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Décisions

Cass. ass. plén., 4 mars 2005, n° 03-11.725

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Van Haare Heijmeijer, Lauga Limited (Sté)

Défendeur :

Axa Bank (SA), Guguen, Société d'aménagement immobilier de Gascogne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Canivet

Rapporteur :

M. Paloque

Avocat général :

M. de Gouttes

Avocats :

SCP Laugier, Caston, SCP Vincent, Ohl

Versailles, aud. solen., du 12 nov. 2002

12 novembre 2002

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 12 novembre 2002), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, 16 mai 2000, pourvoi n° 98-14.038), que la Caisse hypothécaire anversoise (la Caisse), aux droits de laquelle se trouve la société Axa Bank, a consenti, en 1986, à M. Van Haare Heijmeijer et à la Société d'aménagement immobilier de Gascogne (SAIG), des prêts par actes sous seing privés souscrits en Belgique ; que ces actes ont été déposés au rang des minutes d'un notaire à Paris, par un acte authentique comportant affectation hypothécaire ; que les fonds ont été alors remis par un chèque tiré par la Caisse sur une banque française ; que M. Van Haare Heijmeijer et la société Lauga Limited, en qualité d'actionnaire de la société SAIG, ont engagé contre la Caisse une instance tendant à faire déclarer nuls les prêts et les inscriptions hypothécaires et à faire reconnaître la responsabilité de celle-ci pour avoir contribué à l'échec de l'opération de promotion immobilière à Biarritz et Bidart, à laquelle le financement était destiné ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société Lauga Limited fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable à agir en nullité des prêts, alors, selon le moyen, que les interdictions posées par l'article L. 511-5 du Code monétaire et financier sont d'ordre public et peuvent être invoquées par toute personne y ayant intérêt ; que la société Lauga Limited invoquait la nullité des prêts litigieux en ce qu'ils avaient été accordés par une banque n'ayant pas reçu l'agrément du Comité des établissements de crédit, pris en application de ce texte ; qu'en décidant que la société Lauga Limited, simple tiers aux dits contrats de prêts, n'était pas recevable à en demander la nullité, l'arrêt a violé les articles L. 511-5 et L. 511-10 du Code monétaire et financier, anciennement les articles 1 et 10 de la loi du 24 janvier 1984, ensemble l'article 6 du Code civil ;

Mais attendu que la seule méconnaissance par un établissement de crédit de l'exigence d'agrément, au respect de laquelle l'article 15 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984, devenu les articles L. 511-10, L. 511-14 et L. 612-2 du Code monétaire et financier, subordonne l'exercice de son activité, n'est pas de nature à entraîner la nullité des contrats qu'il a conclus ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal : - Attendu que M. Van Haare Heijmeijer fait grief à l'arrêt de le déclarer mal fondé à solliciter la nullité des prêts, alors, selon le moyen : 1°) que par arrêt du 9 juillet 1997, la CJCE a dit pour droit que, pour la période précédant l'entrée en vigueur de la deuxième directive n° 89-646 CEE du Conseil, du 15 décembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, et modifiant la directive n° 77-780 CEE, l'article 59 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un Etat membre impose à un établissement de crédit, déjà agréé dans un autre Etat membre, d'obtenir un agrément pour pouvoir accorder un prêt hypothécaire à une personne résidant sur son territoire, à moins que cet agrément s'impose à toute personne ou à toute société exerçant une telle activité sur le territoire de l'Etat membre de destination, soit justifié par des raisons liées à l'intérêt général telles que la protection des consommateurs, et soit objectivement nécessaire pour assurer le respect des règles applicables dans le secteur considéré, et pour protéger les intérêts que ces règles ont pour but de sauvegarder, étant entendu que le même résultat ne pourrait pas être obtenu par des règles moins contraignantes ; que l'exigence d'un agrément suivant les dispositions d'ordre public de la loi du 24 janvier 1984 satisfaisait aux trois critères retenus par la CJCE, dès lors, d'une part, que l'agrément s'imposait à toute entreprise souhaitant effectuer des opérations bancaires en France, que, d'autre part, l'agrément délivré par le Comité des établissements de crédit permettait d'apprécier l'aptitude de l'entreprise concernée à réaliser ses objectifs de développement dans les meilleures conditions de sécurité et qu'enfin l'agrément garantissait le bon fonctionnement du système bancaire en l'absence de règles prudentielles suffisamment harmonisées au sein des Etats membres et en l'absence de relations précisément organisées et effectivement mises en œuvre entre les autorités de contrôle des pays concernés ; qu'en décidant que par principe l'agrément susvisé n'était pas compatible avec les prescriptions de l'article 49 (ex-article 59) du traité CEE, la cour d'appel a violé l'ensemble des textes précités, ensemble les articles L. 311-1, L. 511-1 et L. 511-5 du Code monétaire et financier ; 2°) que l'agrément litigieux s'imposait aux activités bancaires de dépôt comme de prêts garantis par des hypothèques, même avec l'intervention d'un notaire ; que l'arrêt a décidé que l'agrément du Comité des établissements de crédit n'était pas nécessaire dans la mesure où les opérations bancaires dont il s'agissait étaient des prêts hypothécaires, et non des opérations de dépôt, et qu'un notaire français était intervenu à ces actes ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les mêmes textes ; 3°) que l'agrément est requis même pour les prêts accordés à des professionnels ; que la cour d'appel a estimé que les prêts litigieux ayant été délivrés à des promoteurs agissant dans le cadre de leur profession, l'agrément n'était pas nécessaire ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé, encore une fois, les mêmes textes ;

Mais attendu que la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit (CJCE 9 juillet 1997, Société civile immobilière Parodi c/ Banque H. Albert de Bary et Cie, C-222-95) que pour la période précédant l'entrée en vigueur de la deuxième directive 89-646-CEE du 15 décembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, et modifiant la directive 77-780-CEE du 12 décembre 1977, l'article 59 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un Etat membre impose à un établissement de crédit, déjà agréé dans un autre Etat membre, d'obtenir un agrément pour pouvoir accorder un prêt hypothécaire à une personne résidant sur son territoire, à moins que cet agrément s'impose à toute personne ou à toute société exerçant une telle activité sur le territoire de l'Etat membre de destination, soit justifié par des raisons liées à l'intérêt général telles que la protection des consommateurs et soit objectivement nécessaire pour assurer le respect des règles applicables dans le secteur considéré et pour protéger les intérêts que ces règles ont pour but de sauvegarder, étant entendu que le même résultat ne pourrait pas être obtenu par des règles moins contraignantes ; qu'elle a indiqué (point 31) que si l'exigence d'un agrément constitue une restriction à la libre prestation des services, l'exigence d'un établissement stable est en fait la négation même de cette liberté, ce qui a pour conséquence d'enlever tout effet utile à l'article 59 du traité, dont l'objet est précisément d'éliminer les restrictions à la libre prestation des services de la part de personnes non établies dans l'Etat sur le territoire duquel la prestation doit être fournie, que pour qu'une telle exigence soit admise, il faut établir qu'elle constitue une condition indispensable pour atteindre l'objectif recherché (CJCE, 4 décembre 1986, Commission/Allemagne, 205-84 point 52, et du 6 juin 1996, Commission/Italie, C-101-94, point 31) ;

Et attendu que l'arrêt attaqué retient que la Caisse répondait à des règles prudentielles en tous points comparables aux exigences françaises et se trouvait soumise, comme tout établissement de crédit ayant son siège social en Belgique, à la surveillance d'une autorité de contrôle bancaire elle-même tenue, conformément à l'article 7 de la directive 77-780-CEE du 12 décembre 1977, à une obligation de collaboration avec les autorités compétentes des autres Etats membres ; que l'implantation d'une succursale de cet organisme sur le territoire français n'aurait pas été de nature à assurer une meilleure protection aux emprunteurs ; que de ces énonciations et appréciations, la cour d'appel a exactement déduit que la législation française alors applicable, allant au-delà de ce qui était objectivement nécessaire pour protéger les intérêts qu'elle avait pour but de sauvegarder, était incompatible avec les dispositions du droit communautaire en vigueur au moment de la délivrance des prêts ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche : - Vu l'article L. 621-39 du Code de commerce ; - Attendu que pour déclarer irrecevable la demande de M. Van Haare Heijmeijer, l'arrêt retient qu'il résulte de l'article L. 621-39 du Code de commerce que le représentant des créanciers a seul qualité pour agir au nom et dans l'intérêt des créanciers ; qu'en statuant ainsi, alors que M. Van Haare Heijmeijer agissait en sa qualité de coemprunteur, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs et sur le moyen unique du pourvoi incident éventuel : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a déclaré M. Van Haare Heijmeijer irrecevable en son action en responsabilité contre la Caisse, l'arrêt rendu le 12 novembre 2002, entre les parties, par la Cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, et, pour être fait droit les renvoie devant la Cour d'appel de Versailles, autrement composée.