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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 6 juillet 2009, n° 09-00519

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Tomécanic-Bénetière (SA), Michel (ès qual.), Rogeau (ès qual.)

Défendeur :

Brico Dépôt (SASU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Olivier

Conseillers :

Mme Metteau, M. Mortureux de Faudoas

Avoués :

Selarl Laforce, SCP Deleforge Franchi

Avocats :

Mes Henriot-Bellargent, Renaudier

T. com. Lille, du 12 juill. 2007

12 juillet 2007

La société Tomécanic-Bénetière (ci-après Tomécanic) fabrique des outillages spécialisés pour le bâtiment, qu'elle commercialise auprès d'une clientèle principalement constituée de réseaux de revendeurs pour le bricolage et de professionnels du bâtiment.

Elle a réalisé, jusqu'au début de l'année 2006, 41 % de son chiffre d'affaires global avec les sociétés Castorama et Brico-Dépôt, dont 16 % avec cette dernière. Le chiffre d'affaires réalisé avec Brico-Dépôt s'élevait à 1 495 513 euro hors taxe pour 2004.

Par lettre du 12 juillet 2005, la société Brico-Dépôt informait la société Tomécanic de sa décision de mettre en place à partir du 15 août 2005 une procédure d'appel d'offres pour la fourniture des produits jusque-là fournis par elle et lui précisait qu'elle serait invitée à participer à l'appel d'offres, qu'elle serait informée des résultats de la procédure et que dans l'hypothèse où elle ne serait pas retenue, les accords commerciaux existants seraient susceptibles d'être résiliés avec un préavis de 6 mois prenant fin le 31 janvier 2006.

Par courrier du 18 juillet 2005, la société Tomécanic a contesté la légitimité du préavis tant sur sa forme que sur sa durée.

Par lettre du 8 août 2005, la société Brico-Dépôt lui indiquait que sa lettre du 12 juillet 2005 devait être considérée comme une lettre de déréférencement marquant le début du préavis de 6 mois.

Le 30 septembre 2005, la société Brico-Dépôt transmettait un appel d'offres à la société Tomécanic qui en accusait réception le 6 octobre 2005 et demandait de lui préciser plusieurs points importants pour déterminer le cahier des charges, demande de précisions qu'elle réitérait à plusieurs reprises, sans obtenir la moindre réponse.

Le 4 novembre 2005, la société Tomécanic a transmis son offre à la société Brico-Dépôt en lui proposant de la rencontrer.

Lors de l'entretien qui se tenait le 23 novembre 2005, la société Brico-Dépôt lui laissait entendre qu'elle pourrait réviser le délai de préavis accordé, en s'engageant à faire connaître sa décision sous 8 jours.

Par lettre du 14 décembre 2005, la société Brico-Dépôt revenait sur sa proposition de révision de la durée du préavis et confirmait sa décision de rompre ses relations commerciales avec effet au 31 janvier 2006; elle ne passait plus que quelques commandes limitées, probablement de dépannage, passé cette date.

Le 20 mars 2007, la société Tomécanic faisait assigner la société Brico-Dépôt devant le Tribunal de commerce de Lille afin d'obtenir réparation du préjudice lui ayant été causé par la rupture brutale et abusive des relations commerciales établies entre elles.

Par jugement rendu le 12 juillet 2007, le Tribunal de commerce de Lille a:

- condamné la société Brico-Dépôt à payer à la société Tomécanic-Bénetière :

- la somme de 371 128 euro au titre de la perte de marge sur la durée du préavis inobservé de 4 mois

- celle de 227 761,90 euro au titre des factures impayées

- condamné la société Tomécanic-Bénetière à payer à la société Brico-Dépôt la somme de 342 651,65 euro au titre des ristournes impayées

- ordonné la compensation des créances réciproques

- en conséquence, condamné la société Brico-Dépôt à payer à la société Tomécanic-Bénetière la somme de 256 238,25 euro outre celle de 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

- ordonné l'exécution provisoire sur le principal

- débouté les parties de l'ensemble de leurs autres demandes plus amples ou contraires

- condamné la société Brico-Dépôt aux dépens.

La SASU Brico-Dépôt a interjeté appel le 25 juillet 2007 et la société Tomécanic-Bénetière le 10 août 2007.

Par arrêt rendu le 20 novembre 2007, la Cour d'appel de Douai a:

- infirmé le jugement, sauf en ce qu'il a dit que la société Brico-Dépôt était redevable de la somme de 227 761,90 euro TTC à l'égard de la société Tomécanic au titre de factures impayées et en ce qu'il a ordonné la compensation entre les créances réciproques;

Statuant à nouveau

1- Sur les demandes principales de la société Tomécanic:

- dit que la société Brico-Dépôt a rompu brutalement ses relations commerciales avec la société Tomécanic-Bénetière,

- dit que la société Brico-Dépôt a rompu de façon abusive ses relations commerciales avec la société Tomécanic-Bénetière,

- dit que la société Brico-Dépôt a abusé de la situation de dépendance économique dans laquelle la société Tomécanic-Bénetière se trouvait à son égard,

- dit que la société Brico-Dépôt a manqué à son obligation de renégocier de bonne foi les tarifs en 2005 et 2006,

- condamné en conséquence la société Brico-Dépôt à payer à la société Tomécanic-Bénetière en réparation :

* la somme de 765 451,50 euro à titre de perte de marge brute du fait du non-respect du préavis,

* celle de 30 000 euro en réparation du préjudice financier de reconversion subi par la société Tomécanic-Bénetière, du fait de la rupture brutale,

* celle de 20 000 euro en réparation du préjudice d'image subi par la société Tomécanic-Bénetière du fait de la rupture brutale,

* celle de 20 000 euro en réparation du préjudice moral subi par la société Tomécanic-Bénetière du fait de l'abus dans la rupture,

* celle de 20 000 euro en réparation du préjudice commercial subi par la société Tomécanic-Bénetière du fait de l'abus dans la rupture,

* celle de 25 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des pratiques constitutives d'abus de dépendance économique et du manquement à l'obligation de renégocier de bonne foi les tarifs;

- débouté la société Brico-Dépôt de ses prétentions contraires et débouté la société Tomécanic pour sa demande fondée sur l'abus dans les conditions de règlement et les avantages sans contrepartie;

2- Sur la demande reconventionnelle et l'appel principal de la société Brico-Dépôt

- dit la société Brico-Dépôt mal fondée en son appel.

- constaté que la créance de la société Tomécanic à l'encontre de la société Brico-Dépôt s'élève à la somme de 227 761,90 euro TTC,

- dit que la société Brico-Dépôt doit régler à la société Tomécanic le montant des remises de fin d'année déduites à tort au titre de l'année 2005 pour la période postérieure au 12 juillet 2005,

- condamné en conséquence la société Brico-Dépôt à payer à la société Tomécanic la somme de 79 810,87 euro à titre de remboursement des remises de fin d'année réglées au titre de l'année 2005;

- condamné la société Brico-Dépôt à payer à la société Tomécanic-Bénetière une indemnité de 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour ses frais irrépétibles en appel

- condamné la société Brico-Dépôt en tous les dépens.

Sur pourvoi formé par la société Brico-Dépôt, la Cour de cassation, Chambre commerciale, financière et économique, a, par arrêt en date du 2 décembre 2008, cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a dit que la société Brico-Dépôt a rompu brutalement ses relations commerciales avec la société Tomécanic-Bénetière, qu'elle a abusé de la situation de dépendance économique dans laquelle la société Tomécanic-Bénetière se trouvait à son égard et l'a en conséquence condamnée à payer les sommes de 765 451,50 euro à titre de perte de marge brute du fait du non-respect du préavis et 25 000 euro en réparation du préjudice subi du fait des pratiques constitutives d'abus de dépendance économique et de manquement à l'obligation de renégocier de bonne foi les tarifs, l'arrêt rendu le 20 novembre 2007, entre les parties, par la Cour d'appel de Douai; remis, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la Cour d'appel de Douai, autrement composée; condamné la société Tomécanic-Bénetière aux dépens et rejeté la demande en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu la saisine de cette cour par la société Tomécanic-Bénetière en date du 22 janvier 2009;

Vu l'ordonnance en date du 23 janvier 2009 autorisant la société Tomécanic-Bénetière à assigner à jour fixe la société Brico-Dépôt pour l'audience du 18 mars 2009;

Vu l'assignation délivrée le 23 février 2009 à la société Brico-Dépôt;

Dans ses dernières conclusions en date du 16 mars 2009, la société Tomécanic-Bénetière, Maître Franck Michel et Maître Cosme Rogeau, ès qualités respectivement d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire demandent à la cour de:

- donner acte à Me Franck Michel et à Me Cosme Rogeau de leur intervention volontaire aux côtés de la société Tomécanic, en leurs qualités respectives d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire désignés par jugement du Tribunal de commerce de Versailles en date du 12 février 2009 ouvrant une procédure de sauvegarde;

- réformer le jugement entrepris sur les seuls points atteints par la cassation et statuant à nouveau:

- dire que la société Brico-Dépôt a rompu brutalement ses relations commerciales avec elle,

- dire qu'elle se trouvait en état de dépendance économique à l'égard de l'ensemble Brico-Dépôt + Castorama et/ou à l'égard de la société Brico-Dépôt considérée de façon isolée,

- dire que la société Brico-Dépôt a abusé de la situation de dépendance économique dans laquelle elle se trouvait, notamment en déduisant d'office des participations pour ouvertures de magasins, en exigeant d'elle des participations publicitaires injustifiées et en la soumettant à des conditions de règlement inéquitables,

- dire que la société Brico-Dépôt a manqué à son obligation de renégocier de bonne foi les tarifs en 2005 et 2006, suite à la hausse imprévue du cours des matières premières,

- dire que, ce faisant, la société Brico-Dépôt a engagé sa responsabilité à son égard sur le fondement des articles 1134, 1147 du Code civil, L. 442-6-I 7°, L. 442-6-I 2° a) et b), L. 442-10 et L. 443-2 du Code de commerce,

- condamner la société Brico-Dépôt à lui payer:

- 1 135 035,13 euro en réparation des conséquences de la rupture des relations commerciales, à titre de perte de marge brute pendant la durée du préavis inobservé de 12 mois et une semaine, à tout le moins celle de 765 451,50 euro à titre de perte de marge brute pendant la durée du préavis inobservé de 8 mois et une semaine

- 75 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des pratiques constitutives d'abus de dépendance économique et du refus de renégocier les tarifs 2005 et 2006

- à titre subsidiaire, 45 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi suite à son manquement à l'obligation de renégocier de bonne foi les tarifs en 2005 et 2006 et/ou la somme de 2 744,10 euro au titre des participations lors des ouvertures de magasins, et/ou la somme de 1 525 euro au titre des participations publicitaires injustifiées et/ou celle de 25 000 euro au titre des délais de paiement abusifs qui lui ont été imposés

- à tout le moins, celle de 25 000 euro en réparation du préjudice subi du fait des pratiques constitutives d'abus de dépendance économique et de manquement à l'obligation de renégocier de bonne foi les tarifs

- 30 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile

- de débouter la société Brico-Dépôt de ses demandes

- de la condamner aux dépens.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 12 mars 2009, la société Brico-Dépôt demande à la cour de:

- Sur l'absence de faute de sa part dans le cadre de la cessation de ses relations avec la société Tomécanic :

A titre principal,

- constater que les sociétés Brico-Dépôt et Castorama étaient autonomes dans leurs relations commerciales avec la société Tomécanic et n'ont pas agi de concert,

- constater que la société Tomécanic n'était pas en situation de dépendance économique à son égard,

- dire qu'elle n'a pas rompu brutalement ses relations commerciales avec la société Tomécanic,

- dire qu'aucune indemnité n'est due à la société Tomécanic en l'absence de dépendance économique et de rupture brutale;

A titre subsidiaire,

- constater l'absence de dépendance économique de la société Tomécanic même si les sociétés Brico-Dépôt et Castorama n'étaient pas autonomes,

- constater le caractère excessif des préavis de 14 mois, même en présence d'un état de dépendance économique de la société Tomécanic,

- Sur l'absence d'abus de dépendance économique:

A titre principal, dire que l'absence d'état de dépendance économique de la société Tomécanic à l'égard de la société Brico-Dépôt exclut tout abus d'un tel état,

A titre subsidiaire, dire qu'elle n'a nullement abusé d'un prétendu état de dépendance économique

- en toute hypothèse,

- condamner la société Tomécanic à lui rembourser les sommes indûment perçues par elle, d'un montant global de 850 451,50 euro avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision de la Cour de cassation du 2 décembre 2008 intervenue le 28 janvier 2009,

- la condamner au paiement de la somme de 30 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens et prétentions, selon ce qu'autorise l'article 455 du Code de procédure civile.

Motivation :

Les parties ne s'accordent pas sur l'exacte étendue de la saisine, sauf pour ce qui concerne les remises de fin d'année réglées au titre de l'année 2005 et le reliquat de factures, non remises en cause.

Les questions posées à la cour de renvoi sont relatives à l'appréciation de la situation de dépendance économique importante qu'allègue la société Tomécanic vis-à-vis de la société Brico-Dépôt et de la société Castorama, laquelle emporte des conséquences à la fois sur la détermination des préjudices éventuellement subis et leur réparation mais également sur la durée de préavis et par voie de conséquence sur le point de savoir si le préavis observé était ou non suffisant au regard de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances de l'espèce.

- Sur la situation d'importante dépendance économique alléguée par la société Tomécanic:

La cassation est intervenue sous la motivation suivante : "Attendu que pour dire que la société Tomécanic était dans une situation de dépendance économique importante à l'égard de Brico-Dépôt et Castorama, enseignes faisant partie du "groupe Castorama France", et prendre en compte cette situation pour le calcul du délai de préavis, l'arrêt retient que les deux sociétés étaient juridiquement distinctes, que leurs activités étaient identiques mais destinées à des clientèles différentes, le bricoleur dans le cas de la société Castorama et les professionnels dans le cas de la société Brico-Dépôt que la société Tomécanic est en droit de faire valoir, pour l'examen de la dépendance comme pour l'évaluation des conséquences de la rupture, la gémellité des deux entités Brico-Dépôt et Castorama, que le poids de la société Brico-Dépôt dans le chiffre d'affaires de Tomécanic devait être mesuré en prenant en considération le poids de l'ensemble Castorama + Brico-Dépôt, que cet ensemble pesait jusqu'au début 2006 41 % de l'activité totale de Tomécanic ; que Castorama et Brico-Dépôt représentaient la première enseigne du marché français du bricolage, avec une part du marché s'élevant en 2006 à plus de 35 % dans le circuit de la grande distribution, lequel était largement prédominant représentant 67 % du marché total et que les sociétés Castorama et Brico-Dépôt faisaient partie des trois premières enseignes sur le marché français; Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs impropres à établir que les sociétés Brico-Dépôt et Castorama n'étaient pas autonomes dans leurs relations commerciales avec la société Tomécanic ou qu'elles avaient agi de concert, la cour d'appel a privé sa décision de base légale".

Aux termes de l'article L. 442-6-I 5° et L. 442-6-I 2 b) du Code de commerce, dans sa rédaction applicable à l'espèce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers:

5° "de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels..."

2° b) "d'abuser de la relation de dépendance dans laquelle il tient un partenaire ou de sa puissance d'achat ou de vente en le soumettant à des conditions commerciales ou obligations injustifiées..."

La société Tomécanic soutient qu'elle se trouvait dans un état de dépendance économique à l'égard de la société Castorama et de la société Brico-Dépôt prises conjointement et subsidiairement, à l'égard de la société Brico-Dépôt considérée séparément en faisant valoir l'absence d'autonomie des deux enseignes dès l'origine de la création de la société Brico-Dépôt, avec le basculement de magasins initialement à l'enseigne de Castorama devenant Brico-Dépôt, un appel d'offres commun, des conditions d'achat identiques, les remises de fin d'année réglées directement jusqu'en 2005 à Castorama, la mise en place d'une politique commune d'achats et l'existence de produits communs aux deux enseignes. Elle soutient également que Castorama et Brico-Dépôt ont agi de concert dans la rupture de leurs relations avec elle, en appliquant une politique de "direct sourcing", décidée au niveau du groupe, en rompant concomitamment et selon des modalités comparables. Elle fait valoir, au titre des éléments qui caractérisent selon elle la dépendance économique, la part du chiffre d'affaires réalisé avec les deux enseignes soit jusqu'au début 2006, 41 % de son activité totale, le poids de ces dernières sur le marché du bricolage, plus de 35 % dans le circuit de la grande distribution, une relation qui est subie et non choisie, l'absence de solutions alternatives équivalentes et la perte de chiffre d'affaires qu'elle a subie, soit - 46,25 % en 2007 par rapport à 2006. Elle estime que les critères de la situation de dépendance économique sont réunis même si on isole les deux enseignes, la part de Brico-Dépôt représentant à elle seule 16 % du chiffre d'affaires et était en progression constante.

Cette argumentation est formellement contestée par la société Brico-Dépôt qui fait valoir en réplique qu'elle et Castorama étaient autonomes dans leurs relations commerciales avec la société Tomécanic, qu'elles n'avaient pas agi de concert dans le processus de rupture et que cette dernière n'était pas en situation de dépendance économique à son égard, enfin qu'elle n'avait commis aucune faute dans la rupture.

Il est constant que les deux sociétés sont des entités juridiques distinctes, disposant chacune de leurs propres magasins, de leur propre personnel, de dirigeants différents, dotées d'une centrale d'achat propre, qu'elles répondent à un concept différent avec des clientèles différentes, tout en faisant partie du même groupe, à savoir le groupe Kingfisher, au moment de la rupture des relations commerciales.

Les éléments versés par la société Tomécanic pour accréditer la thèse d'une politique d'achat commune aux deux enseignes ne sont pas déterminants : ainsi, le courrier adressé par Castorama à la société Tomécanic le 2 novembre 1993 pour l'informer de l'ouverture d'un magasin expérimental à l'enseigne Brico-Dépôt avec la mise en place d'une équipe chargée de mettre en œuvre le référencement et la négociation de l'approvisionnement prévoit bien pour les fournisseurs référencés chez Castorama des conditions d'achats identiques à celles des magasins Castorama, mais d'une part, ce courrier précise qu'il y aura une négociation particulière à mettre en place pour la communication publicitaire ou pour des modalités d'approvisionnement qui seraient différentes de celles d'un magasin Castorama ou pour les changements de tarifs et d'autre part, il ne préjuge en rien de la suite des relations entre les parties postérieurement, sachant que chaque année étaient signés de nouveaux contrats entre la société Tomécanic et chacune des deux enseignes, contrats par ailleurs abondamment amodiés par le dirigeant de la société Tomécanic ce qui ne corrobore pas la thèse soutenue par cette dernière.

L'affectation de magasins à l'enseigne de Castorama à celle de Brico-Dépôt, tant à l'origine de la création de la seconde qu'en 2005, pour l'exemple cité par la société Tomécanic, faite dans un souci d'une meilleure adéquation aux marchés locaux, ne saurait être révélatrice d'une absence d'autonomie commerciale, les fournisseurs étant invités alors à s'adresser à Brico-Dépôt pour l'approvisionnement de ces magasins et Castorama procédant à l'ouverture de nouveaux magasins en remplacement.

De même, s'il existait des produits communs achetés par les deux enseignes, essentiellement des produits de base, ce qui au demeurant est naturel puisque les deux sociétés ont une activité de vente de matériel de bricolage, la société Brico-Dépôt souligne à juste titre que les prix unitaires appliqués par la société Tomécanic pour ces produits communs étaient systématiquement différents (cf pièce n° 14 de la société Tomécanic). Il est également versé un unique appel d'offres concernant un produit qui a été initié par un certain Monsieur Gilloen, Synergie d'achats en décembre 2001, agissant au nom d'une équipe constituée de représentants de chacune des sociétés d'exploitation citées - 7 au nombre desquelles Castorama France et Brico-Dépôt sans indication du sort réservé tant à cet appel d'offres qu'à l'équipe ainsi constituée, dont la société Brico-Dépôt précise qu'elle fut éphémère et n'eut aucune suite.

Enfin, s'il est avéré que jusqu'en 2002, le versement des remises de fin d'année dues par la société Tomécanic à Brico-Dépôt était effectué entre les mains de Castorama, il ne peut en être tiré la démonstration de l'absence d'autonomie des deux enseignes et a fortiori de l'existence d'une politique commune d'approvisionnement, la société Brico-Dépôt soutenant sans être utilement contestée qu'il ne s'agissait que d'une simple pratique de centralisation du paiement des RFA des fournisseurs, en l'absence de toute harmonisation des conditions commerciales négociées par les deux enseignes (cf les contrats qui prévoyaient des taux de ristournes différents) et de prise en compte pour le calcul du chiffre d'affaires cumulé.

Il ne saurait davantage être tiré de l'article de presse produit (article du magazine Bricomag de juin-juillet 2002) reproduisant les propos du président du groupe Kingfisher sur la stratégie qu'il souhaitait adopter, la preuve de la réalisation avérée d'une politique commune d'approvisionnement des deux enseignes. En revanche, il apparaît que la société Tomécanic ne pouvait ignorer dès 2002 le changement d'orientation ainsi souhaité par le président du groupe dont dépendaient deux de ses clients et ne fournit aucune explication sur le fait qu'elle n'a pas anticipé le risque d'une éventuelle rupture.

Les deux sociétés ont engagé le processus de rupture de leurs relations commerciales dans un temps relativement proche : 8 août 2005 (date retenue par la cour, disposition non censurée) pour Brico-Dépôt et 28 juin 2005 pour Castorama étant toutefois relevé que n'était visé que l'outillage à mains à cette date, puis le 2 mars 2006 pour le surplus et que le délai de préavis était différent. La société Brico-Dépôt fait valoir à juste titre que le choix de déréférencer la société Tomécanic résulte de son manque de compétitivité flagrant face à la concurrence mondialisée et souligne que cet élément se traduit par une baisse constante de son chiffre d'affaires depuis 1997 (- 32,58 % reconnu par la société Tomécanic de 1997 à 2005, avant la rupture des relations avec Brico-Dépôt). La société Tomécanic ne saurait reprocher à la société Brico-Dépôt de vouloir recourir à la politique de "direct sourcing" qui serait imposée par le groupe Kingfisher, alors même qu'elle impute la baisse constante de son chiffre d'affaires à cette stratégie utilisée par ses clients en général (cf sa pièce n° 26) et donc qui ne peut être imputée spécifiquement aux enseignes du groupe Kingfisher, stratégie à laquelle elle-même a recouru, ainsi qu'il ressort des pièces produites par la partie adverse. Par ailleurs, la modalité de l'appel d'offres est couramment pratiquée par les acteurs de la distribution, étant ici relevé que la société Tomécanic ne bénéficiait d'aucune exclusivité. S'il apparaît que l'appel d'offres de la société Brico-Dépôt n'a pas été mené de bonne foi, cet élément n'est pas de nature à lui seul à établir une action concertée des deux enseignes mais sera pris en compte ultérieurement dans le cadre de l'examen des conditions de la rupture.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, il convient de considérer que la société Tomécanic ne démontre pas s'être trouvée en état de dépendance économique à l'égard de l'ensemble Brico-Dépôt/Castorama.

Elle ne le démontre pas davantage s'agissant de la société Brico-Dépôt prise isolément; en effet, la part du chiffre d'affaires réalisé par la société Tomécanic avec la société Brico-Dépôt représente 16 %, sachant que cette dernière société ne représente que 16 % du chiffre d'affaires réalisé par les grandes surfaces de distribution pour le bricolage. Il sera rappelé qu'il n'existait aucune clause d'exclusivité entre les parties, que la société Tomécanic subissait depuis déjà 9 ans une baisse constante de son chiffre d'affaires, qu'elle connaissait depuis 2002 les principaux axes de la stratégie voulue par le dirigeant du groupe Kingfisher, stratégie au demeurant commune aux autres acteurs de la grande distribution, qu'il lui appartenait dès lors de prendre des dispositions pour diversifier sa clientèle, qu'enfin, elle ne démontre pas l'impossibilité alléguée par elle d'y parvenir, sachant qu'elle n'a pas répondu à la juste observation de la société Brico-Dépôt relative à l'autre marché alternatif à celui de la grande distribution et que sa situation actuelle s'est stabilisée.

- Sur la rupture brutale :

La rupture, pour être préjudiciable et ouvrir droit à des dommages et intérêts, doit être brutale, effectuée sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels, étant admis que celui qui se plaint d'une rupture abusive n'a pas à établir qu'il se trouve dans un état de dépendance économique.

En l'espèce, la société Brico-Dépôt admet, à hauteur d'appel, que la relation commerciale a une durée de 11 ans, conformément à ce que revendiquait la société Tomécanic jusque-là. A hauteur de la cour de renvoi, la société Tomécanic entend faire remonter le point de départ de la relation "aux années 1970" (sic), point de départ de sa relation avec Castorama. Il apparaît toutefois que la relation contractuelle initiale avec Castorama s'est poursuivie après l'instauration de celle née en 1994 avec Brico-Dépôt suite à la création de cette dernière, celle-ci ne s'étant en aucune manière substituée à la première. Il convient de retenir une durée de relation de 11 ans.

S'agissant du préavis, l'accord Unibal/FMB retient, dans sa rédaction applicable à l'espèce, un préavis de 6 à 12 mois pour des relations supérieures à 5 ans et un chiffre d'affaires déréférencé supérieur à 75 % du chiffre d'affaires total réalisé.

La Cour de cassation a rejeté le 1er moyen sur le préavis au motif que "l'existence d'un accord interprofessionnel ne dispense pas la juridiction d'examiner si le préavis, qui respecte le délai minimal fixé par cet accord, tient compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances de l'espèce".

Elle a rejeté le 2e moyen et estimé, d'une part, que la cour d'appel avait pu déduire de ses constatations que la lettre du 12 juillet 2005 ne faisait pas courir le délai de préavis, (la cour en réalité a retenu la date du 8 août 2005), d'autre part, que la rupture était intervenue au 31 janvier 2006 et enfin que la cour d'appel n'avait pas réparé des préjudices tirés de la cessation des relations contractuelles entre les sociétés Tomécanic et Brico-Dépôt mais avait, après avoir constaté que la société Tomécanic avait consenti des investissements pour adapter son outil industriel aux demandes de la société Brico-Dépôt et que la distribution de ses produits dans les magasins de la société Brico-Dépôt leur conférait une notoriété auprès de particuliers sensibles à la marque et à l'origine française des produits, souverainement apprécié les préjudices résultant de l'obligation pour la société Tomécanic de se reconvertir afin de rechercher de nouveaux marchés et d'y adapter son outil de production dans l'urgence en raison de la brutalité de la rupture de ses relations commerciales avec la société Brico-Dépôt.

Il résulte du rappel de ces éléments que le préavis observé par Brico-Dépôt est de 5 mois et de 3 semaines, qu'il ne respecte pas le délai minimum prévu par l'accord Unibal/FMB.

Compte tenu de la durée des relations entre les parties - 11 ans -, du caractère total du déréférencement, du fait également du déréférencement partiel opéré de son côté à la même époque par Castorama et que Brico-Dépôt ne peut prétendre ignorer, même si le caractère orchestré des deux ruptures n'est pas démontré par les pièces versées aux débats, des investissements réalisés par Tomécanic pour adapter son outil industriel et du temps nécessaire à sa reconversion, il convient de retenir une durée de préavis de 12 mois qui aurait dû être respectée en l'espèce.

Le préjudice engendré par la durée insuffisante de préavis comprend la perte de marge brute qui aurait dû être réalisée par la société Tomécanic pendant la durée du préavis qui n'a pas été observée, soit 6 mois et une semaine. Les modalités de calcul telles que proposées par la société Tomécanic et non contestées par la société Brico-Dépôt sont les suivantes :

- CA 2005 : 1 795 784 euro HT

- marge retenue : 62 %

- soit pour un an : 1 113 386 euro

- soit pour un mois : 92 782 euro

- soit pour 6 mois et une semaine : 579 887 euro.

Il convient de relever que les sommes allouées par l'arrêt du 20 novembre 2007 au titre du préjudice moral (20 000 euro), du préjudice commercial (20 000 euro), du préjudice financier de reconversion (30 000 euro) et du préjudice d'image (20 000 euro) du fait de la rupture brutale et de l'abus dans la rupture ne sont pas atteintes par la cassation. La demande en remboursement de partie de ces sommes à concurrence de 30 000 + 20 000 = 50 000 euro sera rejetée.

- Sur la demande relative aux autres manquements :

La société Tomécanic reproche à la société Brico-Dépôt d'avoir manqué à l'obligation de renégocier de bonne foi les tarifs en 2005 et 2006, et d'avoir exigé d'elle des conditions de paiement anormales et des avantages sans contrepartie, ce qui est contesté par la société Brico-Dépôt qui fait valoir en réponse que les délais de paiement en cause, soit 90 jours fin de mois le 15 étaient ceux habituellement pratiqués entre professionnels du bricolage et de l'aménagement de la maison, que les conditions tarifaires étaient négociées chaque année et que les nouveaux tarifs proposés étaient bien supérieurs à la concurrence qui, elle aussi, subissait la hausse des matières premières.

Au vu des éléments produits, il apparaît effectivement que les délais de paiement appliqués étaient ceux couramment pratiqués dans la profession et ne peuvent être imputés à faute à la société Brico-Dépôt. Il est par ailleurs constant que les tarifs étaient renégociés annuellement, qu'il n'est versé aucun élément sur un quelconque refus abusif de renégocier les tarifs en cours d'année, la société Tomécanic ne versant aucune pièce visant ses relations avec la société Brico-Dépôt en particulier.

S'agissant des avantages indus, il ressort des pièces produites, essentiellement les contrats annuellement souscrits et des encarts publicitaires, que les versements au titre d'ouvertures de magasins comme la prestation publicitaire de 2004 résultaient de dispositions contractuelles, que les sommes en cause - 2 744,10 pour les ouvertures de magasins en 2001 et 1 525 euro pour la prestation publicitaire de 2004 - sont dérisoires au regard du chiffre d'affaires réalisé par la société Tomécanic avec Brico-Dépôt soit 1 557 620 euro en 2005 et aucun élément ne vient contredire la thèse de Brico-Dépôt d'une contrepartie consistant pour la société Tomécanic à voir promouvoir ses produits, l'ouverture ou la réouverture d'un magasin après rénovation s'accompagnant d'une animation commerciale au même titre qu'une campagne promotionnelle.

Il convient dès lors de débouter la société Tomécanic de ses demandes à ce titre.

- Sur les demandes accessoires :

La société Brico-Dépôt qui succombe pour partie sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile à la société Tomécanic pour les frais exposés par elle au cours de l'entière procédure. Elle sera déboutée de sa propre demande sur le même fondement.

- Sur la demande en remboursement de sommes versées par la société Brico-Dépôt

Il convient de renvoyer les parties à faire le compte entre elles, les sommes que la société Brico-Dépôt reconnaît avoir versées à la société Tomécanic ne correspondant pas au dispositif de l'arrêt précédent, sauf la faculté de saisir la cour en cas de difficulté.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, Statuant dans les limites de la saisine, Donne acte à Maître Franck Michel et à Maître Cosme Rogeau de leur intervention volontaire aux côtés de la société Tomécanic, en leur qualité respective d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire; infirme partiellement le jugement entrepris; Dit que la société Brico-Dépôt a rompu brutalement et de manière abusive ses relations commerciales avec la société Tomécanic; Condamne la société Brico-Dépôt à payer à la société Tomécanic la somme de 579 887 euro à titre de perte de marge brute du fait du non-respect du préavis; Déboute la société Tomécanic de ses demandes en dommages et intérêts pour abus de dépendance économique, manquement à l'obligation de renégocier de bonne foi les tarifs et avantages indus; Rejette la demande en remboursement des sommes versées par la société Brico-Dépôt au titre du préjudice financier de reconversion et de préjudice d'image; Pour le surplus, renvoie les parties à faire le compte entre elles sauf à saisir la cour en cas de difficulté; Condamne la société Brico-Dépôt à payer à la société Tomécanic la somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais exposés par elle au cours de l'entière procédure; Déboute la société Brico-Dépôt de sa demande sur le même fondement. Condamne la société Brico-Dépôt aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ceux d'appel au profit de la Selarl Eric Laforce, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.