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Décisions

TPICE, 7e ch., 6 octobre 2009, n° T-24/06

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Medienanstalt Berlin-Brandenburg

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Deutscher Kabelverband eV

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Forwood

Juges :

MM. Šváby, Moavero Milanesi (rapporteur)

Avocats :

Mes Schütte, Immenkamp, Struckmann, Arhold, Wimmer

TPICE n° T-24/06

6 octobre 2009

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (septième chambre),

Faits à l'origine du litige

1 À la fin de l'année 1997, le Gouvernement allemand a décidé de favoriser la numérisation de la radiodiffusion. Le passage au numérique devait être totalement achevé en 2010. Les Länder de Berlin et de Brandebourg ont été les premiers Länder à adopter des mesures pour permettre le passage de la télévision analogique à la télévision numérique terrestre (ci-après la " TNT ").

2 Le 17 décembre 2001, la requérante, la Medienanstalt Berlin-Brandenburg (MABB), autorité chargée des médias dans la région de Berlin-Brandebourg, a décidé de soutenir financièrement le passage à la TNT. La MABB a ainsi conclu, uniquement avec les radiodiffuseurs privés, des contrats de subvention aux termes desquels, premièrement, elle attribuait à ces radiodiffuseurs, pour une durée de sept ans, un multiplex comprenant quatre emplacements de chaîne ; deuxièmement, les radiodiffuseurs s'engageaient à émettre par voie numérique terrestre leurs programmes de télévision pour une durée de cinq ans à partir du 1er mars 2003 ; troisièmement, la subvention octroyée par la MABB était destinée à couvrir les coûts de diffusion de la TNT, et son montant était d'environ un tiers de la somme que les radiodiffuseurs doivent verser aux opérateurs réseau.

3 La MABB a financé les aides à partir de son budget, lequel était principalement constitué par 2 % de la recette de la redevance télé qui échoit aux Länder de Berlin et de Brandebourg en vertu de l'article 40 du traité sur la radiodiffusion dans l'Allemagne réunifiée du 31 août 1991 (ci-après le " traité sur la radiodiffusion ") et de l'article 15 du traité relatif à la coopération des deux Länder précités dans le domaine de la radiodiffusion du 29 février 1992 (ci-après le " traité médias ").

4 La MABB a octroyé ladite subvention aux seuls radiodiffuseurs privés, les radiodiffuseurs publics étant en mesure de couvrir les dépenses liées à la transmission par la TNT au moyen des rentrées de la redevance télé qui leur échoient.

5 Par courrier du 14 juillet 2004, la Commission des Communautés européennes a fait connaître à la République fédérale d'Allemagne sa décision d'ouvrir une procédure formelle d'examen en raison des mesures en cause conformément à l'article 88, paragraphe 2, CE. Cette décision a été publiée au Journal officiel de l'Union européenne du 28 août 2004.

6 Par la décision 2006-513-CE, du 9 novembre 2005, concernant l'aide d'État mise à exécution par la République fédérale d'Allemagne en faveur de l'introduction de la TNT (DVB-T) dans la région de Berlin-Brandebourg (JO 2006, L 200, p.14, ci-après la " décision attaquée "), la Commission a décidé que cette aide octroyée par la République fédérale d'Allemagne aux radiodiffuseurs privés participant à la TNT dans la région de Berlin-Brandebourg n'était pas compatible avec le marché commun (article 1er de la décision attaquée).

7 La Commission a ordonné la récupération auprès des bénéficiaires de l'aide illégalement mise à leur disposition avec intérêts à compter de la date de versement des aides illégales jusqu'à la date de leur récupération (articles 2 et 3 de la décision attaquée).

Procédure et conclusions des parties

8 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 janvier 2006, la requérante a introduit le présent recours.

9 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 3 mars 2006, la Commission a demandé, sur le fondement de l'article 50, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la jonction de la présente affaire avec les affaires T-8-06, FAB/Commission, et T-21-06, Allemagne/Commission. La requérante n'a pas soulevé d'objections à l'encontre de cette demande.

10 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 mai 2006, Deutscher Kabelverband eV a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Par ordonnance du président de la quatrième chambre du Tribunal du 19 avril 2007, la demande en intervention a été admise. L'intervenante a déposé son mémoire en intervention le 6 juin 2007. La requérante a déposé ses observations dans le délai imparti. La Commission n'a pas présenté d'observations.

11 La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la septième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (septième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale.

12 Lors de l'audience, avant le début des plaidoiries, le Tribunal, avec l'accord de toutes les parties, a décidé de joindre la présente affaire avec les affaires FAB/Commission et Allemagne/Commission, précitées, aux seules fins de la procédure orale. Par la suite, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal.

13 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- annuler la décision attaquée ;

- condamner la Commission aux dépens.

14 La Commission, soutenue par l'intervenante, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours ;

- condamner la requérante aux dépens.

Sur la recevabilité

Arguments des parties

15 La Commission soutient que le recours est irrecevable. Elle estime que la requérante est, certes, en tant qu'organisme de droit public, dotée de la personnalité juridique et qu'elle a donc en principe qualité pour agir conformément à l'article 230, quatrième alinéa, CE, mais que, en l'espèce, elle n'est pas concernée individuellement et ne possède pas non plus un intérêt propre à l'annulation de la décision attaquée. Comme la décision attaquée a été adressée à la République fédérale d'Allemagne, la requérante ne serait concernée individuellement par cette décision que si les critères énoncés par la Cour dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25-62, Rec. p. 197) étaient remplis.

16 Or, selon la Commission, la requérante n'est pas bénéficiaire des aides litigieuses et ne représente pas non plus les intérêts des entreprises bénéficiaires. Elle ne pourrait être concernée individuellement que parce qu'elle a accordé les aides en question. Toutefois, ce critère à lui seul ne serait pas suffisant.

17 Pour la Commission, selon la jurisprudence, des collectivités territoriales qui souhaitent introduire un recours contre une de ses décisions peuvent être individuellement concernées. Le critère décisif à cet égard serait que les collectivités territoriales autonomes soient considérées comme possédant des droits et des intérêts spécifiques qu'elles seules peuvent sauvegarder. En ce qui concerne les autorités nationales, qui ne peuvent pas se prévaloir de l'autonomie des collectivités territoriales, la Commission soutient que la Cour a adopté une position nettement plus restrictive, notamment dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 10 juillet 1986, DEFI/Commission (282-85, Rec. p. 2469).

18 La Commission allègue que la jurisprudence relative aux collectivités territoriales autonomes n'est pas applicable à la requérante. En tant qu'autorité intégrée à l'organisation de l'État et à la puissance publique, la requérante ne possèderait pas de droits originels propres distincts de ceux de l'État, comme une collectivité territoriale autonome. Sa légitimité serait plutôt indirecte et passerait par les gouvernements des Länder de tutelle, dont elle dépend et qui lui ont attribué un certain nombre de missions, pour l'exécution desquelles elle disposerait de certains pouvoirs.

19 La Commission énonce que la requérante a été créée par le traité médias. L'organisation et les missions de la requérante seraient déterminées aux articles 7 à 18 de ce traité. Celui-ci lui accorderait une autonomie de gestion limitée, mais les missions qu'elle est appelée à remplir seraient clairement définies et délimitées. En particulier, elle n'aurait aucune influence sur les ressources qui sont mises à sa disposition et ne disposerait pratiquement pas de marge de manœuvre pour l'utilisation de son budget. De plus, son règlement financier et sa gestion budgétaire seraient soumis à la tutelle de l'État, ainsi qu'au contrôle du Rechnungshof (Cour des comptes allemande). Enfin, les membres de l'organe central de la requérante, le Medienrat (conseil des médias allemand), seraient nommés pour moitié par les parlements des Länder de Berlin et de Brandebourg.

20 Pour la Commission, la requérante ne peut agir que dans les limites qui lui ont été fixées par le traité médias. L'article 46, paragraphes 3 et 4, de ce traité habiliterait la requérante à prendre certaines dispositions pour l'attribution des fréquences numériques terrestres. À cet effet, elle pourrait conclure des contrats dans lesquels l'évolution de la technologie numérique et de l'offre globale est définie.

21 Il en résulte, pour la Commission, que les Länder de Berlin et de Brandebourg sont les seuls à fixer, dans le traité médias, les objectifs et les limites de la politique en matière de subventions. D'ailleurs, ce sont les Länder de Berlin et de Brandebourg qui auraient pris la décision de principe relative à la possibilité de subventionner le passage au numérique, lorsqu'ils ont modifié le traité médias.

22 C'est la raison pour laquelle, selon la Commission, les Länder de Berlin et de Brandebourg peuvent " probablement " bénéficier d'un droit de recours, en tant que collectivités territoriales autonomes, alors que la requérante, en revanche, ne possède, en tant qu'autorité d'exécution, aucun intérêt propre distinct de l'intérêt des Länder précités à l'exécution d'une politique de subvention déterminée.

23 La Commission estime qu'adopter une position contraire à celle qu'elle défend reviendrait à considérer que toute autorité qui dispose d'un pouvoir dans l'octroi d'une aide peut bénéficier d'un droit de recours autonome. Une telle conclusion serait toutefois contraire à l'essence même du contrôle des aides d'État, qui constitue une procédure entre la Commission et l'État membre concerné. D'ailleurs, la requérante n'aurait pas participé à la procédure formelle d'examen, contrairement au Gouvernement allemand.

24 La Commission considère que le droit de recours des personnes morales octroyant des aides doit rester limité, conformément à la jurisprudence actuelle, aux collectivités territoriales autonomes qui possèdent effectivement " des droits et des intérêts originels ". Le droit de recours ne devrait en aucun cas être étendu à des autorités intégrées à l'administration générale de l'État, qui ne disposent d'une certaine indépendance que pour la réalisation des missions qui leur ont été confiées. La requérante ne devrait donc pas être considérée comme individuellement concernée par la décision attaquée.

25 Par conséquent, la Commission estime que la requérante ne possède aucun intérêt juridique propre à l'annulation de la décision attaquée et que, partant, son recours est irrecevable.

26 La requérante réplique que la Commission considère à tort qu'elle est uniquement une " autorité d'exécution ", qui n'a pas d'intérêt propre à demander l'annulation de la décision attaquée et qu'elle méconnaît sa situation juridique et factuelle.

27 La requérante fait valoir qu'elle est individualisée de manière analogue à la République fédérale d'Allemagne en tant que destinataire de la décision attaquée. Premièrement, elle est nommément citée dans ladite décision, en tant qu'autorité ayant octroyé la prétendue aide. Deuxièmement, contrairement à ce qu'affirme la Commission, elle a bien participé à la procédure administrative. Troisièmement, elle a décidé elle-même d'accorder la subvention aux radiodiffuseurs privés. Quatrièmement, elle est organisée de manière indépendante par rapport à l'État fédéral et aux Länder de Berlin et de Brandebourg et à leurs gouvernements, de sorte que ni le Gouvernement allemand ni les gouvernements des Länder de Berlin ou de Brandebourg n'ont pu influencer, et n'ont pas influencé, de quelque manière que ce soit, sa décision. En raison de cette situation particulière, la requérante serait caractérisée par rapport à toutes les autres personnes et, partant, individuellement concernée par la décision attaquée.

28 La requérante fait valoir qu'elle ne s'est pas contentée de " transposer " la subvention adoptée par un gouvernement, ainsi que veut le laisser entendre la Commission. L'arrêt DEFI/Commission, précité, qui concernait une aide octroyée par une " autorité de paiement " du Gouvernement français qui était influencée et contrôlée par la République française, ne s'appliquerait pas à sa situation. Elle soutient que, contrairement au DEFI, elle n'est en aucune manière une " autorité de paiement du Gouvernement allemand ", chargée du versement des aides. Sa mission serait organisée de manière tout à fait différente. En outre, la subvention litigieuse accordée aux radiodiffuseurs privés résulterait d'une décision autonome de la requérante. Cette décision n'aurait pas été suscitée par l'État fédéral ni par les Länder de Berlin ou de Brandebourg, et elle n'aurait pas été légalement imposée, par l'intermédiaire du traité sur la radiodiffusion ou autrement.

29 La requérante rappelle que, en 2001, elle a mené des négociations au sujet de la TNT avec tous les radiodiffuseurs concernés, privés ou publics, dans la région de Berlin-Brandebourg et que ceux-ci ont déclaré que, en l'absence d'incitation financière, ils se retireraient totalement de la transmission par voie terrestre. C'est pourquoi, la requérante aurait décidé, sans être influencée d'une quelconque manière par les Länder ou par l'État fédéral, de soutenir un projet pilote de TNT dans la région de Berlin-Brandebourg, pour une période de cinq ans, avec une subvention destinée à couvrir les frais de transmission, en vue de garantir la participation des radiodiffuseurs privés à la transition à la TNT.

30 La requérante ajoute que le développement du concept de subvention, les négociations avec les diffuseurs, le statut de la TNT, la conclusion de la convention relative à la transition, ainsi que la conclusion des accords avec les radiodiffuseurs relevaient de sa seule compétence. Aucun gouvernement fédéral ou régional n'aurait été impliqué dans ce processus.

31 De l'avis de la requérante, l'affirmation de la Commission, selon laquelle la décision de la requérante relative à la subvention des diffuseurs privés n'a été possible que parce que le traité médias autorisait une telle subvention, serait " erronée et trompeuse ". La possibilité légale de subventionner les projets pour de nouvelles techniques de radiodiffusion ne prévoirait pas si et de quelle manière de nouvelles techniques sont subventionnées. La décision relative à la subvention du projet pilote de TNT dans la région de Berlin-Brandebourg et à sa configuration concrète aurait donc été adoptée de manière autonome par la requérante.

32 La requérante souligne que, contrairement à la subvention qui était en cause dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt DEFI/Commission, précité, la subvention qu'elle a octroyée ne provenait pas du budget de l'État, mais de la redevance radiotélévisée perçue auprès des utilisateurs, ce qui renforcerait davantage le caractère autonome de la décision de subvention.

33 En ce qui concerne son indépendance, la requérante indique que, selon le droit constitutionnel allemand, en sa qualité d'autorité de contrôle de la radiodiffusion privée, elle jouit d'une large autonomie. Cette autonomie se reflèterait dans le fait que le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne) a reconnu aux organismes des médias régionaux la possibilité d'être titulaires de droits fondamentaux, alors que, en principe, les entités et les institutions de droit public ne sont pas titulaires de droits fondamentaux. Cela démontrerait que la requérante n'est pas, contrairement à ce que soutient la Commission " une partie de l'État ", mais qu'elle est une institution indépendante, qui ne devrait pas être considérée comme une autorité intégrée dans la République fédérale d'Allemagne ou dans les Länder.

34 Contrairement à ce que soutient la Commission, cette circonstance serait déterminante pour la question de son intérêt propre et de sa qualité pour agir.

35 De plus, la requérante fait observer que les membres du Medienrat ne sont pas des représentants des Länder, ainsi que le soutient la Commission. Ils seraient au contraire choisis par les Parlements des Länder de Berlin et de Brandebourg, en raison de leur compétence particulière dans le domaine des médias et ne seraient en aucune façon les représentants des Länder.

36 En outre, la requérante soutient qu'elle dispose d'une importante marge de manœuvre dans l'utilisation de son budget. En vertu de l'article 40 du traité sur la radiodiffusion, ses ressources peuvent être utilisées pour soutenir les projets relatifs à de nouvelles techniques de transmission radiodiffusée. Il n'y aurait pas d'autres précisions légales quant aux modalités d'utilisation de ces moyens. Son indépendance serait également garantie par le fait que 2 % de la redevance radiotélévisée lui est forfaitairement octroyée pour assumer l'ensemble de ses missions. À cet égard, la requérante a précisé lors de l'audience que cette partie de la redevance qui lui était attribuée représentait 95 % de son budget. Ses ressources seraient donc totalement indépendantes des budgets des Länder et les gouvernements régionaux ne pourraient en conséquence avoir aucune influence concrète sur ses décisions individuelles par l'intermédiaire de l'attribution de moyens financiers.

37 S'agissant du contrôle exercé par le Rechnungshof en application de l'article 17 du traité médias, la requérante précise que ce contrôle se limite au respect des " principes d'économie et d'efficacité ". Les mêmes critères trouveraient à s'appliquer au contrôle des radiodiffuseurs publics, qui, tout comme la requérante, seraient financés par la redevance radiotélévisée et seraient organisés de manière autonome par rapport à l'État.

38 La requérante conteste l'affirmation de la Commission selon laquelle elle n'aurait pas participé à la procédure administrative, et souligne qu'elle a préparé l'essentiel des communications du Gouvernement allemand dans la procédure formelle d'examen, ce qui rendait inutile la production de son propre mémoire, après la publication de la décision d'ouverture de la procédure formelle d'examen au Journal officiel de l'Union européenne. Elle soutient avoir très activement participé à la procédure : elle aurait pris position, oralement et par écrit, sur les questions de fait et d'appréciation en droit de la subvention accordée à la TNT dans la région de Berlin-Brandebourg et elle aurait communiqué des informations à la demande de la Commission, ainsi qu'en attesterait une série de documents présentés par la requérante au cours de la procédure administrative. Par conséquent, la requérante serait individualisée par sa participation à la procédure devant la Commission.

39 La requérante allègue qu'elle a également un " intérêt juridique propre " à l'issue du recours. Elle aurait en effet conclu avec les radiodiffuseurs privés des conventions relatives à la subvention contre un engagement d'émettre. En raison de la décision attaquée, les aides octroyées sur la base des contrats conclus devraient être remboursées et ce remboursement devrait être demandé par elle. De plus, elle devrait adapter les contrats et les obligations d'émettre qui en découlent.

40 De plus, pour la requérante, son intérêt à agir ne disparaît pas du fait que le Gouvernement allemand a également introduit un recours contre la décision attaquée. D'une part, le droit de recours et le droit à une protection juridique d'une personne, non destinataire d'une décision, mais directement et individuellement concernée par celle-ci, ne dépendrait pas de la question de savoir si les destinataires de la décision ont introduit ou non un recours. D'autre part, les intérêts propres de la requérante ne seraient pas nécessairement garantis par le recours introduit par le Gouvernement allemand. Par conséquent, son recours serait recevable.

Appréciation du Tribunal

41 À titre liminaire, il convient de relever que, jouissant de la personnalité juridique, la requérante peut introduire un recours en annulation en vertu de l'article 230, quatrième alinéa, CE. Toutefois, la décision attaquée n'ayant pas été adressée à la requérante, mais à la République fédérale d'Allemagne, il y a lieu de vérifier si la requérante est concernée individuellement par ladite décision.

42 À cet égard, selon une jurisprudence constante, les sujets autres que les destinataires d'une décision ne sauraient prétendre être concernés individuellement au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d'une manière analogue à celle dont le destinataire le serait (arrêts de la Cour Plaumann/Commission, précité, Rec. p. 223, et du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission, 169-84, Rec. p. 391, point 22).

43 Par conséquent, il convient de vérifier si, en l'espèce, la requérante est atteinte par la décision attaquée en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou s'il existe une situation de fait qui la caractérise d'une manière spécifique, au regard de cette décision, par rapport à toute autre personne.

44 En premier lieu, la requérante allègue que, pour l'exercice de ses attributions, elle dispose d'une large autonomie et qu'elle n'est soumise à aucune influence, ni du Gouvernement allemand, ni des gouvernements des Länder de Berlin et de Brandebourg.

45 Il est constant que les attributions et les compétences de la MABB sont notamment définies par l'article 8 du traité médias. En particulier, la MABB est chargée du " soutien de projets d'infrastructure technique d'approvisionnement audiovisuel et de projets portant sur de nouvelles techniques de radiodiffusion " du " soutien au développement de la région de Berlin-Brandebourg en tant que pôle médiatique de dimension nationale et européenne ", et du " soutien de projets en matière de médias, lorsqu'ils présentent un intérêt public considérable ".

46 Dès lors, il y a lieu de relever que les attributions et les compétences de la MABB, telles qu'elles sont clairement définies et fixées par le traité médias qui l'a créée, lui sont confiées par les Länder concernés (voir, en ce sens, arrêt DEFI/Commission, précité, point 18).

47 En outre, la plupart de ces attributions et compétences peuvent être ramenées à une mission de soutien de l'audiovisuel, des nouvelles techniques de radiodiffusion et des médias. Or la notion de soutien implique notamment la possibilité d'octroyer des aides aux entreprises concernées.

48 Force est donc de constater que l'existence du régime d'aide en question ne dépend pas de la marge d'autonomie décisionnelle de la requérante (arrêts du Tribunal du 30 avril 1998, Vlaams Gewest/Commission, T-214-95, Rec. p. II-717, point 29, et du 15 décembre 1999, Freistaat Sachsen e.a./Commission, T-132-96 et T-143-96, Rec. p. II-3663, points 84 et 85). En effet, son autonomie concerne plutôt certaines modalités de mise en œuvre du régime d'aide, telles que, en particulier, l'identification des nouvelles technologies de radiodiffusion dont le développement doit être favorisé, les aspects opérationnels concrets de l'aide et de son octroi aux bénéficiaires choisis.

49 En deuxième lieu, en ce qui concerne les ressources financières, la MABB allègue que son indépendance serait garantie par le fait qu'une partie de la redevance radiotélévisée, représentant la quasi-totalité de son budget, lui est attribuée pour exercer ses attributions et ses compétences. Il ressort en effet de l'article 15 du traité médias que " la MABB tire son financement des recettes de redevances audiovisuelles ".

50 À cet égard, il y a lieu de considérer que lesdites ressources constituent des ressources d'État au sens de l'article 87 CE, dès lors que le montant de ladite redevance est fixé par les pouvoirs publics, que l'obligation de la payer incombe à tout particulier et découle de la simple détention d'un poste de télévision ou de radio et non d'un lien contractuel, et que ce sont les mêmes pouvoirs publics qui déterminent la part de la redevance à reverser à la MABB, pour lui permettre de s'acquitter de sa mission (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 22 octobre 2008, TV 2/Danmark e.a./Commission, T-309-04, T-317-04, T-329-04 et T-336-04, non encore publié au recueil, point 158). En outre, il résulte également de l'article 15, paragraphe 1, du traité médias, que " les fonds non utilisés sont redistribués, par décision du Medienrat, aux institutions de radiotélévision des deux Länder ".

51 Par conséquent, compte tenu de la nature étatique des ressources attribuées à la MABB et de l'obligation qui lui incombe de restituer les ressources non utilisées, il y a lieu de considérer que la requérante ne parvient pas à démontrer, par cet argument, son indépendance (voir, en ce sens, arrêts Vlaams Gewest/Commission, précité, point 30, et Freistaat Sachsen e.a./Commission, précité, point 91).

52 En troisième lieu, s'agissant du contrôle exercé sur la MABB et sur son activité par les pouvoirs publics allemands, premièrement, il ressort de l'article 17 du traité médias que " la Cour des Comptes de Berlin contrôle la gestion budgétaire et économique de la MABB, ainsi que ses comptes ". Deuxièmement, il ressort du même article que les principales conclusions du contrôle effectué par la Cour des Comptes sont transmises à la chambre des députés de Berlin. Troisièmement, il est constant que les membres du conseil des médias, organe décisionnel de la MABB, sont, en vertu de l'article 10 du traité médias, nommés pour trois d'entre eux par la chambre des députés de Berlin et pour les trois autres, par le Parlement du Land de Brandebourg. Le président du conseil qui est le septième membre est, en ce qui le concerne, nommé conjointement par les deux parlements. Quatrièmement, il résulte de l'article 18 du traité médias que la MABB est soumise à un contrôle juridique étatique, exercé alternativement par les Länder de Berlin et de Brandebourg.

53 Dans ces conditions, force est de constater que la MABB ne peut prétendre qu'elle met en œuvre des compétences autonomes comme une collectivité locale (voir, en ce sens, arrêts DEFI/Commission, précité, point 18 ; Vlaams Gewest/Commission, précité, points 29 et 30, et Freistaat Sachsen e.a./Commission, précité, points 84 à 91). Il en résulte qu'elle doit être considérée comme une autorité faisant partie intégrante de l'organisation des Länder concernés et donc, de celle de l'État au sens de l'article 87 CE.

54 En quatrième lieu, si la MABB allègue qu'elle bénéficie d'une indépendance dans l'exercice de ses attributions et de ses compétences, il importe de relever que l'article 7, paragraphe 1, du traité médias énonce expressément qu'elle ne dispose que d'une " autonomie de gestion ". C'est d'ailleurs à ce titre qu'elle fait l'objet, ainsi qu'il a été précédemment exposé au point 52 ci-dessus, d'un contrôle budgétaire et juridique étatique.

55 En cinquième lieu, même à supposer que la MABB ait des intérêts propres à défendre, en tant qu'autorité chargée de la mise en œuvre du régime d'aide, à savoir le versement des aides et, le cas échéant, leur récupération auprès des bénéficiaires, elle ne parvient pas à démontrer en quoi les intérêts qu'elle estime lui être propres, par rapport au régime d'aide, se distinguent de ceux de la République fédérale d'Allemagne et des Länder de Berlin et de Brandebourg (voir, en ce sens, arrêt DEFI/Commission, précité, point 18).

56 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que la MABB n'est pas individuellement concernée par la décision attaquée et que son recours doit, dès lors, être déclaré irrecevable.

Sur les dépens

57 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission et de l'intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté comme irrecevable.

2) La Medienanstalt Berlin-Brandenburg (MABB) est condamnée aux dépens.