-Emballages. Elle soutient que les pratiques d'Eco-Emballages et de Valorplast sont constitutives d'abus de position dominante et résultent d'une entente anticoncurrentielle entre ces deux sociétés.

B. LES PARTIES ET LE SECTEUR CONCERNE

1. LES PARTIES

2. Les communes ou leurs structures de coopération intercommunales (ci-après les "collectivités") ont, en application de la loi n° 75-633 du 15 juillet 1975 relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux et du décret n° 92-377 du 1er avril 1992 pris pour son application, désormais codifiés dans le Code de l'environnement, l'obligation d'assurer l'élimination des déchets ménagers. Cette mission s'exerce dans le cadre des directives communautaires fixant les principes applicables en matière de traitement et de valorisation des déchets en général, sur la base du principe "producteur payeur". Dans le cas particulier des déchets d'emballage ménagers, la directive 94-62-CE du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 1994 relative aux emballages et déchets d'emballages (JOCE L 365, p. 10) a encouragé les États membres à développer les systèmes de tri sélectif et de recyclage des matériaux, plutôt que de procéder à la mise en décharge. En l'occurrence, le Code de l'environnement définit le "producteur" comme quiconque, à titre professionnel, emballe ou fait emballer ses produits en vue de leur mise sur le marché.

3. Afin de promouvoir auprès des collectivités le tri et le recyclage des déchets d'emballages ménagers, les pouvoirs publics ont agréé, à partir de 1992 et en dernier lieu par arrêté du 30 décembre 2004, une structure ad hoc. La société Eco-Emballages a été créée en 1992 sous forme de société anonyme au capital de 1,82 million d'euro. L'actionnariat est majoritairement constitué de sociétés productrices d'emballages, et le chiffre d'affaires se montait à 382 millions d'euro au 31 décembre 2007. La société Eco-Emballages ayant pris en juin 2005 le contrôle de la société Adelphe, créée en 1993 par les industriels des vins et spiritueux pour mettre en place la collecte sélective du verre, organise désormais seule le système de collecte sélective et de valorisation des déchets d'emballages ménagers pour cinq catégories de matériaux : l'acier, le verre, le papier, l'aluminium et les plastiques, dès lors que les producteurs de ces déchets ne pourvoient pas eux-mêmes à ces opérations, situation désormais quasi-inexistante.

4. En contrepartie, Eco-Emballages perçoit une contribution financière des producteurs, industriels ou personnes responsables de la première mise sur le marché de produits commercialisés dans des emballages, qui satisfont ainsi à leurs obligations de "producteur-payeur". En respectant un équilibre financier global du système, Eco-Emballages reverse aux collectivités locales désireuses de trier leurs déchets (aujourd'hui la quasi-totalité d'entre elles) cette contribution sous forme de soutiens financiers au tri sélectif, et principalement un "soutien à la tonne triée". Elle apporte également son concours aux collectivités en proposant, de façon optionnelle, une solution de reprise des déchets de chaque matériau par appel aux services d'une société spécialisée dénommée "filière" avec laquelle elle est liée contractuellement et par actionnariat.

5. Valorplast est la société de la filière plastique. Créée en 1993 avec un capital de 436 760 euro par les producteurs et transformateurs de matières plastiques, Valorplast participe au capital d'Eco-Emballages par l'intermédiaire de "l'interfilière" qui regroupe les différentes filières. Elle a pour objet social la valorisation des déchets de matières plastiques et, à ce titre, elle exerce une activité d'intermédiaire entre les collectivités ayant trié les déchets d'emballages en plastique et les repreneurs possibles, négociants ou industriels valorisant ces déchets par régénération. Au 31 décembre 2007, son chiffre d'affaires s'élevait à près de 35 millions d'euro, et elle employait dix-sept personnes.

6. DKT est une SARL au capital de 20 000 euro, créée - comme il a été indiqué au paragraphe 1 - en 2004 pour exercer le négoce de déchets plastiques. Elle emploie un salarié unique, qui est également son gérant. Son chiffre d'affaires s'est élevé à 7 955 euro pour l'exercice 2007 avec une perte constatée de 17 593 euro.

2. LE FONCTIONNEMENT DU SECTEUR

7. Dans les conditions prévues aux articles R. 543-56 et suivants du Code de l'environnement, les collectivités passent avec Eco-Emballages un contrat définissant les conditions d'octroi des aides au tri sélectif. L'accord est formalisé dans un "contrat programme de durée" (CPD), qui concerne tous les matériaux de déchets d'emballages ménagers, et qui porte sur une durée de six ans. Le contrat-type CPD barème D a été appliqué, après le renouvellement de l'agrément d'Eco-Emballages, à partir du 1er janvier 2005.

8. Le soutien à la tonne triée est versé par Eco-Emballages en contrepartie du recyclage effectif des déchets. Le recyclage des déchets d'emballages ménagers se définit comme une valorisation sous forme d'une transformation en matière première secondaire utilisable ; lorsque le plastique est seulement broyé, le recyclage n'est pas considéré comme complet. Afin de s'assurer du recyclage effectif des déchets, Eco-Emballages contrôle la "traçabilité des quantités et des qualités jusqu'au recycleur final", le tri et l'enlèvement des déchets au centre de tri ne pouvant à eux seuls déclencher l'aide.

9. Dans le cas de l'exportation des déchets hors de la Communauté européenne, la directive 94-62-CE prévoit par ailleurs que le recyclage doit se faire dans des conditions "largement équivalentes à celles prévues par la législation communautaire en la matière". L'article 4.3 du CPD précise quant à lui que le recyclage doit se faire "dans des conditions qui sont largement équivalentes à celles prévues par la législation communautaire, notamment en matière de protection de l'environnement et dans le domaine social".

10. Dans le cadre du CPD, Eco-Emballages propose aux collectivités le choix entre trois modalités d'organisation de la reprise des déchets d'emballages préalablement collectés et triés : - le système de "garantie de reprise" géré par la filière Valorplast assurant à toutes les collectivités une reprise à un prix positif ou nul de tous les tonnages à un prix uniforme sur tout le territoire ;

- un système de "reprise garantie" garantissant également la reprise de tous les tonnages à un prix positif ou nul, mais à un prix négocié entre la collectivité et le repreneur qu'elle choisit ;

- enfin un système de "reprise collectivité" organisé par la collectivité avec le repreneur qu'elle a choisi, mais sans garantie externe de reprise des tonnages triés et sans durée d'engagement fixée.

Ces trois systèmes de reprise, et leurs caractéristiques, s'expliquent par les conditions historiques de mise en place des systèmes de reprise et de valorisation des déchets.

11. En effet, avant que la directive 94-62 ne fixe les principes applicables au traitement et à la valorisation des emballages et déchets d'emballage, il n'existait en France aucun système de recyclage des déchets d'emballages plastiques, seule la mise en décharge et la valorisation énergétique étant pratiquées. La mise en place d'un mécanisme incitant les collectivités locales à mettre en place auprès de leurs administrés un mécanisme de tri sélectif, par le biais d'aides financières à la tonne triée, ne pouvait se justifier si on ne pouvait donner à ces collectivités l'assurance que les déchets ménagers, une fois triés, seraient d'abord effectivement repris et enlevés, pour éviter tout stockage des déchets, et finalement valorisés et non incinérés, afin de justifier auprès des administrés l'effort que représente le tri. En l'absence de toute industrie du recyclage en aval, cette exigence n'allait pas de soi, le danger étant que les collectivités ne puissent se débarrasser de leurs déchets en vue d'un recyclage qu'à un coût négatif, ce qui aurait ajouté un coût supplémentaire à celui du tri.

12. Afin d'assurer la cohérence de toute la chaîne, l'industrie du plastique, par le truchement de Valorplast, et en étroite liaison avec Eco-emballages, a mis en place dès le début de la politique de tri et recyclage l'offre aux collectivités dénommée "garantie de reprise". L'offre, présentée par Eco-Emballages elle-même en tant que "garantie de reprise d'Eco-Emballages", met en avant cinq principes, mentionnés à l'article 4.1 du CPD : la transparence, l'autosuffisance, la proximité, la précaution et la solidarité.

13. La garantie de reprise, ou première voie, fonctionne dans les conditions suivantes : dans le cadre du contrat dit "filière" signé avec Eco-Emballages, Valorplast s'est engagée à reprendre l'intégralité des tonnes triées aux conditions fixées par Eco-Emballages, qui "pourra vérifier tous les éléments lui permettant de s'assurer de la traçabilité". Concrètement, Valorplast désigne un repreneur chargé de recevoir les livraisons de déchets plastiques triés et organise les opérations logistiques permettant l'enlèvement des lots. La garantie de reprise offre pour toutes les collectivités locales un prix de reprise unique, dont l'évolution est en principe trimestrielle, avec un plancher de zéro. Les déchets doivent être autant que possible affectés, selon le principe de proximité, au recycleur le plus proche, ce qui doit encourager le développement d'unités de recyclage sur l'ensemble du territoire national et faciliter la traçabilité des circuits de reprise.

14. Valorplast, qui représente la voie historique de traitement des déchets ménagers plastiques, a traité en 2007 68 % des quantités d'emballages ménagers en plastique reprises aux collectivités, soit 87 % des contrats couvrant 66 % de la population (38 millions d'habitants). Valorplast a versé 28 millions d'euro en 2007 aux 1 070 collectivités contractantes en garantie de reprise pour une activité de 144 400 tonnes.

15. En l'absence de toute filière industrielle de recyclage lors de la mise en place du système en 1992, l'opération de recyclage n'était pas rentable et coûtait environ 15 euro la tonne à Valorplast qui, néanmoins ne faisait pas payer les collectivités pour reprendre les déchets triés. Ce coût pour Valorplast était alors compensé par Eco-Emballages, sous forme d'avances, en vertu des accords liant ces deux sociétés. A partir de 2001, le prix de la tonne triée est devenu positif, puis fortement positif dans les années suivantes, la demande excédant l'offre sur le marché international, et les unités de retraitement en France ayant commencé à se développer dans un climat de tension sur l'accès à la matière première. La reprise des balles triées est alors devenue bénéficiaire mais le prix versé aux collectivités est resté nul jusqu'à ce que Valorplast ait remboursé Eco-Emballages, ce qui a été réalisé en 2004 et a permis au repreneur de proposer aux collectivités pour la première fois un prix de reprise positif. En 2008 il a pu s'élever à plus de 200 euro la tonne. La crise économique, qui affecte une partie des débouchés industriels du recyclage, notamment dans le secteur automobile, a depuis cette date fait diminuer les prix de moitié.

16. Prenant acte du développement du marché, les pouvoirs publics ont ouvert une "deuxième voie" de reprise lors du renouvellement de l'agrément d'Eco-Emballages en 2004, afin d'ouvrir le marché de la reprise, alors en quasi monopole en faveur de Valorplast, aux adhérents des deux fédérations professionnelles du secteur. Les professionnels du traitement des déchets qui interviennent en amont des fabricants de produits en plastique se sont regroupés en deux structures, la Fédération nationale des activités de la dépollution et de l'environnement (FNADE) et la Fédération de la récupération, du recyclage et de la valorisation (Federec). Un contrat a été signé entre ces deux fédérations et Eco-Emballages, par lequel ces fédérations s'obligent, pour leurs adhérents, au respect d'un certain nombre d'obligations dans leurs offres aux collectivités.

17. Ces deux fédérations proposent aux collectivités locales une offre appelée dans le CPD la "reprise garantie par les fédérations", qui est fondée sur les mêmes principes que la "garantie de reprise", à l'exception de la solidarité. Dans ce système, la collectivité choisit elle-même un repreneur parmi ceux qui ont conclu un contrat avec l'une ou l'autre des fédérations, qui effectuera la reprise matérielle des déchets. Les adhérents des fédérations garantissent aux collectivités, comme dans le cadre de la première voie, l'enlèvement et le recyclage de l'ensemble des déchets d'emballages ménagers en plastique triés pour toute la durée du contrat. En cas de défaillance du contractant, les fédérations s'engagent à proposer à la collectivité locale un autre repreneur. Les repreneurs s'engagent également auprès de la collectivité à apporter directement à Eco-Emballages la preuve du recyclage des matériaux. En revanche, et contrairement à la première voie, les adhérents de FNADE et de Federec n'ont aucune obligation de contracter avec toute collectivité qui en exprime la demande, et peuvent proposer des prix différents aux collectivités en fonction des caractéristiques géographiques et de volume de l'offre.

18. La reprise garantie, mise en œuvre depuis 2005 par les deux fédérations, a représenté en 2007 27 % des tonnages triés, 13 % des contrats (160 environ) et 31 % de la population (18 millions d'habitants).

19. Enfin, il existe, depuis le début du système, une troisième voie, la "reprise collectivités" : les collectivités qui le souhaitent ont dès le départ eu la possibilité d'organiser la reprise de leurs déchets sans passer par un mécanisme contractuel impliquant une garantie de reprise. Les collectivités dans ce cas peuvent choisir leur repreneur, opérateur ou simple intermédiaire, et les conditions contractuelles qu'elles souhaitent, notamment en termes de durée de contrat, ce qui peut leur permettre d'obtenir, en vendant sur les marchés à court terme, des prix supérieurs à ce que proposent les contrats avec garantie de reprise. En revanche, aucun tiers ne leur garantit la reprise des tonnes triées en cas de reflux à un prix négatif du cours de la tonne triée. Par ailleurs, il leur appartient d'obtenir le certificat du recycleur final (CPD art. 4.3.) et de le transmettre à Eco-Emballages pour pouvoir bénéficier des soutiens à la tonne triée.

20. Cette voie est actuellement peu utilisée par les collectivités : elle représente en 2007 1 % des contrats, 3 % de la population mais 6 % des tonnages soutenus par Eco-Emballages. L'agglomération lilloise, qui a mis en place sa propre structure dédiée, Triselec, a toujours opté pour cette voie de reprise. La communauté de Metz a également opté pour cette voie au moment du renouvellement du CPD en 2005. Deux syndicats intercommunaux semblent aussi l'avoir choisie. Triselec indique que les prix de vente des déchets qu'elle obtient, tous matériaux confondus, sont nettement supérieurs à ceux obtenus par les autres voies de reprise. DKT souhaitait intervenir dans cette voie, comme intermédiaire et négociant.

C. LES FAITS DENONCES

21. En substance, DKT critique tout d'abord le dispositif contractuel proposé aux collectivités par Eco-Emballages. Elle dénonce le fait que les prestations d'Eco-Emballages et de Valorplast puissent être présentées ensemble dans le cadre du CPD. Elle considère que la voie de la "garantie de reprise" dispose d'un régime favorable, notamment parce que l'octroi des soutiens à la tonne triée y est facilement obtenu en raison des moindres contraintes de justification de la réalité et des conditions du recyclage qui seraient prévues lorsque Valorplast intervient. Elle soutient également que la durée prévue du contrat (6 ans) qui lie une collectivité à une voie de reprise (article 4 du CPD) et le fait qu'une collectivité qui choisit la voie de la "reprise collectivité" ne peut pas en cours de contrat revenir à la "garantie de reprise" en cas de problème (clause de non-retour, article 4-3 du CPD) constituent des dispositifs de forclusion à l'égard d'opérateurs comme elle-même qui souhaitent intervenir dans la "reprise collectivité".

22. DKT estime ensuite qu'Eco-Emballages a adopté différents comportements visant à favoriser Valorplast à son détriment. Valorplast aurait bénéficié d'aides de la part d'Eco-Emballages. Cela lui aurait permis de pratiquer des prix de nature à écarter la concurrence au moment du renouvellement des contrats (DKT évoque des prix prédateurs), puis de ne plus faire d'effort de prix par la suite. D'une manière générale, dans sa présentation des différentes solutions possibles pour les collectivités, Eco-Emballages privilégierait la voie de la "garantie de reprise". La deuxième voie, celle de la "reprise garantie", serait elle-

même désavantagée et ne représenterait qu'une fausse concurrence pour Valorplast. DKT souligne à cet égard que les mêmes opérateurs peuvent intervenir comme repreneurs des fédérations dans la deuxième voie et comme recycleurs de Valorplast dans la première voie et s'interroge sur l'existence d'une entente entre Valorplast et lesdits opérateurs. Enfin, elle accuse Eco-Emballages d'avoir au moins une fois transmis à Valorplast une proposition commerciale qu'elle avait faite à une importante collectivité.

23. En ce qui la concerne plus spécifiquement, DKT fait valoir qu'Eco-Emballages aurait dissuadé des collectivités de recourir à ses services en dépit des prix de reprise très attractifs qu'elle proposait. Elle lui reproche également de lui avoir ensuite laissé entrevoir la possibilité d'obtenir une "lettre de non-objection" lui permettant de rassurer les collectivités quant à sa capacité à répondre aux obligations permettant de recevoir les soutiens à la tonne triée, avant d'exiger d'elle qu'elle satisfasse à cet effet à des critères exigeants ou fantaisistes, qui ne sont pas opposés aux opérateurs travaillant avec Valorplast et qui pour certains ne relèvent pas de sa compétence. Par ailleurs, Valorplast aurait elle-même participé à des pratiques de dénigrement de DKT.

D. LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES

24. DKT a demandé les mesures conservatoires qui suivent :

- "Il est tout d'abord indispensable d'enjoindre à Eco-Emballages de supprimer dans ses contrats

(i) le principe suivant lequel Valorplast est le seul repreneur garanti d'Eco-Emballages pour le plastique ;

(ii) les contraintes de contrôle de recyclage effectif qui en découlent ; et

(iii) toute clause de non-retour à la "garantie de reprise" pour les motifs exposés ci-après (...) :

Il convient dès lors de lui enjoindre de remplacer en conséquence ce système par un nouveau régime, basé sur le principe de libre choix par les collectivités entre Valorplast, les Fédérations professionnelles ou tout repreneur indépendant.

Ce régime devra permettre aux acteurs de la filière indépendante de se prévaloir auprès des collectivités d'un document d'accréditation, délivré dans un délai d'un mois, sur la base du respect de conditions claires et précises, strictement conformes aux exigences de la directive 94-62-CE, qui requiert "des preuves tangibles que les opérations de valorisation et/ou recyclage se sont déroulées dans des conditions qui sont largement équivalentes à celles prévues par la législation communautaire en la matière" (article 6.2).

La procédure d'accréditation créée par Eco-Emballages devra être validée par le Conseil de la concurrence, et pourra être mise en place sans attendre que les contrats soient modifiés.

Ce régime reposera en outre sur le principe d'équivalence de traitement de chacune des trois voies, les contraintes pesant sur les collectivités étant alors rigoureusement les mêmes quelle que soit la voie choisie par ces dernières.

DKT demande au Conseil que ces mesures soient enjointes dans un délai d'autant plus bref que ces contrats seraient en cours de renégociation.

En outre, trois autres mesures complémentaires apparaissent nécessaires :

- Compte tenu des pressions exercées par Eco-Emballages auprès des collectivités et des habitudes prises par les collectivités avec Valorplast depuis deux ans, ces modifications ne seront pas suffisantes à elles seules. DKT demande donc au Conseil d'enjoindre également à Eco-Emballages de lancer sans délai une large campagne d'information auprès des collectivités, visant à les rassurer sur leur liberté totale de choisir la filière indépendante, sans aucune contrainte de quelque nature que ce soit.

Cette campagne d'information d'Eco-Emballages devra utiliser tous les moyens qui sont à sa disposition (brochures, publications, site Internet et mise en ligne d'une liste des repreneurs indépendants accrédités), cette information devant permettre à la filière indépendante d'apparaître effectivement aux yeux des collectivités comme une véritable alternative.

- Il convient par ailleurs d'enjoindre à Eco-Emballages, et plus largement à toute la filière, de s'abstenir sans délai de toute démarche qui, directement ou indirectement dénigrerait la filière indépendante ;

- Il est enfin indispensable d'enjoindre à Eco-Emballages de faire ses meilleurs efforts pour que ces injonctions soient répercutées sans délai dans son cahier des charges.

Mesures conservatoires qui en découlent relatives à la relation contractuelle entre les collectivités locales et Valorplast

Les contrats de Valorplast sont le reflet de la relation contractuelle entre les collectivités et Eco-Emballages. Ils doivent en conséquence être également modifiés.

DKT demande au Conseil les mesures suivantes :

- Enjoindre de réduire la durée des contrats entre Valorplast et les collectivités (...) ; la durée retenue, en fonction de la date effective du prononcé de mesures conservatoires, devra tenir compte de la nécessité de prévoir une période transitoire avant la renégociation des contrats, qui permettra aux acteurs de la filière indépendante, et notamment à DKT, de devenir des concurrents crédibles aux yeux des collectivités (cf. la demande d'injonction d'approvisionnement faite à Valorplast, ci-dessous) ;

- Enjoindre à Valorplast de s'abstenir de toute démarche qui, directement ou indirectement, dénigrerait la filière indépendante.

Dans l'attente de la libéralisation complète du marché, DKT demande aussi au conseil d'enjoindre à Valorplast de mettre en place un approvisionnement pour les acteurs de la filière indépendante et notamment DKT, à des conditions de nature à leur permette d'exercer une concurrence effective sur le marché à hauteur de mi-2009.

Les mesures d'information à destination des collectivités qu'il est demandé au Conseil d'ordonner (...), et la réduction de la durée des contrats existants, conduira à une renégociation d'un grand nombre de ceux-ci vers la mi-2009. Pour autant, elles ne garantissent pas l'exercice d'une concurrence effective, compte tenu des pressions exercées par Eco-Emballages et Valorplast depuis des années et de l'absence d'obligation de mise en concurrence pesant sur les collectivités quant au choix de leurs repreneurs de déchets.

Afin d'assurer l'effectivité de l'intervention du Conseil de la concurrence, il est dès lors essentiel de prévoir des mesures qui permettent aux repreneurs indépendants d'avoir accès aux collectivités dans les six mois qui précèderont la renégociation des contrats, afin qu'ils puissent démontrer de manière effective leur capacité de reprise et de se prévaloir d'une expérience à cet égard.

Valorplast devra notamment mettre à la disposition de DKT/tout repreneur indépendant, une partie de ses achats de déchets plastiques, sur la base d'une allocation (en pourcentage de quantités) que le Conseil estimera nécessaire pour ouvrir le marché aux repreneurs indépendants. À cet égard, DKT estime qu'une allocation de 15 % des tonnages de Valorplast paraît réaliste (soit, selon les estimations internes de DKT, environ 25 000 tonnes).

Afin d'éviter toute possibilité de ciseau tarifaire résultant d'une marge appliquée par Valorplast, Valorplast désignera la (ou les) collectivité(s) à chaque repreneur indépendant qui sera intéressé, ce dernier venant ensuite se substituer à Valorplast auprès de la (ou les) collectivité(s) désignée(s).

Ceci ouvrira une période d'essai permettant à DKT/aux repreneurs indépendants de développer des contacts et une expérience avec les collectivités, ce qui renforcera la crédibilité auprès des collectivités à l'issue de cette période transitoire. Cet objectif sera d'autant plus facilement atteint que les mesures conservatoires seront enjointes par le Conseil dans un bref délai.

De telles injonctions sont nécessaires sur des marchés de cette nature".

II. Discussion

25. L'article L. 464-1 du Code de commerce indique : "L'Autorité de la concurrence peut (...) prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou celles qui lui apparaissent nécessaires. Ces mesures ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante (...) Elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence".

26. L'article R. 464-1 du Code de commerce précise : "la demande de mesures conservatoires mentionnée à l'article L. 464-1 du Code de commerce ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond (...). Elle peut être présentée à tout moment de la procédure et doit être motivée". Une demande de mesures conservatoires ne peut donc être examinée que pour autant que la saisine au fond ne soit pas irrecevable ou rejetée faute d'éléments suffisamment probants, en application de l'article L. 462-8 du Code de commerce, selon lequel l'Autorité de la concurrence, "peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable pour défaut d'intérêt ou de qualité à agir de l'auteur de celle-ci (...) si elle estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de sa compétence (...) [elle] peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu'elle estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants".

A. SUR LA RECEVABILITE

1. SUR LA COMPETENCE DE L'AUTORITE

27. Eco-Emballages s'appuie sur différents éléments, notamment sur la clause de rupture unilatérale au profit des collectivités figurant à l'article 13 du CPD, laquelle stipule que "la collectivité peut, à tout moment, résilier unilatéralement le présent contrat, sans qu'une indemnité ne lui soit réclamée", pour exciper de la nature administrative dudit contrat afin de dénier la compétence de l'Autorité de la concurrence pour apprécier la légalité des contrats conclus avec les collectivités.

28. Il n'apparaît cependant pas de manière évidente que la clause en question constitue une clause exorbitante du droit commun qui emporterait la compétence exclusive du juge administratif pour connaître du CPD. En effet, ainsi qu'il est exposé dans la décision de la Commission européenne du 15 juin 2001 (2001-663-CE, Eco-Emballages, JOCE L 233, p. 37), faisant suite à la notification, par Eco-Emballages, des accords qu'elle concluait avec ses différents partenaires, cette clause a été proposée par Eco-Emballages elle-même pour répondre à des préoccupations de concurrence exprimées par la Commission, qui estimait en substance que la version précédente du contrat restreignait indûment, au regard de la durée de six ans du contrat, la liberté de choix et d'action des collectivités (voir, ensemble, les considérants 61, sous e), et 76). Cette clause a donc eu pour objet de rééquilibrer un contrat qui, précédemment, était nettement déséquilibré au détriment des collectivités. Or, une clause exorbitante du droit commun est usuellement une clause imposée par le contractant public qui aboutit à un déséquilibre du contrat à son profit tel qu'on ne le retrouverait normalement pas dans des relations privées. L'insertion de cette clause, au surplus sur proposition de la partie privée aux CPD, n'a a priori pas renversé l'équilibre du contrat de manière manifeste au profit des collectivités et au détriment d'Eco-Emballages. A cet égard, contrairement à ce qu'avance celle-ci, la circonstance qu'elle verse différents soutiens financiers aux collectivités et garantisse le cas échéant la reprise des déchets, ne caractérise pas un déséquilibre du contrat à son détriment. Ces financements, conditionnels, proviennent de contributions versées par d'autres entreprises (les "producteurs") et les garanties sont elles-mêmes apportées aux collectivités en contrepartie d'obligations de celles-ci qui restreignent leur liberté de comportement.

29. Par ailleurs, la circonstance que le cahier des charges de l'agrément d'Eco-Emballages, qui en fixe les grands principes, soit approuvé par l'autorité ministérielle ou que les parties puissent saisir celle-ci en cas de difficultés et notamment "d'inadéquation substantielle entre les moyens mis en œuvre par chaque partie et les objectifs poursuivis" (article 12 du CPD) n'est pas de nature à elle seule à conférer un caractère administratif au contrat en cause.

30. Ainsi que l'a rappelé le Conseil de la concurrence dans la décision n° 07-D-28 du 13 septembre 2007 relative à des pratiques anticoncurrentielles au port autonome du Havre, confirmée par la Cour d'appel de Paris par arrêt du 5 novembre 2008, selon une jurisprudence bien établie, si un acte d'homologation par une personne publique constitue une décision administrative susceptible de recours devant la juridiction administrative, un tel acte n'a pas pour effet de conférer par lui-même à la décision homologuée un tel caractère (Conseil d'État, 18 juin 1954, sieur Basgeix, recueil p. 361, Tribunal des conflits, 12 juin 1961, sieur Rolland c/SNCF, recueil p. 866 ; voir aussi, par exemple, en ce qui concerne l'homologation ministérielle de l'offre tarifaire de France Télécom, la décision n° 98-MC-03 du Conseil de la concurrence, rappelée dans sa décision n° 04-D-22).

31. Or, en l'occurrence, il ne résulte pas de l'article R. 543-59 du Code de l'environnement, qui définit la procédure d'agrément des éco-organismes tels qu'Eco-Emballages, que le cahier des charges de l'agrément est imposé par l'État. Cet article indique notamment qu'à l'appui de sa demande d'agrément l'éco-organisme doit mentionner les objectifs qu'il entend réaliser par les accords qu'il passera avec les producteurs, les fabricants d'emballage ou de matériaux d'emballage ainsi que, le cas échéant, avec les ramasseurs récupérateurs et enfin avec les collectivités. L'article 4 de l'arrêté du 30 décembre 2004, portant agrément d'Eco-Emballages indique pour sa part : "Sur demande de la société Eco-Emballages, les clauses et conditions particulières [du cahier des charges] peuvent être modifiées par les autorités qui ont agréé la société..." Il en ressort l'existence d'un mécanisme dans lequel l'éco-organisme soumet en substance à homologation ministérielle les conditions de son intervention, ce qui, au vu de la jurisprudence mentionnée ci-dessus, ne confère pas au cahier des charges récapitulant celles-ci le caractère d'un acte administratif.

32. Par ailleurs, la procédure de saisine de l'autorité ministérielle prévue par la "clause de sauvegarde" de l'article 12 du CPD s'achève comme suit, ainsi que le prévoit cette disposition : "Si à l'issue d'un délai de trois mois à compter de cette saisine, aucune solution n'a été apportée, le contrat pourra être suspendu à l'initiative d'une partie (...)". L'autorité ministérielle n'intervient par conséquent au titre de cette procédure que comme conciliateur, ce qui ne suffit pas à conférer au CPD le caractère d'un contrat administratif.

33. Enfin, il n'est pas établi qu'Eco-Emballages participe à l'exécution d'un service public, ce qui pourrait conférer aux CPD qu'elle conclurait à cet effet avec les collectivités un caractère administratif. En application de l'article L. 2224-13 du Code général des collectivités territoriales, les collectivités sont chargées du service public (industriel et commercial) d'élimination et de valorisation des déchets ménagers. Toutefois, le seul fait, pour les divers repreneurs, d'acheter aux collectivités des déchets d'emballages triés, notamment dans le cadre des différentes voies de reprise prévues par le CPD, pour, in fine, fournir des matériaux à diverses industries, ne les fait pas participer à l'exécution de ce service public. Il n'y a à cet égard aucune délégation ou demande de participation au service de la part des collectivités qui en restent entièrement responsables. Il n'existe de même, dans le chef d'Eco-Emballages, aucune délégation ou mission de participation au service public donnée par les collectivités, ni d'ailleurs par l'État (lequel ne délivre à Eco-Emballages qu'un agrément). Eco-Emballages reste une structure permettant aux producteurs de déchets d'emballages d'assumer de manière collective leurs obligations d'élimination desdits déchets, ainsi qu'en disposent les articles L. 541-2, R. 543-56 et R. 543-57 du Code de l'environnement. Il est significatif que le dernier alinéa de l'article R. 543-59 du même Code n'aborde les relations entre les éco-organismes et les collectivités que de la façon suivante : "[le cahier des charges] fixe, enfin, les bases des versements opérés par l'organisme (...) en vue d'assurer aux collectivités territoriales le remboursement du surcoût susceptible de résulter pour celles-ci du tri des déchets". Dans la décision 2001-633-CE, précitée, la Commission européenne a elle-même estimé qu'une collectivité, dans ses relations avec Eco-Emballages, intervenait en tant qu'acteur économique et non en tant qu'autorité publique (considérant 70), alors que seul ce dernier "statut" permettrait de soutenir que les collectivités font participer Eco-Emballages à l'exécution d'un service public.

34. Eco-Emballages ne conteste pas en revanche la compétence de l'Autorité pour examiner des pratiques détachables de cet ensemble contractuel. La plupart des faits dénoncés par DKT apparaissent détachables du contrat.

35. Sans qu'il soit nécessaire, à ce stade, de trancher définitivement la question de la nature administrative de l'ensemble contractuel liant Eco-Emballages aux collectivités locales, il résulte de ce qui précède que les arguments avancés par celle-ci pour contester la compétence de l'Autorité de la concurrence ne permettent pas, en l'état de l'instruction, de lui donner satisfaction sur ce point.

2. SUR LA QUALITE ET L'INTERET A AGIR DE LA SAISISSANTE

36. Valorplast soutient que DKT est "un faux-nez ou une tête de pont en Europe d'activités économiques étrangères à l'Union européenne", et qu'elle n'a pas, depuis plus d'un an, d'activité réelle. Elle estime que, compte tenu du niveau de ses pertes, qui excèdent largement son capital, elle aurait dû être dissoute ou liquidée, et qu'elle ne saurait donc se prévaloir du droit communautaire et du droit français de la concurrence.

37. Toutefois, il n'est pas contesté qu'au moment où elle a saisi le Conseil de la concurrence, en mars 2006, DKT, constituée en SARL, cherchait à développer en France une activité de négoce de déchets d'emballages et avait entrepris un certain nombre d'actions en ce sens. Elle avait donc qualité et intérêt à agir, au sens de l'article L. 462-8 du Code de commerce, ce qui permet la poursuite de la procédure indépendamment des évènements ultérieurs. Il y a lieu de rappeler à cet égard que "les affaires portées à [la] connaissance du Conseil [ou de l'Autorité de la concurrence] (...) relèvent d'un contentieux objectif, visant à protéger l'ordre public économique, et ne sont donc pas contraintes par les demandes des parties" et que, dès lors, même si une société qui a régulièrement saisi le Conseil disparaît, cette disparition n'a pas pour effet de dessaisir l'Autorité de la concurrence de l'affaire portée à sa connaissance (voir par exemple la décision n° 08-D-16 du 3 juillet 2008 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Cybervitrine à l'encontre de pratiques mises en œuvre par la société Photomaton, paragraphes 22 et suivants).

B. SUR L'EXISTENCE D'ELEMENTS SUFFISAMMENT PROBANTS

1. SUR LES MARCHES CONCERNES

38. S'agissant des marchés pertinents, à ce stade de l'instruction, l'Autorité de la concurrence se réfère prima facie à la délimitation des marchés faite par la Commission européenne dans la décision du 20 avril 2001 (2001-463-CE, Der Grüne Punkt - Duales System Deutchland AG, JOCE L 166, p. 1) et dans la décision 2001/663/CE, précitée. La Commission européenne a identifié trois marchés de produits pertinents quant à l'activité générale des éco-organismes. Le premier marché, dit "marché d'adhésion", est celui du service offert aux producteurs utilisant des emballages pour leurs produits destinés aux ménages, dans le cadre de la prise en charge de leurs obligations de contribuer ou de pourvoir à l'élimination des déchets d'emballages ménagers, tous matériaux confondus, auquel peuvent être rattachés non seulement les systèmes collectifs, mais aussi, le cas échéant, les systèmes individuels. Le deuxième marché pertinent est celui de la collecte sélective et du tri des emballages par les collectivités, sur lequel les organismes agréés offrent leur soutien aux collectivités, celles-ci participant réciproquement à la mise en œuvre du dispositif et demandant en contrepartie des compensations financières. Le troisième marché dit de "valorisation" concerne les repreneurs et les filières qui recyclent les matériaux.

39. Il n'est toutefois pas exclu que le "troisième type" de marché identifié, dit de valorisation, puisse la plupart du temps être subdivisé en plusieurs marchés sur lesquels les transactions pourraient intervenir successivement. Dans ce cas, il y aurait "en amont" un marché de l'achat direct aux collectivités de leurs déchets d'emballages en plastique triés, sur lequel seraient concurrents Valorplast, les repreneurs des fédérations ou d'autres repreneurs, industriels ou intermédiaires, comme DKT. Il s'agit d'une activité d'intermédiaire de reprise des déchets aux collectivités afin de les revendre, soit à un nouvel intermédiaire, soit directement en aval aux entreprises de recyclage, qui transforment ces déchets en matière première secondaire. Il peut cependant arriver que des recycleurs reprennent les tonnes triées sans intermédiation.

40. Comme l'a relevé la Commission, la dimension géographique des deux premiers marchés correspond au territoire français. La Commission ne s'est pas prononcée sur la dimension géographique du troisième marché.

41. Il n'est pas contesté qu'Eco-Emballages exerce son activité sur le premier et le second de ces marchés, sur lesquels il se trouve en position de monopole, quel que soit le matériau concerné, depuis la reprise de la société Adelphe. Eco-Emballages en revanche est totalement absent du troisième marché de la valorisation.

42. DKT comme Valorplast exercent leur activité sur ce troisième marché de la valorisation des matériaux par les repreneurs et filières. Sur ce marché de la valorisation ou reprise, la décision précitée de la Commission n'a pas établi de distinction de marchés selon les différents matériaux, sans non plus exclure celle-ci. Sans qu'il soit nécessaire à ce stade d'approfondir l'analyse des marchés concernés, si le marché devait être à l'avenir distingué par matériau, il est probable que Valorplast, opérateur historique en monopole jusqu'en 2004, et qui en 2007 reprenait encore 67 % des tonnages de plastique triés par les collectivités, devrait être considéré en position dominante sur le marché de la valorisation des déchets plastique.

2. SUR L'APPLICATION DU DROIT COMMUNAUTAIRE DE LA CONCURRENCE

43. Aux termes de leurs dispositions, les articles 81 CE et 82 CE prohibant les ententes anticoncurrentielles et les abus de position dominante sur le fondement du traité instituant la Communauté européenne ne s'appliquent que si les accords ou comportements visés sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres. En l'occurrence, dans la décision 2001-663-CE précitée, la Commission européenne a estimé que l'ensemble du dispositif contractuel qui lui était soumis formait un tout ayant des effets actuels ou potentiels sensibles sur le commerce entre États membres. Elle a en particulier noté que parmi les producteurs utilisant des emballages pour leurs produits destinés aux ménages et adhérant au dispositif, figuraient des entreprises d'autres États membres que la France et que de plus, les modifications des soutiens aux collectivités pouvaient avoir des répercussions sur les contributions de telles entreprises (considérant 71 de la décision). Cette appréciation ne semble pas devoir être remise en cause à ce jour. En outre, ainsi qu'il est exposé au paragraphe 61, ce dispositif est susceptible de rendre plus difficile l'établissement ou les prestations de services de repreneurs issus d'autres États membres. De même, les comportements dénoncés par DKT, s'ils sont avérés, sont susceptibles d'avoir les mêmes effets. Il en résulte qu'en l'état de l'instruction, il peut être admis que le droit communautaire de la concurrence est susceptible de s'appliquer à la présente affaire.

3. SUR LES FAITS DENONCES

44. Sans qu'il soit nécessaire d'examiner à ce stade tous les aspects dénoncés par DKT tels que résumés au paragraphe 21, la présente décision évoquera trois comportements extracontractuels de nature à susciter des interrogations de la part de l'Autorité. Il s'agit, en premier lieu, des exigences en termes de respect des standards communautaires sociaux et environnementaux imposées à DKT pour obtenir une "lettre de non objection", en deuxième lieu, de la neutralité du comportement adopté par Eco-Emballages vis-à-vis des trois voies de reprise, et, en troisième lieu, de la liberté laissée aux collectivités locales pour dénoncer leur contrat afin de changer de mode de reprise en cours de contrat.

45. S'agissant plus spécifiquement de l'attitude d'Eco-Emballages à l'égard de DKT, il ressort du dossier que des échanges ont eu lieu entre les deux sociétés entre avril 2005 et janvier 2006. DKT envisageait de livrer à un recycleur situé en Chine les matériaux qu'elle achèterait aux collectivités qu'elle démarchait à l'occasion de la campagne du renouvellement des CPD.

46. Après un premier contact sans suite avec Eco-Emballages au printemps 2005, DKT, faute d'obtenir un accueil favorable de la part des collectivités qu'elle avait prospectées, a repris contact avec Eco-Emballages en septembre 2005 par l'intermédiaire de ses avocats, estimant que ses difficultés étaient dues au caractère peu concurrentiel du marché. Eco-Emballages a alors proposé de fournir une lettre de non objection, ce qu'elle avait déjà fait à la demande d'entreprises souhaitant répondre aux appels d'offres des collectivités locales, sur la base d'un dossier de présentation établi par les entreprises.

47. Le 4 octobre 2005, Eco-Emballages a écrit à DKT : "Nous n'avons bien évidemment aucun a priori sur les pays de destination des tonnes triées et nous avons déjà accepté de soutenir des tonnes recyclées en Chine. Je vous joins la description de la procédure qui s'applique à tous les repreneurs, sans discrimination. Cette procédure peut être effectuée, au gré du repreneur, a priori ou a posteriori.". Était joint un document intitulé "Procédure de validation d'une filière de recyclage" avec la mention "document de travail", comportant un point 1.1 "le recycleur final", comportant notamment une rubrique respect des critères sociaux, environnementaux, techniques et économiques ainsi qu'une rubrique respect de la législation, un point 3.6 "environnement", comportant les rubriques protection de l'eau (équipements de prévention et de traitement, exutoires des eaux usées et des sous-produits de traitement) ; protection de l'air (captage, purification) ; gestion des déchets (tri, stockage, destination) ; protection du sol ; prise en compte du milieu environnant (bruit, paysage, énergie), et un point 3.7 "conditions de travail et de sécurité", comportant les rubriques effectif de l'unité (administration, production) ; nombre d'équipes ; nombre d'heures de travail par semaine, par an ; équipement de protection des opérateurs (individuels et collectifs) ; prise en compte de l'ergonomie des postes de travail ; protection au feu ainsi que sécurité électrique. Le contenu des rubriques n'est pas davantage détaillé.

48. Le 16 décembre 2005, au vu d'une copie de la proposition commerciale qu'avait faite DKT à la collectivité "Clermont communauté", que DKT lui avait communiquée et qui comportait certaines informations - succinctes - sur l'usine de recyclage en Chine, Eco-Emballages a rappelé à DKT les termes du cahier des charges de son agrément selon lesquels elle (Eco-Emballages) "doit prévoir les dispositions (...) lui permettant de s'assurer du recyclage effectif des matériaux, au sens de la directive 94-62-CE, notamment à l'export hors Europe, avec :

- une traçabilité des quantités et des qualités jusqu'au recycleur final ;

- un certificat de recyclage par le recycleur final ;

- un contrôle "qu'il existe des preuves tangibles que les opérations de recyclage se sont déroulées dans des conditions qui sont largement équivalentes à celles prévues par la législation communautaire en la matière" et notamment selon des processus industriels respectueux des règles européennes dans le domaine social et environnemental" [chapitre III, sous 3) sous c)]. Eco-Emballages a ajouté qu'il n'était à cet égard pas certain que le document commercial de DKT soit suffisamment explicite.

49. Le 23 décembre 2005, à la suite d'un entretien téléphonique avec DKT, Eco-Emballages a transmis à celle-ci un nouveau document "récapitulant les critères dont [elle] considère qu'ils sont a priori susceptibles de garantir l'effectivité du recyclage, sa traçabilité et la pérennité des relations entre une collectivité locale et un repreneur". Par rapport au document "Procédure de validation d'une filière de recyclage" envoyé le 4 octobre précédent, évoqué au paragraphe 47 ci-dessus, ce document présente notamment les éléments supplémentaires suivants. Dans une rubrique respect des critères sociaux, environnementaux et économiques, figure la précision : "3 points font l'objet de vérifications poussées : travail des enfants ; sécurité des salariés, respect de l'environnement." La rubrique "respect de la législation" est devenue "respect de la législation du pays dans lequel s'effectue le recyclage". Dans l'annexe A, concernant le recycleur, au point 6, conditions de travail et de sécurité, figure désormais "âge minimum des salariés" au lieu de "effectif de l'unité", de "nombre d'équipes" et de "nombre d'heures de travail par semaine, par an".

50. DKT, qui s'étonnait du large champ de ces exigences, et s'interrogeait sur leur justification juridique, a demandé que lui soit fournie la liste précise des informations qu'elle devait fournir. Le 6 janvier 2006, dans la perspective d'une réunion avec DKT, Eco-Emballages a indiqué : "préalablement à cette réunion, une liste des informations à remettre vous sera transmise." Par lettre du 9 janvier, la réunion étant envisagée pour le 19 janvier, DKT a demandé que ladite liste soit communiquée dès que possible afin que les éléments de réponse puissent, le cas échéant, être apportés à l'occasion de la réunion. Toutefois, par courrier du 16 janvier, Eco-Emballages a indiqué que la liste des informations à fournir ressortait du document transmis le 23 décembre. DKT a réitéré sa demande d'une liste plus précise en indiquant que les documents qu'elle avait reçus ne correspondaient qu'à une liste de thèmes. La réunion ne s'est finalement pas tenue.

51. A partir d'un courrier du 28 novembre 2005, DKT a parallèlement demandé en substance à Eco-Emballages une solution pour pouvoir entrer sur le marché dans la mesure où aucune collectivité ne donnait suite à ses propositions. Dans un courrier du 18 janvier 2006, DKT souhaite que "la réunion porte sur les mesures concrètes que prendrait Eco-Emballages afin d'assurer dès à présent l'approvisionnement de DKT".

52. Il n'est pas contestable qu'il incombait à Eco-Emballages de vérifier que le recyclage des déchets exportés en dehors de l'Union européenne se faisait dans des conditions "largement équivalentes à celles prévues par la législation communautaire". Toutefois, les éléments rapportés ci-dessus ne permettent pas d'exclure que, n'ayant pas précédemment mis en place une procédure claire et transparente de "validation" ou de "non-objection" vis-à-vis des filières ou des opérateurs intervenant dans le cadre de la reprise collectivité, permettant aux collectivités de mieux apprécier les offres susceptibles de leur être faites au titre de cette voie de reprise, Eco-Emballages ait adopté vis-à-vis de DKT une attitude dilatoire, notamment en renforçant au fur et à mesure des discussions le champ des domaines dans lesquels celle-ci devait apporter des garanties, sans pour autant préciser quelles étaient exactement les exigences. Compte tenu des autres éléments du dossier, il est possible que cette attitude, si elle était confirmée, ait eu pour effet d'empêcher DKT de présenter aux collectivités qu'elle avait approchées un complément de dossier en temps utile dans le cadre de la campagne de renouvellement des CPD.

53. S'agissant des comportements reprochés par ailleurs à Eco-Emballages et à Valorplast par DKT, tels que présentés au paragraphe 22 de la présente décision, et sans qu'il soit nécessaire d'aborder l'ensemble d'entre eux, les éléments suivants peuvent, à ce stade de l'instruction, être relevés.

54. Il existe de multiples liens entre Eco-Emballages et Valorplast, d'ailleurs la plupart du temps évoqués dans l'ensemble contractuel soumis à la Commission et aux pouvoirs publics. Comme indiqué paragraphe 5, Valorplast participe par l'intermédiaire de l'interfilière au capital d'Eco-Emballages. La politique de Valorplast en matière de recyclage et de mise en marché des déchets d'emballages est validée par le comité d'orientation de la filière, auquel participe Eco-Emballages, comme l'est d'ailleurs la politique des quatre autres filières de matériau, en application de l'article 8 et de l'annexe 5 de la convention-cadre filières. L'article 6 de la convention particulière plastique précise que Valorplast propose au comité d'orientation plastique, pour approbation, la politique générale de vente et les critères retenus pour l'accréditation des clients. Eco-Emballages participe aux frais de fonctionnement de Valorplast (chapitre IV du cahier des charges et article 3, paragraphe 7, de la convention-cadre filières ; cette aide est également prévue pour les fédérations, mais pas pour les collectivités ou opérateurs intervenant dans la troisième voie). Sans que l'Autorité se prononce à ce stade sur ces éléments, force est de constater que la proximité qu'ils entraînent entre Eco-Emballages et Valorplast est susceptible d'avoir pu favoriser des comportements contraires au principe de neutralité, notamment au désavantage de la troisième voie de reprise et de DKT.

55. Il ressort ainsi du dossier, en l'état de l'instruction, que Valorplast a bénéficié d'informations privilégiées par rapport à ses concurrents pour la campagne du CPD barème D. Il n'est pas établi que les dates d'expiration du précédent CPD pour chaque collectivité aient été fournies aux repreneurs de la reprise garantie des fédérations ; elles n'ont en tout cas pas été fournies à DKT. Par ailleurs, le dossier indique, en l'état, qu'Eco-Emballages aurait transmis à Valorplast les propositions de prix de reprise présentées par DKT à la collectivité "Grand Lyon".

56. Diverses sources internes à Eco-Emballages laissent apparaître d'assez fortes réticences vis-à-vis de la reprise par les collectivités locales. Figure ainsi au dossier un entretien du directeur général d'Eco-Emballages à une revue spécialisée, dans lequel celui-ci indique : "la seule chose qui me dérangerait serait que les collectivités ne passent pas par l'un ou l'autre des dispositifs (GR ou RG) et choisissent une entreprise inconnue". Au comité directeur d'Eco-Emballages du 18 mai 2005, correspondant à une période durant laquelle les collectivités étaient démarchées, le directeur du département services aux collectivités d'Eco-Emballages a exposé la stratégie de la manière suivante : "rôle d'Eco-Emballages : promouvoir la GR (produit Eco-Emballages) et présenter aux collectivités locales la reprise garantie afin de respecter les engagements pris vis-à-vis de l'association des maires de France lors des négociations concernant le barème D" "reprise garantie : en avoir un chiffre significatif (>20%)... soit RG soit GR, il n'y a pas de troisième voie, les critères de choix des collectivités locales sont économiques mais aussi selon les principes selon lesquels Eco-Emballages et Adelphe ont été agréés... un repreneur ne choisissant pas la RG avec ses contraintes ne sera plus recommandé par Eco-Emballages. Faire remonter les informations de ce type (...)."

57. Plusieurs témoignages externes semblent confirmer l'absence de neutralité alléguée. Notamment, l'ingénieur chargé du traitement du Sietrem (Syndicat mixte pour l'enlèvement et le traitement des résidus ménagers de la région de Lagny-sur Marne) a déclaré : "la présentation des trois voies de reprise faite par Eco-Emballages m'a appris que : les filières d'Eco-Emballages seraient toujours présentes dans le cadre du nouveau dispositif. Avec elles, tout est organisé et la collectivité ne s'occupe de rien. Les filières Fnade Federec étaient maintenant présentes dans le cadre du nouveau barème - que sous réserve de présenter les certificats de recyclage, elles présentaient les mêmes garanties que les filières d'Eco-Emballages (...). La troisième voie de reprise est plus risquée, notamment en ce qui concerne une possible cessation d'activité, un stockage au centre de tri en attendant une remontée des cours et une faiblesse possible quant à la fourniture des documents administratifs exigés pour le versement des soutiens Eco-Emballages. Il nous a été indiqué qu'il faudrait très certainement réclamer avec beaucoup d'insistance les certificats de recyclage. Dans le budget du Sietrem, les soutiens Eco-Emballages constituent une recette non négligeable qui en aucun cas ne peut être perdue. Il fallait donc être prudent quant au choix de la voie de reprise."

58. Le responsable administratif du pôle environnement de la communauté d'agglomération de Metz métropole indique : "Lors de la présentation du contrat barème D, qui a été faite par des représentants d'Eco-Emballages dans nos services, nous avons été informés des différentes possibilités de reprise de matériaux. Ils insistaient beaucoup sur le fait que si on travaillait en dehors de la garantie de reprise, ils seraient très vigilants sur le certificat de recyclage, afin de garantir le recyclage effectif. Ils nous ont mis en garde sur le fait que la filière devait être validée par Eco-Emballages, pour que les soutiens soient versés et qu'ils n'étaient pas certains qu'un recycleur installé hors Europe obtienne cette validation."

59. La directrice du Sytrad (Syndicat de traitement des déchets Ardèche-Drome) a déclaré : "Lors de la réunion du 27 avril 2005, M. ..., à l'époque directeur régional d'Eco-Emballages pour la région Sud Est a fait une présentation du barème D et notamment des trois filières de reprise. Il a souligné le mauvais choix que ferait le Sytrad et d'autres syndicats de sa taille s'ils ne continuaient pas dans le cadre de la reprise garantie. Il y voyait un risque de destruction du système mis en place avec les filières qu'Eco-Emballages avait agréées et qui avaient permis que le recyclage puisse exister en France pour toutes les collectivités quelle que soient leur taille et où qu'elles se trouvent. Selon lui, le départ à la concurrence de grosses collectivités mettrait en péril le système. Je me suis élevée contre ces propos en lui indiquant que j'étais choquée par l'écart entre sa présentation, favorable à la seule garantie de reprise et la plaquette officielle qui en exposait trois. M. ... a également mis en cause le sérieux des filières Fnade et Federec. Il a indiqué qu'elles ne seraient peut être pas capables de tenir, sur les six ans du contrat les prix qu'elles proposaient. Selon lui, elles risquaient d'envoyer les matériaux en Asie, ce qui ferait que lors des contrôles exercés par Eco-Emballages les conditions de travail constatées conduiraient à remettre en cause les certificats de recyclage et donc à ne pas obtenir les soutiens. Il n'a pas été question de la troisième voie de reprise, qui offrait encore moins de garantie que la reprise garantie déjà largement critiquée par le représentant d'Eco-Emballages. Eco-Emballages a mis l'accent sur le fait que le choix de la voie de reprise se faisait pour six ans et que si on quittait la garantie de reprise, on ne pourrait pas revenir sur notre choix avant l'échéance du contrat avec Eco-Emballages."

60. Il s'explique assez facilement qu'Eco-Emballages, dans son rôle de conseil aux collectivités pour l'octroi des aides au tri sélectif, ait souhaité clairement informer ces dernières, et notamment les moins armées d'entre elles, sur les charges et les risques particuliers que pouvait faire prendre le choix de la "reprise collectivités", notamment en ce qui concerne la nécessité d'obtenir directement du recycleur les certificats de recyclage ainsi que sur la pérennité du dispositif de reprise en cas de chute des cours. Les témoignages et les sources internes retracées ci-dessus semblent cependant montrer que dans plusieurs cas, les personnels d'Eco-Emballages se sont départis de la neutralité attendue d'un organisme investi en monopole d'une mission de redistribution aux collectivités de la ressource perçue auprès des producteurs de déchets.

61. S'agissant en dernier lieu du dispositif contractuel et des relations entre Eco-Emballages et les collectivités locales, il y lieu de rappeler que les collectivités choisissent, pour la durée du CPD, soit six ans, un seul mode de reprise par matériau pour l'ensemble des tonnes triées. L'article 4 du CPD prévoit en effet que dans tous les cas le mode de reprise engage la collectivité pour toute la durée du contrat ; en vertu de l'article 4-2, dans le cadre de la "reprise garantie", seule la résiliation des contrats entre Eco-Emballages et la Fnade ou la Federec ou entre le repreneur choisi par la collectivité et ces fédérations peut justifier un changement de voie de reprise ; de manière encore plus restrictive, l'article 4-3 stipule que "si la collectivité choisit cette solution, elle perd le bénéfice de la garantie de reprise pour toute la durée du contrat". Enfin l'article 9 prévoit une durée du contrat de six ans. La Commission indique dans sa décision que ces durées contractuelles particulièrement longues ont été demandées par les collectivités locales pour s'assurer d'une visibilité à long terme justifiant l'investissement dans un système de tri sélectif. Toutefois, ces stipulations impliquent nécessairement des rigidités importantes sur les marchés concernés.

62. Cependant, pour compenser ces rigidités, la Commission a demandé, à l'occasion de l'examen des accords notifiés par Eco-Emballages sur le fondement des articles 2 et 4 du règlement 17-62, le 17 décembre 1993 (décision 2001-663-CE précitée), qu'une possibilité de résiliation à tout moment et sans indemnité de l'ensemble du CPD à l'initiative de la collectivité soit prévue. Le quatrième alinéa de l'article 13 du CPD, intitulé "résiliation", stipule en conséquence qu'"il est rappelé que la collectivité peut, à tout moment, résilier unilatéralement le présent contrat, sans qu'une indemnité ne lui soit réclamée". D'après Eco-Emballages, il faut comprendre l'articulation des articles 4, 4-2, 4-3 (choix pour la durée du contrat et clause de non retour), de l'article 9 (durée de six ans), cités ci-dessus, et de l'article 13 (résiliation), comme donnant aux collectivités la possibilité de changer à tout moment de voie de reprise : il suffit pour cela de dénoncer le CPD, comme le permet l'article 13, puis de renégocier immédiatement un nouveau contrat, en faisant le choix d'une autre voie de reprise, Eco-Emballages n'ayant jamais la possibilité de refuser la signature d'un CPD.

63. La lecture faite par Eco-Emballages des différents articles précités est cohérente au regard du texte actuel du CPD, et conforme au texte et à l'esprit de la décision de la Commission. Dans le cadre de cette lecture, le dispositif contractuel ne serait donc pas en cause, pas plus que la question de la validité, contestée par DKT, dans les conditions actuelles de marché, de la décision d'attestation négative de la Commission citée ci-dessus, qu'il n'est donc pas utile d'examiner au stade actuel.

64. Force est toutefois de constater que la lecture quelque peu malaisée exposée ci-dessus par Eco-Emballages n'apparaîtra pas avec évidence aux yeux d'une collectivité peu au fait de la matière ; que les auditions témoignent du fait que ces collectivités semblent persuadées qu'elles sont irrévocablement liées pour six ans (cf. supra l'audition précitée de la directrice du Sytrad), et qu'aucune d'entre elle n'a jamais exercé cette faculté de résiliation pour changer de voie de reprise. Au demeurant, Eco-Emballages n'a pas apporté au dossier des éléments montrant qu'elle avait expliqué aux collectivités que la clause de résiliation pouvait être utilisée pour changer de voie de reprise au cours du contrat, alors même que toutes les autres dispositions du CPD laissent entendre que le changement de voie de reprise est impossible, sauf cas exceptionnel.

65. La certitude qu'avaient les collectivités d'être liées pour six ans a pu jouer un rôle dans l'absence de développement, en dehors de quelques rares exceptions, de la voie de la "reprise collectivité", alors même que certains recycleurs interviennent indifféremment pour les trois voies de reprise et que des intermédiaires auraient pu en principe jouer pour la "reprise collectivité" un rôle analogue à celui de Valorplast pour la première voie, tout en différenciant leur offre, notamment en ce qui concerne les prix ou les garanties qu'ils peuvent offrir. Or, aucun intermédiaire ne s'est réellement développé sur ce marché. Il n'est pas exclu que cet état de fait résulte pour une part des rigidités apparentes du dispositif contractuel, entretenues par l'absence d'information de la part d'Eco-Emballages sur les possibilités de souplesse du dispositif.

66. Le Conseil de la concurrence a déjà eu l'occasion de souligner, dans la décision n° 07-MC-01 du 25 avril 2007 relative à la demande de mesures conservatoires de la société KalibraXe que "la remise en jeu la plus fréquente possible des positions commerciales acquises est en effet un facteur propice au développement de la concurrence, surtout s'il s'agit d'une activité ouverte récemment à la concurrence et dominée par une entreprise ayant un très important pouvoir de marché" et que "lorsqu'elles existent, les modalités de sortie anticipée volontaire d'un contrat doivent réunir un certain nombre de conditions pour ne pas avoir pour conséquence pratique de figer les positions commerciales d'un fournisseur", au premier rang de ces conditions figurant l'exigence de l'absence d'ambigüité des clauses relatives à la résiliation anticipée. En l'occurrence, il ne peut être exclu que le manque de clarté de la présentation du CPD en ce qui concerne les possibilités de résiliation pour changer de mode de reprise soit de nature à engendrer des effets de forclusion, ou à tout le moins de retard dans l'ouverture du marché.

67. Il ressort de ce qui précède qu'il n'est pas exclu que le dispositif contractuel, tel que mis en œuvre par Eco-Emballages, soit, d'une part, contraire à l'article 81 CE et à l'article L. 420-1 du Code de commerce et traduise, d'autre part, l'existence d'abus de position dominante de la part d'Eco-Emballages et de Valorplast.

68. Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de poursuivre l'instruction au fond en vue de déterminer l'existence, ou non, de pratiques d'abus de position dominante contraires aux articles 82 CE et L. 420-2 du Code de commerce et de pratiques d'ententes contraires aux articles 81 CE et L. 420-1 du même Code.

C. SUR LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES

69. DKT justifie sa demande de mesures conservatoires en exposant d'abord que les comportements qu'elle dénonce portent une atteinte grave et immédiate au secteur concerné et à l'intérêt du consommateur. Elle soutient que ces comportements ont conduit à ce que la collecte et le tri des déchets d'emballages en plastique restent coûteux pour les collectivités, les prix de reprise et les soutiens à la tonne triée étant loin de couvrir les frais qu'elles assument (selon elle, seulement environ 47 %). DKT effectue une comparaison des prix de reprise de Valorplast avec les prix de reprise pratiqués en Belgique pour montrer que le système pourrait être plus efficace. Son calcul aboutit à un différentiel d'environ 34 millions d'euro pour la période de trois ans 2005-2007, Valorplast ayant réellement versé environ 80 millions aux collectivités pendant cette période. Les travaux du "Grenelle de l'environnement" auraient débouché sur le projet de compenser l'inefficacité du système par une augmentation de la contribution des producteurs d'emballages, laquelle se répercuterait sur les consommateurs, au lieu de favoriser l'émergence d'une véritable concurrence sur le marché, gage d'efficacité.

70. Toutefois, sans qu'il soit besoin de se prononcer à ce stade sur la pertinence de la comparaison avec la situation existant en Belgique, l'éventuel manque de performance, par rapport à ce qui est observé dans d'autres pays et du point de vue des collectivités, du marché de la valorisation des déchets d'emballages en plastique ne saurait constituer une atteinte grave et immédiate au secteur intéressé et à l'intérêt des consommateurs, au sens de l'article L. 464-1 du Code de commerce.

71. DKT ajoute que les comportements qu'elle dénonce lui portent également atteinte de façon grave et immédiate. Après qu'elle a été évincée du marché en 2005 et 2006 à l'occasion du renouvellement de l'essentiel des CPD, les quelques collectivités qui auraient ensuite lancé des appels d'offres auraient, selon elle, limité les candidatures possibles aux repreneurs affiliés aux fédérations Fnade ou Federec. Certaines lui auraient exposé que les incertitudes sur le comportement d'Eco-Emballages quant aux soutiens à la tonne triée en cas de recours à la "reprise collectivité" les auraient dissuadées d'ouvrir leurs appels d'offres à cette voie. DKT aurait, dans un premier temps, pu exercer en Tunisie une activité de "pré-recyclage" dans une usine dont elle dispose, mais des difficultés d'approvisionnement locales en matière première et l'absence de perspective de synergies avec la France la conduiraient à abandonner. Dans ces conditions, en l'absence d'octroi des mesures conservatoires qu'elle sollicite, elle serait conduite à cesser toute activité.

72. Néanmoins, la décision d'accorder des mesures conservatoires ne peut intervenir que s'il existe un lien de causalité direct et certain entre la pratique en cause et l'atteinte grave et immédiate à l'un des intérêts protégés par l'article L. 464-1 du Code de commerce, ainsi que l'a rappelé le Conseil de la concurrence dans plusieurs décisions, notamment dans la décision précitée n° 07-MC-01 du 25 avril 2007 relative à une demande de mesures conservatoires de la société KalibraXE (paragraphe 76) ou dans la décision n° 07-MC-04 du 28 juin 2007, Direct Energie (paragraphe 152), conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation (voir notamment les arrêts du 8 novembre 2005 TPS, n° 04-16857, et du 20 février 2007, MLP, n° 06-12424).

73. Or, il n'est pas établi que la situation difficile dans laquelle se trouve DKT résulte de manière directe et certaine des comportements reprochés à Eco-Emballages et Valorplast. Par nature, la "reprise collectivité" ne peut intéresser une collectivité que si elle a les moyens propres de démontrer le recyclage effectif et la traçabilité des déchets d'emballages qu'elle a triés ou fait trier, ou si elle peut s'adresser à un repreneur, le cas échéant un intermédiaire, qui est capable de lui apporter des garanties à cet égard. DKT, qui ne dispose que d'un capital de 20 000 euro et d'un seul salarié, sans compétences techniques reconnues au départ, s'est manifestement lancée dans la campagne du renouvellement des CPD sans éléments suffisamment convaincants de ce point de vue. Elle l'a fait sans avoir pris préalablement l'attache d'Eco-Emballages ou d'Adelphe, les éco-organismes du secteur, ce qui lui aurait permis de mesurer à temps les difficultés qu'il pouvait y avoir à faire "valider" a priori un recycleur extra européen qui n'intervenait pas jusqu'alors, et de rechercher des solutions alternatives. Devant les incertitudes concernant son débouché chinois, elle aurait pu tenter de développer son activité sur les déchets non ménagers, ou tenter de conclure des accords avec des recycleurs qui intervenaient déjà, sans difficultés apparentes de la part d'Eco-Emballages, dans d'autres voies de reprise. DKT n'a pas fait état de démarches en ce sens et de refus qu'elle aurait essuyés. A ce stade, dans la perspective de la nouvelle campagne de renouvellement des CPD qui va probablement commencer en 2010, pour des renouvellements intervenant principalement en 2011, DKT dispose encore du temps pour engager des démarches en vue de montrer aux collectivités qu'elle travaillera avec des recycleurs à même de remplir les conditions d'octroi des soutiens à la tonne triée.

74. Au-delà du cas de DKT, si la proximité de renouvellement de contrats peut, le cas échéant, justifier le prononcé de mesures conservatoires (voir en ce sens, Cour de cassation, 3 mai 2000, Suez-Lyonnaise des eaux, n° 98-18602), la durée restant à courir avant le renouvellement de l'agrément d'Eco-Emballages au 31 décembre 2010, qui entraînera le cas échéant la signature d'un nouveau cahier des charges et d'un nouveau CPD, ne rend pas nécessaire le prononcé de mesures conservatoires, même s'il est important, dans cette perspective, que des repreneurs puissent se préparer à faire des offres aux collectivités.

75. Les conditions d'octroi de mesures conservatoires ne sont donc pas réunies.

DÉCISION

Article 1er : La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro 08/0072 M est rejetée.

Article 2 : Il y a lieu de poursuivre l'instruction au fond de la saisine enregistrée sous le numéro 06/0022 F.