CJCE, 1re ch., 6 octobre 2009, n° C-153/08
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
Royaume d'Espagne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Jann
Avocat général :
M. Mengozzi
Juges :
MM. Ileic, Tizzano, Levits, Kasel (rapporteur)
LA COUR (première chambre),
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en maintenant en vigueur une législation fiscale imposant les gains tirés d'une participation à tous les types de loteries, de jeux et de paris organisés en dehors du Royaume d'Espagne, alors que les gains provenant de certains types de loteries, de jeux et de paris organisés dans cet État membre sont exonérés de l'impôt sur le revenu, le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire et, en particulier, des articles 49 CE et 36 de l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l'"accord EEE").
Le cadre juridique
Le traité CE et l'accord EEE
2 Aux termes de l'article 49, premier alinéa, CE:
"Dans le cadre des dispositions visées ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation."
3 L'article 36, paragraphe 1, de l'accord EEE dispose:
"Dans le cadre du présent accord, toute restriction à la libre prestation des services à l'intérieur du territoire des parties contractantes à l'égard des ressortissants des États membres de la CE et des États de l'AELE [Association européenne de libre-échange] établis dans un État membre de la CE ou dans un État de l'AELE, autre que celui du destinataire de la prestation, est interdite."
La réglementation nationale
4 L'article 7 de la loi 35-2006, du 28 novembre 2006, relative à l'impôt sur le revenu des personnes physiques et modifiant partiellement les lois relatives aux impôts sur les sociétés, sur le revenu des non-résidents et sur le patrimoine (BOE n° 285, du 29 novembre 2006, p. 41734, ci-après la "loi relative à l'impôt sur le revenu"), qui prévoit que certains revenus sont exonérés de l'impôt sur le revenu, dispose:
"Les revenus suivants sont exonérés:
[...]
ñ) Les gains issus des loteries et des paris organisés par l'organisme public 'Loterías y Apuestas del Estado' [organisme public national des loteries et des paris] et par les organes ou les entités des communautés autonomes, ainsi que les gains des tombolas organisées par la Croix-Rouge espagnole et des types de jeux autorisés à l'Organización Nacional de Ciegos Españoles [organisation nationale des aveugles espagnols].
[...]"
5 En application d'autres dispositions de la loi relative à l'impôt sur le revenu, notamment des articles 33.1, 45 et 63, paragraphe 1, de celle-ci, les gains provenant de loteries, de jeux et de paris organisés par d'autres organismes nationaux ou étrangers, y compris ceux établis dans d'autres États membres de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen, s'ajoutent à la base imposable et sont soumis au taux d'imposition progressif de l'impôt sur le revenu.
La procédure précontentieuse
6 Par lettre de mise en demeure du 4 avril 2006, la Commission a informé le Royaume d'Espagne qu'elle considérait le traitement fiscal réservé par la réglementation espagnole aux gains provenant de loteries, de jeux et de paris organisés en dehors de cet État membre comme étant incompatible avec les articles 49 CE et 36 de l'accord EEE, dans la mesure où ces gains sont soumis à l'impôt sur le revenu alors que les gains provenant de certaines loteries et de certains jeux espagnols en sont exonérés et a invité ledit État à lui transmettre ses observations à ce sujet.
7 Dans sa réponse, le Royaume d'Espagne a fait valoir que l'exonération en cause ne s'applique que dans certains cas et est liée au caractère particulier des entités organisatrices. Il n'existerait aucune discrimination, puisque les organisateurs de loteries établis en Espagne se trouvent, de manière générale, dans la même situation que ceux qui ne sont pas établis dans cet État membre. À titre de justification de l'exonération en cause, le Royaume d'Espagne a avancé la lutte contre les effets nocifs de ce type d'activités et la large marge d'appréciation dont les États membres disposent pour réglementer ce type de jeux.
8 Le 15 décembre 2006, la Commission a émis un avis motivé par lequel elle invitait le Royaume d'Espagne à adopter les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis dans les deux mois à compter de la réception de ce dernier.
9 Par lettre du 22 février 2007, le gouvernement espagnol a informé la Commission qu'il maintenait sa position. La loi relative à l'impôt sur le revenu ne contiendrait aucune discrimination fondée sur la nationalité, la résidence ou le lieu d'établissement des organisateurs de loteries ou de jeux de hasard et serait justifiée par des motifs de protection des consommateurs et de l'ordre social.
10 La Commission, non satisfaite de la réponse du Royaume d'Espagne, a décidé d'introduire le présent recours.
Sur le recours
Argumentation des parties
11 La Commission fait valoir que, eu égard à la jurisprudence de la Cour en matière de libre prestation des services et, notamment, l'arrêt du 13 novembre 2003, Lindman (C-42-02, Rec. p. I-13519), la loi relative à l'impôt sur le revenu est discriminatoire, car elle a pour effet de rendre plus difficile la prestation de services entre le Royaume d'Espagne et les autres États membres que celle purement interne à l'Espagne, et est susceptible de dissuader les personnes qui résident en Espagne de participer à des loteries dont les organisateurs sont établis dans d'autres États membres de l'Union ou de l'Espace économique européen. Par conséquent, cette législation serait contraire aux articles 49 CE et 36 de l'accord EEE.
12 Certes, l'exonération en cause en l'espèce ne couvrirait pas tous les organisateurs de loteries et de jeux de hasard établis en Espagne et se limiterait à certaines entités déterminées. Toutefois, il n'en demeurerait pas moins que cette exonération, dès lors qu'elle ne profite qu'à des entités établies dans cet État membre, revêtirait un caractère discriminatoire.
13 La marge d'appréciation dont disposent les États membres pour réguler ce type d'activités ne permettrait pas de justifier l'exonération prévue par la loi relative à l'impôt sur le revenu. En effet, cette dernière, au lieu d'exiger certaines caractéristiques pour accorder le traitement fiscal favorable, limiterait cette exonération à certaines entités désignées de manière précise, alors même qu'elle permettrait la prestation de services similaire de la part d'autres entités qui ne bénéficient pas de ce traitement fiscal favorable, parmi lesquelles figurent les entités du même type se trouvant dans des États membres autres que le Royaume d'Espagne ou les entités poursuivant les mêmes objectifs que ceux poursuivis par les entités espagnoles visées par ladite loi.
14 Par ailleurs, il ressortirait du point 25 de l'arrêt Lindman, précité, que les raisons justificatives susceptibles d'être invoquées par un État membre doivent être accompagnées d'une analyse de l'opportunité et de la proportionnalité de la mesure restrictive adoptée par cet État. Or, en l'espèce, le Royaume d'Espagne n'aurait fourni aucune information susceptible de justifier l'exonération litigieuse.
15 La Commission relève encore que le recours à une mesure d'exonération fiscale n'est pas le moyen le mieux adapté pour atteindre l'objectif poursuivi par le Royaume d'Espagne, qui serait de décourager les jeux de hasard, ladite exonération étant plutôt de nature à encourager la participation des citoyens à ces jeux.
16 S'agissant des objectifs de prévention de blanchiment de capitaux et de lutte contre la fraude fiscale, la Commission affirme ne pas comprendre comment l'exonération fiscale en cause en l'espèce pourrait contribuer, ainsi que le prétend le Royaume d'Espagne, à la réalisation desdits objectifs. La Commission considère au contraire que la lutte contre ces pratiques pourrait, le cas échéant, justifier la suppression de l'exonération en cause, mais en aucun cas son maintien. Elle ajoute que les mesures de prévention contre le blanchiment de capitaux garantissent déjà un niveau de protection significatif qui rend inutiles des mesures du type de celle en cause en l'espèce.
17 En ce qui concerne la nécessité de garantir la protection des consommateurs conformément aux règles fixées en Espagne, la Commission est d'avis qu'il ne saurait être valablement affirmé que cette protection est menacée du fait que les loteries en question sont organisées par des entités établies dans d'autres États membres. En effet, outre le fait que les activités en question sont déjà réglementées dans chaque État membre, il existerait des mécanismes de contrôle susceptibles de garantir cette protection et compatibles avec le droit communautaire.
18 En tout état de cause, la loi relative à l'impôt sur le revenu aurait un caractère discriminatoire et les justifications avancées ne sauraient donc être retenues.
19 Le Royaume d'Espagne conteste le manquement en soutenant, à titre principal, que l'exonération fiscale en cause en l'espèce ne constitue pas une restriction discriminatoire. Cette exonération, dont le champ d'application serait personnel en ce qu'il est limité à certains établissements publics de l'État ou des communautés autonomes, à la Croix-Rouge espagnole et à l'organisation nationale des aveugles espagnols, générerait certes une différence de traitement à l'égard des organismes et entités qui ne sont pas visés par elle. Toutefois, cette différence de traitement ne serait ni discriminatoire ni contraire au principe d'égalité de traitement, puisque les entités non visées par ladite exonération ne seraient pas dans la même situation que celles relevant de son champ d'application.
20 Le Royaume d'Espagne précise que le champ d'application de l'exonération en cause ne s'étend pas à l'ensemble des loteries, des jeux de hasard et des paris organisés en Espagne ou par des entités résidentes en Espagne. Ainsi, sous réserve de cette exonération, les gains distribués dans le cadre de jeux organisés par des résidents sont soumis aux mêmes impositions que ceux distribués dans le cadre de jeux organisés par des non-résidents. Par conséquent, il ne saurait être conclu que ladite exonération produit ou est susceptible de produire une discrimination à l'encontre des organisateurs de loteries non établis en Espagne. Il n'y aurait aucune discrimination à l'encontre des entités non résidentes présentant des caractéristiques analogues à celles qui sont énumérées dans la loi relative à l'impôt sur le revenu, étant donné que cette dernière ne définit pas le champ d'application de l'exonération en cause en fonction de certaines caractéristiques déterminées et ne se réfère ni à la nationalité ni au lieu d'établissement des entités concernées.
21 Contrairement à ce que soutient la Commission, la jurisprudence issue de l'arrêt Lindman, précité, ne serait pas transposable en l'espèce, puisque, à la différence de la législation finlandaise en cause dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la loi relative à l'impôt sur le revenu soumettrait, en principe, à l'impôt sur le revenu les gains provenant de loteries, de jeux de hasard et de paris quels que soient le lieu où ceux-ci sont organisés et le lieu de résidence de leur organisateur.
22 À titre subsidiaire, le Royaume d'Espagne fait valoir que, à supposer même que l'exonération litigieuse constituerait une restriction à la libre prestation des services, cette restriction est, eu égard à la spécificité des activités en question, justifiée par des motifs d'ordre social, par des raisons de prévention du blanchiment de capitaux et de lutte contre la fraude fiscale ainsi que par des objectifs de protection des consommateurs.
23 S'agissant, en premier lieu, de l'ordre social, le Royaume d'Espagne considère que dans la mesure où la réglementation en cause en l'espèce est analogue à celles dont la Cour avait à connaître dans le cadre des affaires ayant donné lieu aux arrêts du 24 mars 1994, Schindler (C-275-92, Rec. p. I-1039); du 21 septembre 1999, Läärä e.a. (C-124-97, Rec. p. I-6067), ainsi que du 21 octobre 1999, Zenatti (C-67-98, Rec. p. I-7289), le raisonnement adopté par la Cour dans ces arrêts est transposable en l'espèce.
24 Il ressortirait en particulier de ces arrêts que les États membres disposent d'un large pouvoir d'appréciation en matière de loteries et d'autres jeux de hasard en vue de protéger les consommateurs et l'ordre social.
25 Or, ce serait précisément dans cette perspective que l'exonération litigieuse aurait été adoptée, à savoir, d'une part, décourager le jeu en général en établissant le principe de l'imposition de ce type de revenus et, d'autre part, accorder un traitement préférentiel aux gains provenant de loteries et de jeux organisés par des établissements publics en raison du financement des infrastructures à des fins d'utilité publique.
26 En ce qui concerne, en deuxième lieu, la prévention du blanchiment de capitaux et la lutte contre la fraude fiscale, le Royaume d'Espagne fait valoir que la réalisation de ces objectifs serait sérieusement compromise si l'exonération litigieuse devait s'appliquer aux gains provenant de jeux organisés par certains organismes publics ou d'assistance non soumis à la législation espagnole puisque l'administration fiscale n'aurait pas la possibilité de contrôler ces revenus de manière analogue à ce qu'elle fait actuellement.
27 Pour ce qui est, en troisième lieu, de la protection des consommateurs, le Royaume d'Espagne rappelle que, en Espagne, l'organisation de loteries, de jeux de hasard et de paris est une activité soumise à une réglementation qui vise à protéger les droits et les intérêts des joueurs en assurant une application ininterrompue de la réglementation en vigueur. L'extension de l'exonération en cause à des entités non soumises à la réglementation gouvernant l'organisation desdits jeux aurait pour effet de réduire le niveau de protection des consommateurs. Ladite exonération serait, dès lors, justifiée par la nécessité de garantir une protection des consommateurs que les autorités espagnoles jugent adaptée, motif qui aurait été amplement reconnu par la Cour dans sa jurisprudence.
Appréciation de la Cour
Sur l'existence d'une inégalité de traitement fondée sur la nationalité
28 À titre liminaire, il convient de rappeler que, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit communautaire (arrêts du 11 août 1995, Wielockx, C-80-94, Rec. p. I-2493, point 16; du 16 juillet 1998, ICI, C-264-96, Rec. p. I-4695, point 19; du 29 avril 1999, Royal Bank of Scotland, C-311-97, Rec. p. I-2651, point 19; du 6 juin 2000, Verkooijen, C-35-98, Rec. p. I-4071, point 32, et Lindman, précité, point 18).
29 S'agissant des dispositions du traité relatives à la libre prestation des services, elles s'appliquent, ainsi que la Cour l'a déjà jugé au sujet de l'organisation de loteries, à une activité qui consiste à permettre aux utilisateurs de participer, contre rémunération, à un jeu d'argent (voir arrêt Lindman, précité, point 19). Par ailleurs, la libre prestation des services bénéficie tant au prestataire qu'au destinataire de services (voir arrêt du 8 septembre 2009, Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, C-42-07, non encore publié au Recueil, point 51).
30 La Cour a, en outre, itérativement jugé que s'il est légitime pour un État membre de réserver l'octroi d'avantages fiscaux aux organismes poursuivant certains de ses objectifs d'intérêt général, un État membre ne saurait toutefois réserver le bénéfice de tels avantages aux seuls organismes établis sur son territoire et dont les activités sont donc susceptibles de le décharger de certaines de ses responsabilités (voir, notamment, arrêt du 27 janvier 2009, Persche, C-318-07, non encore publié au Recueil, point 44).
31 En particulier, lorsqu'un organisme reconnu d'intérêt général dans un État membre remplit les conditions imposées à cette fin par la législation d'un autre État membre et a comme objectif la promotion d'intérêts de la collectivité identiques, de sorte qu'il serait susceptible d'être reconnu d'intérêt général dans ce dernier État membre, les autorités de cet État membre ne sauraient refuser à cet organisme le droit à l'égalité de traitement pour la seule raison qu'il n'est pas établi sur le territoire dudit État membre (voir, en ce sens, arrêts du 14 septembre 2006, Centro di Musicologia Walter Stauffer, C-386-04, Rec. p. I-8203, point 40; du 11 septembre 2007, Schwarz et Gootjes-Schwarz, C-76-05, Rec. p. I-6849, point 81, ainsi que Persche, précité, point 49).
32 La Cour en a conclu qu'un organisme établi dans un État membre et qui remplit les conditions imposées à cette fin par un autre État membre pour l'octroi d'avantages fiscaux se trouve, à l'égard de l'octroi par ce dernier État membre d'avantages fiscaux visant à encourager les activités d'intérêt général concernées, dans une situation comparable à celle des organismes reconnus d'intérêt général qui sont établis dans ce dernier État membre (arrêt Persche, précité, point 50).
33 Or, ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 66 de ses conclusions, force est de constater que les organismes publics et les entités exerçant des activités à caractère social ou d'assistance à but non lucratif établis dans des États membres autres que le Royaume d'Espagne et poursuivant les mêmes objectifs que ceux poursuivis par les organismes et entités énumérés à l'article 7, sous ñ), de la loi relative à l'impôt sur le revenu se trouvent dans une situation comparable à celle de ces derniers.
34 Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que l'exonération fiscale prévue à l'article 7, sous ñ), de la loi relative à l'impôt sur le revenu, dès lors qu'elle a pour effet de traiter de manière plus favorable les gains distribués par les organismes et entités énumérés à ladite disposition, constitue une restriction discriminatoire à la libre prestation des services au détriment des organismes publics et des entités exerçant des activités à caractère social ou d'assistance à but non lucratif établis dans un État membre autre que le Royaume d'Espagne et poursuivant les mêmes objectifs que les organismes et entités énumérés à cette disposition.
35 Cette conclusion ne s'applique toutefois qu'aux organismes et aux entités comparables à ceux visés à ladite disposition et ne saurait valoir, contrairement à ce que soutient la Commission, pour tous les organisateurs de loteries, de jeux et de paris établis dans un État membre autre que le Royaume d'Espagne. En effet, ces organisateurs ne sont pas tous dans une situation comparable aux organismes et aux entités énumérés à l'article 7, sous ñ), de la loi relative à l'impôt sur le revenu. Il s'ensuit que le recours de la Commission doit être rejeté pour ce qui est de sa partie visant les organisateurs de loteries et de paris établis dans un État membre autre que le Royaume d'Espagne et qui ne sont pas objectivement comparables à ceux énumérés à ladite disposition.
Sur la justification de la discrimination
36 D'emblée, il convient de rappeler que si la jurisprudence de la Cour a certes identifié un certain nombre de raisons impérieuses d'intérêt général, telles que les objectifs de protection des consommateurs, de prévention de la fraude et de l'incitation des citoyens à une dépense excessive liée au jeu ainsi que de prévention de troubles à l'ordre social en général (voir, notamment, arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité, point 56), susceptibles d'être invoquées pour justifier une restriction à la libre prestation des services, il n'en demeure pas moins que ces objectifs ne sauraient être invoqués pour justifier des restrictions appliquées de manière discriminatoire (voir, en ce sens, arrêts du 30 novembre 1995, Gebhard, C-55-94, Rec. p. I-4165, point 37; du 6 novembre 2003, Gambelli e.a., C-243-01, Rec. p. I-13031, point 65; du 6 mars 2007, Placanica e.a., C-338-04, C-359-04 et C-360-04, Rec. p. I-1891, point 49, ainsi que Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité, point 60).
37 Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que dans la mesure où une restriction, telle que celle en l'espèce, a un caractère discriminatoire, elle n'est compatible avec le droit communautaire que si elle relève d'une disposition dérogatoire expresse, tel l'article 46 CE, auquel l'article 55 CE renvoie, à savoir l'ordre public, la sécurité publique et la santé publique (arrêt du 16 janvier 2003, Commission/Italie, C-388-01, Rec. p. I-721, point 19).
38 Par conséquent, la restriction en cause en l'espèce ne saurait être justifiée qu'à condition que les objectifs poursuivis par le législateur espagnol relèvent des motifs d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique au sens de l'article 46, paragraphe 1, CE et qu'elle soit conforme au principe de proportionnalité. À cet égard, il convient d'ajouter qu'une législation nationale n'est propre à garantir la réalisation de l'objectif invoqué que si elle répond véritablement au souci de l'atteindre d'une manière cohérente et systématique (arrêt 10 mars 2009, Hartlauer, C-169-07, non encore publié au Recueil, point 55, ainsi que Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité, point 61).
39 S'agissant, en premier lieu, de l'objectif de prévention de blanchiment de capitaux et de lutte contre la fraude fiscale, il n'est pas nécessaire de déterminer si cet objectif est susceptible de relever de la notion d'ordre public. Il suffit de constater à ce titre que, ainsi qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour, les autorités d'un État membre ne sauraient valablement présumer, de manière générale et sans distinction, que les organismes et entités établis dans un autre État membre se livrent à des activités criminelles. De surcroît, le fait d'exclure de manière générale du bénéfice d'une exonération fiscale ces organismes et ces entités apparaît comme disproportionné, car allant au-delà de ce qui est nécessaire pour combattre la criminalité. En effet, plusieurs moyens existent pour contrôler les activités et les comptes de ceux-ci (voir, en ce sens, arrêts précités Gambelli e.a., point 74, ainsi que Centro di Musicologia Walter Stauffer, point 61).
40 En ce qui concerne, en deuxième lieu, la lutte contre l'addiction au jeu, il convient de relever que s'il ne saurait être exclu que cet objectif puisse être considéré comme relevant de la notion de protection de la santé publique, force est en l'espèce de constater, d'abord, que le Royaume d'Espagne n'a apporté aucun élément de nature à établir que, en Espagne, cette maladie soit à tel point développée dans la population qu'elle puisse être considérée comme constituant un risque pour la santé publique.
41 Ensuite, ainsi que M. l'avocat général l'a précisé au point 85 de ses conclusions, l'exonération des gains est susceptible d'encourager les consommateurs à participer aux loteries, aux jeux de hasard et aux paris pouvant en bénéficier et n'est donc pas propre à garantir de manière cohérente la réalisation de l'objectif prétendument poursuivi.
42 Enfin, dans la mesure où l'exonération litigieuse ne tient pas compte de la typologie des différents jeux, le Royaume d'Espagne ne saurait faire valablement valoir que ladite exonération a pour objectif de canaliser l'envie de jouer des joueurs vers certains jeux dont les modalités de déroulement ont un potentiel d'addiction réduit.
43 S'agissant, en troisième lieu, de l'argument du Royaume d'Espagne selon lequel les revenus perçus par les organismes et les entités dont les jeux bénéficient de l'exonération en question contribueraient à financer des infrastructures et des projets d'utilité publique, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà jugé que bien qu'il ne soit pas indifférent que les loteries et autres jeux d'argent puissent participer, de manière significative, au financement d'activités sans but lucratif ou d'intérêt général, un tel motif ne peut, en lui-même, être regardé comme une justification objective de restrictions à la libre prestation de services (voir, notamment, arrêts précités Schindler, point 60, et Zenatti, point 36). Il ressort par ailleurs de la jurisprudence de la Cour que les motifs économiques ne font pas partie non plus des motifs de l'article 46 CE qui pourraient justifier une restriction de la libre prestation de services garantie par le traité (voir, notamment, arrêts précités Commission/Italie, points 19 et 22, ainsi que Gambelli e.a., point 61).
44 S'agissant, en quatrième lieu, de la protection de l'ordre social ainsi que de la protection des consommateurs, il importe de préciser que, contrairement à ce que fait valoir le Royaume d'Espagne, le raisonnement suivi par la Cour dans ses arrêts précités Schindler, Läärä e.a. ainsi que Zenatti en ce qui concerne ces justifications ne saurait trouver à s'appliquer en l'espèce.
45 En effet, à la différence des restrictions en cause dans les affaires ayant donné lieu auxdits arrêts, la restriction en cause en l'espèce n'est pas indistinctement applicable, mais revêt un caractère discriminatoire. Elle ne saurait, en conséquence, être justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général, telles que la protection de l'ordre social ou la protection des consommateurs.
46 Il convient d'ajouter que, ainsi que M. l'avocat général l'a relevé notamment aux points 93 et 104 de ses conclusions, l'exonération litigieuse ne permet en tout état de cause pas d'atteindre, d'une part, l'objectif de protection de l'ordre social puisqu'elle encourage la participation aux loteries et aux paris au lieu de la décourager et, d'autre part, l'objectif de protection des consommateurs puisqu'il n'existe aucun lien direct entre ladite exonération et les mesures administratives visant à protéger les intérêts des consommateurs.
47 Il s'ensuit que la discrimination en cause en l'espèce n'est pas justifiée au sens de l'article 46, paragraphe 1, CE.
48 Dans la mesure où les stipulations de l'article 36 de l'accord EEE revêtent la même portée juridique que celle des dispositions, identiques en substance, de l'article 49 CE, les considérations qui précèdent sont transposables mutatis mutandis audit article.
49 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en maintenant en vigueur une législation fiscale qui exonère les gains tirés d'une participation à des loteries, à des jeux et à des paris organisés au Royaume d'Espagne par certains organismes publics et entités établis dans cet État membre et exerçant des activités à caractère social ou d'assistance à but non lucratif, sans que cette même exonération soit accordée aux gains provenant de loteries, de jeux et de paris organisés par les organismes et les entités établis dans un autre État membre de l'Union ou de l'Espace économique européen et exerçant des activités de même type, le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 CE et 36 de l'accord EEE.
Sur les dépens
50 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l'article 69, paragraphe 3, premier alinéa, du même règlement, la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. La Commission et le Royaume d'Espagne ayant partiellement succombé en leurs moyens, il convient de décider que chaque partie supporte ses propres dépens.
Par ces motifs, LA COUR (première chambre) déclare et arrête:
1) En maintenant en vigueur une législation fiscale qui exonère les gains tirés d'une participation à des loteries, à des jeux et à des paris organisés au Royaume d'Espagne par certains organismes publics et entités établis dans cet État membre et exerçant des activités à caractère social ou d'assistance à but non lucratif, sans que cette même exonération soit accordée aux gains provenant de loteries, de jeux et de paris organisés par les organismes et les entités établis dans un autre État membre de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen et exerçant des activités de même type, le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 CE et 36 de l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) La Commission des Communautés européennes et le Royaume d'Espagne supportent leurs propres dépens.