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Décisions

ADLC, 31 juillet 2009, n° 09-D-29

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Euris

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Simone de Mallmann, l'intervention de M. Jean-Marc Belorgey, rapporteur général adjoint, par M. Patrick Spilliaert, vice-président, président de séance, Mme Laurence Idot, MM. Emmanuel Combe, Thierry Tuot, membres.

ADLC n° 09-D-29

31 juillet 2009

L'Autorité de la concurrence (section V),

Vu la lettre, enregistrée le 25 novembre 2008 sous les numéros 08/0109 F et 08/0110 M par laquelle la société Euris a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Cegedim et Dendrite France sur le marché des bases de données d'information médicale qu'elle estime anticoncurrentielles et a demandé que des mesures conservatoires soient prononcées sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu l'article 81 ou 82 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par les sociétés Euris, Cegedim et Dendrite France et par le commissaire du Gouvernement ;

La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société Euris et les représentants des sociétés Cegedim et Dendrite France, entendus lors de la séance du 19 mai 2009 ;

Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA SAISINE

1. La société Euris dénonce des pratiques mises en œuvre par les sociétés Cegedim et Dendrite France, qu'elle estime contraires aux articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE.

2. Euris se plaint du refus par Cegedim Dendrite de la laisser accéder à sa base de données OneKey, à laquelle a été dernièrement intégrée la base PharBase, présentée comme le fichier mondial de référence des professionnels de santé. Par ailleurs, elle soutient que Cegedim Dendrite a mis en place une stratégie pour l'évincer du marché. Elle fait état de la perte de parts de marché et indique qu'elle est menacée dans sa pérennité. Elle demande que des mesures conservatoires soient prises, notamment que la faculté de distribuer auprès des laboratoires les données françaises de la base de données OneKey lui soit accordée.

B. LE SECTEUR

3. Pour vendre leurs médicaments, les laboratoires doivent orienter leurs efforts marketing vers les professionnels de la santé, alors qu'ils ne disposent pas des informations les concernant (nom, coordonnées, spécialité, lieux d'exercice...). Afin de permettre aux laboratoires d'optimiser leurs démarches de gestion de clientèle ou CRM (Customer Relationship Management), des bases de données et des outils informatiques ont été élaborés et mis en place par des sociétés spécialisées.

C. LES ENTREPRISES CONCERNEES

1. LA SOCIETE EURIS

4. Créée en mars 2000 avec le soutien de l'ANVAR (Agence nationale de valorisation de la recherche) devenue depuis OSEO, Euris est une société anonyme qui emploie une vingtaine de collaborateurs, dont des ingénieurs en recherche et développement.

5. Elle a notamment pour activité l'édition de logiciels, le stockage, le traitement et la transmission d'informations. Spécialisée dans les solutions de gestion de clientèle (CRM) pour l'industrie pharmaceutique, elle a créé en 2002 pour les forces de vente des laboratoires pharmaceutiques une suite de logiciels qui s'utilisent on-line : la solution NetReps.

6. La solution NetReps permet la gestion d'activités de recensement commercial et de "reporting" à distance des visiteurs médicaux par la voie du réseau Internet, ce qui facilite le recueil d'informations et le suivi de leur activité. Ces logiciels ne peuvent être utilisés qu'avec une base de données pour déterminer les professionnels de santé relevant des secteurs géographiques et des spécialités médicales concernés.

7. En complément de la solution NetReps, Euris a mis en place une plate-forme de gestion de données concernant les médecins, intitulée Medibase. Cette plateforme technique permet de gérer les flux de données provenant de bases constituées par des clients ou des éditeurs (PharBase en France jusqu'en mars 2009, Fichier Médical Central en Belgique, Medpages en Afrique du Sud...). Les flux de données reçues sont structurés et organisés selon une classification (établissement, service, spécialité...).

8. Euris a connu une croissance constante depuis sa création de 30 % par an jusqu'à fin 2006, son équilibre d'exploitation ayant été atteint en 2003. De 2000 à 2003, elle s'est surtout développée à l'international. La signature d'un contrat de partenariat avec la société Synavant en septembre 2002 lui a permis de se développer en France métropolitaine. Son chiffre d'affaires total s'est élevé à 1 695 535 euro en 2006, 2 155 482 euro en 2007, et à 2 003 640 euro en 2008.

2. LE GROUPE CEGEDIM

a) Composition

9. Créé en 1969, le groupe Cegedim est constitué de Cegedim SA (ci-après Cegedim) située en France, détenue elle-même par une holding à prépondérance familiale, également située en France, ainsi que de filiales (comme Icomed et Cegers, filiales françaises, et Dendrite Inc, filiale américaine). Le 9 mai 2007, Cegedim a acheté 100 % des actions de la société Dendrite international qui détenait Dendrite France, une de ses filiales. Aujourd'hui, Dendrite France n'a plus d'activité. Elle doit fusionner avec Cegedim le 30 juin 2009. Cegedim Dendrite désigne désormais un département de Cegedim.

b) Les activités de Cegedim Dendrite et sa clientèle

10. Cegedim Dendrite propose d'une part, les logiciels de gestion de force de vente (CRM) qui s'appuient sur des progiciels (logiciels de professionnels) licenciés. Il a notamment développé le logiciel CRM Teams pour l'industrie pharmaceutique. Cegedim Dendrite propose d'autre part des bases de données des professionnels de santé qui portent sur les médecins prescripteurs, les établissements de santé, les professions paramédicales et les officines pharmaceutiques. La base de données principale de Cegedim Dendrite se nomme OneKey. Avec plus de 200 000 utilisateurs et une présence dans plus de 80 pays dans le monde, Cegedim Dendrite se positionne comme le leader mondial du CRM pour l'industrie pharmaceutique. En s'appuyant sur sa base de données OneKey, Cegedim Dendrite offre une gamme complète de solutions CRM dans les domaines de la vente, du marketing et des études de conformité.

c) Le chiffre d'affaires de Cegedim

11. Le chiffre d'affaires consolidé du groupe Cegedim s'est élevé en 2007 à 753 millions d'euro, dont 366 millions d'euro réalisés en France, 192 millions réalisés en Europe hors France, et 195 millions réalisés dans le reste du monde, ce qui représente respectivement 49 %, 25 % et 26 % de son chiffre d'affaires total. En 2008, le chiffre d'affaires total du groupe s'est élevé à 849 millions d'euro, dont 424 millions réalisés en France, 241 millions réalisés en Europe hors France et 184 millions réalisés dans le reste du monde, soit respectivement 50 %, 28 % et 22 % de son chiffre d'affaires total.

12. Le chiffre d'affaires CRM et données stratégiques de Cegedim s'est élevé en 2008 à 492 millions d'euro, se répartissant comme suit : 137 millions d'euro en France, 173 millions d'euro en Europe hors France, 126 millions d'euro aux USA, 56 millions d'euro dans le reste du monde, soit respectivement 28 %, 35 %, 26 % et 11 % de son chiffre d'affaires total (492 millions d'euro). En séance, le représentant de Cegedim Dendrite France a indiqué que le chiffre d'affaires bases de données est de l'ordre de 6 millions d'euro.

d) Ses concurrents

13. Selon le "document de référence 2007" de Cegedim, ses services sont uniques pour l'industrie pharmaceutique et très différenciés des offres concurrentes. Elle serait la seule société combinant à la fois des outils de CRM et des bases de données stratégiques. Cegedim Dendrite accompagne systématiquement son offre CRM d'une liste des médecins cibles, afin d'aider ses clients à diriger leurs actions marketing-vente. Par ailleurs, Cegedim conçoit une gamme complète de bases de données permettant aux laboratoires pharmaceutiques de mieux comprendre où sont vendus les médicaments.

14. Ses principaux concurrents pour l'activité CRM sont : Oracle qui a racheté Siebel en mai 2006, Microsoft et SAP. Ces sociétés sont des généralistes du logiciel qui ne s'adressent pas seulement au secteur de la santé. Viennent ensuite Update, éditeur autrichien qui vise principalement le marché européen, Verticals on Demand qui est apparu sur le marché américain en 2007, et des concurrents locaux dans différents pays.

15. En France, les trois principaux concurrents de l'offre CRM de Cegedim Dendrite sont Oracle avec son offre Siebel Pharma, Microsoft avec son offre Microsoft CRM, Salesforce.com avec son offre Salesforce CRM, et d'autres concurrents locaux ou non, de moindre importance ou ciblés sur un marché de niche, dont Euris.

16. Selon Cegedim, s'agissant de l'offre de base de données OneKey, ses deux véritables concurrents pour une offre de services comparable incluant des vérifications et des mises à jour quotidiennes sont, d'une part, la société Celtipharm qui a constitué une base de données limitée au monde officinal, d'autre part, l'annuaire du Politi, qui regroupe l'ensemble des établissements et des personnels de santé des établissements sanitaires, médico-sociaux et sociaux. D'autres prestataires, comme les Pages Jaunes, commercialiseraient des fichiers de professionnels de santé, en particulier pour des activités de routage.

17. Cegedim précise que pour d'autres prestations, d'autres sociétés encore sont ses concurrentes. Ainsi, IMS Health fournirait des "données qualifiantes sur les professionnels de santé, établissements de santé et [serait] concurrent du GERS dans la fourniture de données de vente par point de vente ou secteur géographique, y compris les UGA" (sur le GERS et les UGA, voir ci-après les paragraphes 28 et suivants).

D. LES DISCUSSIONS EN VUE DE L'EVENTUEL RACHAT DE EURIS PAR CEGEDIM

18. Au cours de l'année 2002, des discussions ont eu lieu en vue d'un éventuel rachat de Euris par Cegedim. Un accord de confidentialité a été signé entre les parties, et deux réunions ont eu lieu les 23 mai et 13 juin 2002, mais le projet n'a pas prospéré.

E. LE LITIGE OPPOSANT EURIS A CEGEDIM

1. LE CONTRAT DE PARTENARIAT CONCLU AVEC SYNAVANT, PUIS AVEC DENDRITE

19. Le 12 septembre 2002, Euris a signé un contrat de partenariat avec la société Synavant, lui permettant de distribuer sa base de données PharBase avec le logiciel NetReps. PharBase était une base de données mutualisée d'informations à destination des professionnels de la santé et des établissements de soins mise à jour quotidiennement.

20. En juin 2003, Synavant a été rachetée par Dendrite. Le partenariat a été poursuivi entre Euris et Dendrite. Quatre contrats d'abonnement concernant la revente de PharBase à des clients d'une durée d'un an tacitement renouvelable ont été signés entre Euris et Dendrite, concernant Nestlé le 17 juin 2004, le laboratoire Smith & Nephew le 8 juin 2006, le laboratoire Vygon le 5 septembre 2006 et le laboratoire La Roche Posay le 9 novembre 2006. Dendrite a fixé à 12 euro par utilisateur et par mois le prix de PharBase, à charge pour Euris de définir son prix au client final, ou de l'intégrer à celui de son logiciel NetReps et de distribuer l'ensemble du fichier aux clients ayant souscrit l'abonnement.

2. LE RACHAT DE DENDRITE PAR CEGEDIM ET LA RUPTURE DU CONTRAT DE PARTENARIAT

21. Le rachat de Dendrite a été annoncé par Cegedim le 2 mars 2007. Par courrier du 19 mars 2007 (cote 242), Dendrite a fait savoir à Euris qu'elle résiliait "(...) le contrat de partenariat commercial daté du 12 septembre 2002 entre d'une part, la société Dendrite et ses affiliés et d'autre part la société Euris". Le courrier précisait que "les contrats en cours entre les clients, Euris et Dendrite seront quant à eux honorés jusqu'à leur terme". Le 9 mai 2007, Cegedim a effectivement acquis Dendrite.

22. Le 8 juin 2007, Cegedim Dendrite a confirmé la résiliation du contrat de partenariat moyennant un préavis de trois mois, et a précisé qu'à l'issue de ce délai, soit le 18 juin, elle cesserait les prestations afférentes à ce contrat (cote 244). La société Euris a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Versailles par assignation en date du 14 juin 2007, afin qu'il soit enjoint à Cegedim de poursuivre les contrats en cours.

23. Par lettre du 21 juin 2007, Cegedim Dendrite a fait savoir à Euris qu'elle acceptait de poursuivre les mises à jour pour les quatre contrats d'abonnement toujours en vigueur, dont les termes s'échelonnaient du 31 octobre 2007 au 31 août 2008, ce qui ne remettait pas en cause sa décision de mettre fin aux relations contractuelles de Dendrite avec Euris (cote 253). Les contrats ont donc tous pris fin à ce jour.

3. LES PROCEDURES INTRODUITES PAR DENDRITE A L'ENCONTRE D'EURIS

24. Le 19 octobre 2007, Dendrite a introduit devant le tribunal de grande instance de Nanterre une requête aux fins de saisie contrefaçon contre Euris, en faisant valoir qu'elle poursuivait "(...) une utilisation non autorisée des extractions de la base de données PharBase, ainsi que des fichiers contenant des extractions de la base de données PharBase pour constituer et mettre à jour une base de données concurrente intitulée MédiBase". Une première saisie contrefaçon a eu lieu le 22 octobre 2007.

25. Le 31 octobre 2007, une requête aux fins d'identification d'un créateur de contenu a été déposée par Dendrite.

26. D'autres requêtes en justice visant à faire constater une contrefaçon et des actes de concurrence déloyale d'Euris pour usage non autorisé de PharBase ont été introduites par Dendrite.

27. En dernier lieu, une procédure en référé a été introduite devant le président du tribunal de commerce de Nanterre le 29 novembre 2007, afin d'obtenir la désignation d'un expert qui pourra avoir accès à l'ensemble des données saisies.

F. LES PRATIQUES DENONCEES

Le refus d'accès à une infrastructure essentielle

28. Euris fait valoir que, pour piloter ses forces commerciales, l'industrie pharmaceutique a besoin de deux types d'informations : les données de ventes et les données sur les professionnels de la santé. Ces deux types de données sont collectés, traités, produits et distribués par le groupe Cegedim au moyen de différentes entités filiales et du Groupement pour l'élaboration et la réalisation de statistiques (GERS). Ce dernier organisme est un interlocuteur des pouvoirs publics pour la fourniture des données sur les ventes des médicaments en France. Il fournit aussi ces données aux laboratoires en sous-traitant à Cegedim l'ensemble de ses prestations.

29. Euris précise que l'ensemble des prestations repose sur la collecte et l'analyse des données en fonction de zones géographiques dénommées UGA (unité géographique d'analyse), créées et définies par Cegedim. Ces UGA, au nombre de 746, et leurs divisions, les 4 607 APV (agrégats point de vente), sont le fruit d'une sectorisation des cabinets médicaux et des pharmacies définie par Cegedim et sa filiale TVF. La France est ainsi découpée en secteurs de caractéristiques et poids d'activité homogènes et comparables. Or, seule Cegedim connaîtrait la définition précise des 746 UGA et des 4607 APV et l'association exacte entre les cabinets médicaux, les pharmacies, et les UGA.

30. Les UGA permettent aux laboratoires de disposer d'unités homogènes et comparables permettant d'analyser les ventes des produits pharmaceutiques et de définir les secteurs d'activité commerciale des forces de ventes. La situation de monopole de Cegedim sur les données de vente du GERS, sur le fichier médecins/pharmaciens et sur la définition des UGA, lui assurerait pour ses produits et services, une préférence de l'industrie pharmaceutique.

31. Selon la partie saisissante, Cegedim est donc l'opérateur incontournable pour acquérir soit les données, soit les moyens de les analyser. En s'appuyant sur ce mécanisme, Cegedim propose toute une gamme de logiciels intégrant les informations.

32. Euris soutient que la base de données de Cegedim constitue une infrastructure essentielle dont l'accès devrait être accordé à un opérateur concurrent.

33. En outre, elle soutient que le logiciel CRM Teams, solution de gestion de clientèle de Cegedim, concurrente de NetReps, est vendu sous forme de package, l'achat des informations sans le logiciel étant quasiment impossible. Les rares utilisateurs qui pourraient le faire seraient des laboratoires qui acquièrent des données à des tarifs très élevés, mais en aucun cas des prestataires concurrents de Cegedim.

34. Euris estime que le comportement de Cegedim est abusif. La lettre de résiliation de Dendrite du 19 mars 2007 illustrerait sa volonté de rompre toute relation commerciale avec elle. Il s'agirait d'une rupture totale valant pour Dendrite et ses "affiliés", ce qui irait au-delà de la simple résiliation d'un contrat de partenariat. Le refus qui lui a été opposé d'accéder à des fichiers de TVF, filiale de Cegedim, le confirmerait. TVF a motivé ainsi son refus (cote 443) : "Comme cela est prévu dans l'ensemble de nos contrats fichiers, la délocalisation du fichier TVF au sein d'une société tierce n'est réalisable qu'avec l'accord de TVF. Vous comprendrez que cet accord ne peut être envisagé lorsque la société tierce est directement concurrente de notre société. Cela lui permettrait d'avoir accès à des informations confidentielles, tant sur le contenu que sur la structure des fichiers TVF, qui représentent le savoir-faire et l'expertise de TVF".

35. De la sorte Cegedim Dendrite, ayant la maîtrise de la quasi-totalité des bases d'informations médicales, aurait totalement verrouillé l'accès à sa base de données afin d'éliminer Euris du marché. La stratégie d'éviction mise en place par Cegedim

36. Selon Euris, cette stratégie d'éviction aurait débuté par la tentative de rachat dont elle a été l'objet en 2002. Cegedim aurait poursuivi sa stratégie par le biais d'un acharnement judiciaire en introduisant des procédures à répétition dans un délai très court (actions en contrefaçon engagées depuis l'automne 2007). De plus Cegedim aurait abusé de sa position sur le marché des bases de données en offrant gratuitement à ses clients laboratoires pharmaceutiques des logiciels de gestion de clientèle (cote 579). Elle aurait aussi octroyé des remises importantes aux laboratoires pharmaceutiques qui retiendraient son logiciel en complément de sa base de données.

37. La partie saisissante soutient que cette attitude constante, systématique et ciblée, caractérise un abus de position dominante au sens des articles L. 420-2 du Code de commerce et de l'article 82 du Traité CE.

II. Discussion

38. L'article R. 464-1 du Code de commerce énonce que "la demande de mesures conservatoires mentionnée à l'article L. 464-1 ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond de l'Autorité de la concurrence. Elle peut être présentée à tout moment de la procédure et doit être motivée". Une demande de mesures conservatoires ne peut donc être examinée que pour autant que la saisine au fond ne soit pas rejetée faute d'éléments suffisamment probants, en application de l'alinéa 2 de l'article L. 462-8 du Code de commerce.

A. SUR LES MARCHES EN CAUSE

39. Le marché sur lequel les comportements dénoncés s'exercent est celui des bases de données d'informations médicales. Ces bases de données, qui sont nécessaires à l'utilisation des progiciels de gestion de clientèle (CRM) par les laboratoires pharmaceutiques, peuvent être achetées séparément ou avec le logiciel.

40. Sur ce marché, les concurrents de Cegedim Dendrite sont Celtipharm, dont le périmètre d'activité est l'officine, et l'annuaire Politi qui recense les établissements et les personnels de santé des établissements sanitaires, médico-sociaux et sociaux. Dès lors il n'est pas exclu, à ce stade de la procédure, que Cegedim Dendrite, dont la base de données regroupe des professionnels de santé plus nombreux et plus diversifiés, soit en position dominante sur le marché.

41. Par ailleurs, le marché qui doit être retenu à ce stade de la procédure comme étant également susceptible d'être affecté par les comportements dénoncés est celui des solutions logicielles de gestion de la relation client dans le secteur d'activité de l'industrie de la santé (CRM). Ce marché nécessite l'utilisation des bases de données précédemment évoquées.

42. Sur ce marché, au vu des éléments recueillis, la société Cegedim (département Cegedim Dendrite), offre des solutions CRM aux laboratoires pharmaceutiques avec un savoir-faire spécifique. Elle se positionne d'ailleurs comme le leader mondial du CRM pour l'industrie pharmaceutique.

43. Avec un chiffre d'affaires total CRM et données stratégiques de 492 millions d'euro réalisé en 2008, dont 137 millions d'euro pour la France, et 173 millions d'euro pour l'Europe hors France, (alors que le chiffre d'affaires 2008 de la société Euris est d'environ 2 millions d'euro), il ne peut être exclu, à ce stade de l'instruction, que Cegedim soit en position dominante sur le marché des solutions CRM pour l'industrie pharmaceutique. En effet, la société Oracle, que Cegedim cite comme son premier concurrent, est un éditeur de logiciels d'applications d'entreprise, présenté comme étant le leader mondial du CRM généraliste.

B. SUR LE REFUS OPPOSE PAR CEGEDIM DENDRITE D'ACCEDER A SA BASE DE DONNEES

Les arguments de Cegedim

44. Selon Cegedim, la rupture du contrat de partenariat conclu entre Euris et Dendrite a eu lieu en raison du non respect des stipulations contractuelles par Euris. Par le terme "affiliés" figurant dans la lettre de résiliation, Cegedim Dendrite a indiqué qu'il faut comprendre les filiales du groupe opérant dans d'autres pays que la France.

45. S'agissant des procédures judiciaires en contrefaçon en cours, elles auraient été engagées parce qu'Euris utiliserait sans y être autorisée des extractions de la base de données PharBase dans MédiBase.

46. En ce qui concerne OneKey, il s'agirait d'une compilation de données publiques. En fonction du choix du client, cette base pourrait également inclure des données calculées qui ne sont pas des données publiques. Cegedim a indiqué que fin mars 2009, la base PharBase a fusionné avec la base OneKey. Ces deux bases auraient présenté des différences importantes. Par exemple, fin 2007, plus de 328 000 "individus" étaient gérés par PharBase, alors que près de 838 000 le sont par OneKey. Les données OneKey peuvent être utilisées via notamment un logiciel CRM comme Teams ou NetReps, ou le CRM de Siebel. MédiBase de Euris, comprend les mêmes données que celles figurant dans PharBase, mais auxquelles ont été ajoutées des données de prescription.

47. Cegedim indique que dans "OneKey", les données sont agencées autour d'un code clé unique, l'UGA n'étant qu'une information supplémentaire liée au lieu d'exercice de l'activité du professionnel de santé. Ces UGA seraient définies par les laboratoires au sein du GERS. Les données du GERS relatives aux UGA et aux APV seraient gratuites et disponibles pour ses adhérents.

48. Au cours de l'instruction Cegedim a indiqué, qu' "il n'est pas nécessaire d'utiliser les UGA, pour concevoir et exploiter une base de données. Certains laboratoires utilisent d'ailleurs un système concurrent - les briques IMS Health (...). Les concurrents de Cegedim Dendrite comme Celtipharm, IMS Health ou Politi, intègrent les UGA dans leurs bases de données. C'est également le cas d'Euris qui a intégré les UGA dans sa base de données Médibase. (...) Pierre Fabre et BMS utilisent IMS pour les médecins de ville et le GERS pour l'hôpital (...)".

49. Par ailleurs "le rattachement d'un professionnel à une UGA peut se faire en interne, ou être sous-traité par exemple à GeoCible. L'opération (...) représente un coût de 36 000 euro par an (exemple : budget Dendrite). Dorénavant Cegedim Dendrite le fait en interne". De plus, "il existe de nombreuses sources de données en France permettant de constituer une base de données des professionnels et établissements de santé tel que OneKey".

50. En outre, "(...) certaines sociétés, comme CeltiPharm, ont constitué pour leur activité une base de données CeltiNews, concurrente de OneKey à hauteur du périmètre de leur activité, à savoir les officines et les pharmaciens ainsi que les associations de médecins. Ce fichier est aussi commercialisé par SAFIG/DPV et Stock Adress. D'autres, comme Politi (...) commercialisent leur annuaire des établissements sanitaires et sociaux. De nombreux fournisseurs d'adresses, dont les Pages Jaunes (PJMS), commercialisent des fichiers de professionnels de santé ou établissements de santé (...). Il existe aussi plusieurs courtiers importants sur le marché (...). Certains laboratoires pharmaceutiques, tels Servier (même si ce dernier achète ponctuellement des informations auprès de Cegedim,) ou Théa, Chauvin, Denel, Proteika gèrent eux-mêmes leur propre base de données clients, sans faire appel à Cegedim".

51. Cegedim a encore indiqué qu'elle "vend séparément Teams (...) et OneKey (...) depuis plusieurs années. A l'époque où il existait un contrat regroupant les deux offres, des stipulations distinctes propres à chaque produit étaient prévues. (...)".

52. Compte tenu de ce qui précède, Cegedim fait valoir qu'aucun abus ne peut lui être reproché. Le droit d'accorder ou de refuser l'accès aux UGA ne lui appartiendrait pas. Il serait soit du ressort du GERS, soit du ressort des clients d'Euris qui sont autorisés par le GERS à les communiquer à des tiers pour la constitution de bases de données. Au surplus, étant titulaire de droits de propriété intellectuelle sur sa base de données OneKey, elle serait en droit d'en contrôler l'usage et d'en refuser l'accès à ses concurrents.

Appréciation

53. A ce stade de la procédure, les éléments contenus au dossier ne permettent pas d'apprécier si la base de données de Cegedim est reproductible, et à quelles conditions, par un concurrent, et si elle constitue une "facilité essentielle" à laquelle son détenteur devrait donner accès sous peine de commettre un abus de position dominante, sauf raison légitime. Seule une enquête dans le cadre de l'instruction au fond pourrait permettre d'obtenir des éclaircissements sur ce point.

54. Toutefois, il convient de rappeler que dans certaines circonstances, le Conseil de la concurrence et la Cour d'appel de Paris (22 février 2005, Sociétés des abattoirs de Laval), "considèrent que le fait pour les propriétaires ou gestionnaires d'un équipement qui leur donne une position particulière en tant qu'offreur sur le marché, de refuser l'accès ou de donner un accès discriminatoire à cet équipement, constitue un abus de position dominante sans qu'il soit utile d'invoquer la théorie des facilités essentielles".

55. Par ailleurs, "pour qu'un refus de fournir à un concurrent des marchandises ou des services nécessaires à l'exercice de ses activités soit reconnu comme abusif, il faut notamment que ce refus soit de nature à éliminer toute concurrence et qu'il ne puisse être objectivement justifié" (décision n° 05-D-72 du 20 décembre 2005, relative à des pratiques mises en œuvre par divers laboratoires dans le secteur des exportations parallèles de médicaments ; voir aussi les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du 6 mars 1974, "Commercial Solvents", affaires jointes 6-73 et 7-73, Rec. p. 223 et du 26 novembre 1998, Bronner, C-7-97, Rec. p. I-7791).

56. Enfin, en dehors des cas évoqués précédemment, "un fournisseur reste libre de déterminer les conditions de commercialisation de son produit sans que ses cocontractants disposent d'un droit acquis au maintien de leur situation" (décisions n° 99-D-32 du 25 mai 1999, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de certains articles de papeterie ; n° 03-D-20 du 18 avril 2003, relative à des pratiques imputables à la société Coca-Cola Beverages, à la Société des Boissons et à la Société des Boissons gazeuses de la Côte d'Azur ; n° 04-D-60 du 25 novembre 2004, relative à la saisine de la société G3S à l'encontre de pratiques mises en œuvre sur le marché de la reprographie médicale par la société Agfa-Gevaert).

57. En l'espèce, Cegedim fait valoir que "des discussions relatives à l'application du contrat de partenariat ont eu lieu à partir de février 2006 et que sa résiliation a eu lieu en raison du non respect des dispositions contractuelles par Euris. (...) Euris n'a pas communiqué à Dendrite tous les clients auxquels PharBase était fournie contre rémunération (...)". Dendrite suspectait Euris de dissimuler la commercialisation des extractions de la base "PharBase" à d'autres clients.

58. Euris fait valoir que les contrats avec Nestlé, Vygon, Smith et Nephew et la Roche Posay ont été rédigés et signés par Dendrite. Cependant, en séance Cegedim a indiqué que les contrats définitifs ne lui ont jamais été transmis, et qu'elle interdirait à Euris l'accès à OneKey à laquelle PharBase a été totalement intégrée depuis avril 2009, tant que la procédure en contrefaçon engagée à son encontre serait pendante.

59. Ces seules explications ne sont pas convaincantes pour justifier en tout état de cause de manière objective le refus que Cegedim Dendrite oppose à Euris. Certes, les suspicions à l'égard de cette dernière pouvaient lui permettre de saisir les juridictions compétentes, ce qu'elle a d'ailleurs fait, mais ne justifiaient pas nécessairement la résiliation préalable du contrat de partenariat.

Conclusion

Cegedim, qui détient des droits de propriété intellectuelle sur sa base de données OneKey, abuse d'une position dominante sur le marché des bases de données d'informations médicales en refusant à Euris l'accès à cette base.

61. Il n'est pas nécessaire à ce stade, de porter une appréciation sur les autres aspects dénoncés par Euris comme participant d'une stratégie d'éviction menée à son encontre.

C. SUR LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES

62. Selon l'article L. 464-1 du Code de commerce, "l'Autorité de la concurrence peut (...) prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou celles qui lui apparaissent nécessaires. Ces mesures ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt du consommateur ou à l'entreprise plaignante (...). Elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence".

63. Dans sa saisine Euris demande qu'il soit enjoint à Cegedim :

"- De cesser les pratiques constitutives d'abus de position dominante, en octroyant à la société Euris une faculté de distribution auprès des laboratoires pharmaceutiques de l'intégralité des données françaises de la base OneKey, conformément aux conditions financières et techniques antérieurement accordées par Dendrite pour la base PharBase ;

- De cesser tous actes de dénigrement à l'encontre de la société Euris auprès des laboratoires ;

- De cesser les pratiques constitutives d'abus de position dominante, en communiquant à la société Euris la définition et la description cartographique des UGA au format informatique exploitable, ainsi que les mises à jour régulières ;

- Et ce jusqu'à la décision du Conseil de la concurrence à intervenir au fond".

64. Dans une précédente affaire (décision n° 09-D-15 du 2 avril 2009, relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société SFR concernant diverses pratiques mises en œuvre par le groupe France Télécom sur les marchés de la téléphonie mobile et de l'Internet haut débit "offre Unik"), l'Autorité de la concurrence a précisé que les mesures conservatoires qu'elle peut prononcer "(...) ne visent pas à prévenir un risque de perturbation potentielle du jeu concurrentiel mais ont vocation à répondre à une atteinte existante, grave et immédiate par des mesures d'urgence nécessaires pour éviter des conséquences difficilement réversibles et préserver ainsi la pleine effectivité de l'application du droit de la concurrence dans l'attente de la décision au fond (...)".

1. LES ARGUMENTS DES PARTIES

65. Euris fait valoir qu'en l'espèce l'intensité du jeu de la concurrence est quasi inexistante. Elle fait état d'une perte de parts de marché. Le contrat de licence NetReps qu'elle avait conclu avec le laboratoire Meda arrivant à échéance le 31 août 2009 n'est pas renouvelé. Ce laboratoire lui a fait savoir qu'il souhaitait y mettre fin en raison d'orientations stratégiques au niveau de son groupe. Or ce client représentait en 2007, 14 % de son chiffre d'affaires. Elle produit également un courrier de Smith et Nephew du 3 avril 2009, dont il ressort que le contrat conclu avec ce laboratoire a été dénoncé le 1er septembre 2008 et qu'il se terminera le 14 avril 2009. Mais aucune explication n'est fournie sur les motifs de son non renouvellement.

66. Elle verse également au dossier deux courriels. Le premier, de son président, demandant à Nestlé de confirmer que Cegedim l'a informé des procédures en cours avec Euris et a refusé à celle-ci la vente de son fichier. Le second, contenant la retranscription d'un message du 15 mai 2009, relatif à la proposition commerciale NetReps faite à l'organisation Santelys, dont il résulte que cette dernière a eu un contact avec Cegedim, qui lui a fait savoir qu'elle ne pourrait pas acheter de bases de données si elle travaillait avec Euris "pour des raisons juridiques", et qu'il lui aurait été spécifié "clairement l'interdiction d'utiliser leur base avec Euris".

67. L'impossibilité de conclure un nouveau contrat avec le laboratoire Meda serait une conséquence immédiate des agissements de Cegedim. D'une manière générale, Euris rencontrerait des difficultés lorsqu'elle répond à un appel d'offres. En effet, les laboratoires indiquent qu'ils veulent utiliser le fichier OneKey et que Cegedim transmettra les spécifications techniques relatives à l'exploitation de celui-ci. Mais Cegedim communiquant ces spécifications tardivement, trois jours avant la date butoir, la partie saisissante ne pourrait pas répondre dans les délais. Elle produit la liste des appels d'offres perdus pour 2007 qui correspondent à un chiffre d'affaires de 630 000 euro.

68. De même, un laboratoire insatisfait du logiciel de Cegedim l'aurait contactée dans le cadre d'un appel d'offres et envoyé un cahier des charges retraçant ses défauts. Mais il se serait ravisé en envoyant une seconde version épurée.

69. La politique de Cegedim mettrait ainsi en cause la pérennité d'Euris. Celle-ci aurait dû licencier en juillet 2008 son directeur technique. Elle se serait aussi séparée de trois autres salariés. Sa situation financière se serait dégradée. Son président indique dans un courrier du 13 novembre 2008, que le rapport financier au 31 octobre 2008, fait ressortir un chiffre d'affaires de 1 636 266 euro "en retard de 654 799 euro (30 %) par rapport au budget de 2 291 065 euro prévu à la date du 31 octobre", et "un résultat net négatif de - 294 136 euro". Elle aurait aussi renoncé à son activité sur le territoire français.

70. Ainsi qu'il ressort de sa liasse fiscale, le chiffre d'affaires d'Euris est passé de 2 155 000 euro en 2007 à 2 004 000 euro en 2008 et son résultat d'exploitation de 321 000 euro en 2007 à - 209 000 euro en 2008. Quant à son bénéfice, il est passé de 430 000 euro en 2007, à 67 000 euro en 2008 (chiffres arrondis).

71. Euris soutient que la baisse de son chiffre d'affaires s'explique par le départ de clients en raison de l'absence de solution de fichier mutualisé. Quant à l'augmentation de ses charges d'exploitation, elle résulterait de la surcharge de travail liée à l'absence de cette mutualisation des bases de données. Elle devrait réaliser pour le fichier de chaque client les opérations de mise à jour que celui-ci demande sans pouvoir atteindre la qualité d'un fichier mutualisé. Ce résultat serait aussi la conséquence des efforts déployés pour acquérir des nouveaux clients, des frais judiciaires qu'elle supporte dans le cadre de la procédure en cours et des contentieux qui ont suivi, et de la fin des avantages liés au statut de jeune entreprise innovante dont elle bénéficiait.

72. Son résultat d'exploitation se dégradant, elle serait dans l'impossibilité de maintenir son portefeuille clients sur son logiciel NetReps et n'aurait pas les moyens d'investir dans le développement de nouveaux axes de solutions pour l'industrie pharmaceutique.

73. Sur l'atteinte grave et immédiate au secteur concerné et à l'intérêt du consommateur, Euris soutient que l'absence de concurrents sur le secteur d'activité en cause aboutira à la concentration du pouvoir de marché entre les mains d'un seul opérateur. Cette situation rendra les laboratoires pharmaceutiques totalement captifs, et aura un effet négatif sur les dépenses de santé.

74. Cegedim souligne que, alors qu'Euris met en avant un déficit de 300 000 euro non audité au 31 octobre 2008 (voir paragraphe 69 de la présente décision), ainsi que le licenciement de quatre salariés en 2008, son site Internet fait apparaître qu'elle cherche à pourvoir plusieurs postes.

75. Elle observe qu'Euris se prévaut d'une baisse de chiffre d'affaires de 7 % entre 2007 et 2008. Or, elle-même aurait constaté une diminution de son chiffre d'affaires d'environ 8 %, qui s'expliquerait par une baisse d'activité de l'ensemble du marché, la plupart des laboratoires ayant diminué leurs forces de vente. Dès lors, les chiffres avancés par la société Euris constitueraient un simple manque à gagner.

76. S'agissant du caractère immédiat de l'atteinte qui serait portée à Euris, Cegedim fait valoir que s'il y avait atteinte, elle serait établie depuis plusieurs années, le contrat de partenariat ayant été résilié de l9 mars 2007. Ces éléments ne caractériseraient pas une situation d'urgence.

77. En ce qui concerne l'atteinte à l'intérêt du secteur, elle soutient que même si elle n'avait pas de concurrent, en raison du coût d'achat peu élevé pour les laboratoires pharmaceutiques des informations relatives aux données concernant les médecins, cette situation serait sans incidence. Quant à l'atteinte au consommateur, aucun effet ne serait susceptible de s'exercer sur ceux-ci, si l'accès à OneKey n'était pas accordé.

78. S'agissant du lien de causalité entre l'atteinte alléguée et les pratiques dénoncées, Cegedim avance que les difficultés éprouvées par Euris seraient dues au peu de moyens que cette dernière affecte à la constitution de sa propre base de données, à la conjoncture économique difficile et aux spécificités des politiques de santé. Le secteur de l'industrie pharmaceutique serait affecté par la politique économique de la santé et la promotion des médicaments génériques, les baisses de prix des médicaments et les limitations de volume, les coûts de recherche et de mise sur le marché qui sont de plus en plus élevés. Les laboratoires pharmaceutiques réduiraient donc leur nombre de visiteurs médicaux. Cegedim fait état des nombreux plans sociaux annoncés ces derniers mois dans les laboratoires et souligne que par ricochet les fournisseurs de l'industrie pharmaceutique seraient eux aussi affectés. Sa propre croissance serait moins forte. Son chiffre d'affaires pour les activités CRM et vente de la base de données OneKey serait en forte baisse. De plus, le nombre de visiteurs médicaux utilisant les outils Cegedim en France serait passé de 21 000 en 2007 à 16 600 en février 2009.

2. APPRECIATION

a) En ce qui concerne l'atteinte grave et immédiate qui serait portée à la société Euris

79. A l'appui de sa demande de mesures conservatoires, Euris invoque une perte de parts de marché. Notamment, elle n'aurait pas pu finaliser un projet de contrat avec le laboratoire Meda. De plus, le contrat en cours avec ce laboratoire a été rompu de manière anticipée. Comme indiqué, elle soutient avoir perdu des appels d'offres pour 2007 représentant 630 000 euro.

80. Toutefois, elle ne fournit aucun élément précis permettant d'établir un lien de causalité direct entre les pratiques qu'elle reproche à Cegedim et le départ de son client Meda, avant l'arrivée du terme du contrat qui la liait à ce dernier. Par ailleurs, Euris ne peut pas se prévaloir de la perte d'appels d'offres. En effet, selon une jurisprudence constante, un simple manque à gagner est insuffisant pour caractériser l'atteinte grave et immédiate justifiant le prononcé de mesures d'urgence (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 12 avril 2005, Export Press, cité dans la décision n° 08-D-19 du 31 juillet 2008, relative à une demande de mesures conservatoires de la société AP Moller-Maersk).

81. De même, il n'est pas démontré que l'écart de 30 % dont elle fait état entre le budget prévisionnel de ses ventes et le chiffre d'affaires réel au 31 octobre 2008 serait essentiellement dû au refus d'accès à la base de données de Cegedim Dendrite. Cet écart peut résulter d'autres facteurs comme la hausse des prix ou l'évolution du marché.

82. La partie saisissante fait encore valoir qu'elle a dû procéder à des licenciements. De nouveau, il n'est pas établi que ces licenciements soient la conséquence directe des agissements de Cegedim.

83. En ce qui concerne l'exercice écoulé, l'augmentation de ses charges d'exploitation s'explique, au vu de l'examen de son compte de résultat, pour partie au moins, par les salaires et les charges externes qui ont augmenté par rapport à l'année 2007. Euris justifie cette progression de ses charges par plusieurs arguments : l'importance du travail fourni, les frais judiciaires, la fin des avantages liés au statut de jeune entreprise innovante et enfin, la surcharge liée à l'absence de mutualisation des bases.

84. Cependant, en tant que telle, l'importance du travail fourni s'inscrit dans la vie normale d'une entreprise. Quant aux frais judiciaires, ils n'entrent pas dans le calcul du résultat d'exploitation. Il s'agit de charges exceptionnelles. En ce qui concerne la fin des avantages liés au statut de jeune entreprise, elle était prévisible et s'affranchit des pratiques reprochées à Cegedim. Il appartenait à la demanderesse de l'anticiper et de prévoir les mesures appropriées.

85. En revanche, la surcharge liée à l'absence de mutualisation des bases de données pourrait constituer une augmentation significative des charges liée au refus d'accès à la base de données de Cegedim Dendrite. Mais Euris ne fournit aucun élément chiffré permettant d'apprécier à sa juste valeur le coût lié à cette surcharge.

86. Euris fait aussi valoir qu'elle a renoncé à son activité sur le territoire français. Mais rien ne prouve, au vu des éléments versés au dossier, que les pratiques reprochées à Cegedim sont la cause déterminante de la cessation de ses activités en France. Elle n'établit pas non plus que son activité à l'étranger serait très fortement menacée.

87. En conséquence, Euris n'a pas démontré que les pratiques dénoncées lui portent une atteinte suffisamment grave et immédiate pour justifier l'octroi de mesures conservatoires.

b) En ce qui concerne l'atteinte grave et immédiate qui serait portée au secteur intéressé, à l'économie générale et à l'intérêt du consommateur

88. L'atteinte grave et immédiate au secteur et à l'économie générale ou à l'intérêt du consommateur final n'est pas non plus établie. Il existe d'autres bases de données et des annuaires concernant les professionnels de la santé (médecins, pharmaciens, hôpitaux, maisons médicalisées), auxquelles peuvent avoir recours les laboratoires en fonction de l'organisation de leur activité, des produits qu'ils développent et commercialisent, et de leur dimension. Elles sont certes a priori différentes de OneKey, mais intéressent certains utilisateurs. A ce stade, aucun utilisateur de bases de données ou de logiciels CRM ne s'est manifesté pour se plaindre d'être obligé de recourir dans des conditions inéquitables aux services de Cegedim Dendrite. De même, les concurrents de Cegedim Dendrite ne se sont pas manifestés dans le même sens qu'Euris.

c) Conclusion

89. Compte tenu de l'ensemble de ce qui précède, il n'est pas établi qu'en l'état une atteinte grave et immédiate soit portée à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt du consommateur ou à la société Euris, qui justifierait l'adoption de mesures conservatoires pour faire face à l'urgence sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce.

DÉCISION

Article 1er : La demande de mesures conservatoires présentée par la société Euris, enregistrée sous le numéro 08/0110 M, est rejetée.

Article 2 : Il y a lieu de poursuivre l'instruction au fond de la saisine enregistrée sous le numéro 08/0109 F.