Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 6 octobre 2009, n° ECEC0926331X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Canal 9 (SAS)

Défendeur :

Les Indépendants (GIE), Président de l'Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fossier

Conseillers :

M. Roche, Mme Jourdier

Avoués :

SCP Bolling-Durand-Lallement, SCP Grappotte-Benetreau, SCP Pelit-Jumel

Avocats :

Mes Chappuis, Pradelles, Legrix de la Salle

CA Paris n° ECEC0926331X

6 octobre 2009

La loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de la communication fixe les règles générales d'attribution des fréquences de radiodiffusion et en a confié l'exécution au Conseil supérieur de l'audiovisuel (ci-après le CSA). L'article 29, alinéa 2, de cette loi prévoit que le CSA publie les appels à candidatures "pour les zones géographiques et les catégories de services qu'il a préalablement déterminées".

Sur le fondement de ce texte, le CSA a, par un communiqué n° 34 du 29 août 1989, adopté un système de classification des radios privées en cinq catégories en fonction de leur aire de diffusion, de leur mode de financement et de la nature du programme diffusé:

- catégorie A : des radios associatives de proximité ou communautaires, éligibles au fonds de soutien à l'expression radiophonique, dont les ressources publicitaires sont inférieures à 20% de leur chiffre d'affaires;

- catégorie B : des stations locales, indépendantes des réseaux nationaux, dont la zone de desserte ne couvre pas une population de plus de 6 millions d'habitants, sauf pour les services de cette catégorie autorisés à Paris Ile-de-France. Ces radios commerciales participent à l'animation de leur zone économique et contribuent également à l'expression locale;

- catégorie C : des stations locales ou régionales affiliées ou abonnées à des réseaux thématiques à vocation nationale et dont la zone de desserte couvre une population de plus de 6 millions d'habitants. Elles se caractérisent pas la diffusion quotidienne d'un programme d'intérêt local et, en complément, d'un programme identifié fourni par un réseau thématique à vocation nationale;

- catégorie D : des réseaux thématiques à vocation nationale, c'est-à-dire des radios ayant pour vocation la diffusion d'un service thématique (musical, économique, culturel ...) sur le territoire national;

- catégorie E : les trois radios généralistes de droit privé à vocation nationale (Europe 1, RTL et RMC Info) dont les programmes font une large part à l'information et se caractérisent par une grande diversité de genres et de contenus.

Ces catégories de radios n'ont pas un accès identique aux différents types de publicités. On distingue, en effet, trois formes de publicités susceptibles d'être diffusées par des services de radiodiffusion: la publicité locale, la publicité extra-locale et la publicité nationale. La publicité locale, seule forme de publicité encadrée par la réglementation en matière radiophonique, en l'occurrence par le décret n° 94-972 du 9 novembre 1994 relatif à l'accès à la publicité locale des services de radiodiffusion sonore autorisés, se définit comme celle qui est diffusée sur une zone dont la population est inférieure à 6 millions d'habitants et qui comporte l'indication, par l'annonceur, d'une adresse ou d'une identification locale explicite. Selon ce décret, seuls les services radiophoniques des catégories A, B et C peuvent diffuser de la publicité locale, à l'exclusion des radios de catégories D et E. A contrario, la publicité extra-locale, au sens du décret précité, soit celle qui ne comporte pas l'indication par l'annonceur d'une adresse ou identification locale explicite et a vocation à être diffusée sur une ou plusieurs zones limitées généralement constituées par plusieurs villes ou une ou plusieurs régions, est accessible à toutes les catégories de radios, seule la publicité locale étant réservée aux services locaux ou régionaux. A l'instar de la publicité extra-locale, la publicité nationale ne comporte l'indication par l'annonceur d'aucune adresse ou identification locale explicite. En revanche, la publicité nationale a vocation à être simultanément diffusée sur l'ensemble du territoire national, sans limitation géographique. En l'absence de réglementation restreignant l'accès à cette forme de publicité, celle-ci n'est théoriquement fermée à aucune catégorie de radios mais, en pratique, seules sont susceptibles de diffuser de la publicité nationale les radios pouvant garantir la simultanéité de la diffusion d'un message publicitaire à l'échelle nationale, principalement celles des catégories E et D. Les radios des catégories A et B, quant à elles, doivent se regrouper pour unifier leurs espaces publicitaires et être ainsi en mesure d'offrir aux annonceurs une diffusion simultanée à l'échelle nationale de leurs publicités sur l'ensemble des stations concernées.

La société Canal 9 exploite une radio locale dénommée "Chante-France", qui diffuse en Ile-de-France et appartient à la catégorie B des services de radio. Son chiffre d'affaires a varié entre 59 000 et 138 000 euro entre 2000 et 2005, et son résultat a été constamment déficitaire pendant la même période. Selon la société Médiamétrie, son audience cumulée a varié entre 1.1 et 2.4 pour cent, toujours entre 2000 et 2005.

L'autorisation d'émission en cours de validité résulte d'une décision n° 2006-181 du Conseil supérieur de l'audiovisuel, en date du 31 janvier 2006, valable cinq années.

Pour pouvoir participer au marché de la publicité nationale, elle a souhaité, en mai 2000, adhérer au GIE "Les Indépendants", qui regroupe 112 radios locales ou régionales (89 à l'époque de la décision litigieuse), détenant 480 fréquences sur l'ensemble de la France. Selon la société Médiamétrie, la part d'audience cumulée des adhérents a varié de 9.2 à 14.6 pour cent des auditeurs, entre novembre 2000 et octobre 2006 (comp. NRJ : 11.9 p. 100 ; RTL : 12.2 p. 100).

Canal 9 a adressé sa candidature en la forme requise au GIE le 6 novembre 2002.

Le GIE n'a pas fait connaître à Canal 9 Si elle remplissait les conditions statutaires d'adhésion, déterminées (par renvoi) par un règlement intérieur qui cherche à préserver les équilibres régionaux et l'indépendance des adhérents (art. 6, 10 à 12 du règlement intérieur du groupement "Toute radio qui souhaite intégrer le GIE et le produit "Les Indépendants" devra remplir cumulativement les conditions d'éligibilité suivantes :

- Conservation des équilibres régionaux du produit national "Les Indépendants" : avoir une audience suffisante qui, ajoutée à celle des radios déjà commercialisées par le GIE diffusant dans la même région INSEE à la date de la candidature, n'entraîne pas une surreprésentation de l'audience cumulée de la région considérée dans l'audience totale des Indépendants, le rapport entre l'audience cumulée de la région considérée et l'audience totale des Indépendants ne devant pas être supérieur de plus de 5 points au rapport entre la population de cette région et la population de la France métropolitaine. Dans le cas où l'entrée d'une radio candidate au produit national conduit à un tel dépassement, la radio candidate est inscrite sur une liste d'attente si elle remplit les autres conditions d'éligibilité. L'instruction de sa candidature est reprise lorsque son entrée ne conduit plus à un tel dépassement". - En outre, le règlement intérieur du GIE (article 12.3), exige de la part de la radio candidate de n'avoir "aucun lien de dépendance, de droit ou de fait, ni aucune relation d'affiliation directe ou indirecte avec une personne ou un groupe exploitant ou participant de manière directe ou indirecte à l'exploitation d'un réseau de diffusion à caractère national tel que défini par l'article 41-3 40 b) de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relatif à la liberté de communication (c'est-à-dire tout réseau qui dessert une zone dont la population recensée est supérieure à 30 millions d'habitants)" et s'oppose à ce qu'un réseau national, tel que défini ci-avant, entre dans le GIE).

Canal 9 a saisi le Conseil de la concurrence le 19 décembre 2003.

Ayant reçu le 16 avril 2004 un rejet de sa candidature de la part du GIE, essentiellement motivé par la prise de contrôle de la requérante par le groupe Orbus (concurrent du GIE, classé en catégorie D, et par ailleurs actionnaire majoritaire de l'exploitant de la station Skyrock), Canal 9 a complété sa saisine du Conseil par mémoire du 9 juin 2004.

Il a été procédé à une évaluation préliminaire des préoccupations de concurrence, par le rapporteur général du Conseil, dont le rapport a été clos le 2 mai 2006. Cette évaluation préliminaire, faite selon les prescriptions du décret du 27 décembre 2005 pris pour l'application de l'article 10 de l'ordonnance du 4 novembre 2004, a conduit à identifier des préoccupations de concurrence concernant certaines dispositions statutaires du GIE ainsi que leur mise en œuvre. Il ressortait de cette évaluation que les conditions d'adhésion, de maintien et de sortie du GIE n'étaient pas définies de manière claire, objective et transparente et qu'elles pouvaient se prêter à une application discriminatoire lors de l'admission ou du rejet de certaines radios, alors qu'il n'existait pas, pour une radio locale indépendante souhaitant accéder au marché de la publicité nationale, de solution alternative à l'adhésion au GIE. Par ailleurs, des pénalités élevées étaient encourues en cas de démission, pouvant avoir pour effet de verrouiller le marché.

Le Conseil en a déduit (voir notamment paragraphes 44, 46, 49, 50, 52 de sa décision) que les conditions d'adhésion et de maintien dans le GIE seraient susceptibles, au terme d'une instruction approfondie, d'être qualifiées d'entente ou d'abus de position dominante, dans la mesure où elles auraient pour objet ou pour effet d'empêcher l'accès de certaines radios locales au marché de la publicité nationale, dans des conditions pouvant être qualifiées de discriminatoires.

Le GIE, bien que n'ayant pas admis le caractère anticoncurrentiel des pratiques relevées, a proposé au Conseil de la concurrence des engagements qui ont subi, après examen - qualifié par Canal 9 de "négociations" - un certain nombre d'aménagements. Le GIE s'est ainsi engagé à modifier son contrat constitutif, son règlement intérieur et la notice d'information définissant les conditions d'adhésion et la procédure d'admission, de manière à garantir un examen objectif, transparent et non discriminatoire des candidatures d'adhésion au groupement.

Par une décision n° 06-D-29 du 6 octobre 2006, le Conseil a, sur le fondement de l'article L. 464-2, I du Code de commerce, accepté les engagements présentés par le GIE Les Indépendants, leur a donné force obligatoire et a mis fin à la procédure au visa de l'article L. 464-2 du Code de commerce (version applicable à la cause).

Sur le recours de Canal 9, et par arrêt du 6 novembre 2007, la Cour d'appel de Paris (1° ch. H) a déclaré la société Canal 9 recevable en son recours, a confirmé la régularité de la procédure d'acceptation d'engagements, régie par l'article L. 464-2 du Code de commerce (version applicable à la cause), en estimant notamment que l'évaluation préliminaire ne constitue pas un acte d'accusation au sens de l'article 6-1 de la convention ESDH, en sorte que la confusion prétendue entre la fonction d'instruction et la fonction de jugement, et la partialité prétendue du juge, ne sont pas des arguments recevables ou opérants en la cause. La cour a en outre rejeté le moyen tiré de l'inégalité des années entre le requérant Canal 9 et le GIE mis en cause, invoquée à propos des "négociations" bilatérales qui se seraient déroulées entre l'enquête et la décision du Conseil. Elle a encore énoncé que le défaut de communication du rapport administratif de l'enquête et d'un avis, obligatoire en pareille matière, du Conseil supérieur de l'audiovisuel ne constituait pas une violation du principe contradictoire. Enfin, elle a, quant au fond (c'est-à-dire sur le point de savoir si les engagements répondaient aux préoccupations de concurrence relativement à la préservation des équilibres géographiques et quant à l'indépendance des adhérents), rejeté le recours.

La SAS Canal 9 s'est pourvue en cassation, en articulant quatre moyens en huit branches:

- sur le principe d'impartialité: alors que la procédure d'engagement ayant pour objet de mettre fin à des pratiques anticoncurrentielles révélées par l'évaluation préliminaire au moyen de l'acceptation par le Conseil d'engagements dont l'inexécution est sanctionnée pécuniairement relève de ce fait de la matière pénale au sens de l'article 6 § 1 CEDH imposant une séparation des fonctions d'instruction et de jugement dont la méconnaissance peut être invoquée par la partie saisissante ; en décidant le contraire, tout en constatant que le Conseil avait pris une part active aux débats sur les engagements du GIE avant de rendre sa sentence, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 précité;

- sur le principe contradictoire: dans sa décision déférée à la cour d'appel, le Conseil a expressément visé l'avis du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA) en date du 15 juillet 2004; d'où il suit qu'en énonçant que la décision déférée ne faisait pas référence à cet avis et qu'il ne résultait pas qu'il ait été soumis au Conseil, la cour d'appel a dénaturé la décision du Conseil et a violé l'article 4 du Code de procédure civile;

- sur le principe contradictoire en toute hypothèse, l'instruction et la procédure devant le Conseil sont pleinement contradictoires et il appartient au Conseil de veiller au respect de la contradiction ; même à supposer que l'enquête administrative effectuée avant la notification des griefs et l'avis du CSA du 15 juillet 2004 n'aient pas été soumis au Conseil, la société Canal 9 devait être mise en mesure d'en prendre connaissance, ces pièces participant de l'instruction ; ayant, constaté qu'elles n'avaient pas été mises au contradictoire, la cour d'appel n'a pas tiré pas les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 463-1 du Code de commerce et 16 du Code de procédure civile ;

- sur le principe contradictoire : l'instruction et la procédure devant le Conseil sont pleinement contradictoires et il appartient au Conseil de veiller au respect de la contradiction ; en déboutant, au surplus, la société Canal 9 de son moyen tiré de la violation du contradictoire par le Conseil pour cette raison que la faculté de prendre connaissance des pièces de la procédure lui avait été offerte devant la cour et qu'elle ne saurait se plaindre d'une atteinte qu'elle avait contribué à entretenir quand la société Canal 9 se prévalait d'une violation du contradictoire devant le Conseil et que la cour constatait que les pièces litigieuses n'avaient pas été mises au contradictoire des parties, ce qui résultait de la réponse du responsable du bureau de la procédure au Conseil, la cour d'appel a statué à l'aide de motifs inopérants et a privé son arrêt de toute base légale au regard des articles L. 463-1 du Code de commerce et 16 du Code de procédure civile;

- au fond : alors que sont prohibées les pratiques ayant pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ; en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était invitée, si la préservation des équilibres régionaux du produit "Les Indépendants" invoquée, pour justifier l'édiction d'un critère d'audience de nature à interdire, même temporairement, l'adhésion au GIE et faire ainsi obstacle à l'accès des radios locales au marché de la publicité nationale, n'était pas inexistante, de sorte que le critère n'avait aucune justification légitime, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce.

- au fond : sont prohibées les pratiques ayant pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises; la clause du règlement intérieur du GIE prévoyait une condition d'indépendance de la radio candidate à l'adhésion au GIE par rapport à l'exploitation d'un réseau de diffusion à caractère national ; en rejetant le moyen tiré de l'imprécision du critère après avoir pourtant retenu que "la dépendance peut résulter d'une multitude de situations juridiques ou de fait, qui ne se prêtent pas à une définition préalable plus détaillée ", la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 420-2 du Code de commerce;

- au fond : dans ses conclusions d'appel (p. 101), la société Canal 9 faisait valoir que l'objection tirée de la création de liens structurels ou de solidarité économique avec un concurrent par l'effet de l'adhésion de Chante France au GIE Les Independants n'était pas décisive puisque le GIE avait confié la commercialisation de son produit à la régie de l'un de ses concurrents directs sur le marché de la publicité nationale; en ne répondant pas à ce moyen de nature à établir que le critère était injustifié, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile;

- au fond toujours dans ses conclusions d'appel (p. 102 et s.), la société Canal 9 faisait valoir que l'adhésion de Chante France au GIE Les Indépendants ne pouvait avoir pour effet d'entraîner la communication à des tiers d'informations de nature à préjudicier au GIE et susceptibles de faire l'objet d'une exploitation par Skyrock ; en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel a derechef violé l'article 455 du Code de procédure civile.

Par arrêt en date du 4 novembre 2008, la cour de cassation (chambre CFE) a jugé:

- Sur l'impartialité (rejet du pourvoi)

L'évaluation préliminaire à laquelle procède le rapporteur, qui n'a pas pour objet de prouver la réalité et l'imputabilité d'infractions au droit de la concurrence en vue de les sanctionner, mais d'identifier des préoccupations de concurrence, susceptibles de constituer une pratique prohibée, afin qu'il y soit, le cas échéant, remédié, cette évaluation ne constitue pas un acte d'accusation au sens de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, et le fait pour le Conseil, d'avoir, avant d'apprécier la pertinence des engagements pris parle GIE et de leur donner force exécutoire, pris une part active aux discussions ayant eu lieu après l'évaluation préliminaire dans les conditions de l'article R. 464-2 du Code de commerce (version applicable à la cause), tient au caractère négocié de cette phase de la procédure et ne caractérise pas une immixtion du Conseil dans l'instruction de l'affaire ; que le moyen n'est pas fondé;

- Sur le contradictoire (cassation)

Lorsque la procédure d'engagements est mise en œuvre, les parties à la procédure doivent, sous réserve des dispositions de l'article L. 463-4 du Code de commerce, avoir accès à l'intégralité des documents sur lesquels s'est fondé le rapporteur pour établir l'évaluation préliminaire et à l'intégralité de ceux soumis au Conseil pour statuer sur les engagements ; il appartient à la cour d'appel, saisie par une partie d'une demande tendant à l'annulation de la décision du Conseil faute pour elle d'avoir eu accès à l'intégralité du dossier, de vérifier, au besoin d'office, si le défaut de communication de certaines pièces a porté atteinte à ses intérêts;

Or, (pour rejeter le recours de Canal 9, la cour d'appel a énoncé que cette société) n'a pas donné suite à la faculté qui lui avait été offerte par la cour d'appel d'en obtenir communication, cette société ne saurait dès lors se plaindre d'une atteinte qu'elle a elle- même contribué à entretenir;

En se déterminant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale;

Casse et annule, en ses dispositions autres que celles relatives au principe d'impartialité, l'arrêt rendu le 6 novembre 2007, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.

Au vu de cet arrêt la société Canal 9 poursuit à nouveau devant la cour d'appel l'annulation de la décision du Conseil et le renvoi devant l'Autorité de la concurrence pour reprise de l'instruction.

Sur quoi

LA COUR,

Vu la décision du Conseil de la Concurrence, n° 06-d-29 du 6 octobre 2006;

Vu l'arrêt rendu par la Cour de céans le 6 novembre 2007 (RG 06-18379);

Vu l'arrêt de la Cour de cassation (chambre CFE) en date du 4 novembre 2008 (pourvoi 07-21.275);

Vu les observations de l'Autorité de la concurrence, légalement substituée au Conseil de la concurrence, en date du 5 mai 2009;

Vu le mémoire en réplique et récapitulatif de la société par actions simplifiée Canal 9 en date du 10 juin 2009, par lequel cette société considère comme jugés ses arguments relatifs à la distinction des fonctions d'instruction et des fonctions de jugement, ainsi que son argumentation relative à l'impartialité du juge ; mais affirme cependant que la procédure est entachée de violation du principe contradictoire et du principe de l'égalité des armes; et suggère donc l'annulation de la décision critiquée et le renvoi de l'affaire devant l'Autorité de la concurrence, outre le paiement de quinze mille euro pour frais;

Vu les conclusions du groupement d'intérêt économique Les Indépendants, incorporant un mémoire en réplique et récapitulatif, en date du 12 juin 2009, par lequel ce GIE affirme que la non-communication du rapport d'enquête et de l'avis du CSA n'a pas violé le principe contradictoire; subsidiairement d'en ordonner la communication, sous réserve du secret des affaires ; en tout cas, de condamner Canal 9 à payer 40 000 euro pour frais irrépétibles de procédure;

Vu les conclusions de Monsieur le Procureur Général en date du 22 juin 2009;

Considérant que la Cour de cassation a cassé et annulé, en ses dispositions autres que celles relatives au principe d'impartialité, l'arrêt rendu le 6 novembre 2007, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris;

Que pour aboutir à cette conclusion, la haute juridiction a:

- dit que l'évaluation des préoccupations de concurrence ne constitue pas un acte d'accusation au sens de l'article 6 paragraphe I de la Convention ESDH,

- dit que lorsque la procédure d'engagements est mise en œuvre, les parties doivent avoir accès à l'intégralité des documents sur lesquels s'est fondé le rapporteur et de ceux soumis au Conseil pour statuer sur les engagements,

en sorte que le moyen, surexposé, relatif à l'impartialité a été rejeté, tandis que les moyens articulés sur le principe de la contradiction ont été admis pour manque de base légale;

Que la haute juridiction impose ainsi de statuer à nouveau sauf sur le principe d'impartialité, donc d'abord sur les chefs du recours contre la décision du 6 octobre 2006 qui pourraient encore conduire à son annulation sans préalable - à savoir la violation du principe de l'égalité des armes - ; puis à statuer sur les conditions d'exercice de la prérogative confiée à la cour de renvoi (vérifier la portée du défaut de communication de deux pièces) avant que celle-ci puisse s'engager dans l'annulation pour manquement au principe contradictoire;

- Sur le principe d'égalité des armes

Considérant que Canal 9 affirme que la cassation inclut ce moyen, que la cour d'appel en 2007 avait rejeté à tort; qu'elle avance (p. 29) que les engagements résultent de négociations en amont, entre le rapporteur, le collège et le GIE ; qu'auteur de la saisine, Canal 9 ne peut être traitée comme un "tiers intéressé" et doit bénéficier des prérogatives de la partie poursuivie et non pas seulement des prérogatives partielles (observations écrites, droit de recours) qui lui sont proposées;

Considérant que le GIE Les Indépendants (§ 80 à 88) avance que concrètement, l'auteur de la saisine et le mis en cause sont traités de la même manière par l'Autorité;

Considérant que le principe de l'égalité des armes vise à ne pas mettre une partie dans une position - organique ou fonctionnelle - substantiellement désavantageuse par rapport à ses adversaires ou concurrents, et inversement tend à garantir pour chacun une possibilité raisonnable de présenter sa cause; qu'il est un aspect essentiel du droit au procès équitable, mais ne se confond pas avec les droits de la défense, qui n'en sont qu'un aspect strictement juridictionnel, et moins encore avec le principe contradictoire, qui est un moyen - premier mais non exclusif - de la garantie des droits de la défense et sur lequel il sera revenu plus loin ;

Que ce principe d'égalité des armes n'implique cependant pas que les prérogatives processuelles ou plus généralement la part prise par chaque intéressé à un processus décisionnel de droit privé soient rigoureusement identiques pour tous, d'autant qu'il s' analyse, selon la jurisprudence la plus habituelle des juridictions nationales et de la CEDH aussi bien de manière concrète, en fonction des circonstances de la cause, des moyens culturels ou matériels des personnes concernées, et de la réalité factuelle de l'espèce, qu'au regard des textes nationaux qui détaillent le principe;

Considérant qu'en l'occurrence, et s'agissant d'abord des textes applicables à la phase intermédiaire entre le rapport de l'enquête et la décision de l'Autorité, que critique la requérante, l'article R. 464-2 du Code de commerce (sur ce point non modifié par Ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 - art. 4), dispose en son troisième alinéa:

"A réception des engagements proposés par les entreprises ou organismes concernés à l'issue du délai mentionné au deuxième alinéa, le rapporteur général communique leur contenu à l'auteur ou aux auteurs de la saisine ainsi qu'au commissaire du Gouvernement. Il publie également, par tout moyen, un résumé de l'affaire et des engagements pour permettre aux tiers intéressés de présenter leurs observations. Il fixe un délai, qui ne peut être inférieur à un mois à compter de la date de communication ou de publication du contenu des engagements, pour la production des observations des parties, du commissaire du Gouvernement et, le cas échéant, des tiers intéressés. Ces observations sont versées au dossier. Les parties et le commissaire du Gouvernement sont convoqués à la séance par l'envoi d'une lettre du rapporteur général accompagnée de la proposition d'engagements trois semaines au moins avant le jour de la séance. Ils peuvent présenter des observations orales lors de la séance";

Que ces prévisions s'inscrivent dans le cadre bien déterminé d'une procédure souple et rapide qui vise, non point à emporter l'adhésion du plaignant dont les demandes pourraient excéder ce qui est strictement nécessaire au règlement des préoccupations de concurrence, mais uniquement à apporter une réponse satisfaisante de l'autorité publique à ces dernières ; qu'il s'agit donc d'un outil de pure régulation et non d'une procédure de sanction;

Qu'à ce sujet, il importe d'indiquer que si le plaignant n'entend pas que l'Autorité s'arrête à la procédure d'engagements, il conserve la possibilité de fournir à l'Autorité la preuve ou à tout le moins des présomptions d'abus de position dominante ou d'entente, ou encore de saisir la juridiction judiciaire de premier degré sur le fondement du Titre IV du Livre IV du Code de commerce;

Que ces prescriptions réglementaires nationales sont directement inspirées du règlement du 16 décembre 2002, numéroté 1-2003, selon lequel (art. 28, parag. 4), "lorsque la Commission envisage d'adopter une décision en application de l'article 9 ou 10, elle publie un résumé succinct de l'affaire et le principal contenu des engagements ou de l'orientation proposée. Les, tierces parties intéressées peuvent présenter leurs observations dans un délai qui est fixé par la Commission dans sa publication et qui ne peut pas être inférieur à un mois. La publication tient compte de l'intérêt légitime des entreprises à la protection de leurs secrets d'affaires" ; qu'il résulte clairement de ces énoncés que la Commission elle-même ne s'estime pas tenue, au rebours de ce qu'avance Canal 9 dans son argumentation, d'organiser des séances de travail ou de négociation rigoureusement égalitaires entre plaignant et mise en cause, avant de prendre sa décision;

Qu'il faut encore énoncer, pour faire la différence entre la procédure d'engagements et celle des sanctions, que dans ces dernières, les entreprises acquièrent la qualité de partie après la notification des griefs (document de synthèse comprenant analyse du marché, investigations effectuées, description des pratiques incriminées et énoncé des griefs) par le rapporteur général ; que la notification des griefs, assimilable à un acte d'accusation, ouvre la phase contradictoire de la procédure ; que cet acte est notifié aux personnes mises en cause, à la partie saisissante et au commissaire du Gouvernement; que l'esprit des textes est bien de donner au principe d'égalité des armes un autre relief que dans la procédure d'engagements;

Considérant ensuite, et s'agissant du déroulement concret de la procédure qu'ont connue Canal 9 et le GIE, qu'il résulte du dossier, notamment de la décision (joints 57 à 59 et 61 à 64), que le Conseil a examiné, au cours de sa séance du 12 septembre 2006, les propositions d'engagements formulées par le GIE, le 6 juin 2006, après qu'il eût pris connaissance, le 20 avril 2006, de l'évaluation du rapporteur;

Que ces propositions ont été modifiées au cours de la séance au vu des observations versées au dossier lors de la consultation des tiers intéressés et de la société Canal 9, et de l'avis formulé par le commissaire du Gouvernement;

Que la version définitive des engagements ainsi remaniés a été transmise au Conseil le 15 septembre suivant, que la société Canal 9 les a discutés le 20 septembre (p. 29 du mémoire en réplique), et que ces engagements ont finalement été intégrés dans la décision du 6 octobre 2006;

Que ce rappel révèle que le Conseil de la concurrence, respectant les dispositions de l'article R. 464-2 du Code de commerce, ce qui n'est pas contesté, a provoqué un débat entre les parties sur les engagements proposés et les observations qu'ils ont suscitées de la part de la partie saisissante, des tiers intéressés et du commissaire du Gouvernement puis, à l'issue de ces échanges, a pris acte des nouveaux engagements souscrits par l'entreprise concernée, propres selon lui à remédier aux préoccupations de concurrence précédemment identifiées;

Qu'ainsi, et contrairement à ce qui est soutenu, la société Canal 9 n'a pas été mise dans une position substantiellement désavantageuse, cette entreprise ayant reçu communication de l'évaluation en même temps que l'entreprise concernée et dans les mêmes conditions que le GIE, et ayant été mise en mesure de faire valoir ses contestations, par écrit, dès que les engagements ont été présentés, puis oralement, lors de la séance au cours de laquelle ces derniers ont été examinés par le Conseil de la concurrence, enfin de nouveau par écrit avant qu'ils ne soient définitivement retenus par le Conseil ;

Considérant que du tout, il s'évince que le principe de l'égalité des armes a été respecté, notamment dans la phase que critique Canal 9, et que son moyen doit être rejeté, comme il l'avait été dans l'arrêt du 6 novembre 2007;

2° Sur le principe contradictoire

Considérant que Canal 9 (conclusions du 10 juin 2009, p. 20) expose que le rapporteur général lui a donné la possibilité de consulter seulement les observations du commissaire du Gouvernement et des tiers intéressés sur les engagements du GIR et a "bloqué" l'accès à toutes les autres pièces, notamment le rapport administratif d'enquête et l'avis du CSA ; que ces deux documents ont servi pour caractériser l'opacité des conditions d'adhésion, de maintien ou de sortie du GIE et pour soupçonner celui-ci d'en avoir fait une application discriminatoire en faveur de certaines radios ; que dès lors, la consultation de ces pièces par Canal 9 lui aurait été utile, pour vérifier si le rapporteur avait bien pris la mesure des pratiques du GIE, et pour contester au besoin la pertinence des engagements pris par ce dernier; que Canal 9 précise aussi (p. 21) que le secret des affaires est inopérant; qu'elle estime finalement (p. 23) que le "grief" est indifférent, la violation du contradictoire suffisant à l'annulation (en ce sens, Paris 1° H 26 nov. 2008, Pfizer, Sanofi, GSK; chron. Bosco ContConcConso janv. 09, n° 15 ; avis Y. Bot, CJCE, aff. C 89-08-P, à par.) ; mais qu'il existe en tout état de cause (p. 26);

Considérant que le GIE Les indépendants (§ 30-35 de ses conclusions du 10 juin 2009) observe que la cassation est intervenue pour manque de base légale, donc pour une simple insuffisance de motifs ; qu'il faut se reporter simplement à l'arrêt du TPICE du 13 mars 2000 (n° T-25-95, point 156 ; résultat d'espèce différent) et à l'arrêt parisien du 4 février 2009 "Apple" selon lesquels (§ 43-44 des conclusions) il faut pour annuler rapporter la preuve d'une atteinte aux droits de la défense et (§ 51 à 60 des conclusions) la preuve que la décision eût été différente si la pièce litigieuse avait été produite;

Considérant que, sur les conséquences à tirer d'un très éventuel manquement au contradictoire, le GIE (§ 40 à 65) estime qu'il suffit à la cour de faire produire le document litigieux, ce à quoi l'Autorité ne s'oppose pas, sous réserve d'appliquer la procédure de secret des affaires;

Considérant que lorsque la procédure d'engagements est mise en œuvre, les parties à la procédure doivent, sous réserve des dispositions de l'article L. 463-4 du Code de commerce, avoir accès à l'intégralité des documents sur lesquels s'est fondé le rapporteur pour établir l'évaluation préliminaire et à l'intégralité de ceux soumis au Conseil pour statuer sur les engagements;

Que, sur l'examen prétendument nécessaire d'un grief, la cour ne peut s'arrêter à la faculté qui aurait été offerte au requérant par les juges ou par l'Autorité d'en obtenir communication, et en déduire que ce requérant ne saurait dès lors se plaindre d'une atteinte qu'il a lui-même contribué à entretenir;

Qu'il appartient au contraire à la cour d'appel, saisie par une partie d'une demande tendant à l'annulation de la décision du Conseil faute pour elle d'avoir eu accès à l'intégralité du dossier, de vérifier, au besoin d'office, si le défaut de communication de certaines pièces a concerné également la partie mise en cause et porté concrètement atteinte au principe de la contradiction;

Que cette vérification impose la production des pièces litigieuses;

Considérant dès lors qu'avant dire droit au fond, l'Autorité sera priée de vouloir bien verser aux débats, selon les règles qui sont applicables à la communication des documents de l'Autorité, le rapport d'enquête et l'avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel, et de préciser si ces documents avaient été fournis ou pas au GIE Les Indépendants;

Qu'un calendrier de procédure sera déterminé à cet effet, dans les termes du dispositif ci-après;

Par ces motifs, Rejette le recours en annulation en ce qu'il est fondé sur la violation du principe d'égalité des armes; Avant dire droit pour le surplus, Prie et au besoin requiert l'Autorité de la concurrence de communiquer à la SAS Canal 9 et au GIE Les Indépendants, le rapport d'enquête et l'avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel, et de préciser si ces pièces avaient été communiquées à l'un ou à l'autre des deux adversaires, antérieurement à la décision du 6 octobre 2006; Dit que cette production interviendra avant le premier vendredi de décembre 2009; que la SAS Canal 9 et le GIE Les Indépendants devront avoir conclu avant le 29 janvier 2010; que l'Autorité de la concurrence et le Procureur Général devront fournir leurs observations avant le 26 février 2010; que des répliques seront acceptées jusqu'au 26 mars 2010; qu'une réunion de procédure aura lieu le 2 avril 2010 (salle n° 2, Chambre de la régulation, 5°-7) ; que l'audience se déroulera le 13 avril 2010 à 9 heures (salle 2, escalier Z); Réserve tous autres moyens et les dépens.