Cass. com., 22 novembre 2005, n° 01-15.370
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Chemoul (Epoux)
Défendeur :
Banque du crédit liégeois (Sté), Bred Banque populaire (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Rapporteur :
Mme Cohen-Chevallier
Avocat général :
M. Main
Avocats :
SCP Choucroy-Gadiou-Chevallier, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez
LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 9 mai 2001), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 11 janvier 2000, pourvoi n° 97-12.008), qu'en 1990, la société française FC Financement, à qui M. et Mme Chemoul (les époux Chemoul) avaient confié la recherche d'un organisme pouvant leur prêter un million de francs, a obtenu, en mai 1990, de la banque de droit belge Le Crédit liégeois, qu'elle leur adresse une offre à leur domicile en France ; que les époux Chemoul ont accepté, par correspondance émise en France, cette offre ; qu'un contrat notarié a été établi en France, avec constitution d'une garantie hypothécaire ; qu'à la suite d'une interruption dans les remboursements, le Crédit liégeois a engagé une procédure de saisie immobilière ; que les époux Chemoul ont parallèlement demandé judiciairement l'annulation du prêt en se prévalant notamment du défaut d'agrément du Crédit liégeois ; que la cour d'appel, pour rejeter cette demande, a écarté l'application de l'article 15 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, relative à l'exigence d'un agrément, en retenant que le contrat de prêt s'était formé en Belgique, et que l'acte notarié n'avait été établi en France que pour permettre la constitution d'une garantie ; que cet arrêt a été cassé pour n'avoir pas tiré les conséquences légales de ses constatations après avoir relevé que l'offre avait été adressée en France et son acceptation émise en France, ce dont il résultait que le Crédit liégeois avait pratiqué des opérations de crédit en France ;
Attendu que les époux Chemoul font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur action en nullité d'un prêt hypothécaire que leur avait consenti le Crédit liégeois le 10 août 1990, alors, selon le moyen, que l'agrément en France des banques ayant leur siège dans un autre Etat membre de l'Union européenne se justifie au regard des règles du droit communautaire s'il remplit trois conditions : s'imposer à toute personne exerçant cette activité, être justifié par des raisons tirées de l'intérêt général, et être objectivement nécessaire pour assurer le respect des règles applicables dans le secteur considéré ; qu'en l'espèce, aucune discrimination n'existait à l'encontre des banques ayant leur siège dans un autre Etat membre de l'Union, puisque les banques françaises étaient soumises à la même obligation de l'agrément par le comité des établissements de crédit ; que l'agrément était justifié par la nécessité d'assurer le respect des articles 15,16 et 17 de la loi du 24 janvier 1984 (aujourd'hui articles L. 511-10 et L. 511-11 du Code monétaire et financier) et de protéger les consommateurs, protection qui ne peut être assurée par l'intervention d'un notaire, mandaté par la banque, lequel s'il doit assurer l'efficacité de la constitution d'une hypothèque, n'a pas pour mission de contrôler les conditions d'octroi d'un prêt, formalité par un acte sous seing privé, rédigé préalablement par la banque ; qu'en déclarant qu'en subordonnant à l'agrément du comité des établissements de crédit, lequel supposait l'installation en France d'une succursale, la possibilité pour une banque belge d'accorder un prêt hypothécaire en France, la législation française allait au-delà de ce qui était objectivement nécessaire pour protéger les intérêts qu'elle avait pour but de sauvegarder et qu'en conséquence, elle était incompatible avec le traité instituant la Communauté européenne, ce qui suffisait à la validité du prêt consenti aux époux Chemoul, la cour d'appel a violé l'article 15 de la loi du 24 janvier 1984 (L. 511-10 du Code monétaire et financier) ;
Mais attendu que la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit (CJCE, 9 juillet 1997, société civile immobilière Parodi c/ banque H. Albert de Bary et Cie, C-222-95) que pour la période précédant l'entrée en vigueur de la deuxième directive 89-646-CEE du 15 septembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et de son exercice, et modifiant la directive 77-780-CEE du 12 décembre 1977, l'article 59 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un Etat membre impose à un établissement de crédit, déjà agréé dans un autre Etat membre, d'obtenir un agrément pour pouvoir accorder un prêt hypothécaire à une personne résidant sur son territoire, à moins que cet agrément s'impose à toute personne ou à toute société exerçant une telle activité sur le territoire de l'Etat membre de destination, soit justifié par des raisons liées à l'intérêt général telles que la protection des consommateurs et soit objectivement nécessaire pour assurer le respect des règles applicables dans le secteur considéré et pour protéger les intérêts que ces règles ont pour but de sauvegarder, étant entendu que le même résultat ne pourrait pas être obtenu par des règles moins contraignantes ; qu'elle a indiqué (point 31) que si l'exigence d'un agrément constitue une restriction à la libre prestation de services, l'exigence d'un établissement stable est en fait la négation même de cette liberté, ce qui a pour conséquence d'enlever tout effet utile à l'article 59 du Traité, dont l'objet est précisément d'éliminer les restrictions à la libre prestation des services de la part de personnes non établies dans l'Etat sur le territoire duquel la prestation doit être fournie ; que pour qu'une telle exigence soit admise, il faut établir qu'elle constitue une condition indispensable pour atteindre l'objectif recherché (CJCE, 4 décembre 1986, Commission/Allemagne, 205-84 point 52, et du 6 juin 1996, Commission/Italie, C-101-94, point 31) ;
Et attendu que l'arrêt retient que le Crédit liégeois, établissement ayant son siège en Belgique, se trouvait soumis à des dispositions législatives, réglementaires et administratives belges qui prenaient en compte, à l'époque du crédit litigieux, les conditions générales et exigences posées par la première directive 77-780-CEE du 12 novembre 1977 visant à la coordination des dispositions relatives à l'accès et l'exercice de l'activité des établissements de crédits, les autorités nationales compétentes n'accordant, en vertu de cette directive, l'agrément que lorsqu'étaient remplies les conditions relatives à l'existence de fonds propres distincts, à celle de fonds propres minimaux suffisants et à la présence d'au moins deux personnes pour déterminer effectivement l'orientation de l'activité de l'établissement de crédit, ces personnes devant posséder l'honorabilité nécessaire et l'expérience adéquate pour exercer ces fonctions ; que cette même législation belge soumettait les établissements de crédit ayant leur siège en Belgique à la surveillance d'une autorité de contrôle bancaire elle-même soumise, conformément à l'article 7 de cette même directive, à une obligation de collaboration étroite avec les autorités compétentes des autres Etats membres ; qu'en l'état de ces énonciations et appréciations, la cour d'appel a exactement déduit que la législation française, qui avait subordonné la possibilité de consentir des prêts hypothécaires en France par des établissements de crédit ayant leur siège dans un autre Etat membre, où ils bénéficiaient pour cette activité d'un agrément délivré par l'autorité de contrôle, à l'agrément du comité des établissements de crédit qui supposait un établissement stable sur le territoire français, allant au-delà de ce qui était objectivement nécessaire pour protéger les intérêts qu'elle avait pour but de sauvegarder, était incompatible avec les dispositions du droit communautaire en vigueur au moment de la délivrance des prêts ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.