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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 8 septembre 2005, n° 04-01257

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Penny Market (SA)

Défendeur :

Ferme de la Gontière (SA), Conserveries de Wervicq Sud (SA), Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Geerssen

Conseillers :

M. Rossi, Mme Wittrant

Avoués :

SCP Levasseur-Castille, SCP Deleforge Franchi

Avocats :

Mes Platel, Lequai

T. com. Lille, du 27 janv. 2004

27 janvier 2004

Vu le jugement contradictoire prononcé le 27 janvier 2004 par le Tribunal de commerce de Lille qui a dit recevable l'intervention volontaire de M. le ministre de l'Economie, condamné la SA Penny Market à payer à titre de dommages et intérêts la somme de 20 000 euro à la SA Ferme de la Gontière et celle de 50 000 euro à la société Conserveries de Wervicq Sud, ainsi qu'à chacune de ces sociétés la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et condamné la société Penny Market à payer une amende civile de 20 000 euro;

Vu l'appel formé le 20 février 2004 par la SA Penny Market;

Vu les conclusions déposées pour cette société le 5 novembre 2004;

Vu les conclusions déposées le 12 novembre 2004 pour la SA Ferme de la Gontière - Champignonnière de Wervicq Sud (ci-après la société Ferme de la Gontière) et pour la SA Conserveries de Wervicq (ci-après la conserverie);

Vu les conclusions déposées le 12 novembre 2004 pour le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (ci-après l'Administration);

Vu l'ordonnance de clôture du 12 novembre 2004;

Attendu que la société Penny Market demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, de débouter la société Conserveries de Wervicq de ses demandes ou, à titre subsidiaire, de limiter la réparation du préjudice au manque à gagner au titre de l'année 2001 et de réduire le montant de l'amende civile, de débouter la société Ferme de la Gontière de sa demande en paiement de dommages et intérêts et de rejeter celle de l'Administration, de rejeter la demande de publication, et de condamner solidairement les parties adverses à lui payer la somme de 5 000 euro au titre de ses frais irrépétibles

Attendu que les sociétés Conserveries de Wervicq et Ferme de la Gontière concluent à la confirmation du jugement sauf en ce qui concerne le quantum des dommages et intérêts alloués, sollicitant la cour de les porter aux sommes de 114 210,38 euro pour la première et de 95 521,77 euro pour la seconde, et demandent que soit ordonnée la publication de l'arrêt aux frais de la société adverse et que celle-ci soit condamnée à leur payer la somme de 2 500 euro chacune au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Attendu que le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie demande à la cour de porter le montant de l'amende civile à la somme de 50 000 euro:

1°) Sur les relations entre la société Penny Market et la conserverie:

Attendu que la société Penny Market reproche aux premiers juges d'avoir fait application à son encontre des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, en soutenant que l'on ne peut lui reprocher d'avoir brutalement rompu ses relations avec la société Conserveries de Wervicq puisque les contrats, à durée déterminée d'un an, n'étaient pas renouvelables par tacite reconduction et qu'en outre cette dernière a été informée de son " déréférencement " à compter du 31 décembre 2001 par télécopie du 30 novembre 2001, tandis qu'elle a pris le risque d'une cessation des relations en connaissance de cause, refusant par ailleurs d'adapter ses conditions tarifaires ; qu'elle souligne les possibilités de conservation du produit fourni et le fait qu'elle a écoulé le stock restant de son cocontractant après la rupture des relations, en ajoutant que ce dernier n'était pas irréprochable ; qu'elle nie l'existence d'un abus lors de cette rupture;

Qu'elle conteste la réalité du préjudice invoqué par la conserverie et le montant de l'amende civile;

Attendu que les sociétés Conserveries de Wervicq et Penny Market étaient en relations commerciales depuis janvier 1998, la première assurant la fourniture de champignons surgelés de deuxième choix en conditionnements de 1 kilogramme et sous la marque Val de Lys, la seconde s'étant engagée par des contrats de coopération commerciale ; que les contrats de référencement étaient conclus pour une durée d'un an, correspondant à une année civile ; que le volume hebdomadaire des ventes était de l'ordre d'une tonne;

Que la société Penny Market a transmis à la conserverie une télécopie datée du 30 novembre 2001, intitulée " déréférencement produit " et ainsi libellée " nous avons le regret de vous informer que nous ne serez plus référencé chez Penny Market pour le produit suivant : champignons Paris 1 kg, date d'effet 31 décembre 2001";

Attendu qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout commerçant, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale;

Qu'en l'espèce les parties étaient liées par des relations commerciales datant de quatre années, régulières, les volumes des ventes annuelles oscillant entre 53 200 et 67 680 kilogrammes ; que ces relations, consolidées par des accords de coopération commerciale, étaient suffisamment établies pour que leur rupture brutale relève des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, même si elles avaient été formalisées par des contrats annuels ;

Que s'il est soutenu par la société Penny Market que le dirigeant de la conserverie avait été informé dès le 20 mars 2001 de la cessation des commandes en fin d'année, pour des raisons de prix, cette allégation n'est pas étayée par des pièces vérifiables et sa preuve n'est pas rapportée alors qu'elle est contestée ; qu'il apparaît donc que le préavis n'a été que d'un mois;

Que la lettre de rupture ne comporte aucun motif, tandis que les éléments évoqués par le distributeur ne correspondent pas à une inexécution justifiant une résiliation du contrat ou une rupture des relations économiques, eu égard à leur gravité;

Que le délai de préavis accordé apparaît insuffisant, compte tenu de la durée de ces relations, du système de distribution en cause et de la nature des produits ; qu'en effet, il n'est pas contesté qu'il s'agissait de champignons de deuxième choix, ne pouvant être commercialisés que dans des circuits particuliers, vendus, par ailleurs, dans des conditionnements adaptés au type de distribution pratiquée par la société Penny Market et non utilisables auprès de n'importe quel autre client, alors que la date de la notification de la rupture rendait impossible toute négociation avec un autre distributeur du même secteur économique (le " hard discount ") ; qu'il importait que soit laissé à la conserverie le temps nécessaire pour rechercher d'autres débouchés pour des volumes comparables;

Que la rupture a donc été pertinemment qualifiée de brutale par les premiers juges ; que ceux-ci ont justement fixé à quatre mois le préavis raisonnable en l'espèce, en l'absence d'usages reconnus par des accords professionnels;

Attendu, en ce qui concerne le préjudice, que la conserverie soutient qu'elle a subi un manque à gagner de 85 210,38 euro correspondant au chiffre d'affaires de l'année 2001, ainsi que la perte des emballages pour la valeur de 4 810 euro, celle des marchandises en stock, pour un coût de 5 890 euro, et ajoute qu'elle doit être indemnisée des amortissements sur les investissements du centre d'activité des surgelés évalués à 18 300 euro;

Attendu que la société Conserveries de Wervicq affirme elle-même que la plus-value sur les champignons de deuxième choix est limitée ; qu'elle ne produit pas les éléments comptables permettant d'évaluer la rentabilité de cette activité ; qu'elle ne peut être indemnisée du chiffre d'affaires correspondant à une année de relations commerciales ;

Attendu, en ce qui concerne les emballages, au sujet desquels la société adverse développe longuement des arguments précis au soutien de sa critique du jugement et des prétentions de la conserverie, qu'il convient de rappeler que le délai de préavis raisonnable a été fixé à quatre mois et n'est pas contesté par cette dernière ; que le prix d'un carton d'emballage, pesant 40 kilogrammes et permettant de traiter 3 000 emballages d'un kilogramme, était de l'ordre de 141,50 euro ; que la preuve n'est pas rapportée de l'impossibilité de réutiliser les emballages fournis, ni de leur comptabilisation en pertes;

Attendu, quant aux marchandises en stock, que les pièces produites par la société Conserveries de Wervicq confirment la pertinence de ses estimations;

Attendu, par contre, que les documents concernant les amortissements ne permettent pas de retenir les affirmations de cette société, compte tenu du détail des investissements effectués depuis le début des relations commerciales rompues ;

Attendu que le jugement sera réformé quant au quantum du préjudice qui ne peut être fixé qu'à la somme de 20 000 euro;

Attendu que le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie demande que l'amende prononcée par les premiers juges soit portée à la somme de 50 000 euro, en faisant valoir que celle-ci doit être suffisamment dissuasive, tandis que la société Penny Market réplique que l'Administration a été défaillante dans ses investigations;

Attendu que le ministre chargé de l'Economie peut demander à la juridiction saisie sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce de prononcer une amende civile dont le montant ne peut excéder 2 millions d'euro;

Attendu que la volonté de la société Penny Market de tenter d'échapper aux contraintes imposées par les dispositions précitées a été réitérée en cause d'appel et qu'est établie, au vu des faits exposés, une atteinte à l'ordre public économique suffisamment caractérisée, de sorte qu'il convient de porter le montant de l'amende à la somme de 30 000 euro;

2°) Sur les relations entre les sociétés Penny Market et Ferme de la Gontière:

Attendu que la société Penny Market critique également le jugement en ce qu'il a fait application de l'article L. 442-6 I 4° en exposant que la demande de réduction du prix de 1 % était justifiée par la freinte et n'était qu'un simple aménagement de la facturation, affirmant qu'elle n'est aucunement coupable d'une pratique restrictive de concurrence et faisant valoir que le préjudice indemnisé ne peut, quoi qu'il en soit, que correspondre au dommage réellement causé ; qu'elle soutient qu'il n'est pas possible de prononcer à son encontre une amende civile sur ce fondement, puisque les faits sont antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 ;

Attendu, sur ce dernier point, que l'Administration ne forme aucune demande;

Attendu que la société Penny Market a écrit, 22 août 2000, à la société Ferme de la Gontière, qui était l'un de ses fournisseurs en champignons frais depuis novembre 1999 et avait été référencée pour l'année 2000, pour lui demander d'appliquer une "remise différée de freinte de 1% du chiffre d'affaires total", cette remise devant être réglée de manière trimestrielle par avoir séparé ; qu'elle écrivait encore, le 11 septembre " sauf erreur, nous n'avons pas à ce jour, reçu votre confirmation concernant la remise différée de 1 % pour freinte à partir du 01/09/00 (notre fax du 22/08/00). Sans réponse de votre part avant le 13/09/00 nous nous verrons dans l'obligation de cesser nos relations commerciales dès la semaine 38/2000" ; que la menace était confirmée par télécopie du 16 octobre 2000;

Attendu qu'est fautif le fait d'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale des relations commerciales, des prix, des délais de paiement, des modalités de vente ou des conditions de coopération commerciale manifestement dérogatoires aux conditions générales de vente;

Qu'en l'espèce la réalité de ces faits est établie, étant ajouté que la remise pour "freinte " exigée ne pouvait se justifier par des raisons techniques, les champignons étant préemballés ; que si la société Penny Market fait valoir que cette remise n'était que formelle, il convient d'observer qu'elle a interrompu ses commandes à compter du 10 novembre 2000 alors que le fournisseur avait répondu favorablement à sa demande, mais en augmentant par ailleurs ses prix ; que le fait qu'il ne soit pas prouvé que le distributeur avait accepté l'ensemble des conditions générales de vente de son fournisseur est indifférent puisque les parties étaient en relations commerciales depuis plusieurs mois, que les factures portaient mention des conditions de paiement et que les produits frais étaient préemballés et étiquetés, aucune freinte n'étant, dans ces conditions, concevable, ce que ne pouvait ignorer le commerçant;

Attendu que la société Ferme de la Gontière ne peut invoquer un préjudice correspondant " au moins " à une année de chiffre d'affaires, et qu'il convient de tenir compte du volume des achats sur l'année 2000, soit 43 768 kilogrammes, ainsi que du prix, soit environ 14 à 15 euro le kilogramme) ; que le jugement sera réformé quant à l'indemnité allouée, celle-ci ne pouvant être fixée qu'à la somme de 15 000 euro;

3°) Sur les autres demandes:

Attendu qu'il convient d'ordonner la publication du présent arrêt dans les conditions précisées ci-dessous, compte tenu notamment de la fréquence des pratiques incriminées, relevée par l'Administration, et à titre de réparation;

Attendu que la société Penny Market sera condamnée à payer aux sociétés adverses la somme énoncée au présent dispositif au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, en dernier ressort, Confirme le jugement, sauf quant au montant des sommes allouées et de l'amende; Le réforme sur ces points; Condamne la société Penny Market à payer une amende civile de 30 000 euro sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce; Condamne la société Penny Market à payer à la société Conserveries de Wervicq la somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts; Condamne la société Penny Market à payer à la société Ferme de la Gontière la somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts; Y ajoutant, Ordonne la publication des extraits du présent arrêt relatifs à la société Ferme de la Gontière aux frais de la société Penny Market dans la limite de 3 000 euro par publication dans les journaux suivants La Voix du Nord et Nord Eclair ; Condamne la société Penny Market à payer à la société Ferme de la Gontière et à la société Conserveries de Wervicq la somme de 1 500 euro chacune au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Penny Market aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.