Cass. com., 24 novembre 2009, n° 08-19.596
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Hénot
Défendeur :
SITI (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
Mme Laporte
Avocat général :
M. Bonnet
Avocats :
Me de Nervo, SCP Bachellier, Potier de La Varde
LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. Hénot que sur le pourvoi incident relevé par la société d'investissement touristique et immobilier ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 11 mars 2008, rendu sur renvoi après cassation, Chambre commerciale, financière et économique, 11 octobre 2005, pourvoi n° 03-16.866), que par contrat du 1er novembre 1995, complété par avenants, la société Pierre et vacances, aux droits de laquelle est la Société d'investissement touristique et immobilier (la société SITI), a confié à M. Hénot un sous-mandat de commercialisation de parts de sociétés civiles d'attribution en temps partagé ; que cette convention était stipulée prendre effet pour une période de six mois reconductible, sauf à être résiliée, la première année, sans justification ni pénalité sous préavis d'un mois, puis, après cette deuxième échéance, se reconduire tacitement par période annuelle, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties, sous préavis de trois mois ; que ces relations ayant pris fin, M. Hénot a réclamé paiement de commissions et d'indemnités compensatrices de préavis et de cessation de contrat ; qu'un arrêt irrévocable du 1er septembre 2000, qualifiant la convention de mandat d'intérêt commun et disant que M. Hénot ne pouvait se prévaloir de la qualité d'agent commercial, a décidé que la société Pierre et vacances avait commis une faute en rompant brusquement le contrat, confirmé le jugement ayant ordonné une expertise, et dit n'y avoir lieu à évocation ; que la cour d'appel a confirmé le jugement rendu après cette expertise, accueillant la demande de M. Hénot en paiement d'une indemnité pour rupture de relations sans préavis, mais rejetant celle tendant à l'octroi d'une indemnité de cessation de contrat et le condamnant au remboursement de commissions indûment perçues ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal : - Attendu que M. Hénot fait grief à l'arrêt d'avoir limité à 50 000 euro l'indemnité de manque à gagner résultant de la rupture anticipée du contrat, alors, selon le moyen, que la rupture anticipée par le mandant, d'un mandat d'intérêt commun donne droit au mandataire exerçant une profession rémunérée à la commission, à la réparation du préjudice résultant de la perte des commissions jusqu'à la date conventionnellement prévue ; qu'en limitant l'indemnisation de M. Hénot à la perte d'une chance de percevoir une marge nette générée par des commissions la cour d'appel a méconnu le principe de la réparation intégrale du préjudice et violé l'article 1149 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt, après avoir constaté que le sous-mandat confié à M. Hénot pour une durée déterminée ne comportait pas de clause d'exclusivité et relevé que le potentiel d'activité était nécessairement amoindri pour l'année au cours de laquelle son exécution aurait dû se poursuivre, en raison du redressement judiciaire du promoteur immobilier de la résidence dont la commercialisation avait représenté une part très importante des commissions versées l'année précédente, que le produit constitué de semaines en temps partagé dans une résidence non renouvelable était de plus en plus difficile à commercialiser en queue de programme sans déployer un gros effort commercial, retient, que la rupture brutale du contrat a privé M. Hénot d'une chance de réaliser des ventes et donc de percevoir des commissions pendant les onze mois durant lesquels il n'a pu exécuter son sous-mandat ; qu'ainsi, la cour d'appel qui par ces constatations a établi le caractère aléatoire des commissions que M. Hénot aurait pu percevoir jusqu'au terme du contrat, a exactement indemnisé ce préjudice sur le fondement de la perte d'une chance de percevoir un gain qu'elle a souverainement évaluée ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen du pourvoi principal : - Attendu que M. Hénot fait encore grief à l'arrêt d'avoir dit que les conditions d'application de la capitalisation des intérêts produits par l'indemnité du manque à gagner résultant de la rupture anticipée du contrat n'étaient pas réunies, alors, selon le moyen, que l'article 1154 du Code civil n'exige pas que pour produire des intérêts, les intérêts échus des capitaux soient dus au moins pour une année entière au moment où le juge statue mais exige seulement que, dans la demande de capitalisation, il s'agisse d'intérêts dus pour une telle durée ; que dans ses conclusions d'appel, M. Hénot a demandé la capitalisation des intérêts dès lors que ceux-ci étaient dus depuis plus d'une année entière ; qu'en énonçant que les conditions de la capitalisation des intérêts afférents à la somme de 50 000 euro n'étaient pas réunies, la cour d'appel a violé l'article 1154 du Code civil ;
Mais attendu que M. Hénot ayant sollicité la capitalisation des intérêts dès l'acte introductif d'instance du 31 juillet 1997 et donc à compter du 1er août 1998 tandis qu'ayant assorti cette condamnation des intérêts au taux légal, conformément à l'article 1153-1 du Code civil, à compter de la date de sa décision, la cour d'appel a fait l'exacte application du texte invoqué ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident : - Attendu que la société SITI fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à verser à M. Hénot la somme de 50 000 euro à titre d'indemnité en réparation du manque à gagner résultant de la rupture anticipée du contrat, alors, selon le moyen : 1°) que l'octroi de dommages et intérêts suppose qu'un préjudice résulte de la faute contractuelle ; que dès lors, en condamnant la société SITI à verser à M. Hénot une somme de 50 000 euro au titre de son manque à gagner en raison de la rupture anticipée du contrat, bien qu'elle ait relevé que M. Hénot ne versait aux débats aucun élément comptable de nature à démontrer les marges et bénéfices qu'ils avaient tirés du mandat, qu'il était insatisfait de la rentabilité de son activité et que pour 1997 le potentiel de cette activité était amoindri, ce dont il résultait que le mandataire n'avait subi aucun préjudice en raison de la rupture du contrat, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi l'article 1149 du Code civil ; 2°) qu'en tout état de cause, les juges ne peuvent allouer une double indemnisation pour un même préjudice ; que dès lors, la cour d'appel qui, après avoir pourtant constaté que la société SITI avait été condamnée à verser à M. Hénot une indemnité de préavis d'un montant de 70 508, 62 euro, de sorte que la perte de commissions résultant de la rupture du contrat avait été réparée, a néanmoins condamné cette société à verser à son mandataire une somme de 50 000 euro au titre de son manque à gagner en raison de la rupture anticipée du contrat, a procédé à une double indemnisation du même préjudice, violant ainsi l'article 1149 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que l'arrêt retient que la rupture du sous-mandat avant le terme contractuel a privé M. Hénot d'une chance de réaliser des ventes et donc de percevoir des commissions pendant les onze mois restant à courir au cours desquels il n'a pu l'exécuter ; qu'ainsi, la cour d'appel a caractérisé l'existence du préjudice de M. Hénot résultant de la rupture anticipée du contrat ;
Et attendu, d'autre part, que la cour d'appel a indemnisé M. Hénot pour les préjudices qu'il a subis en raison du non-respect du délai de préavis contractuel et de la rupture du sous-mandat avant le terme contractuel lesquels sont de nature distincte ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal : - Vu les articles 2004 et 1147 du Code civil ; - Attendu que pour débouter M. Hénot de sa demande en paiement d'une indemnité pour rupture abusive du contrat de sous-mandat, l'arrêt, après avoir constaté que la société Pierre et vacances avait fautivement rompu ce contrat, irrévocablement qualifié de mandat d'intérêt commun, retient qu'il ne s'agissait pas d'un contrat d'agent commercial et que le mandataire qui ne justifiait pas de la réalité d'un préjudice constitué par une perte de sa clientèle propre, ni ne démontrait qu'il aurait apporté une clientèle à sa mandante, que la clientèle qu'il exploitait au titre du contrat lui aurait appartenu et qu'il n'aurait pu continuer de l'exploiter dans le cadre d'autres contrats ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la société Pierre et vacances et M. Hénot exploitaient une clientèle en commun que ce dernier était chargé de fidéliser et de développer en ayant intérêt à l'essor de l'entreprise par création et développement de la clientèle et qu'il n'était pas invoqué que la mandante ait justifié d'une cause légitime pour révoquer le mandat d'intérêt commun, ni que le mandataire ait renoncé à son droit d'être indemnisé, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le quatrième moyen du pourvoi principal : - Vu l'article 625 du Code de procédure civile ; - Attendu que la cassation prononcée sur le premier moyen de ce pourvoi du chef de l'indemnité de rupture du contrat entraîne, par voie de conséquence, celle de l'arrêt ayant mis à la charge de M. Hénot les dépens relatifs à sa demande en paiement de la somme de 823 887 euro au titre de cette indemnité, en raison de son débouté ;
Par ces motifs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a débouté M. Hénot de sa demande en paiement d'une indemnité pour rupture abusive du contrat de sous-mandat et mis à sa charge les dépens relatifs à sa demande en paiement de la somme de 823 887, 39 euro au titre de l'indemnité de clientèle, l'arrêt rendu le 11 mars 2008, entre les parties, par la Cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Versailles, autrement composée.