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Décisions

TPICE, 7e ch., 6 octobre 2009, n° T-21/06

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

République fédérale d'Allemagne

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Forwood

Juges :

MM. Šváby, Moavero Milanesi (rapporteur)

Avocat :

Me Quardt

TPICE n° T-21/06

6 octobre 2009

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (septième chambre),

Faits à l'origine du litige

1 Afin de promouvoir la numérisation de la radiodiffusion, la République fédérale d'Allemagne a décidé de lancer, à la fin de 1997, l'initiative " Radiodiffusion numérique ". Dans le cadre de cette initiative, elle a élaboré, avec les Länder et différents opérateurs, des recommandations en vue de la numérisation de la radiodiffusion. Ce passage à la radiodiffusion numérique, concernant à la fois la diffusion par câble, par satellite et par voie terrestre, devait être achevé au plus tard en 2010.

2 Les Länder de Berlin et de Brandebourg, premiers Länder en Allemagne à prendre des mesures en faveur de la transmission par voie terrestre, ont adopté ensemble des mesures pour permettre le passage de la télévision analogique à la télévision numérique terrestre (ci-après la " TNT "). Le 17 décembre 2001, la Medienanstalt Berlin-Brandenburg (ci-après la " MABB "), autorité chargée des médias dans la région de Berlin-Brandebourg, a décidé de soutenir financièrement le passage à la TNT.

3 La compétence pour l'attribution des emplacements de chaîne a été confiée à la MABB, suivant la procédure définie par les statuts de la TNT, adoptés le 9 juillet 2001, lesquels prévoyaient notamment qu'une priorité devait être accordée, lors de la première attribution des capacités de transmission numérique terrestre, aux opérateurs déjà présents sur le réseau analogique. Les mêmes statuts prévoyaient également l'attribution d'un multiplex entier au profit des radiodiffuseurs privés, pour autant que ceux-ci diffusent plus d'une chaîne en mode analogique.

4 Par une convention conclue le 13 février 2002 (ci-après la " convention du 13 février 2002 "), la MABB, les diffuseurs publics ARD, ZDF et RBB et les diffuseurs privés RTL-Gruppe (ci-après " RTL ") et ProSiebenSat.1 Media AG (ci-après " ProSiebenSat.1 ") ont fixé l'attribution des capacités de diffusion et les grandes lignes du passage à la TNT, comprenant notamment un échéancier des différentes étapes de ce passage, qui devait être accompagné d'un abandon complet de la transmission analogique. En contrepartie, la MABB s'était déclarée disposée à soutenir financièrement la diffusion par voie terrestre.

5 Les emplacements de chaîne ont été répartis de la manière suivante : trois multiplex complets et un emplacement de chaîne sur un quatrième multiplex pour les deux diffuseurs de service public ARD et ZDF, un multiplex entier pour chacun des deux radiodiffuseurs privés, RTL et ProSiebenSat.1, et deux emplacements de chaîne aux radiodiffuseurs FAB Fernsehen aus Berlin GmbH (ci-après " FAB ") et BBC World, déjà présents sur le réseau analogique. Le reste des capacités a fait l'objet d'une adjudication publique. En raison de l'absence d'offres adéquates, l'attribution des capacités restantes a été effectuée par voie contractuelle avec Eurosport, Viva plus, DSF, et SWR. Une deuxième mise en adjudication, publiée le 16 avril 2004, impliquant les mêmes entreprises, a permis de prolonger les licences relatives aux emplacements de chaînes de cinq ans..

6 La subvention octroyée par la MABB devait, selon cette dernière, couvrir les coûts supplémentaires générés par la transmission par voie numérique terrestre, par rapport à la diffusion par voie analogique. Les modalités de financement ont été arrêtées dans des contrats passés entre la MABB et les différents radiodiffuseurs concernés par la subvention, à savoir le 3 juin 2003 avec RTL, le 4 décembre 2003 avec ProSiebenSat.1, les 2 juin et 22 août 2003 avec FAB, et le 2 décembre 2003 avec BBC World. Un troisième type de contrat de financement a été conclu avec les émetteurs dont les programmes de leurs chaînes n'étaient pas retransmis par voie terrestre avant le passage à la TNT, c'est-à-dire Eurosport, Viva plus et DSF.

7 Aux termes de ces contrats, les groupes de diffuseurs privés RTL et ProSiebenSat.1 s'étaient engagés à émettre par voie numérique terrestre les programmes de leurs chaînes télévisées les plus importantes pour une durée de cinq ans à partir du 1er mars 2003, quelle que soit la couverture réelle de la diffusion par cette voie. La subvention octroyée par la MABB était pour RTL de 265 000 euro par an, soit 66 250 euro par emplacement de chaîne, et pour ProSiebensat.1 de 330 000 euro par an, soit 82 500 euro par emplacement de chaîne. La subvention a pris effet au 1er mars 2003 pour une durée de cinq ans. Si les coûts de diffusion facturés par les opérateurs de réseau augmentaient ou diminuaient, la MABB aurait pris en charge la moitié de la différence. S'agissant de ProSiebensat.1, la subvention de 330 000 euro par an aurait été, après les deux premières années, réduite à 250 000 euro par an pour les trois dernières années si la couverture de la TNT dépassait les 200 000 ménages dans la zone de réception.

8 Il ressort des contrats que la MABB a conclus avec FAB et BBC World qu'elle garantissait à ces diffuseurs une aide d'une durée de cinq ans pour couvrir les frais de diffusion. La subvention correspondait à un tiers du montant à payer à l'opérateur de réseau et était, en tout état de cause, plafonnée à 68 167 euro par an. Le montant de la subvention devait être réduit proportionnellement à la diminution des coûts de diffusion payés à l'opérateur de réseau.

9 Selon les contrats conclus avec Eurosport, Viva plus, DSF et SWR, ces derniers se sont vu attribuer des emplacements de chaîne pour une durée d'un an à partir du 1er août 2003. Durant cette période, la MABB a octroyé à chacun d'entre eux une subvention de 65 000 euro. Ces contrats prévoyaient également une clause d'adaptation aux coûts effectivement payés à l'opérateur de réseau et devaient, par la suite, être prolongés pour une durée totale de cinq ans.

10 La MABB a financé à partir de son propre budget les subventions destinées à couvrir les frais de diffusion des radiodiffuseurs privés. Le budget de la MABB est constitué pour l'essentiel par le produit de la redevance radiotélévisée qui échoit aux Länder de Berlin et de Brandebourg.

11 La MABB a octroyé ladite subvention aux seuls radiodiffuseurs privés, les radiodiffuseurs publics étant en mesure de couvrir les dépenses liées à la transmission par la TNT au moyen des rentrées de la redevance radiotélévisée.

12 Par télécopie du 16 décembre 2002, l'association enregistrée Verband Privater Kabelnetzbetreiber (Organisation des câblodistributeurs privés) a déposé une plainte informelle auprès de la Commission des Communautés européennes relative au financement de la TNT dans les Länder de Berlin et de Brandebourg.

13 Par lettre du 2 mai 2003, la Commission a sollicité des renseignements de la part de la République fédérale d'Allemagne, lesquels ont été fournis, après prolongation du délai, le 30 juin 2003.

14 Par courrier du 14 juillet 2004, la Commission a fait connaître à la République fédérale d'Allemagne sa décision d'ouvrir une procédure formelle d'examen en raison des mesures en cause, conformément à l'article 88, paragraphe 2, CE. Cette décision a été publiée au Journal officiel de l'Union européenne du 28 août 2004.

15 Par décision 2006-513-CE, du 9 novembre 2005, concernant l'aide d'État mise à exécution par la République fédérale d'Allemagne en faveur de l'introduction de la télévision numérique terrestre (DVB-T) dans la région de Berlin-Brandebourg (JO 2006, L 200, p. 14, ci-après la " décision attaquée "), la Commission a décidé que " l'aide d'État octroyée par la République fédérale d'Allemagne aux radiodiffuseurs privés participant à la DVB-T pour l'introduction de la télévision numérique terrestre à Berlin et dans la région de Brandebourg n'[était] pas compatible avec le marché commun " (article 1er de la décision attaquée).

16 La Commission a ordonné la récupération auprès des bénéficiaires de l'aide illégalement mise à leur disposition avec intérêts à compter de la date de versement des aides illégales jusqu'à la date de leur récupération (articles 2 et 3 de la décision attaquée).

Procédure et conclusions des parties

17 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 janvier 2006, la République fédérale d'Allemagne a introduit le présent recours.

18 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 mai 2006, Deutscher Kabelverband eV a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Par ordonnance du président de la quatrième chambre du Tribunal du 6 septembre 2006, la demande en intervention a été rejetée.

19 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 3 mars 2006, la Commission a demandé, sur le fondement de l'article 50, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la jonction de la présente affaire avec les affaires T-8-06, FAB/Commission, et T-24-06, MABB/Commission. La République fédérale d'Allemagne n'a pas soulevé d'objections à l'encontre de cette demande.

20 La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la septième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (septième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale.

21 Lors de l'audience du 20 mai 2009, avant le début des plaidoiries, le Tribunal, avec l'accord de toutes les parties, a décidé de joindre la présente affaire aux affaires FAB/Commission et MABB/Commission, précitées, aux seules fins de la procédure orale. Par la suite, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal.

22 La République fédérale d'Allemagne conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler la décision attaquée ;

- condamner la Commission aux dépens.

23 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours ;

- condamner la République fédérale d'Allemagne aux dépens.

En droit

24 Au soutien de son recours, la République fédérale d'Allemagne invoque deux moyens, tirés respectivement du détournement de pouvoir lors de l'appréciation de la compatibilité de l'aide et de la violation de principes juridiques généraux.

Sur le premier moyen, tiré du détournement de pouvoir et de l'erreur manifeste d'appréciation lors de l'examen de la compatibilité de l'aide

Arguments des parties

25 La République fédérale d'Allemagne soutient que les subventions accordées par la MABB sont compatibles avec le marché commun et que la Commission a mal exercé son pouvoir d'appréciation.

26 La République fédérale d'Allemagne estime tout d'abord que, au lieu d'entreprendre un examen en application de l'article 87, paragraphe 3, sous c), CE, la Commission a utilisé un nouveau système d'évaluation axé sur la notion de défaillance du marché, laquelle n'est pas appropriée au cas d'espèce et provient du document de consultation du 7 juin 2005 intitulé " Plan d'action dans le domaine des aides d'État : des aides d'État moins nombreuses et mieux ciblées : une feuille de route pour la réforme des aides d'État 2005-2009 " [COM (2005) 107 final (ci-après le " plan d'action de 2005 ")]. Dans ce document, il serait indiqué que, lorsque les marchés ne fonctionnent pas de manière efficiente, les États peuvent, dans certains cas, envisager d'avoir recours à des aides d'État. Toutefois, il conviendrait de vérifier si d'autres mesures, qui faussent moins la concurrence, pourraient corriger la défaillance du marché.

27 Elle soutient que la notion de défaillance du marché utilisée comme critère d'évaluation dans une procédure d'examen en matière d'aides d'État est apparue pour la première fois dans le plan d'action de 2005. En outre, elle affirme que la Commission elle-même ne semble pas savoir comment appliquer ce critère dans le cadre du contrôle des aides d'État.

28 La République fédérale d'Allemagne souligne que la Commission s'est exclusivement fondée sur le critère d'évaluation tiré de la notion de défaillance du marché, ce qui constituerait une erreur d'appréciation. Ce critère ne conviendrait pas en principe pour contrôler la compatibilité d'une aide individuelle avec le marché commun. Selon elle, la Commission excède non seulement ses pouvoirs, mais également l'objectif des règles en matière d'aides d'État, qui vise la protection du marché commun et non la protection des ressources d'État et le contrôle de leur utilisation efficace.

29 En ce qui concerne l'examen du caractère nécessaire et approprié de la subvention, la République fédérale d'Allemagne reproche à la Commission de ne pas avoir effectué de mise en balance de l'objectif de la mesure de soutien avec ses effets sur les conditions de concurrence, et de ne pas avoir inclus l'objectif de la mesure dans son évaluation. Elle rappelle que les subventions de la MABB ont pour objectif la transition à la diffusion de la télévision numérique d'ici à 2010 et indique que la TNT aurait été vouée à l'échec si un nombre suffisant de programmes attractifs, accessibles par voie terrestre, n'avait pas été proposé aux téléspectateurs. Elle ajoute que, sans subventions, les radiodiffuseurs privés, diffusant par voie terrestre analogique, ne seraient pas passés à la TNT. En particulier, la requérante souligne que la convention du 13 février 2002, passée entre la MABB et les radiodiffuseurs RTL et ProSiebenSat.1, ne constitue qu'une déclaration d'intention politique. Selon la République fédérale d'Allemagne, la décision attaquée se borne à examiner s'il existe une autre mesure qui serait plus appropriée pour remédier à la défaillance du marché en cause, mais ne remet pas en question le fait que la mesure litigieuse est, en l'espèce, appropriée.

30 S'agissant de l'examen du caractère proportionné de la mesure, la République fédérale d'Allemagne soutient que la Commission a commis d'autres erreurs d'appréciation. Dans la mise en balance des avantages et des inconvénients qui militent en faveur de l'introduction d'un troisième mode de transmission, la Commission aurait méconnu la situation concurrentielle et notamment le fait que les deux modes de transmission alternatifs, le satellite et le câble, sont dominés, dans la région de Berlin-Brandebourg, par un seul fournisseur. Or, la possibilité de choisir un troisième mode de transmission, à savoir la TNT, renforcerait la concurrence. Elle fait valoir que la diffusion terrestre a une importance particulière pour la fourniture illimitée de la population en programmes télévisés, car 2 à 5 % des téléspectateurs ne pourraient recevoir la télévision que par le mode terrestre et ce ne serait que par la diffusion terrestre que les programmes télévisés peuvent être captés librement et sans coût supplémentaire. Elle considère que la Commission a ainsi méconnu l'importance qu'un mode de transmission supplémentaire a pour la garantie de la liberté d'information et d'opinion.

31 La République fédérale d'Allemagne soutient que la Commission a appliqué, sans l'informer au préalable, un nouveau système d'évaluation dont les critères sont énoncés dans le plan d'action de 2005. Dès lors que la Commission prétend avoir fondé son analyse de la compatibilité de l'aide sur la communication relative à la transition de la radiodiffusion analogique à la radiodiffusion numérique du 17 septembre 2003 [COM(2003) 541 final] (ci-après la " communication de 2003 "), elle s'interroge aussi sur les raisons pour lesquelles les critères cités dans ladite communication n'ont pas été concrètement appliqués dans la décision attaquée, alors qu'ils sont cités dans ladite communication. Selon elle, l'évaluation de la Commission se fonde sur le critère de la défaillance du marché qui ne figure que dans le plan d'action de 2005.

32 Selon la République fédérale d'Allemagne, la Commission n'examine pas toutes les hypothèses justificatives évoquées dans la communication de 2003, et notamment si des " intérêts généraux " sont en jeu et s'il existe une défaillance du marché, à la lumière des carences structurelles telles que les " comportements opportunistes ", la " situation oligopolistique " et les " cercles vicieux ".

33 En particulier, au considérant 103 de la décision attaquée, sous l'intitulé " Effets externes positifs ", elle n'examinerait pas la problématique et la motivation de " comportements opportunistes ", évoqués dans la communication de 2003, selon laquelle les parties qui tirent le plus grand profit du passage au numérique (fabricants d'équipements ou bénéficiaires potentiels du spectre libéré tels que les nouveaux diffuseurs) peuvent être différentes, le cas échéant, de celles qui devraient vraisemblablement en supporter le coût (utilisateurs finaux ou diffuseurs en place). En lieu et place de cet examen, la Commission se bornerait à apprécier dans quelle mesure la prise en charge des coûts par la MABB est nécessaire et appropriée pour le passage à la TNT.

34 La République fédérale d'Allemagne soutient que la Commission n'a pas examiné la question de savoir si la mesure en cause était susceptible de provoquer le changement de comportement souhaité chez les radiodiffuseurs terrestres privés. Ceux-ci n'auraient manifesté aucun intérêt économique pour la TNT, en l'absence d'une subvention pourtant limitée dans le temps.

35 À propos de la limitation à cinq ans de la période subventionnée, la République fédérale d'Allemagne expose que, durant cette période, les diffuseurs privés s'étaient engagés, dans les conventions signées avec la MABB, à maintenir la diffusion par la TNT, indépendamment de l'évolution de l'audience pour ce mode de transmission et de la question de l'évolution des recettes publicitaires.

36 La République fédérale d'Allemagne estime que la subvention a eu plus d'effets positifs que négatifs et que la Commission méconnaîtrait l'intérêt public de l'utilisation des fréquences. En effet, la transition à l'utilisation numérique des fréquences terrestres aurait eu pour conséquence la libération de nouvelles fréquences pour d'autres utilisateurs.

37 En ce qui concerne l'impératif du " strict minimum nécessaire ", la République fédérale d'Allemagne soutient avoir présenté à la Commission des explications ou des calculs dont il ressortirait que l'aide s'était limitée à ce qui était strictement nécessaire pour la transition des radiodiffuseurs privés à la TNT. Elle indique que ces derniers n'auraient pas été disposés à effectuer la transition en cas de soutien financier moindre et que ce soutien concerne les coûts réclamés par l'opérateur de réseau. Elle précise que le montant de la subvention a été limité, dans les contrats, à 30 % de la rémunération que les radiodiffuseurs télévisés devraient verser à l'opérateur de réseau et a fait l'objet d'un versement par tranches à ces derniers. Elle allègue que, en apportant son soutien à la TNT, elle ne s'est pas prononcée contre les autres modes de transmission. Par ailleurs, elle souligne que, pour que la subvention soit exempte de discrimination et neutre du point de vue de la concurrence, même les radiodiffuseurs ayant une audience moindre ont reçu un remboursement des coûts à concurrence de 30 % de la rémunération effectivement versée à l'opérateur de réseau. Les radiodiffuseurs privés auraient ainsi reçu un incitant pour passer à la TNT et l'impératif du " strict minimum nécessaire " aurait été respecté grâce à une subvention proportionnée aux frais.

38 S'agissant du " principe de la neutralité technologique ", la République fédérale d'Allemagne fait valoir que celui-ci est, en pratique, irréalisable dans le cadre d'une mesure individuelle d'aide, car une telle mesure vise nécessairement une seule technologie, alors que, dans le cadre d'une réglementation générale en matière d'aides d'État, différentes technologies peuvent être soutenues.

39 La République fédérale d'Allemagne allègue que la Commission a, certes, reconnu une défaillance du marché par rapport à un problème de coordination et aux effets externes positifs, mais qu'elle n'a pas reconnu d'autres types de défaillances du marché qui auraient dû aboutir à une autorisation des aides. En particulier, la Commission n'aurait pas reconnu l'existence d'une défaillance du marché à cause de l'existence d'une position dominante sur le marché en cause, étant donné qu'elle n'aurait pas tenu compte des domaines dans lesquels, sans la télévision terrestre, il n'existerait pas de concurrence. En outre, la Commission n'aurait pas tenu compte du fait que le produit " télévision " est d'une importance capitale pour la formation et la liberté d'opinion, et qu'il y a lieu de garantir un plus haut degré de concurrence et de pluralisme. Par ailleurs, selon la République fédérale d'Allemagne, une aide à l'opérateur de réseau, telle que celle proposée par la Commission à titre d'alternative, n'est pas appropriée pour renforcer la concurrence entre les différents modes de radiodiffusion, dans la mesure où il manque à une telle aide l'élément d'incitant direct pour les téléspectateurs qui ne peuvent être encouragés à acheter un décodeur que par la participation des deux grands radiodiffuseurs télévisés.

40 Selon la République fédérale d'Allemagne, la Commission n'a pas non plus reconnu l'existence d'une défaillance du marché en raison de l'obligation d'effectuer des prestations de service public. En l'espèce, cette obligation consiste, selon la République fédérale d'Allemagne, à permettre l'accès à la télévision terrestre à une partie restreinte de téléspectateurs, de 2 à 5 %, qui ne sont pas en mesure de capter la télévision par d'autres modes, satellite ou câble. C'est cette obligation qui aurait été transposée aux radiodiffuseurs privés dans le cadre des contrats conclus avec la MABB.

41 La République fédérale d'Allemagne relève que la Commission écarte d'autres motifs de compatibilité de l'aide avec le marché commun, prévus à l'article 87, paragraphe 3, sous c), CE, en particulier l'aspect de la cohésion sociale. Elle soutient que les États membres, dans le cadre de la cohésion sociale, doivent garantir que, après l'abandon de la télévision analogique terrestre, tous les citoyens auront un accès à la TNT.

42 En ce qui concerne les mesures alternatives proposées par la Commission, la République fédérale d'Allemagne estime que ni des mesures réglementaires ni d'autres mesures n'auraient été susceptibles de convaincre les radiodiffuseurs privés de participer à la TNT. En particulier, elle considère que la fixation d'une date unique pour l'expiration de toutes les licences de transmission analogique terrestre n'est pas appropriée pour entraîner une transition rapide et concomitante à la TNT. Elle indique que le retrait des fréquences analogiques n'aurait pas nécessairement été suivi par le passage à la TNT. Par ailleurs, la MABB n'aurait pas pu contraindre un radiodiffuseur à passer à la TNT alors qu'il n'y était pas disposé, car l'article 30 du traité relatif à la coopération des deux Länder dans le domaine de la radiodiffusion, du 29 février 1992 (ci-après le " traité médias ") prévoit un droit légal pour chaque radiodiffuseur à la prolongation de sa licence et ne contient aucune exception pour le passage de la technologie analogique à la technologie numérique. De plus, la non-prolongation d'une licence d'émettre aurait constitué une ingérence grave dans la liberté de la presse radiodiffusée. En outre, les exemples de la Bavière (Allemagne) et du Royaume-Uni, cités par la Commission, n'indiqueraient précisément pas qu'une expiration concomitante des licences analogiques aurait nécessairement entraîné une transition à la TNT.

43 S'agissant des autres mesures alternatives proposées par la Commission, la République fédérale d'Allemagne considère qu'elles n'auraient pas permis d'entraîner une transition concomitante à la TNT. En effet, les mesures de soutien du fonds de numérisation en Autriche, autorisées par la Commission, ne viseraient pas nécessairement à parvenir à une diffusion terrestre de programmes télévisés numériques. Par ailleurs, une subvention accordée aux consommateurs pour l'achat de terminaux numériques dans la région de Berlin-Brandebourg aurait coûté beaucoup plus cher et n'aurait donc pas pu être financée par les fonds mis à la disposition de la MABB. De même, une subvention accordée aux seuls radiodiffuseurs publics ayant une part de marché cumulée de 42 % n'aurait pas suffi pour réussir la transition à la diffusion numérique. Enfin, un dédommagement pour le retrait anticipé des licences analogiques n'aurait pas nécessairement entraîné le passage à la TNT.

44 De même, selon la République fédérale d'Allemagne, la proposition de la Commission selon laquelle, en cas de problème de concurrence au niveau du réseau, une aide aux opérateurs de réseau constituerait, le cas échéant, un moyen pour soutenir le développement de la plate-forme numérique terrestre n'est pas pertinente. Un soutien direct de l'unique opérateur de réseau, T-Systems, serait bien plus préjudiciable à la concurrence que les mesures de soutien au profit des organismes de diffusion privés. En outre, ce soutien n'aurait pas suffi pour inciter les diffuseurs privés à passer à la TNT.

45 S'agissant, enfin, de la subvention " technologiquement neutre " en faveur du consommateur pour l'achat des décodeurs, alternative citée par la Commission, qui a été accordée à 6 000 ménages dépendant de l'aide sociale, la République fédérale d'Allemagne soutient que cette seule mesure n'est pas en soi de nature à réaliser la transition à la TNT et qu'il aurait plutôt fallu élargir considérablement ce soutien pour induire un plus grand incitant. En outre, pour respecter la condition de " neutralité technologique ", il aurait également été nécessaire de financer les décodeurs pour le satellite et le câble. En conséquence, la subvention accordée par la MABB aux radiodiffuseurs privés pour la transition à la TNT était, selon la République fédérale d'Allemagne, à la fois nécessaire et appropriée et en méconnaissant cela dans la décision attaquée, la Commission aurait commis une erreur d'appréciation.

46 En ce qui concerne la compatibilité de la mesure au regard de l'article 87, paragraphe 3, sous b), CE, la République fédérale d'Allemagne relève que la Commission s'est bornée à écarter la compatibilité de la mesure au motif que, à l'inverse de la numérisation de la diffusion des programmes télévisés, la TNT ne constituerait pas un projet d'intérêt européen commun. Elle considère que la limitation de la subvention à un moyen de diffusion ne saurait être un motif pour nier l'existence d'un projet important d'intérêt commun. En particulier, la Commission n'examinerait pas la question de savoir si le soutien apporté à un projet qui devrait être considéré comme un objectif partiel ou une étape intermédiaire dans la réalisation d'un projet d'intérêt européen commun serait compatible avec le marché commun.

47 La République fédérale d'Allemagne estime que la compatibilité d'une aide avec l'article 87, paragraphe 3, sous b), CE ne doit pas être limitée à des cas exceptionnels. La Commission aurait méconnu le fait que, en raison de la diffusion manifestement plus réduite du mode de transmission terrestre par rapport à celui par satellite ou par câble, la réception terrestre était exposée à un risque bien plus élevé, de sorte que le passage à la TNT échouerait par manque de viabilité. Ce ne serait donc que grâce à la subvention accordée à la TNT que le projet d'intérêt européen commun, à savoir la transition complète à la technique de transmission numérique en Allemagne, a été un succès.

48 Selon la République fédérale d'Allemagne, la Commission n'a pas correctement apprécié le fait que le soutien est accordé uniquement au niveau des États membres, sans cofinancement communautaire. Cette circonstance ne s'opposerait pas au caractère éligible de la mesure au regard de l'article 87, paragraphe 3, sous b), CE, étant donné que la tâche d'adopter des mesures pour atteindre l'objectif commun aurait été confiée aux États membres.

49 La Commission conteste les arguments de la République fédérale d'Allemagne.

Appréciation du Tribunal

50 Selon une jurisprudence constante, la Commission bénéficie, pour l'application de l'article 87, paragraphe 3, CE, d'un large pouvoir d'appréciation dont l'exercice implique des évaluations complexes d'ordre économique et social qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire. Dans ce cadre, le contrôle juridictionnel appliqué à l'exercice de ce pouvoir d'appréciation se limite à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation ainsi qu'au contrôle de l'exactitude matérielle des faits et de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation ou de détournement de pouvoir (arrêts de la Cour du 26 septembre 2002, Espagne/Commission, C-351-98, Rec. p. I-8031, point 74 ; du 13 février 2003, Espagne/Commission, C-409-00, Rec. p. I-1487, point 93, et du 29 avril 2004, Italie/Commission, C-91-01, Rec. p. I-4355, point 43).

51 Il convient de rappeler que, en adoptant des règles de conduite et en annonçant, par leur publication, qu'elle les appliquera dorénavant aux cas concernés par celles-ci, la Commission s'autolimite dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation et ne saurait se départir de ces règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d'une violation de principes généraux du droit tels que l'égalité de traitement ou la protection de la confiance légitime (arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189-02 P, C-202-02 P, C-205-02 P à C-208-02 P et C-213-02 P, Rec. p. I-5425, point 211). Ainsi, dans le domaine spécifique des aides d'État, la Cour a déjà eu l'occasion de souligner que la Commission est tenue par les encadrements et communications qu'elle adopte, dans la mesure où ils ne s'écartent pas des normes du traité et où ils sont acceptés par les États membres (arrêts du 13 février 2003, Espagne/Commission, précité, points 69 et 95, et Italie/Commission, précité, point 45). Les indications résultant des communications de la Commission n'ont donc à l'évidence pas le même caractère contraignant erga omnes que les règles juridiques proprement dites. Toutefois, puisqu'elles s'imposent à la Commission, elles ont à son égard un caractère contraignant.

52 C'est à la lumière de ces considérations préliminaires qu'il convient d'examiner le présent moyen.

53 Il convient de relever que le critère de la défaillance du marché figure dans la communication de 2003 et que la Commission s'est, ainsi qu'elle le déclare elle-même, référée à cette communication lors de l'ouverture de la procédure formelle d'examen, pour évaluer si l'intervention des autorités publiques allemandes auprès des radiodiffuseurs privés, afin de favoriser leur passage à la TNT, était justifiée. Or, la communication de 2003 indique qu'une intervention publique peut se justifier dans deux hypothèses, à savoir lorsque des " intérêts généraux " sont en jeu ou lorsqu'il existe une défaillance du marché.

54 À cet égard, il convient de constater que, dans la décision attaquée, l'examen de la Commission a porté principalement sur le critère de la défaillance du marché, lequel figure tant dans la communication de 2003 que dans le plan d'action de 2005, et que cet examen lui a permis d'identifier, d'une part, des " problèmes de coordination " entre les différents acteurs du marché en cause et, d'autre part, des " effets extérieurs positifs " liés à la libération des fréquences. Cependant, il convient de relever qu'aucune analyse de l'autre hypothèse justificative d'une intervention publique qui figure dans la communication de 2003, à savoir l'existence d'" intérêts généraux ", n'a été explicitement menée dans la décision attaquée.

55 La République fédérale d'Allemagne fait valoir que la Commission, en se fondant, dans la décision attaquée, sur le seul critère de la défaillance du marché pour apprécier la compatibilité de l'aide sur le fondement de l'article 87, paragraphe 3, sous c), CE, a mal exercé son pouvoir d'appréciation. Cette erreur d'appréciation serait constitutive d'un détournement de pouvoir.

56 Il importe donc de déterminer si le contrôle de la mesure en cause, exercé par la Commission au titre de l'article 87, paragraphe 3, sous c), CE, lors de l'examen de la compatibilité de l'aide, est entaché d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir.

57 En ce qui concerne le critère tiré de la notion de défaillance du marché, dont il est allégué que la Commission ne pouvait faire application en l'espèce, force est de constater que la République fédérale d'Allemagne a, dans l'avis qu'elle a communiqué à la Commission sur la décision d'ouvrir la procédure formelle d'examen, justifié la nécessité de l'aide aux radiodiffuseurs privés en faisant valoir que, en l'espèce, le jeu des forces du marché n'aurait pas, à lui seul, permis d'obtenir le passage à la TNT. Dès lors que la République fédérale d'Allemagne elle-même s'est référée au marché et à ses carences, dans le cadre de la procédure formelle d'examen, pour justifier la nécessité d'une intervention publique, elle ne peut, à cet égard, prétendre qu'un critère d'examen tiré de cette notion serait nouveau dans le cadre de la procédure de contrôle de la mesure litigieuse ou qu'elle n'a pas été avertie de l'utilisation de ce critère. Par ailleurs, ainsi que la République fédérale d'Allemagne l'a admis elle-même au cours de la procédure orale, ce critère avait déjà été utilisé par la Commission dans sa communication du 21 août 2001 relative aux aides d'État et au capital-investissement (JO C 235, p. 3).

58 En outre, contrairement à ce qu'allègue la République fédérale d'Allemagne, ledit critère n'a pas vocation à être utilisé exclusivement pour l'examen de la compatibilité des régimes généraux d'aides d'État, mais peut l'être également pour celui des mesures ponctuelles d'octroi des aides individuelles. Partant, l'utilisation de ce critère n'est pas, en soi, inappropriée pour apprécier la compatibilité de la mesure litigieuse.

59 De même, si la République fédérale d'Allemagne fait valoir qu'aucun examen des carences structurelles du marché, susceptibles, notamment, de ralentir le passage à la TNT et énoncées dans la communication de 2003, telles que les " comportements opportunistes ", les " situations oligopolistiques " et les " cercles vicieux ", n'a été mené par la Commission, elle ne précise pas quelles seraient concrètement les carences de ce type qui entraveraient le marché de la radiodiffusion dans la région de Berlin-Brandebourg et qui seraient, par conséquent, de nature à justifier, le cas échéant, la mesure d'aide d'État en cause.

60 En ce qui concerne les autres types de défaillances du marché qui auraient pu justifier la mesure en cause, telles que, d'une part, la position dominante qu'occuperait un opérateur sur le marché de la radiodiffusion dans la région de Berlin-Brandebourg et, d'autre part, l'obligation d'effectuer des prestations de service public, qui consisteraient notamment à permettre l'accès à la télévision terrestre à une partie restreinte de téléspectateurs, qui ne sont pas en mesure de capter la télévision par satellite ou par le câble, force est de constater que la République fédérale d'Allemagne n'apporte pas, à cet égard, d'éléments suffisamment circonstanciés et probants. Le même constat doit être fait en ce qui concerne l'argument tiré de la nécessité de garantir la cohésion sociale, dans la mesure où la République fédérale d'Allemagne n'établit pas que, en l'absence d'un financement public des radiodiffuseurs privés pour le passage à la TNT, la partie de la population qui ne reçoit la télévision ni par le câble ni par le satellite n'aurait pas eu accès à la TNT.

61 S'agissant des " intérêts généraux " susceptibles de justifier une intervention publique au sens de la communication de 2003, la Commission soutient, sans être contredite sur ce point, que le document du 30 juin 2003 produit par la République fédérale d'Allemagne, dans le cadre de la procédure formelle d'examen, n'indiquait pas de référence précise aux " intérêts généraux " en cause. Par ailleurs, si la République fédérale d'Allemagne a, au cours de l'audience, affirmé que des " intérêts généraux ", tels que la libération d'autres fréquences, la cohésion sociale, le développement de la concurrence, le renforcement du pluralisme et de la liberté d'opinion, n'ont pas été analysés par la Commission, force est de constater qu'elle n'a pas apporté plus d'éléments probants concrets en vue de justifier la mesure d'aide d'État en cause.

62 En outre, il ressort de la décision attaquée, d'une part, que divers aspects qui pourraient être considérés comme relevant de la notion d'" intérêts généraux ", au sens de la communication de 2003, ont été analysés par la Commission, notamment, dans quelle mesure l'aide permettait de " passer de la transmission analogique à la transmission numérique, [de] soutenir les innovations techniques de la réception mobile et portable, [de] maintenir la concurrence entre les différentes voies de transmission au niveau des infrastructures et [de] promouvoir la diversité de l'offre et le pluralisme ". Il ressort de la décision attaquée, d'autre part, que la mesure en cause a été également examinée au regard de l'article 86, paragraphe 2, CE pour vérifier l'existence éventuelle d'un service d'intérêt économique général susceptible de justifier également une intervention publique.

63 S'agissant des effets incitatifs de la mesure d'aide litigieuse qui, selon la République fédérale d'Allemagne, n'auraient pas été suffisamment évalués, il importe de relever que ces effets ont été analysés par la Commission dans la décision attaquée, qu'il s'agisse des coûts de transmission, de l'attribution d'emplacements de chaîne ou du développement de services supplémentaires. En outre, il est constant que l'octroi de la subvention aux radiodiffuseurs privés s'est étendu sur une période de cinq ans, alors que, pour ces radiodiffuseurs, la phase de transition à la TNT n'a duré que quatre mois. Il en résulte que, contrairement à ce que soutient la République fédérale d'Allemagne, la mesure en cause a eu un effet allant bien au-delà de la simple incitation au passage à la TNT.

64 En ce qui concerne l'argument relatif au caractère nécessaire et approprié de l'aide et, notamment, l'argumentation de la République fédérale d'Allemagne selon laquelle, sans cette subvention publique, les radiodiffuseurs concernés n'auraient pas été disposés à effectuer les investissements nécessaires en vue du passage à la TNT, il est constant que, dans la région de Berlin-Brandebourg, les principaux radiodiffuseurs privés avaient déjà confirmé qu'ils étaient prêts à effectuer le passage à la TNT. Cette orientation résulte clairement de la convention du 13 février 2002, même à supposer qu'elle soit une simple déclaration d'intention, et ce alors même que le financement public pour le passage à la TNT n'avait pas encore été décidé.

65 En outre, il y a lieu de constater que, dans plusieurs Länder de la République fédérale d'Allemagne, à savoir les Länder de Saxe, de Saxe-Anhalt et de Thuringe ainsi que dans le Land de Hesse dans la région Rhin-Main, le passage à la TNT a été réalisé sans un quelconque financement public des radiodiffuseurs privés. Dès lors, même à supposer que le passage à la TNT dans la région de Berlin-Brandebourg ait dû servir ou ait servi d'expérience pilote pour d'autres régions de l'Allemagne, il n'est pas établi que la subvention versée aux radiodiffuseurs privés pour la prise en charge de tout ou partie des coûts de transmission liés à ce passage constituait un moyen nécessaire et approprié pour atteindre cet objectif.

66 S'agissant du caractère proportionné de la mesure litigieuse, il convient d'observer que, à supposer que les deux modes de transmission que sont le satellite et le câble soient dominés par un seul fournisseur sur le marché de la télévision numérique dans la région de Berlin-Brandebourg, une subvention publique en faveur d'un troisième mode de transmission qui permet de lancer ce dernier pourrait avoir, le cas échéant, des répercussions positives sur la structure concurrentielle dudit marché, en augmentant le choix pour les consommateurs. Toutefois, en l'espèce, il y a lieu de relever que la République fédérale d'Allemagne n'apporte pas d'éléments circonstanciés et probants infirmant le constat contenu dans la décision attaquée selon lequel la concurrence entre radiodiffuseurs dans ladite région n'est pas entravée par des problèmes structurels, notamment au niveau de l'offre, et ce parce que les radiodiffuseurs par câble et par satellite offrent une pluralité de chaînes de télévision en accès libre, que plusieurs câblo-opérateurs se partagent la connexion des ménages et que la " télévision large bande " génère une concurrence supplémentaire. Ainsi, la République fédérale d'Allemagne n'établit pas que l'octroi d'une subvention aux radiodiffuseurs privés constituait un moyen proportionné en vue de favoriser le passage à la TNT.

67 En ce qui concerne l'impératif du " strict minimum nécessaire " figurant dans la communication de 2003, qui imposerait aux pouvoirs publics de se limiter au minimum nécessaire pour favoriser le passage à la TNT, il convient de constater que la part des coûts de transmission couverte précisément par la subvention a varié, selon les radiodiffuseurs concernés, entre 28 et près de 50 %, alors que les coûts de transmission numériques sont, ainsi qu'il a été souligné au cours de la procédure orale, très inférieurs à ceux de la transmission analogique. En outre, même à supposer que les coûts de l'abandon de la transmission analogique aient dû être pris en compte, aucun élément circonstancié et probant concernant, pour chacun des radiodiffuseurs, lesdits coûts et leur importance éventuelle n'a été fourni par la République fédérale d'Allemagne.

68 S'agissant des mesures alternatives proposées par la Commission, il suffit de constater que la République fédérale d'Allemagne ne parvient pas à démontrer qu'elles étaient a priori inefficaces et qu'elle était dans l'impossibilité de les mettre en œuvre, voire même de mettre en œuvre d'autres mesures, qui auraient eu moins d'impact sur la concurrence que l'aide en cause, tout en permettant d'accélérer le passage à la TNT dans la région de Berlin-Brandebourg.

69 En ce qui concerne la " neutralité technologique " visée dans la communication de 2003 qui, à cet égard, prévoit, en particulier, que l'abandon de la diffusion analogique sur un territoire donné ne peut avoir lieu que si la quasi-totalité des ménages reçoivent les services numériques et que, pour atteindre cet objectif, tous les modes de transmission, à savoir le câble, le satellite ou les réseaux terrestres, doivent être pris en compte, il est constant en l'espèce que, par l'aide en cause, c'est uniquement la voie terrestre qui a été privilégiée par rapport aux autres modes de transmission. Dès lors, la mesure en cause ne satisfait pas, contrairement à ce que soutient la République fédérale d'Allemagne, à la condition de neutralité technologique au sens de la communication de 2003.

70 Enfin, s'agissant de la prétendue violation de l'article 87, paragraphe 3, sous b), CE, qui résulterait de ce que le soutien apporté à la TNT pourrait être considéré comme destiné à promouvoir la réalisation d'un projet important d'intérêt européen commun, il convient de rappeler que cette dernière notion doit être interprétée de manière stricte et qu'une initiative n'est qualifiée ainsi que lorsqu'elle fait partie d'un programme transnational européen, soutenu conjointement par différents gouvernements d'États membres ou lorsqu'elle relève d'une action concertée de différents États membres en vue de lutter contre une menace commune (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 8 mars 1988, Exécutif régional wallon et Glaverbel/Commission, 62-87 et 72-87, Rec. p. 1573, points 22 et 23). Or, la République fédérale d'Allemagne ne fournit à l'appui de cet argument aucun élément sérieux tendant à établir que le passage à la TNT dans la région de Berlin-Brandebourg, même à supposer que ce passage ait servi d'expérience pilote pour d'autres Länder, serait constitutif d'un projet important d'intérêt européen commun au sens de la jurisprudence citée.

71 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que le moyen tiré du détournement de pouvoir et de l'erreur manifeste d'appréciation lors de l'examen de la compatibilité de l'aide n'est pas fondé et doit, dès lors, être rejeté.

Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de " principes juridiques généraux "

Arguments des parties

72 La République fédérale d'Allemagne invoque la violation du principe de bonne administration en raison de l'application par la Commission de critères d'appréciation incohérents dans sa pratique décisionnelle et dans les documents qu'elle a publiés. La République fédérale d'Allemagne considère, en particulier, que, même si la Commission bénéficie d'un pouvoir d'appréciation pour l'examen de circonstances économiques complexes, lorsqu'elle examine des faits comparables, elle doit appliquer les mêmes critères ou de nouveaux critères qui lui semblent plus appropriés, uniquement après en avoir dûment informé les intéressés.

73 Selon la République fédérale d'Allemagne, à titre d'exemple, les décisions adoptées par la Commission, entre les mois de mars et d'octobre 2005, traduisent une grande diversité. Dans la décision du 3 mai 2005, concernant l'aide N 382-2004, relative à la mise en place d'une infrastructure haut débit sur le territoire de la région Limousin (DORSAL) (JO C 230, p. 6), le soutien accordé à l'établissement d'un réseau à haut débit en France aurait été considéré par la Commission, au moyen des critères de l'arrêt de la Cour du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C-280-00, Rec. p. I-7747), comme légal, compte tenu de sa nature de service d'intérêt économique général. En revanche, dans la décision du 20 octobre 2005, concernant l'aide N 263-2005, large bande pour la Carinthie (JO C 329, p. 2), la Commission n'aurait pas examiné la question de savoir s'il s'agissait d'un service d'intérêt économique général ou s'il existait une défaillance du marché, mais aurait uniquement contrôlé la compatibilité des aides avec le marché commun au regard de l'article 87, paragraphe 3, sous c), CE. Dans la décision du 16 mars 2005, concernant l'aide N 622-2003, Digitalisierungsfonds (JO C 228, p. 11), qui concernait la transition de la technique analogique à la technique numérique, la Commission aurait également autorisé la mesure en application de l'article 87, paragraphe 3, sous c), CE.

74 La République fédérale d'Allemagne soutient que les critères d'appréciation utilisés dans la décision attaquée découlent du plan d'action de 2005, dans lequel la Commission aurait publié des propositions de réforme et n'aurait pas énoncé des règles applicables. Ces propositions seraient toujours au stade d'un processus de consultation, non achevé, avec les États membres. Selon la République fédérale d'Allemagne, la Commission, contrairement à ce qu'elle avait annoncé dans le plan d'action de 2005, a, dans le cadre de l'exercice de son pouvoir d'appréciation, " testé " un nouveau système d'évaluation. Cependant, les actes de la Commission ne pouvaient pas être arbitraires, et devaient être clairs, prévisibles et évaluables, pour que les États membres puissent adapter leur comportement.

75 La République fédérale d'Allemagne estime également que la Commission a violé ses droits de la défense, considérant qu'elle a appliqué sa nouvelle approche d'appréciation économique, pour la première fois dans le cadre du contrôle des aides d'État, sans lui avoir fourni la possibilité de présenter des observations à ce sujet durant la procédure. De même, la Commission n'aurait pas tenu compte, dans la décision attaquée, des observations que la République fédérale d'Allemagne avait présentées, lors de la procédure de consultation, sur le plan d'action de 2005.

76 La Commission conteste les arguments de la République fédérale d'Allemagne.

Appréciation du Tribunal

77 Concernant tout d'abord la prétendue méconnaissance par la Commission du principe de bonne administration, qui résulterait de l'application de critères d'appréciation incohérents dans le cadre de sa pratique décisionnelle, force est de constater que les décisions invoquées par la République fédérale d'Allemagne se rapportent à des situations concrètes de marché différentes de la présente affaire. Seule une de ces décisions porte, en effet, sur une aide à l'introduction de la TNT, mais, à la différence de celle en cause, tous les modes de transmission étaient favorisés, et non exclusivement le mode de transmission par la voie terrestre. Par conséquent, l'argument invoqué par la République fédérale d'Allemagne de la méconnaissance par la Commission du principe de bonne administration n'est pas susceptible de prospérer.

78 Ensuite, la République fédérale d'Allemagne soulève le grief tiré de ce que, d'une part, la Commission aurait violé ses droits de la défense en utilisant pour la première fois le critère d'appréciation tiré de la notion de défaillance du marché figurant dans le plan d'action de 2005 et que, d'autre part, elle n'en aurait pas été informée et n'aurait, ainsi, pas été mise en mesure de présenter ses observations sur cette nouvelle approche.

79 Cependant, ce grief ne peut être accueilli dès lors que, comme il a déjà été constaté au point 72 ci-dessus, la notion de défaillance du marché figure déjà dans la communication de 2003. Il ne s'agit donc pas d'une notion qui apparaîtrait, pour la première fois, dans le plan d'action de 2005. En outre, il ressort de l'invitation à présenter des observations que la requérante a été avertie, au stade de la procédure formelle d'examen, que la Commission analyserait la mesure en cause au regard des critères de la communication de 2003. Par ailleurs, ainsi qu'il a été indiqué, la République fédérale d'Allemagne elle-même, lors de la procédure formelle d'examen, a cherché à justifier l'aide en cause en se référant au marché et à ses carences, ce qui montre qu'elle avait connaissance de la notion de défaillance du marché. Enfin, la République fédérale d'Allemagne n'apporte aucune précision quant aux observations qu'elle aurait présentées lors de la procédure de consultation sur le plan d'action de 2005 qui n'auraient pas été prises en compte par la Commission dans la décision attaquée.

80 En tout état de cause, il y a lieu de considérer que le critère tiré de la notion de défaillance du marché, qu'il ressorte de la communication de 2003 ou du plan d'action de 2005, implique de la part de la Commission une appréciation juridique de la compatibilité de l'aide reposant substantiellement sur la même approche économique dans le cadre de ces deux textes. Par ailleurs, la République fédérale d'Allemagne ne démontre pas que, si la Commission s'était fondée uniquement sur les critères figurant dans la communication de 2003, elle serait parvenue à une analyse différente de l'aide en cause, et donc à une conclusion différente quant à sa compatibilité. Il en résulte que la Commission n'a pas tiré du plan d'action de 2005 des principes et des critères d'appréciation qui auraient modifié son analyse de ladite aide. Dans ces circonstances, une nouvelle consultation de la République fédérale d'Allemagne, pour lui permettre de présenter ses observations, ne s'imposait donc pas (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 8 mai 2008, Ferriere Nord/Commission, C-49-05 P, non publié au Recueil, point 83).

81 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que le moyen tiré de la violation de " principes juridiques généraux " n'est pas fondé et doit, dès lors, être rejeté.

82 Aucun des moyens invoqués par la République fédérale d'Allemagne n'étant fondé, il y a lieu, en conséquence, de rejeter le présent recours dans son intégralité.

Sur les dépens

83 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La République fédérale d'Allemagne ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) La République fédérale d'Allemagne est condamnée aux dépens.