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Décisions

Cass. com., 4 juin 2002, n° 00-16.915

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Comptoir d'escompte de Belgique, Bred Banque Populaire

Défendeur :

Ballongue, Lahmi (Consorts)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Collomp

Avocat général :

M. Lafortune

Avocats :

SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Waquet, Farge, Hazan

Rouen, 1re ch. civ., du 26 avr. 2000

26 avril 2000

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 26 avril 2000), que par acte signé à Bruxelles le 2 février 1988, réitéré en la forme authentique à Paris, le 8 février 1988, les sociétés de droit belge Comptoir d'escompte de Belgique et Banque du Crédit liégeois aux droits desquelles se trouvent respectivement la société Dexia société de crédit et la société Bred Banque populaire, ont consenti à M. Léandre Lahmi un prêt garanti par une inscription hypothécaire sur un bien situé en France ; que M. Léandre Lahmi étant décédé, Mme Ballongue, son ex-épouse divorcée, agissant tant en son nom personnel qu'au nom des deux enfants communs alors mineurs, a demandé judiciairement d'annuler ce prêt et cette inscription hypothécaire en faisant valoir que les établissements prêteurs étaient dépourvus de l'agrément exigé par l'article 15 devenu l'article L. 511-10 du Code monétaire et financier pour effectuer des opérations de banque en France et qu'en outre les dispositions de la loi du 13 juillet 1979 auxquelles les parties avaient entendu soumettre leur convention n'avaient pas été respectées ; que la cour d'appel a accueilli ces demandes et dit qu'en conséquence Mme Ballongue et ses fils "n'étaient redevables d'aucune somme envers les banques sur leur quote-part de l'immeuble objet de l'inscription hypothécaire" ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que les sociétés Dexia société de crédit et Bred Banque populaire font grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen : 1°) que selon les constatations des premiers juges, qui ne sont pas contredites par l'arrêt attaqué, le contrat de prêt a été conclu et exécuté en Belgique, seule la convention constitutive d'hypothèque ayant été conclue en France, si bien qu'en retenant que les sociétés Comptoir d'escompte de Belgique et Banque de Crédit Liégeois avaient effectué une opération de crédit en France et devaient, à ce titre, obtenir l'agrément préalable prévu par l'article 15 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, la cour d'appel a violé le texte précité et l'article 3 du Code civil ; 2°) qu'il résulte de l'article 3 du Code civil et des articles 1, 10 et 15 de la loi du 24 janvier 1984 que l'exigence d'un agrément s'impose aux personnes morales qui effectuent à titre habituel des opérations de crédit en France, si bien qu'en décidant que les sociétés Comptoir d'escompte de Belgique et Banque de Crédit liégeois devaient obtenir l'agrément prévu par l'article 15 de la loi précitée sans avoir constaté qu'elles effectuaient des opérations de crédit à titre habituel en France, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes précités ; 3°) que les articles 49 et 50 du traité CEE imposent l'élimination de toute restriction à la libre prestation de service par un prestataire établi dans un Etat membre, telle l'obtention d'un agrément préalable, à moins qu'elle ne s'applique à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l'Etat destinataire, qu'elle ne soit justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général dans la mesure où cet intérêt n'est pas suffisamment sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l'Etat membre où il est établi et qu'elle soit objectivement nécessaire pour assurer le respect des règles applicables dans le secteur considéré et pour protéger les intérêts que ces règles ont pour but de sauvegarder, si bien qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si l'obtention d'un agrément, eu égard aux conditions de sa délivrance et aux règles auxquelles étaient soumis les établissements prêteurs en Belgique et à la nature de l'opération en cause, était justifiée par des raisons d'intérêt général et objectivement nécessaire, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes précités ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel relève que l'offre de prêt, transmise à M. Léandre Lahmi par les établissements belges, avait été réceptionnée et acceptée par ce dernier à Paris, ce dont il résultait que le contrat était devenu parfait en France ; que loin d'avoir violé les textes visés par la première branche du moyen, les juges du fond en ont fait au contraire une exacte application en décidant que les dispositions impératives de la loi du 24 janvier 1984 s'appliquaient à une opération de crédit réalisée en France ;

Attendu, d'autre part, que les sociétés belges n'ayant jamais contesté être des établissements de crédit au sens commun des législations belge et française, et le prêt ayant été consenti avant l'entrée en vigueur de la directive 89-646-CEE du Conseil du 15 décembre 1989, il s'en déduisait qu'en application des articles 10 et 15 de la loi du 24 janvier 1984 devenus les articles L. 511-5 et L. 511-10 du Code monétaire et financier, les établissements prêteurs devaient obtenir l'agrément imposé par les textes susvisés, pour exercer en France leur activité, fût-ce à titre occasionnel et sous forme de libre prestation de services ; que l'arrêt est ainsi légalement justifié ;

Attendu, enfin, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni de leurs conclusions devant la cour d'appel, que les sociétés Comptoir d'escompte de Belgique et Bred Banque populaire, qui se bornaient à contester la nécessité d'un agrément en l'absence de tout établissement en France et en l'état du principe communautaire ayant institué la liberté de prestation de service, aient soutenu les moyens invoqués par la troisième branche ; que la cour d'appel, qui n'était donc pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, n'encourt pas non plus le grief formulé par la troisième branche ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses trois branches ;

Sur le second moyen, pris en ses deux premières branches : - Attendu que les sociétés belges font encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°) qu'il résulte des dispositions des articles L. 312-2 et L. 312-3 du Code de la consommation (anciennement articles 1 et 2 de la loi du 13 juillet 1979) que celles de l'article L. 312-10 (anciennement article 7 de la loi du 13 juillet 1979) ne s'appliquent qu'aux prêts destinés à financer l'acquisition ou la construction d'un bien immobilier à l'exclusion des prêts destinés à financer, sous quelque forme que ce soit, une activité professionnelle ; qu'il résulte des constatations des premiers juges que le prêt contracté par M. Lahmi auprès des sociétés Comptoir d'escompte de Belgique et Crédit liégeois était destiné à renforcer le fonds de roulement de la SARL Léandre diffusion de sorte que les dispositions précitées n'étaient pas applicables, si bien qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes précités ; 2°) qu'il résulte de l'article L. 312-33 du Code de la consommation que la seule sanction civile de l'inobservation du délai de dix jours prescrits à l'article L. 312-10 est la perte, en totalité ou en partie, du droit aux intérêts du prêteur, dans la proportion fixée par le juge et non la nullité du prêt, si bien qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé le texte précité ;

Mais attendu que l'arrêt ayant annulé les conventions souscrites, faute pour les sociétés prêteuses d'avoir obtenu l'agrément nécessaire pour exercer en France l'activité de banque, la discussion relative à l'applicabilité des règles du droit de la consommation, qui concerne des motifs de l'arrêt surabondants, se trouve inopérante ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en ses deux premières branches ;

Mais sur le second moyen, pris en sa troisième branche : - Vu les articles 1902 et 2180 du Code civil ; - Attendu qu'après avoir annulé le contrat de prêt, l'arrêt prononce, par voie de conséquence, la nullité de l'inscription hypothécaire qui en était l'accessoire et décide que Mme Ballongue et ses deux fils ne sont redevables d'aucune somme envers la société Bred-Banque populaire et la Comptoir d'escompte de Belgique sur leur quote part de l'immeuble objet de l'inscription hypothécaire ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que tant que les parties n'ont pas été remises en l'état antérieur à la conclusion de leur convention annulée, l'obligation de restituer inhérente au contrat de prêt demeure valable, sauf dans certaines hypothèses exceptionnelles d'indignité du prêteur que l'arrêt n'évoque pas, et que les garanties en considération desquelles le prêt a été consenti subsistent tant que cette obligation n'est pas éteinte, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs : Casse et annule, mais seulement en qu'il a déclaré nulle la constitution d'hypothèque résultant des actes des 2 et 8 février 1988 et dit que Mme Ballongue et ses fils n'étaient redevables d'aucune somme envers les sociétés Bred Banque populaire et Comptoir d'escompte de Belgique sur leur quote part de l'immeuble objet de l'inscription hypothécaire, l'arrêt rendu le 26 avril 2000, entre les parties, par la Cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Caen.