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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 15 mai 2003, n° 2000-22572

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Lavillauroy (SA)

Défendeur :

Garage Loustaunau (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Main

Conseillers :

MM. Faucher, Remenieras

Avoués :

SCP Roblin Chaix de Lavarene, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Guillin, Baget

TGI Paris, 5e ch. sect. 1, du 27 sept. 2…

27 septembre 2000

La société Etablissements Lavillauroy (société Lavillauroy) a fait appel du jugement rendu le 27 septembre 2000 par le Tribunal de grande instance de Paris qui, après avoir constaté la violation par cette société, concessionnaire de la marque Volkswagen, relativement au délai du préavis pour résilier, du contrat d'agent revendeur qu'elle avait conclu avec la société Garage Loustaunau Jean-Marie le 29 avril 1997 pour une durée indéterminée, et dit inapplicables les dispositions de la loi du 25 juin 1991 relative aux agents commerciaux, a désigné un expert avec mission d'évaluer le préjudice subi par l'agent revendeur du fait de la privation du préavis contractuel de 24 mois et a sursis à statuer pour le surplus.

Après exécution de la mesure d'instruction le tribunal a, par une nouvelle décision du 13 mars 2002, condamné la société Lavillauroy à payer à la société Garage Loustaunau une indemnité de 44 771,59 euro (283 684 F) ainsi qu'une somme de 1 219,59 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a mis les dépens à sa charge rejetant toute autre demande.

La société Garage Loustaunau a interjeté appel principal de ce second jugement, contre lequel la société Lavillauroy a formé un appel incident.

L'intérêt d'une bonne justice commande de joindre ces deux instances afin qu'il soit statué par un seul et même arrêt sur l'ensemble du litige.

Vu les dernières écritures, signifiées le 10 août 2001 (dossier n° 2000-22572), par lesquelles la société Lavillauroy, appelante, demande à la cour de :

- dire qu'elle n'a pas renoncé à se prévaloir du caractère intuitu personae du contrat conclu le 29 avril 1997 avec la société Garage Loustaunau Jean-Marie,

- dire qu'elle n'a conclu aucun contrat d'agent avec la société Garage Loustaunau, susceptible de justifier un préavis de résiliation,

- débouter en conséquence la société Garage Loustaunau de l'ensemble de ses demandes,

- condamner ladite société aux dépens ainsi qu'à lui payer 50 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Vu les dernières écritures, signifiées le 4 février 2003 et déposées à nouveau le 5 février 2003, (dossier n° 2000-22572), par lesquelles la société Garage Loustaunau, intimée, prie la cour :

- d'écarter de la procédure, en exécution de l'ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Paris du 8 janvier 2003, les pièces n° 20, 21, 22 produites par la société Lavillauroy ainsi que la partie des écritures de cette société fondée sur ces pièces,

- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 27 septembre 2000,

- de condamner la société Lavillauroy aux dépens ainsi qu'à lui payer 20 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les dernières écritures, signifiées le 24 janvier 2003 (dossier n° 2002-9844), par lesquelles la société Garage Loustaunau, appelante, demande à la cour :

- d'exclure de la procédure en exécution de l'ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Paris du 8 janvier 2003, les pièces 20, 21 et 22 produites par la société Lavillauroy, ainsi que la partie des écritures de cette société se fondant sur ces pièces,

- de réformer le jugement du 13 mars 2002, d'homologuer le rapport de l'expert Coudert et de condamner la société Lavillauroy à lui payer la somme de 103 763,20 euro (680 642 F) HT, montant du préjudice minimal évalué par l'expert, celle de 7 099,50 euro au titre des frais exposés sur les cautions et celle, forfaitaire, de 22 867,35 euro pour rupture abusive aggravée les relations commerciales,

- de condamner la société Lavillauroy aux dépens ainsi qu'à lui payer 6 097,96 euro en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les dernières écritures, signifiées le 28 novembre 2002 (dossier n° 2002-9844), par lesquelles la société Lavillauroy, intimée et incidemment appelante, prie la cour d'infirmer le jugement du 13 mars 2002, de dire que la société Garage Loustaunau n'a subi aucun préjudice, de la débouter en conséquence de toutes ses demandes et de la condamner aux dépens ainsi qu'à lui payer 1 500 euro en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant que la société Garage Loustaunau est fondée à demander que soient écartés des débats les trois procès-verbaux de constat d'huissier de justice (pièces n° 20, 21 et 22 communiquées par la société Lavillauroy dans les deux procédures) dès lors que l'ordonnance sur requête du 3 avril 2001 en exécution de laquelle ils ont été établis a été rétractée par une seconde ordonnance, en date du 8 janvier 2003, du Président du Tribunal de grande instance de Paris ; qu'il n'y a pas lieu pour autant d' "exclure de la procédure", ce qui impliquerait que la suppression en soit ordonnée, de la partie au demeurant non précisée par la société Loustaunau, des écritures de la société Lavillauroy "se fondant sur ces pièces" ;

Considérant que, par acte du 29 avril 1997, la société Etablissements Lavillauroy, concessionnaire de la société Groupe Volkswagen France pour la distribution d'automobiles de la marque Volkswagen, a conclu un contrat intitulé "contrat d'agent revendeur" avec la société à responsabilité limitée Garage Loustaunau Jean-Marie, pour une durée indéterminée avec faculté de résiliation pour chacune des parties moyennant un préavis de 24 mois ; que l'article 25 du contrat précise que celui-ci "est conclu intuitu personae", de sorte que "les droits et obligations de l'agent revendeur au titre du présent contrat ne sont pas cessibles ou transférables, que ce soit totalement ou partiellement, sans accord préalable et écrit du concessionnaire" ;

Considérant que, en octobre 1997, la SARL Garage Loustaunau Jean-Marie et la société Garage Loustaunau et Fils, revendeur d'automobiles de la marque Seat, ont fusionné pour former une nouvelle société, la SARL Garage Loustaunau , immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 24 décembre 1997 ; qu'ensuite de cette fusion la société Garage Loustaunau Jean-Marie a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 19 décembre 1997 à compter du 1er octobre 1997 ; que la constitution de la nouvelle société Garage Loustaunau a donné lieu à une publication dans le numéro daté du 10 février 1998 du journal d'annonces légales Les petites affiches béarnaises et des Pyrénées Atlantiques" ;

Que, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception datée du 30 avril 1998, adressée à "Monsieur Loustaunau Jean-Marie" et que la société Garage Loustaunau ne conteste pas avoir reçue, la société Lavillauroy a notifié à celle ci la cessation des relations contractuelles dans les termes suivants :

"Nous faisons suite à nos entretiens du 28 novembre 1997, 11 février 1998 et 28 avril 1998 et à nos précédents échanges de correspondance.

Nous avons procédé à l'examen de la situation découlant de la création d'une nouvelle société "Garage Loustaunau" résultant de la fusion de la SARL Garage Jean-Marie Loustaunau et SARL Loustaunau et Fils.

Il ressort notamment des éléments en notre possession, que cette nouvelle société ne dispose pas de la structure financière requise pour un contrat d'agent Revendeur Volkswagen VP & VUL.

Dans "ces conditions" nous n'entendons pas nouer de relations contractuelles avec cette société.

Nous vous proposons donc de mettre fin à nos relations commerciales dans un délai de convenance de trois semaines."

Considérant que, si la fusion a emporté transmission universelle du patrimoine actif et passif de la société Garage Loustaunau Jean-Marie à la société créée Garage Loustaunau, les stipulations du contrat litigieux, conclu expressément intuitu personae, spécialement celles de l'article 25 ci-dessus rappelées, mettaient obstacle à sa transmission sans l'accord de la société Lavillauroy ;

Qu'alors qu'il ne résulte d'aucune pièce produite que cet accord ait été sollicité, moins encore donné explicitement dans les conditions exigées par l'article 25 il ne peut être déduit ni de la circonstance que la société Lavillauroy a poursuivi les relations contractuelles avec la nouvelle société Garage Loustaunau après avoir eu connaissance de la fusion, ni de la lettre de la société Lavillauroy du 27 février 1996 recommandant la fusion réalisée à la fin de l'année 1997, ni de correspondances de la société Lavillauroy qui auraient été adressées à la nouvelle société dès novembre 1997, ni davantage des courriers de la société Lavillauroy du 22 septembre 1999, avertissant ses clients de ce que " Le Garage Loustaunau anciennement agent revendeur, ne fait plus partie du réseau des agents Audi Volkswagen " et de la société Volkswagen du 21 octobre 1998 , se référant à " la résiliation, en date du 30 avril 1998, de vos contrats d'agent Volkswagen ... " et demandant à " Garage Loustaunau ... à l'attention de Monsieur Loustaunau " de déposer les panneaux de la marque;

Qu'en effet la société Garage Loustaunau Jean-Marie, qui n'avait pas sollicité l'accord de sa cocontractante sur l'opération de fusion réalisée en octobre 1997, ne l'a pas davantage informée par écrit de la réalisation effective de cette opération;

Que la lettre du 27 février 1996, invoquée par la société Garage Loustaunau, antérieure de plus de 18 mois à la fusion intervenue, ne peut être regardée comme valant consentement du concessionnaire à celle-ci, dès lors que la société Lavillauroy, si elle y confirmait à Monsieur Loustaunau "... j'appuierai votre demande de fusion de vos deux sociétés, celle représentant les marques VW et Audi et celle représentant Seat ", subordonnait cet accord de principe à une condition "si la situation de la société représentant Seat permet de renforcer le haut du bilan de la société représentant VW et Audi. Cette fusion devant vous permettre de réaliser des économies d'échelles et d'avoir une présentation de bilan pouvant avec les mesures d'accompagnement qui s'imposent, de pérenniser votre entreprise";

Que la société Garage Loustaunau ne prouve pas que la société Lavillauroy a eu connaissance certaine de la fusion et de la création d'une nouvelle société avant le 10 février 1998, date de la publication légale susvisée ou, au plus tôt le 28 novembre 1997, date du premier entretien visé dans la lettre de rupture de la société Lavillauroy du 30 avril 1998 ;

Que, compte tenu de la nécessité pour celle-ci, placée devant le fait accompli, d'examiner les conditions concrètes de la fusion et ses conséquences, eu égard notamment à la situation financière de la société Garage Loustaunau et Fils, afin d'étudier loyalement, après consultation du concédant, la possibilité de donner son accord au transfert à la société nouvelle créée du contrat conclu le 27 avril 1997, la poursuite, pendant un délai n'excédant pas le temps nécessaire à l'examen susvisé, des relations contractuelles avec la société Garage Loustaunau ne peut être regardée comme impliquant nécessairement un accord définitif sur le transfert du contrat mais comme traduisant seulement une position d'attente, évitant loyalement la rupture immédiate dont le concessionnaire aurait pu se prévaloir en refusant d'emblée le transfert du contrat; que cette attitude prudente et conservatoire n'a pu avoir pour effet de transférer à la société Garage Loustaunau les droits et obligations de la société Garage Loustaunau Jean-Marie résultant du contrat du 27 avril 1997 et ne lui permet donc pas de se prévaloir des dispositions de ce contrat relatives aux conditions de résiliation, spécialement au délai de préavis, pour demander réparation du préjudice que lui aurait causé la rupture notifiée par la société Lavillauroy, laquelle n'a fait en réalité que tirer les conséquences de la cessation d'activité et de la dissolution de sa cocontractante et de l'absence d'accord sur un éventuel transfert à la société absorbante;

Que les courriers des 22 septembre 1999 et 21 octobre 1998, qui se réfèrent au demeurant au " Garage Loustaunau ", à la fois enseigne commerciale de la société Garage Loustaunau Jean-Marie et dénomination sociale de la société Garage Loustaunau, et non pas à une société précisément dénommée, ne font que tirer les conséquences de ce que la société Garage Loustaunau a pris la suite de la société Garage Loustaunau Jean-Marie, qui lui a apporté son fonds et qu'elle a en effet, pendant quelque temps, continué l'activité d'agent revendeur Volkswagen qui était celle, de la société absorbée ; que, si ces courriers tiennent compte de ces circonstances de fait, on ne peut y trouver la preuve de ce que la société Lavillauroy aurait accepté la substitution de la société Garage Loustaunau à la société Garage Loustaunau Jean-Marie pour l'exécution du contrat d'agent revendeur du 27 avril 1997 ;

Considérant qu'il en résulte que doivent être infirmés le jugement du 27 septembre 2000 et, par voie de conséquence, celui du 13 mars 2002 et que la société Garage Loustaunau doit être déboutée de ses demandes et condamnée aux dépens, comprenant les frais d'expertise ; qu'il est équitable de la condamner, en outre, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à payer à la société Lavillauroy 4 500 euro ;

Par ces motifs, - Joint les instances enregistrées au rôle de la cour sous les numéros 2000-22572 et 2002-9844 - Ecarte des débats les pièces 20, 21 et 22 produites par la société Etablissements Lavillauroy dans les deux instances, - Dit n'y avoir lieu d'écarter des débats partie des écritures de la société Lavillauroy, - Infirme les jugements du Tribunal de grande instance de Paris des 27 septembre 2000 et 13 mars 2002, - Déboute la société Garage Loustaunau de ses demandes, - La condamne à payer à la société Etablissements Lavillauroy 4 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - La condamne aux dépens de première instance, comprenant les frais d'expertise, ainsi qu'aux dépens d'appel et admet la SCP Roblin Chaix de Lavarene, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.