Livv
Décisions

ADLC, 18 novembre 2009, n° 09-D-34

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des marchés de travaux publics d'électricité et d'éclairage public en Corse

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Marianne Combaldieu, l'intervention de M. Pierre Debrock, rapporteur général adjoint, par Mme Françoise Aubert, vice-présidente, présidente de séance, Mme Reine-Claude Mader-Saussaye, MM. Yves Brissy, Noël Diricq, Jean-Bertrand Drummen, membres.

ADLC n° 09-D-34

18 novembre 2009

L'Autorité de la concurrence (section II),

Vu la lettre, enregistrée le 18 novembre 2005 sous le numéro 05/0104 F par laquelle le Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, agissant pour le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, a saisi le Conseil de la concurrence des pratiques mises en œuvre dans le secteur des travaux sur les réseaux électriques et d'éclairage public en Corse ; Vu le livre IV du Code de commerce dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 ; Vu la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie ; Vu l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence, et notamment son article 5 ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par les sociétés SEEHC, EI RSE, Raffalli et Cie, Raffalli Paul Matthieu, DEG et le commissaire du Gouvernement ; La rapporteure, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Raffali et Cie, Distribution d'électricité générale (DEG), Raffalli Paul Mathieu, SEEHC et INEO Réseaux Sud-Est - SNC entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 29 septembre 2009 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

1. Le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par plusieurs sociétés soumissionnant régulièrement à des marchés concernant des travaux sur les réseaux électriques et d'éclairage public en Corse en transmettant un rapport d'enquête établi par ses services après des investigations menées auprès de ces sociétés.

A. LE SECTEUR ET LES ENTREPRISES

1. LE SECTEUR

2. Les marchés publics d'électrification rurale et d'éclairage public en Corse ont été passés, par des syndicats intercommunaux d'électrification (ci-après : " SIE ") ou directement par EDF sous forme de marchés-cadre d'une période d'une année.

3. Ces marchés de travaux présentent la caractéristique d'être à la fois des marchés de services car il ne s'agit pas seulement de réaliser des travaux ou de construire tel ou tel ouvrage (il faut exécuter des prestations continuelles comme obtenir des autorisations de passage ou d'appui sur des propriétés privées, des relevés au cadastre, programmer des coupures de courant avec les usagers et les interlocuteurs locaux etc..,) et des marchés discontinus puisqu'ils fonctionnent par voie de commandes successives impromptues qu'il faut pouvoir exécuter dans des délais le plus souvent extrêmement courts et en se déplaçant immédiatement.

4. En Corse, ces caractéristiques doivent être rendues compatibles avec les particularités de l'île, région montagneuse et la moins industrialisée de France puisqu'elle compte 96 % de TPE (très petites entreprises de moins de 10 salariés), souvent fragiles et disposant de peu de moyens de financement.

5. Concernant le secteur des constructions électriques, il n'existe pour la Corse du Sud et la Haute Corse qu'une dizaine d'entreprises. Par ailleurs, l'exiguïté du marché corse, le réseau routier et la configuration topographique de la Corse induisent des coûts de transport et d'heures supplémentaires pour les entreprises, pesant sur leur compétitivité. Enfin, ce type de travaux (chantiers éclatés nécessitant du matériel encombrant et impliquant la proximité d'un entrepôt) est difficilement compatible avec l'éloignement.

6. Néanmoins, si la plupart des entreprises corses ont une implantation locale et n'ont la capacité d'être compétitives que sur ladite région, certaines des entreprises ont pu faire des offres qui restent compétitives en dehors de leurs implantations.

2. LES ENTREPRISES

a) Le groupe Raffalli

7. Le groupe Raffalli, présent à l'origine dans la construction de lignes de transport d'électricité, a développé ensuite ses activités dans le génie civil (ouvrages d'art et industriels, canalisations, travaux de voirie...). Il s'est en outre diversifié dans le négoce de matériel électrique (2006), l'énergie photovoltaïque (2005) et les services informatiques (2006). Ces différentes activités organisées en pôles ont été créées successivement en Corse puis à partir de 1996 dans les Alpes maritimes.

8. A la tête du groupe est une holding "SARL RC" sise à Sarrolla-Carcopino qui détient une holding "SARL Raffalli Finances et services", ces holdings étant contrôlées par la famille Raffalli et présidées par Antoine X.... La holding "SARL Raffalli Finances et services" détient entre 96,30 % et 100 % des sept filiales opérationnelles composant le groupe parmi lesquelles figurent la SARL Enco Raffalli ayant pour activité l'électrification et les VRD et la SARL Raffalli et Cie ayant pour activité l'électrification, le génie civil et les VRD.

9. En 2006, le groupe Raffalli employait 158 salariés. En 2005, le chiffre d'affaires consolidé du groupe s'élevait à 13,6 millions d'euro ; en 2006 à 18,1 millions d'euro ; en 2007 à 11,7 millions et en 2008 à 14 millions d'euro.

10. La SARL Nouvelle LMR sise à Corte immatriculée le 10 février 1987 co-gérée par Antoine et Jacqueline X... fait partie du groupe Raffalli. Elle a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 9 mars 2004 avec transmission universelle du patrimoine à l'associé unique la société Enco Raffalli.

11. La SARL Enco Raffalli sise à Furiani, gérée par Antoine X..., a elle-même été radiée le 7 juillet 2008 avec transmission universelle du patrimoine à l'associé unique, la société Raffalli et Cie.

Les chiffres d'affaire HT des filiales sont les suivants :

<emplacement tableau>

b) Raffalli Paul Matthieu

12. Raffalli PM est une société familiale indépendante du groupe Raffalli créée en 1987, située à Bastia et spécialisée dans les travaux souterrains dans les réseaux électriques.

13. Par jugement en date du 6 avril 1999, elle a fait l'objet d'un plan de continuation d'une durée de 10 ans qu'elle a intégralement exécuté.

14. Son chiffre d'affaires s'élevait à 1 250 755,85 euro en 2007 et 1 659 365 euro en 2008 avec un résultat net de 162 860,67 euro en 2007 et 70 964 euro en 2008.

c) INEO Réseaux Sud-Est - SNC

15. L'entreprise Ineo Rse anciennement dénommée Ei Rse est une SNC au capital de 11 147 515 euro créée en 1996. Ineo Rse appartient au groupe Suez et est spécialisée dans la construction de lignes électriques et télécoms. Elle vient aux droits des anciennes sociétés Ei-Réseaux Sud-Est et Gtmh Sud-Est Postes Et Réseaux - et fait partie du groupe Ineo.

16. Cette PME de 252 salariés réalisant un chiffre d'affaires de l'ordre de 25 millions d'euro, est implantée à Villeurbanne et exerce son activité dans le couloir rhodanien (Lyon, Valence, Pont Saint Esprit) avec une extension en Corse où elle a une agence comprenant 22 personnes et réalisant un chiffre d'affaires annuel de l'ordre de 2 millions d'euro.

17. Les résultats de la société Ineo Réseaux Sud-Est sont déficitaires : malgré le redressement entrepris depuis 2005, la période 2002-2007 se solde par une perte cumulée de 463 439 euro.

d) DEG

18. L'entreprise Distribution d'électricité générale (DEG) est une SARL située à Biguglia, au capital de 75 000 euro créée en 1998. Son gérant, M. Y... est également président de la Société Civile Immobilière Constant et de la SARL Monte Stello.

19. La SARL Deg est spécialisée dans la construction de lignes électriques et télécoms. 20. Son chiffre d'affaires pour l'année 2003 était de 1 201 000 euro pour un résultat net de 41 000 euro. En 2008, son chiffre d'affaires s'élève à 1 903 215 euro.

e) SEEHC

21. L'entreprise Seehc est une SAS au capital de 60 000 euro créée en 2001 et dirigée par Mme Z.... Elle est spécialisée dans la construction de lignes électriques et télécoms.

Son chiffre d'affaires et ses résultats ont évolué de la manière suivante :

- 2003 : 944 000 euro pour un résultat net de 31 000 euro.

- 2004 : 991 034 euro pour un résultat net de 31 000 euro.

- 2005 : 1 484 509 euro pour un résultat net de 17 891 euro.

- 2006 : 1 340 983 euro pour un résultat net de 50 430 euro.

- 2007 : 1 806 162 euro pour un résultat net de 111 032 euro.

- 2008 : 1 742 143 euro pour un résultat net de 244 469 euro

B. LES APPELS D'OFFRES

22. Le rapport d'enquête a porté sur :

- sept marchés d'un montant cumulé minimal de commandes de 2 816 000 euro, lancés entre octobre 2002 et juin 2004 par le Syndicat intercommunal d'électrification (SIE) du secteur sud ;

- cinq marchés d'un montant cumulé minimal de commandes de 1 706 000 euro, lancés entre juin 2002 et octobre 2003 par le SIE de l'extrême sud (SIERESC) ;

- un appel d'offres lancé le 25 juin 2004 par le SIE du Centre ;

- un appel d'offres lancé le 5 février 2003 par le SIE de la Balagne ;

- quatre marchés de travaux lancés entre 2000 et 2004 par EDF ;

- deux marchés lancés par la collectivité territoriale de Corse.

23. Les appels d'offres concernant les marchés publics d'électrification rurale et d'éclairage public passés par les SIE du secteur du centre, du sud, de l'extrême sud de la Corse ainsi que les deux marchés lancés par la collectivité territoriale de Corse, ont été caractérisés d'une part, par un nombre réduit de soumissions faites souvent en groupements d'entreprises que les autres soumissionnaires n'ont pas sérieusement contestées et d'autre part, par la reconduction des précédents attributaires. L'absence d'indices suffisants recueillis lors de l'enquête administrative n'a pas permis d'établir l'existence d'une entente de répartition géographique de marchés entre les entreprises.

24. L'instruction a porté sur l'appel d'offres du SIE de la Balagne et les marchés de travaux d'EDF.

1. L'APPEL D'OFFRES DU SIE DE LA BALAGNE

25. Le marché concerné est un marché à bons de commande. Les prestations élémentaires sont définies par le maître d'ouvrage dans un bordereau qui sert de base au règlement des travaux. Les entreprises soumissionnaires à ce type de marchés proposent un pourcentage de rabais ou de majoration sur le bordereau des prix, qui constitue leur offre.

26. L'appel d'offres intitulé "Electrification rurale enfouissement 2002 conventionné " a été publié au BOAMP du 5 février 2003. Il comporte un lot constitué par des travaux d'enfouissement de lignes électriques dans onze villages pour lequel le SIE demandait un prix global et forfaitaire. Le montant de l'opération retenue a été estimé par le SIE à 419 000 euro TTC.

27. Il comprend un cahier des charges et clauses administratives particulières et un bordereau de prix. Le règlement de consultation prévoit en son article 3 que le candidat doit produire l'état récapitulatif des prix forfaitaires des onze chantiers, et en son article 4 que " les critères de sélection des offres sont dans l'ordre suivant : la valeur technique de l'offre et le prix des prestations ".

28. Le procès-verbal d'ouverture des candidatures du 18 février 2003 recense les entreprises : Beveraggi, SEEHC, Enco Raffalli, LMR, EI RSE, Sodi et SED.

29. Lors de l'ouverture de la première enveloppe, le 4 mars 2003, l'offre de Beveraggi a été écartée pour " capacité et références similaires insuffisantes ", l'offre d'Enco Raffalli pour " défaut d'attestation fiscale et sociale " et celle de Sodi pour " capacité financière insuffisante : chiffre d'affaires moitié du marché ".

30. La date limite de remise des offres était fixée au 1er avril 2003 (cote 387). Lors de l'ouverture des offres, le 14 avril 2003, le pli de EI RSE, arrivé hors délais, lui a été directement renvoyé sans être ouvert.

31. Le procès- verbal d'ouverture des plis a donc enregistré deux offres :

LMR : 407 493,57 euro TTC

SEEHC : 404 186,57 euro TTC

32. SEEHC a remporté le marché.

2. LES MARCHES DE TRAVAUX LANCES PAR EDF

33. EDF, via sa plate-forme Achat réseaux d'EDF, a lancé diverses consultations relatives à plusieurs marchés de travaux.

a) Marché de travaux 2000-2003 : MP/ATG/00/097/LOT1/1/257/KER (centre de la Corse)

34. EDF a lancé un marché de travaux pour la période du 1er décembre 2000 au 30 novembre 2001 concernant des travaux effectués entre 2000 et 2003, et intitulé " Travaux groupés de réseau électricité " pour le centre de la Corse et pour un seuil de commande inférieur à 300 KF.

35. L'offre de consultation se divisait en quatre lots : lot 1 - Ghisonaccia/Bastia, lot 2 - Corte/Calvi, lot 3 - Cargio/Ajaccio, lot 4 - Propriano/Porto-Vecchio.

La date limite de remise des offres était le 14 novembre 2000. Sur les quinze entreprises consultées, douze ont répondu aux différents lots, selon le tableau ci-dessous établi (les noms indiqués en caractères gras indiquent les entreprises qui ont remporté le lot).

<emplacement tableau>

b) Marché de travaux 2002-2004 MP/ATI/02/096/5328/ROY (Corse du Sud - Haute Corse)

36. EDF a lancé un marché de travaux souterrains de lignes hautes tension HTA/S Haute Corse et Corse du Sud comportant trois lots pour des travaux à effectuer entre le 1er juillet 2002 et le 30 septembre 2004.

37. La date de réception des offres était fixée au 26 avril 2002.

38. Pour les lots 1 : Morosaglio, n° 2 : Galeria Col de Marsolino, et n° 3 : Salsice Azzana, les entreprises ayant répondu sont les suivantes :

<emplacement tableau>

39. Après négociation par EDF des offres auprès de certaines entreprises :

- concernant le lot 1 (Morosaglio) Raffalli PM majore son prix de variante A de 16 % (510 000 euro) et remet un prix de variante B de 490 000 euro mais c'est SOGECA qui remporte le contrat en variante B à 429 000 euro HT. Les autres entreprises ont décliné l'offre de négociation ;

- concernant le lot n° 2 (Galeria), Raffalli et Cie (Enco Raffalli), a remporté le lot d'un montant de 354 000 euro après un rabais de 7 %, (SOGECA proposant 382 000 euro) ;

- enfin concernant le lot n° 3, Salsice Azzana, EncoRaffalli l'a emporté pour un montant de 667 288 euro HT contre TCC : (738 650 euro) et RRTP/SADE (972 624,10 euro).

c) Marché de travaux 2002-2004 : MP/ATG/02/008/5328 (Corse du Sud - Haute Corse)

40. Ce marché concerne les travaux de terrassement souterrains et la pose de canalisations dans le cadre du renouvellement et du renforcement des réseaux électriques en Corse du sud et haute Corse pour des travaux à effectuer entre le 1er juillet 2002 et le 30 juin 2004 pour un montant estimé à 200 000 euro.

41. Le règlement de consultation comportait trois lots : Porto-Vecchio-Propiano, Ajaccio-Cargèse et Haute Corse.

42. La date limite de réception des offres a été fixée au 6 mai 2002 puis repoussée au 13 mai 2002.

43. A l'ouverture des plis du 13 mai, sur les dix entreprises contactées, ont répondu en donnant leurs coefficients :

- lot 1 : Ajaccio/Cargese : TCC, Filippini et SIT ;

- lot 2 : Haute Corse : DEG, Raffalli PM et GGB ;

- lot 3 : Porto-Vecchio/Propriano : Baccellini, Filippini, Raffalli et Cie et Leandri.

44. En phase négociée, concernant le lot 2, DEG a été classée dernière, n'ayant pas voulu revoir son offre à la baisse contrairement à GGB et Raffalli PM.

45. Ces deux derniers se sont partagés le marché pour les montants suivants : GGB : 510 000 euro, et Raffalli PM : 407 000 euro.

d) Marché de travaux 2004-2005 : TD-2004-14949-JF-757-MDK (Aleria - San Giuliana)

46. Il s'agit d'un marché négocié pour les communes d'Aleria et de San Giuliana pour des travaux à effectuer entre le 1er octobre 2004 et le 1er mai 2005. La remise des offres était fixée au 15 août 2004.

47. Lors de l'ouverture des plis, du 17 août 2004, seules deux entreprises ont répondu (Raffalli et Cie s'est excusée) :

<emplacement tableau>

48. Après qu'EDF ait réclamé aux entreprises une nouvelle offre, seule l'entreprise Raffalli PM a répondu et emporté le marché pour 275 000 euro HT (146 900 euro pour le lot 1 et 128 100 euro pour le lot 2).

C. LES PRATIQUES RELEVEES

1. LES PRATIQUES RELEVEES LORS DE L'APPEL D'OFFRES DU SIE DE LA BALAGNE

49. Les saisies effectuées par la DGCCRF auprès de SEEHC ont permis de trouver deux listes manuscrites :

50. Une première page manuscrite énumère la liste des onze chantiers et des prix de l'offre de SEEHC (cote 473). Elle est reproduite ci-dessous:

<emplacement tableau>

51. Une deuxième page manuscrite (cote 479) est divisée en deux par un trait horizontal tracé au milieu. La partie haute de la page a pour titre " Raffalli " et énumère les prix de chaque chantier et mentionne un total TTC de 414 381,29 euro (TVA à 8 %). La seconde partie porte le titre " EI " et énumère des prix différents pour chaque chantier et mentionne un total TTC de 407 493,57 euro (TVA à 8 %). Elle se présente comme suit :

<emplacement tableau>

52. Or, l'offre de LMR reprend dans tous ses détails l'offre trouvée sur la page manuscrite citée au paragraphe précédent (cote 479), sous le titre " EI " au centime près.

53. Mme Z..., gérante de la société SEEHC, déclare que cette note est " une simulation des offres de ses concurrents potentiels, Raffalli et EI en l'occurrence, pour l'appel d'offres lancé par le SIE de Balagne programme d'enfouissement 2002, de mars avril 2003. Vous me montrez un extrait du procès-verbal d'ouverture des plis du SIE Balagne : il se trouve que la société LMR a proposé 407 493,57 euroTTC, qui est exactement le montant de l'offre estimée par moi de EI : cette similitude ne me surprend pas car ces chiffrages ont été faits à partir d'un bordereau de prix ". (cote 21)

54. L'explication avancée par Mme Z... n'est pas apparue crédible aux enquêteurs. Elle serait plausible si un seul coefficient de majoration ou de minoration était utilisé mais tel n'est pas le cas. Selon le rapport d'enquête, " l'offre " estimée " de Raffalli se situe au niveau du bordereau (0 %) ce qui constitue une offre classique, plausible. L'offre " estimée " de EI INEO est celle déposée par LMR (filiale de Raffalli) est bien plus improbable à déterminer car composée pour cinq chantiers sur onze de coefficients différents dont deux sont même exotiques (- 1,7 % pour le chantier de Monticello et - 2.7 % à Pigna). " (cote 23, page 20 du rapport d'enquête).

2. LES PRATIQUES RELEVEES LORS DES MARCHES DE TRAVAUX D'EDF

a) Les pièces saisies

Marché de travaux 2000-2003 : MP/ATG/00/097/LOT1/1/257/KER (Centre de la Corse)

55. Concernant ce marché de travaux, dans un courrier en date du 26 octobre 2000, EDF invite DEG à présenter une offre pour ce marché au plus tard le 14 novembre 2000.

56. Une télécopie en date du 13 novembre 2000 transmise à DEG par Paul Matthieu A... de la société Raffalli PM précise une série de coefficients : " S 1000 ed 1992 : Travaux accessoires de réseaux souterrains, Electricité zone Ghisonaccia-Bastia : X 1.80, Y 1.65, Z 1.65, W 2.00, Electricité zone Corte Calvi : X : 1.85, Y : 1.70, Z : 1.70, W : 2.05. S ; Al ed 2000 articles locaux pour travaux accessoires : Electricité et gaz : KX : 1.45, KZ 2.80, KW : 1.50, KU : 2.80 - 3.4000 ed 80 travaux études : E : 3.20 . Ci joint coefficients comme convenu".

57. Ces coefficients ont été repris par DEG à l'identique dans son offre. Marché de travaux 2002-2004 MP/ATI/02/096/5328/ROY (Corse du Sud - Haute Corse)

58. Le 25 avril 2002, M. Paul Matthieu A...de la société Raffalli PM adresse une télécopie à DEG relative à cet appel d'offres : " à l'attention de César, nouvelle proposition lot 2 : 499 000 " suivie des indications suivantes (cote 407) :

<emplacement tableau>

59. Dans sa réponse à EDF, Raffalli PM a indiqué les montants suivants (cote 732) :

<emplacement tableau>

60. DEG n'a pas repris les montants communiqués par Raffalli PM mais n'ayant adressé son offre que le 26 avril 2002, elle a forcément eu connaissance des montants communiqués par Raffalli PM avant de remettre celle-ci qui comporte des montants supérieurs à ceux communiqués (cote 719).

Marché de travaux 2002-2004 : MP/ATG/02/008/5328 (Corse du Sud - Haute Corse)

61. Les saisies effectuées chez DEG ont permis de trouver une télécopie émise le 14 novembre 2002 par un centre EDF de Haute Corse qui indique en caractères manuscrits les coefficients de GGB et Raffalli après négociation du 11 juin 2002.

62. Concernant cette télécopie, M. B... (DEG) précise qu'il s'agit d'une télécopie d'un correspondant du groupe technique de l'agence Haute Corse qui lui a communiqué les coefficients attribués à GGB et Raffalli PM à l'issue des négociations. DEG classée dernière pour le lot Haute Corse n'a pas revu son prix en phase négociée qui était d'ailleurs déjà achevée le 14 novembre 2002.

Marché de travaux 2004-2005 : TD-2004-14949-JF-757-MDK (Aleria - San Guiliana)

63. Une télécopie émise le 29 juillet 2004 par Raffalli PM à l'attention de DEG concerne ce marché de travaux lancé par EDF.

64. La télécopie précise : " [...] Ci dessous les prix concernant les coupes types de tranchées que tu dois indiquer dans le projet de commande : CTI =42.00euro, CT2=39.86euro, CT3=36.70euro, CT4=37.55euro " (cote 430).

65. L'offre de DEG, reprend les coefficients de coupes type tels qu'indiqués dans la télécopie envoyée par Raffalli PM qui a remporté le marché (cote 858).

b) Les déclarations des entreprises

66. Lors de son audition le 18 mai 2005, M. César B..., directeur technique de DEG, a déclaré que d'une manière générale, DEG s'associe ponctuellement à l'entreprise Raffalli PM, qui n'a pas les compétences en travaux aériens.

67. M. Paul Mathieu A... a déclaré que Raffalli PM est spécialisée dans les travaux souterrains sur les réseaux électriques. Pour les travaux mixtes (aérien et souterrain), il a précisé que Raffalli PM s'adresse à DEG, spécialisée en travaux aériens, comme sous-traitant déclaré, après attribution du contrat.

68. Sur les échanges d'informations, les explications de DEG sont les suivantes (cotes 431 et suivants) :

- concernant la télécopie du 13 novembre 2000, M. B... a indiqué seulement " notre réponse à l'appel d'offres du 14 novembre 2000 ne répondait pas à une forte motivation : nous voulions signaler notre présence à EDF ",

- concernant la télécopie du 29 juillet 2004, M. B... a déclaré que le marché en question qui comprend des travaux souterrains et environ 20 % de travaux aériens a été attribué à Raffalli PM dont DEG a été le sous-traitant. Selon lui, cette sous-traitance avait été prévue dès le lancement de l'appel d'offres en question.

69. Pour autant, M. B... n'a pas fourni d'explications concernant les télécopies saisies dans son entreprise DEG.

70. Pour l'entreprise Raffalli PM, et concernant les télécopies adressées par Raffalli PM à DEG en date du 13 novembre 2000, du 25 avril 2002 et du 29 juillet 2004, M. A... a affirmé que : " il s'agit dans les trois cas de prix de travaux souterrains transmis à DEG, à sa demande, pour que la société DEG prépare sa réponse à des appels d'offres d'EDF dans l'optique d'une association (DEG aérien, Raffalli PM souterrain) pour la réalisation des travaux. Raffalli PM a obtenu le marché EDF HTA/S Aleria-Cervione (troisième télécopie) qui a été réalisé avec DEG (sous- traitant déclaré après obtention du marché). Pour l'appel d'offres d'EDF HTA/S Haute Corse lot 1 Morosaglio, j'ai refusé d'entrer dans la négociation engagée par EDF. J'estime que les efforts demandés par EDF sur nos prix (de l'ordre de 30 %) sont excessifs ". (cote 18)

71. Selon le rapport de la DGCCRF, les réponses de l'entreprise DEG aux appels d'offres d'EDF ont été de pure forme, l'entreprise n'ayant pas l'intention de réaliser les travaux (cote 19).

72. Au cours de l'instruction, la société DEG a ajouté qu'elle ne possédait pas l'ensemble des moyens techniques et humains pour que l'activité " travaux souterrains " soit véritablement rentable. Ainsi, en présence de travaux mixtes (aériens et souterrains), les soumissionnaires sont contraints soit de sous-traiter la partie des travaux qui n'est pas du ressort de leur spécialité soit, pour une société comme DEG, qui possède les compétences des deux métiers sans en posséder tous les moyens matériels et humains, de proposer une offre moins compétitive en raison des investissements complémentaires qu'elle doit réaliser (cote 18).

73. En l'espèce, les marchés MP/ATG/00/097/LOT1/1/257/KER et TD-2004-14949-JF-757- MDK sont des marchés faisant appel à des compétences en matière de travaux souterrains, qui ne constituent pas le coeur du domaine d'activité de la société DEG et constituent la spécialité de la société Rafalli PM. Or, DEG et Raffalli PM entretiennent régulièrement des relations de sous-traitance en fonction de la nature des travaux à réaliser.

D. LES GRIEFS NOTIFIES

74. Sur la base de ces constatations, les griefs suivants ont été notifiés :

l/ II est reproché à 1'entreprise SEEHC d'avoir participé à une entente, par le biais d'une concertation préalable aux dépôts des offres lors de la consultation du SIE de la Balagne pour l'année 2003, en violation des dispositions de l'article L. 420-1 du livre IV du Code de commerce.

2/ II est reproché à l'entreprise EI RSE devenue INEO RSE d'avoir participé à une entente, par le biais d'une concertation préalable aux dépôts des offres et d'avoir pratiqué une offre de couverture ayant pour objet de désigner par concertation préalable aux dépôts des offres l'entreprise la moins-disante lors de la consultation du SIE de la Balagne pour l'année 2003, en violation des dispositions de l'article L. 420-1 du livre IV du Code de commerce.

3/ II est reproché à l'entreprise LMR devenue Enco Raffalli devenue SARL Raffalli et Cie d'avoir participé à une entente, par le biais d'une concertation préalable aux dépôts des offres, et d'avoir pratiqué une offre de couverture ayant pour objet de désigner par concertation préalable aux dépôts des offres l'entreprise la moins-disante lors de la consultation du SIE de la Balagne pour l'année 2003, en violation des dispositions de l'article L. 420-1 du livre IV du Code de commerce.

4/ II est reproché à l'entreprise Enco Raffalli devenue SARL Raffalli et Cie d'avoir participé à une entente, par le biais d'une concertation préalable aux dépôts des offres, et d'avoir pratiqué une offre de couverture ayant pour objet de désigner par concertation préalable aux dépôts des offres l'entreprise la moins-disante lors de la consultation du SIE de la Balagne pour l'année 2003, en violation des dispositions de l'article L. 420-1 du livre IV du Code de commerce.

5/ II est reproché à l'entreprise Raffalli Paul Matthieu d'avoir participé à une entente, par le biais d'une concertation préalable aux dépôts des offres lors des consultations d'EDF concernant les marchés de travaux MP/ATG/00/097/LOT1/1/257/KER, MP/ATI/02/096/5328/ROY, MP/ATG/02/008/5328 et TD-2004-14949-JF-757-MDK, en violation des dispositions de l'article L. 420-1 du livre IV du Code de commerce.

6/ II est reproché à l'entreprise DEG d'avoir participé à une entente, par le biais d'une concertation préalable aux dépôts des offres et d'avoir pratiqué une offre de couverture ayant pour objet de désigner par concertation préalable aux dépôts des offres l'entreprise la moins-disante lors des consultations d'EDF concernant les marchés de travaux P/ATG/00/097/LOT1/1/257/KER, MP/ATI/02/096/5328/ROY, MP/ATG/02/008/5328 et TD-2004-14949-JF-757-MDK, en violation des dispositions de l'article L. 420-1 du livre IV du Code de commerce.

75. Les griefs n° 3 et 4 à l'encontre des sociétés EI RSE et Enco Raffalli n'ont pas été maintenus au stade du rapport par la rapporteure. Quant aux griefs n° 5 et 6, ils ont été maintenus au stade du rapport sauf en ce qui concerne le marché de travaux MP/ATG/02/008/5328.

II. Discussion

A. SUR LA PRESCRIPTION

76. La question se pose à propos du premier marché de travaux 2000-2003 d'EDF : MP/ATG/00/097/ LOTI/1/257/KER. Les faits reprochés à DEG et à Raffalli PM se sont produits en octobre et novembre 2000. Le délai de prescription a commencé à courir à partir du 14 novembre 2000 qui correspond à la date ultime pour la remise des offres concernant ce marché. Au cours de cette période, le délai de prescription prévu par l'article L. 462-7 du Code de commerce était de trois ans. Ce délai a été porté à cinq ans par l'article 6 de l'ordonnance n° 2004-1173 du 4 novembre 2004. Cet allongement du délai de prescription n'est pas applicable en l'espèce car le délai de prescription avait expiré en novembre 2003. La prescription était donc acquise avant qu'intervienne l'ordonnance du 4 novembre 2004.

77. L'enquête administrative ne révèle pas que des actes interrompant la prescription ont eu lieu concernant ce marché avant l'expiration du délai en novembre 2003. Il s'ensuit que les faits concernant le premier marché de travaux d'EDF sont prescrits.

78. Il en va différemment des autres marchés de travaux. Les faits concernant le deuxième marché de travaux 2002-2004 (MP/ATI/02/096/5328/ROY) se sont produits le 25 et 26 avril 2002 et la date ultime de remise des offres à été fixée au 26 avril 2002 (§ 35 et 56 et suiv.). Le délai de trois ans n'avait pas expiré lorsqu'est intervenue l'ordonnance du 4 novembre 2004 qui a porté le délai à cinq ans de sorte que l'expiration du délai a été reportée au 26 avril 2007 (décision 06-D-08 du 24 mars 2006). Dans l'intervalle, la prescription a été interrompue en particulier par le rapport administratif d'enquête du 4 juillet 2005. Il en va de même pour le marché de travaux 2002-2004 (MP/ATG/02/008/5328). La date ultime de remise des offres a été fixée au 13 mai 2002 et la phase négociée s'est achevée en juin 2002 (§ 40, 59). Le délai de prescription, compte tenu de son allongement par l'ordonnance de 2004, a expiré en juin 2007. Les faits concernant le dernier marché (TD-2004-14949-JF-757-MDK) ont eu lieu le 29 juillet 2004, la date limite de remise des offres était fixée au 15 août 2004 (§ 44 et 60) de sorte que le rapport administratif d'enquête du 4 juillet 2005 a valablement interrompu la prescription.

B. SUR LE FOND

79. Chaque marché passé selon une procédure d'appel d'offres constitue un marché pertinent, résultant de la confrontation concrète, à l'occasion de cet appel d'offres, d'une demande du maître de l'ouvrage et des propositions des candidats qui soumissionnent à cet appel d'offres.

80. A de multiples reprises, le Conseil de la concurrence puis l'Autorité de la concurrence, notamment dans une décision n° 09-D-25 du 29 juillet 2009 relative à des pratiques d'entreprises spécialisées dans les travaux de voies ferrées, ont rappelé que les entreprises ont conclu une entente anticoncurrentielle dès lors que la preuve est rapportée, soit qu'elles sont convenues de coordonner leurs offres, soit qu'elles ont échangé des informations antérieurement à la date où le résultat de l'appel d'offres est connu ou peut l'être (voir en ce sens la décision n° 03-D-19 du 15 avril 2003 du Conseil relative à des pratiques relevées sur le marché des granulats dans le département de l'Ardèche, n° 06-D-08 relative aux pratiques relevées sur les marchés des collèges de l'Hérault, n° 08-D-33 du 16 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre sur un marché d'appel d'offres de la ville d'Annecy et du conseil général de Haute-Savoie pour le transport par autocar). Ces pratiques peuvent avoir pour objet de fixer les niveaux de prix auxquels seront faites les soumissions, voire même de désigner à l'avance le futur titulaire du marché en le faisant apparaître comme le moins disant. Elles peuvent également porter sur l'existence de compétiteurs, leur nom, leur importance, leur absence d'intérêt pour le marché considéré.

81. Il en découle que tout échange d'informations préalablement au dépôt des offres est anticoncurrentiel s'il est de nature à diminuer l'incertitude dans laquelle toutes les entreprises doivent se trouver placées relativement au comportement de leurs concurrentes. Cette incertitude est en effet la seule contrainte de nature à pousser les opérateurs concurrents à faire le maximum d'efforts en termes de qualité et de prix pour obtenir le marché. A l'inverse, toute limitation de cette incertitude affaiblit la concurrence entre les offreurs et pénalise l'acheteur public, obligé à payer un prix plus élevé que celui qui aurait résulté d'une concurrence non faussée (décisions n° 89-D-42, n° 01-D-17, n° 07-D-47, 06-D-08).

82. De plus, il résulte de la pratique décisionnelle du Conseil et de l'Autorité de la concurrence ainsi que de la jurisprudence de la cour d'appel de Paris que la preuve de pratiques anticoncurrentielles résulte d'une ou plusieurs preuves établissant sans ambigüité la pratique en cause, ou de l'utilisation d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants, constitué par le rapprochement lors de l'instruction de plusieurs documents ou déclarations, qui n'auraient pas un caractère probant pris isolément.

83. A cet égard, la Cour de cassation, dans un arrêt du 8 décembre 1992, a relevé que " l'existence et l'effectivité d'une entente ne sont normalement pas établies par des documents formalisés, datés et signés, émanant des entreprises auxquelles ils sont opposés ; que la preuve ne peut résulter que d'indices variés, dans la mesure où après recoupement, ils constituent un ensemble de présomptions suffisamment graves, précises et concordantes ". Ces présomptions peuvent ressortir de déclarations des entreprises (décision 07-D-48 du 18 décembre 2007, relative au secteur du déménagement national et international) ou d'éléments de contexte confortant la force probante de certaines pièces. Ainsi dans la décision 09-D-05 du 2 février 2009 concernant le secteur du travail temporaire, le Conseil a rappelé que "même si une pièce du dossier peut être insuffisante prise isolément pour démontrer l'existence d'une pratique anticoncurrentielle ou la participation à cette pratique d'une entreprise, son interprétation à la lumière d'autres pièces et le rapprochement de différentes pièces peuvent conduire à réunir le faisceau d'indices graves, précis et concordants propre à démontrer l'infraction ". Dans la décision 07-D-47 portant sur le secteur de l'équipement pour la navigation aérienne, le Conseil a considéré qu'un échange de bordereaux de prix non justifié par une nécessité technique ajouté à des éléments de contexte comme la saisie d'autres brouillons et l'identité des offres constituaient un faisceau d'indices graves, précis et concordants.

84. Enfin, la preuve de l'antériorité de l'échange d'informations par rapport à la consultation pourra être déduite de l'analyse du contenu de l'offre et du rapprochement de celui-ci avec le résultat de l'appel d'offres (CA Paris, 2 avril 1996, sté Pro Gec SA). De plus, la cour d'appel de Paris a jugé que quel que soit le lieu où il a été régulièrement saisi, le document est opposable aussi bien à l'entreprise qui l'a rédigé qu'à celle qui l'a reçu et même à celles qui y sont mentionnées (CA Paris, 18 décembre 2001, SA Bajus transport).

C. S'AGISSANT DE L'APPEL D'OFFRES DU SIE DE LA BALAGNE

1. S'AGISSANT DES GRIEFS NOTIFIES AUX ENTREPRISES SEEHC ET LMR

85. Le document 18 saisi dans les locaux de SEEHC et reproduit au § 49 a été établi par Mme Z... gérante de cette société. Il présente deux offres détaillées, l'une au nom de Raffalli, l'autre au nom de EI. La société LMR qui fait partie du groupe Raffalli a déposé une offre qui correspond exactement à l'offre préparée au nom de EI pour un montant global de 407 493,57 euro TTC en reprenant les prix de chaque chantier du document 18 (cotes 15 et 386). Mme Z... reconnaît être l'auteur des offres préparées au nom de Raffalli et de EI, mais ne donne aucune explication valable au fait que LMR du groupe Raffalli a déposé une offre identique à l'une de celles préparées en optant pour celle figurant sur le document au nom de EI.

86. Le document 13 saisi dans les locaux de SEEHC et reproduit au § 48 a été établi par Mme Z... qui a élaboré son offre en indiquant une variante de prix correspondant à une hausse globale de 2 000 euro pour trois chantiers sur les onze que comprenait l'offre qui est passée de 402 026,57 euro à 404 186,57 euro, montant de l'offre déposée.

87. Ainsi, la comparaison des documents 13 et 18 montre que SEEHC a modifié l'offre qu'elle a déposée en fonction de l'offre retenue par LMR en rendant son offre plus onéreuse pour le SIE tout en prenant soin qu'elle reste moins-disante par rapport à celle déposée par LMR qui était de 407 493,57 euro. Elle a ainsi remporté l'appel d'offres.

88. Dans leurs observations, les sociétés SEEHC et Raffali et Cie pour LMR soulignent, en premier lieu, que le document 18 n'étant pas daté, il existerait un doute sur son antériorité et il se pourrait que le maître d'ouvrage ait fourni postérieurement à l'attribution du marché les prix de ses concurrents à SEEHC afin que cette dernière connaisse les conditions exactes de l'attribution du marché.

89. En deuxième lieu, elles font valoir que la similitude constatée peut être due à une coïncidence compte tenu de l'étroitesse du marché et des similitudes entre les structures des différents acteurs économiques, ceux-ci étant selon les parties vraisemblablement en mesure d'estimer assez précisément les offres concurrentes. SEEHC ajoute que " cette coïncidence ne démontre pas que la société exposante ait été informée de l'offre devant être faite par la société LMR. (...) Cette note démontre que SEEHC a procédé à une simulation des offres de deux de ses concurrents, à savoir Raffalli et INEO, en effet le travail s'effectue sur bordereau de prix établi par le SIEB ". Pour ces entreprises, selon la pratique décisionnelle du Conseil (décision n° 04-D-20 du 14 juin 2004, signalisation routière horizontale), " la similitude relevée entre deux offres, dont il ne peut être exclu qu'elle résulte d'une simple coïncidence, est insuffisante pour établir l'existence d'une concertation (...) ".

90. En troisième lieu, elles soutiennent qu'il n'existerait aucun élément de nature à démontrer l'échange d'informations, ni de preuve du caractère intentionnel d'une concertation. Raffalli et Cie fait remarquer que " quand bien même des éléments des prix de l'entreprise Raffalli se trouvaient-ils en possession de la société SEEHC, il n'existe aucune preuve que ces éléments lui aient été transmis par l'entreprise Raffalli ".

91. Sur le premier point, le document 18, bien que non daté, a été conçu avant le dépôt des offres puisque Mme Z... a admis s'être livrée à une simulation des offres de ses concurrents potentiels (§ 51) et que c'est en ayant connaissance du contenu de ce document que LMR a déposé l'offre préparée au nom de EI. Contrairement à ce que prétendent les parties, il ne s'agit pas de la reprise d'informations données postérieurement à l'ouverture des plis par le SIE ou par les entreprises concurrentes. En effet, si tel avait été le cas, Mme Z... aurait indiqué le nom de l'entreprise LMR à la place de EI. Le document 13 ci-dessus analysé qui n'est pas non plus daté a été établi préalablement au dépôt des offres car il contient pour trois chantiers une variante de prix qui a été retenue par SHEEC lors du dépôt de son offre et a été établi en même temps que les offres préparées au nom des concurrents.

92. Sur le deuxième point, la reprise au centime près par LMR de l'offre estimée par la gérante de SEEHC pour EI ne résulte pas d'une coïncidence comme le prétendent les deux entreprises.

93. En effet, le maître d'ouvrage fournit à l'entreprise une série de prix par type de travaux (le bordereau de prix unitaires) et une fourchette financière grâce à laquelle il évalue les travaux qu'il est susceptible de commander ultérieurement mais qui n'est qu'indicative et ne donne aucune précision sur la nature des travaux prévus. Le règlement de l'appel d'offres ne comporte aucune étude d'exécution ni aucun compte rendu relatant les travaux réalisés au cours des deux ou trois dernières années écoulées. Ainsi, quand bien même le maître d'ouvrage donnerait une estimation des prix, il ne s'agit que d'une base au règlement de travaux, base permettant aux candidats de s'assurer que leurs coûts leur permettent de proposer des prix plus ou moins conformes à cette fourchette. Ensuite, les prix proposés par les candidats sont fixés en fonction de leurs propres coûts et ne s'établissent pas en fonction d'un pourcentage.

94. L'enquêteur a d'ailleurs fait observer que l'offre estimée par Mme Z... pour EI et déposée par LMR contient des coefficients qui sont " exotiques " et cite les chantiers de Monticello (-1,7 %) et Pigna (-2,7 %), démontrant ainsi que la reprise à l'identique dans l'offre déposée par LMR de tels coefficients ne peut résulter d'une coïncidence. (§ 52)

95. L'argumentation développée par les entreprises peut d'autant moins être admise qu'en l'espèce la similitude entre les offres déposées n'est pas en cause mais l'identité de l'offre déposée par LMR avec une offre préparée par son concurrent SEEHC de façon occulte. Aussi, l'évocation de la décision n° 04-D-20 du Conseil de la concurrence n'est-elle pas pertinente puisque cette décision se réfère à la similitude relevée entre deux offres déposées pour dire qu'elle est insuffisante pour établir l'existence d'une concertation car il n'est pas exclu qu'elle résulte d'une simple coïncidence. Or, SEEHC et LMR ont déposé deux offres différentes bien que préparées toutes deux par SEEHC afin de sauvegarder une apparence de concurrence.

96. Sur le troisième point, contrairement à ce que prétend Raffalli et Cie, l'instruction n'a pas cherché à établir que des éléments des prix de l'entreprise Raffalli se seraient trouvés en possession de SEEHC à laquelle Raffalli les aurait transmis, mais à établir que LMR, en déposant une offre strictement identique à l'une des offres préparées par sa concurrente SHEEC dans un document dissimulé et découvert à la suite d'une saisie dans cette entreprise, s'est concertée avec cette dernière pour remettre une offre de couverture qui a permis à SHEEC d'aménager sa propre offre et de remporter le marché.

97. Pour parvenir à ce résultat, LMR et SHEEC ont échangé des informations en opérant un choix entre les deux offres préparées par SHEEC. Il n'est pas nécessaire de prouver que la restriction de la concurrence a été consciemment envisagée et voulue par les parties en connaissance de cause. Dans sa décision n° 05-D-17, le Conseil de la concurrence a rappelé : " il n'est nullement demandé à la jurisprudence, pour établir une entente anticoncurrentielle, d'apporter la preuve que l'accord de volonté des entreprises parties à l'entente porte aussi sur l'obtention d'un effet anticoncurrentiel qu'elles auraient intentionnellement recherché. La démonstration d'un échange volontaire d'informations dans ces circonstances de marché suffit pour qualifier la pratique d'entente " (voir rapport annuel 2003 ( p. 73 et 76). En l'espèce, l'échange d'informations a été volontaire. Il a d'ailleurs provoqué l'effet anticoncurrentiel recherché puisque LMR a accepté de remettre une offre de couverture préparée par l'entreprise concurrente.

98. Ces éléments constituent un faisceau d'indices graves, précis et concordants qui démontrent l'existence d'un échange d'informations entre les entreprises LMR et SEEHC préalablement au dépôt de leurs offres et la remise par LMR d'une offre de couverture destinée à favoriser SEEHC, en infraction avec les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

2. S'AGISSANT DES GRIEFS NOTIFIES AUX ENTREPRISES EI RSE ET ENCO RAFFALLI

a) A l'encontre de la société EI

99. La société INEO (EI RSE) indique qu'elle a bien déposé une offre mais que cette offre n'était nullement de 407 93,57 euro TTC (montant mentionné par Mme Z... sous le nom " EI ") mais de 413 575 ,20 euro TTC.

100. Après avoir fait une enquête interne, elle démontre que la société INEO Réseaux Sud-Est n'a pas adressé son offre hors délai au SIE de Balagne, et a versé aux débats :

- la copie du bordereau de dépôt de LRAR n° RA 3217 1674 9 FR attestant l'envoi de son offre au SIE de Balagne le 28 mars 2003, soit quatre jours avant la date limite de dépôt des offres ;

- la copie de l'accusé de réception (portant le même numéro RA 3217 1674 9 FR) attestant que le pli a été présenté par la poste au SIE de Balagne le 29 mars 2003 trois jours avant la date limite de dépôt des offres.

101. Ces nouvelles pièces prouvent que le syndicat ne s'est pas fait remettre cette lettre recommandée, en sorte que celle-ci a dû lui être représentée et qu'elle a été retirée le 8 avril 2003. L'ensemble de ces éléments ne permet pas de démontrer que EI (INEO) a participé à l'échange d'informations, objet du grief n° 2. Il n'est donc pas établi que la société INEO (EI RSE) ait enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

b) A l'encontre de la société Enco Raffalli

102. L'entreprise Enco Raffalli a omis de fournir une attestation fiscale et sociale avec sa candidature et indique qu'il s'agissait d'une erreur matérielle. Elle a donc été éliminée sans avoir présenté d'offres, la seconde enveloppe n'ayant pas été ouverte ni conservée. Sur la base des seuls éléments présentés au dossier, il ne peut lui être reproché d'avoir contrevenu aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

D. S'AGISSANT DES MARCHES DE TRAVAUX D'EDF

103. Deux des marchés de travaux d'EDF retenus à l'encontre de Raffalli PM et de DEG par les griefs n° 5 et 6 doivent être écartés :

- le premier marché de travaux 2000-2003 d'EDF, MP/ATG/00/097LOTI/1/257/KER, car les faits reprochés à ces entreprises sont prescrits (§ 74 et 75) ;

- le troisième marché de travaux 2002-2004 d'EDF MP/ATG/02/008/5328, car la saisie chez DEG d'une télécopie émise par le centre EDF de Haute Corse mentionnant des coefficients adoptés par deux entreprises lors de la négociation qui a suivi l'appel d'offres et adressée après l'achèvement de l'appel d'offres ne permet pas d'établir les faits reprochés.

104. En revanche, les deux autres marchés de travaux d'EDF révèlent l'existence d'un échange d'informations entre Raffalli PM et DEG :

- en ce qui concerne le marché de travaux 2002-2004 d'EDF MP/ATI/02/096/5328/ROY (Corse du Sud - Haute Corse), Raffalli PM a adressé, le 25 avril 2002, à DEG une télécopie lui proposant certains montants concernant cet appel d'offres ; DEG a eu connaissance de cette télécopie avant de remettre son offre le lendemain et si elle n'a pas repris les montants communiqués par sa concurrente, elle a toutefois déposé une offre d'un montant supérieur à celle de Raffalli PM pour le lot n° 2 le seul auquel elle a soumissionné ; ce lot n'a cependant pas été remporté par Raffalli PM mais par Raffalli et Cie ;

- en ce qui concerne le marché de travaux 2004-2005 d'EDF TD/2004/14.949/JF/757/MDK, DEG a repris dans son offre " les prix des coupes types de tranchées " que Raffalli PM lui avait recommandés dans sa télécopie du 29 juillet 2004 ; ces deux entreprises ont été les seules à remettre des offres et Raffalli PM a remporté le marché.

105. Les deux entreprises ne nient pas l'échange d'informations, mais en premier lieu, Raffalli PM l'explique par la nécessité de s'associer avec DEG pour la réalisation des travaux, étant elle-même spécialisée dans les travaux souterrains tandis que DEG a plus de compétences en matière de réseau aérien (§ 78). En deuxième lieu, toutes deux font valoir qu'elles ont échangé des informations dans la perspective d'une sous-traitance, Raffalli PM ayant indiqué à DEG ses tarifs de sous-traitant nécessaires à DEG pour la détermination du prix global. DEG confirme qu'elle s'associe ponctuellement en sous-traitance déclarée avec Raffalli PM qui n'a pas les compétences en matière de travaux aériens (§ 65 et cote 18).

106. Elles estiment que selon un arrêt de la cour d'appel du 26 septembre 2000 (Jurisdata n° 2000-125020), il appartenait au rapporteur de démontrer que la sous-traitance devait être occulte pour que l'échange d'informations soit qualifié d'anticoncurrentiel. D'ailleurs, s'agissant du marché TD-2004-14949-JF-757-MDK, un contrat de sous-traitance a été signé, par acte en date du 12 janvier 2005, entre la société Raffalli PM, entrepreneur principal attributaire du marché, et la société DEG en qualité de sous-traitant.

107. Raffalli PM soutient enfin, en se référant à un arrêt rendu le 12 février 2002 par la cour d'appel, que pour que les pratiques reprochées soient constitutives d'une entente, il faudrait que soit rapportée la preuve de l'effet sensible sur la concurrence.

108. Sur le premier point, lorsque des entreprises estiment nécessaire de s'associer pour répondre à un même appel d'offres, elles ne doivent pas échanger des informations portant sur cet appel d'offres tant que leur groupement n'est pas constitué. Si ces échanges avaient lieu et que les entreprises décidaient en définitive de répondre individuellement, la concurrence serait faussée par la remise de ces offres indépendantes qu'en apparence (décision n° 06-D-25 du 28 juillet 2006 - Restauration du patrimoine campanaire de la cathédrale de Rouen).

109. Sur le deuxième point, qui constitue l'argumentation essentielle des entreprises, l'échange d'informations serait justifié par leurs relations de sous-traitance. Cependant, il n'est pas compréhensible que Raffalli PM ait, pour les deux marchés de travaux retenus, communiqué à DEG ses tarifs de sous-traitant. Le marché de travaux d'EDF 2002-2004 portait sur des travaux souterrains de lignes hautes tension entrant dans la spécialité de Raffalli PM. Le marché de travaux d'EDF 2004-2005 portait à la fois sur le réseau souterrain et aérien et a donné lieu à la signature d'un contrat de sous-traitance, mais ce sont les travaux aériens qui ont été sous-traités par Raffalli PM à DEG (cotes 436 et 437). En réalité, des informations ont été données par Raffalli PM à DEG sur les coûts des travaux souterrains afin de permettre à DEG de présenter une offre qui tout en ayant l'apparence d'une offre concurrente indépendante, favorisait l'offre de Raffalli PM.

110. Cependant, en suivant les entreprises dans leur argumentation sur la possibilité d'un échange d'informations avec un éventuel sous-traitant il convient d'observer que cet échange doit se faire en respectant les règles de concurrence. L'arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 septembre 2000 ne peut être utilement invoqué en l'espèce. En effet, la cour d'appel a considéré " qu'il n'est pas démontré qu'un recours à des sous-traitants ait été décidé de manière occulte antérieurement à l'obtention des marchés ; que dès lors le recours à plus de sous-traitants qu'il n'était originairement prévu ou à d'autres sous-traitants, ne saurait être constitutif d'un élément d'entente préalable à la soumission des offres .... ". Or, dans le cas présent il est reproché aux deux entreprises d'avoir échangé des informations en présentant deux offres apparemment indépendantes et concurrentes en tentant vainement a posteriori de justifier leur comportement par des relations de sous-traitance.

111. Dans la décision n° 97-D-11 du 25 février 1997 relative à des pratiques sur le marché d'assainissement des berges de la Seine, le Conseil a décidé : " Considérant que les sociétés EMCC et SNV ne contestent pas ces échanges, mais justifient ces contacts par un projet d'accord de sous-traitance ; mais considérant que l'existence éventuelle d'un projet de sous-traitance n'implique pas de porter à la connaissance de l'entreprise sous-traitante pressentie l'intégralité des prix de la société donneur d'ordre ; (...); qu'en outre, lorsque plusieurs entreprises ont étudié la possibilité d'établir entre elles des liens de donneur d'ordre à sous-traitant à l'occasion d'un marché et qu'elles présentent ensuite des offres distinctes en s'abstenant de mentionner le fait qu'elles ont échangé des informations, de telles pratiques sont prohibées par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dans la mesure où elles faussent le jeu de la concurrence en limitant l'indépendance des opérateurs dans leurs décisions et en tentant d'induire ou en induisant en erreur le maître d'ouvrage sur la réalité et l'étendue de ses choix ".

112. Dans cette affaire, la cour d'appel a jugé le 13 janvier 1998 que : " s'il est loisible à une société qui n'est pas en mesure d'assurer seule l'ensemble des travaux concernés par un appel d'offres, d'échanger des informations avec un éventuel sous-traitant, il demeure qu'elle doit le faire en respectant les règles de la concurrence. Que tel n'est pas le cas lorsque, comme en l'espèce, EMCC échange ces informations avec deux entreprises, Hayet et Nouvelle Voltaire, et qu'ensuite ces trois sociétés présentent des offres séparées sans mentionner qu'elles se sont consultées préalablement, EMCC s'abstenant au surplus d'indiquer le nom de l'entreprise avec laquelle elle entendrait sous- traiter ".

113. Dans ses écritures, Raffalli Paul Mathieu déduit de cet arrêt que " le caractère illicite de l'échange d'informations intervenu antérieurement au dépôt, entre des entreprises ayant soumissionné séparément, ne résulte donc que de l'absence d'information de l'acheteur à cet égard. Ainsi on ne peut déduire de cette jurisprudence que l'information de l'acheteur, par les entreprises soumissionnaires, de leur projet de sous-traitance ait dû être nécessairement expresse ". L'entreprise ajoute qu'aucune pièce du dossier n'établit qu'EDF aurait, dans le cadre des appels d'offres concernés, requis des entreprises soumissionnaires qu'elles mentionnent les projets de sous-traitance envisagés.

114. Il convient de rappeler que concernant le marché de travaux MP/ATI/02/096/5328/ROY, le règlement de consultation d'EDF prévoyait en son article B-2 que : " la sous-traitance est autorisée. L'entrepreneur principal devra déclarer son sous- traitant sur un acte spécial et le soumettre à l'acceptation d'EDF GDF Services ". Concernant le marché de travaux TD-2004-14949-JF-757-MDK le règlement de consultation prévoyait en son article 7.1 la possibilité d'une sous-traitance, avec un tableau sur lequel l'offreur devait indiquer la nature des travaux sous-traités et l'entreprise sous-traitante.

115. Mais il importe peu de déterminer si la sous-traitance devait être déclarée au maître d'ouvrage car la jurisprudence est désormais fixée en ce sens que si des entreprises échangent des informations dans la perspective d'une sous-traitance, elles ne sont pas autorisées à présenter des offres séparées pour ce marché. Dans sa décision n° 07-D-47 du 18 décembre 2007 relative à des pratiques relevées dans le secteur de l'équipement pour la navigation aérienne, le Conseil de la concurrence indique : " Les explications des entreprises, selon lesquelles l'échange d'informations entre Thomson et SEEE a eu lieu dans le cadre de discussions préparatoires à une sous-traitance limitée portant sur la fourniture de groupes électrogènes, sont inopérantes. Ainsi qu'indiqué précédemment, lorsque des entreprises échangent des informations sur leurs prix pour une éventuelle sous-traitance en vue de l'exécution d'un marché sur appel d'offres, elles ne peuvent ensuite présenter simultanément des offres séparées pour ce marché. Dans ce cas, leurs offres ne sont pas indépendantes, même partiellement, et la concurrence est faussée ". Contrairement à ce que prétend Raffalli PM dans son mémoire en réplique, la cour d'appel n'a pas, dans son arrêt du 14 janvier 2009, annulé la décision en statuant sur cette prise de position qui ne lui a pas été soumise mais a annulé la décision en ce qu'elle avait prononcé une sanction à l'égard d'une entreprise à laquelle la pratique anticoncurrentielle ne pouvait pas être imputée.

116. Il apparaît donc qu'en fait comme en droit l'échange d'informations entre les deux entreprises ne peut être justifié par un éventuel accord de sous-traitance.

117. Sur le troisième point, l'entreprise Raffalli PM cite l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 12 février 2002 selon lequel la cour a écarté l'existence d'une entente anticoncurrentielle " estimant que la preuve n'était pas rapportée de l'existence d'une corrélation entre l'échange d'informations litigieux et la détermination par les entreprises en cause de leurs prix " et en déduit que pour que les pratiques qui lui sont reprochées soient constitutives d'une entente il faut " que soit rapportée la preuve de leur effet sensible sur la concurrence " .

118. Or, si Raffalli PM a correctement analysé l'arrêt ci-dessus cité, la déduction qui en est tirée est erronée. Dans cette espèce, la cour d'appel a jugé que la démonstration n'avait pas été faite de l'existence d'une corrélation nécessaire entre un échange d'informations entre les entreprises sur leurs coûts de revient, la structure de leurs prix ou leurs capacités techniques et la détermination par celles-ci d'un coefficient de majoration du prix des fournitures relatives aux travaux aériens et d'un prix moyen de main-d'œuvre dans l'appel d'offres. C'est la raison pour laquelle la cour d'appel a jugé qu'" il résulte que la concertation reprochée aux entreprises requérantes n'a pu avoir qu'un effet négligeable sur les propositions qu'elles ont présentées à la suite du lancement des appels d'offres correspondant aux marchés litigieux ". Elle n'a pas dit que l'échange d'informations devait avoir un effet sensible sur la concurrence mais que les informations échangées n'ont eu qu'un effet négligeable sur la détermination de leurs offres. Or, en l'espèce les informations communiquées par Raffalli PM à DEG ont servi à cette dernière à faire une offre destinée à favoriser celle de son concurrent apparent.

119. Pour être prohibé au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce, il suffit qu'un échange d'informations préalable au dépôt de soumission à un appel d'offres ait "pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ". Il est de jurisprudence constante que l'absence d'effet ne retire pas aux pratiques leur caractère anticoncurrentiel (cour d'appel arrêt du 13 mars 1991, sociétés Demouy et Guerra Tracy ; cour d'appel arrêt du 18 janvier 2000, Chaillan Frères ; cour d'appel arrêt du 12 décembre 2000, société SOGEA Sud-Est ; décision n° 07-D-29 du 26 septembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés publics d'installation électrique lancés par l'établissement public du musée et du domaine national de Versailles ; sur la distinction entre l'objet et l'effet anticoncurrentiel voir aussi les décisions n° 07-D-15, n° 09-D-10).

120. En l'espèce, Raffalli PM a transmis à DEG à deux reprises, avant la date limite de remise des offres, divers éléments chiffrés (coefficients, prix de coupes-types de tranchées,...) que dans un cas, DEG a intégrés à son offre mais que, dans un autre cas, elle les a surévalués dans son offre. Raffalli PM a donc clairement orienté à sa convenance le niveau de prix proposé à l'acheteur par DEG, dans le but d'être bénéficiaire du marché.

121. Cette stratégie a permis à Raffalli PM de remporter l'un des marchés, mais ne lui a pas permis de se voir attribuer le lot n° 2 de l'autre marché de travaux 2002-2004 parce qu'elle a refusé d'entrer en négociation avec EDF.

122. Il résulte de l'ensemble des éléments décrits ci-dessus que les entreprises DEG et Raffalli PM se sont concertées préalablement à la remise de leurs offres afin que les offres de couverture de DEG favorisent Raffalli PM, sa concurrente apparente. Elles ont ainsi enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en faussant la concurrence sur deux marchés de travaux d'EDF.

E. SUR LES SANCTIONS

123. Le I de l'article L. 464-2 du Code du commerce dans sa rédaction issue de la loi du 15 mai 2001 dispose notamment que : " Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".

1. SUR LA GRAVITE DE LA PRATIQUE

124. L'objet même de l'appel d'offres sur un marché public est d'assurer une mise en concurrence pleine et entière des entreprises susceptibles d'y répondre au profit de la personne publique. De jurisprudence constante, comme l'a rappelé le Conseil de la concurrence (décision n° 05-D-17 du 12 mai 2005 relative à la situation de la concurrence dans le secteur des marchés de travaux de voirie en Côte d'Or ; décision n° 04-D-03 du 18 février 2004 relative à des pratiques relevées lors d'un appel d'offres lancé par la direction régionale des douanes de Marseille pour la mise en conformité électrique de la cité de la Joliette), la mise en échec du déroulement normal des procédures d'appels d'offres, en empêchant la fixation des prix par le libre jeu du marché et en trompant la personne publique sur la réalité et l'étendue de la concurrence qui s'exerce entre les entreprises soumissionnaires, perturbe le secteur où a lieu une telle pratique et porte une atteinte grave à l'ordre public économique. Les relations qui s'instaurent entre les entreprises qui participent habituellement aux travaux d'électrification rurale réalisés sous forme de marchés à bons de commande d'un montant peu élevé mais qui sont renouvelés ne doivent pas les conduire à limiter la pression concurrentielle à laquelle elles sont soumises, lorsqu'elles se déterminent de manière indépendante. Le dépôt d'offres de couverture préparées de surcroît en ce qui concerne le SIE de la Balagne par l'entreprise concurrente révèle une pratique délibérée de fausser la concurrence recherchée par la mise en œuvre de l'appel d'offres.

125. En outre, comme l'a rappelé le Conseil de la concurrence dans une décision n° 07-D-47 du 18 décembre 2007 relative à des pratiques relevées dans le secteur de l'équipement de la navigation aérienne, le caractère ponctuel ou la faible durée effective de la concertation n'est pas un critère pour atténuer la gravité d'une pratique d'entente horizontale en matière de marché public, puisqu'un appel d'offres est, par nature, un marché instantané qui peut être faussé sans recourir à une entente durable. Il y a lieu de prendre en compte, pour apprécier la durée de la pratique, celle de l'exécution du marché.

126. En l'espèce, le marché du SIE de la Balagne et le marché de travaux d'EDF TD-2004- 14949-JF-757-MDK ont été conclus pour une période d'un an et le marché de travaux MP/ATI/02/096/5328/ROY pour une période de deux ans.

2. SUR LE DOMMAGE A L'ECONOMIE

127. L'échange d'informations et le dépôt d'offres de couverture ont causé un dommage à l'économie car ils n'ont pas permis de déterminer le juste prix du marché par une comparaison entre des offres proposées en toute autonomie par les entreprises se faisant concurrence, même si l'exercice par EDF d'un pouvoir de négociation concernant ses marchés de travaux peut permettre à ce dernier d'exercer une pression sur les prix. Il convient de rappeler que selon une jurisprudence, établie, " le dommage à l'économie est présumé par la loi dès lors que l'existence d'une entente est établie " (Cour de cassation, chambre commerciale, arrêt du 10 janvier 1995, Sogéa ; décision du Conseil n° 01-D-17 du 25 avril 2001 relative à des pratiques anticoncurrentielles dans les marchés d'électrification de la région du Havre).

128. Par ailleurs, le dommage à l'économie est indépendant du dommage souffert par le maître d'ouvrage en raison de la collusion entre plusieurs entreprises soumissionnaires (arrêt de la cour d'appel de Paris du 22 septembre 1998) et s'apprécie en fonction de l'entrave directe portée au libre jeu de la concurrence (arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 juin 1999, Solatrag).

129. Pour apprécier le dommage à l'économie, l'Autorité tient compte du montant des marchés attribués sur lesquels ont porté les pratiques, soit, dans la présente affaire, un montant de 404 000 euro pour le SIE de la Balagne, de 354 000 euro concernant le lot n° 2 du premier marché de travaux d'EDF retenu et de 281 000 euro pour le second marché de travaux d'EDF, mais aussi de la malheureuse valeur d'exemple que ce type de comportement peut susciter pour d'autres appels d'offres.

3. SUR LE MONTANT DE LA SANCTION

130. La société SEEHC a pris une part active et prépondérante à la pratique d'échange d'informations en élaborant elle-même l'offre qui a été déposée par l'entreprise concurrente en ce qui concerne l'appel d'offres de SIE Balagne. Le chiffre d'affaires réalisé en 2008 par SEEHC est de 1 742 143 euro pour un résultat net de 244 469 euro. En fonction des éléments généraux et individuels exposés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction de 18 000 euro.

131. La société Raffalli et Cie se voit imputer l'échange d'informations avec SEEHC et le dépôt de l'offre de couverture lors de l'appel d'offres du SIE de la Balagne conformément au grief n° 3 notifié. En effet, postérieurement au dépôt de l'offre par la société nouvelle LMR, cette société a été radiée du RCS le 9 mars 2004 et son patrimoine transféré à la société Enco Raffalli. Enco Raffali a elle-même été radiée du RCS le 8 juillet 2008 et son patrimoine transmis à Raffalli et Cie qui à la suite de cette restructuration détient désormais les droits et obligations des deux sociétés (§ 10 et 11). En revanche, Enco Raffalli n'ayant pas contrevenu à l'article L. 420-1 du Code de commerce, aucune pratique n'est imputée sur le fondement du grief n° 4 à Raffalli et Cie. L'ensemble des activités de Raffalli et Cie est concerné par le marché de travaux pour lequel cette société est sanctionnée. Son chiffre d'affaires s'est élevé en 2008 à 14 101 794 euro. En fonction des éléments généraux et individuels exposés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction de 120 000 euro.

132. La société DEG a accepté à deux reprises, sur l'instigation de Raffalli PM, de favoriser les offres de cette dernière en déposant des offres de couverture. Le chiffre d'affaires réalisé par DEG en 2008 s'est élevé à 1 903 215 euro. En fonction des éléments généraux et individuels exposés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction de 15 000 euro.

133. La société Raffalli PM a pris une part active et prépondérante à la pratique d'échange d'informations concernant les deux marchés de travaux d'EDF. Le chiffre d'affaires réalisé en 2008 par Raffalli PM est de 1 659 365 euro. Par jugement en date du 6 avril 1999, elle a été placée en plan de continuation pour une durée de 10 ans. Elle a fini d'honorer les échéances de ce plan. En fonction des éléments généraux et individuels exposés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction de 16 000 euro.

Décision

Article 1er : Il n'est pas établi que la société INEO (EI RSE) a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Article 2 : Il est établi que les entreprises SEEHC, Raffalli et Cie, DEG et Raffalli PM ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Article 3 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

- à la société SEEHC une sanction de 18 000 euro ;

- à la société Raffalli et Cie une sanction de 120 000 euro ;

- à la société DEG une sanction de 15 000 euro ;

- à la société Raffalli PM une sanction de 16 000 euro ;