Cass. com., 24 novembre 2009, n° 08-21.630
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Prodim (Sté), CSF (Sté)
Défendeur :
Etablissements Ségurel (Sté), Francap Distribution (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
Mme Maitrepierre
Avocats :
Me Odent, SCP Boré, Salve de Bruneton, SCP Gatineau, Fattaccini
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 octobre 2008), que la société Prodim a, le 15 mars 1993, conclu avec M. Catiaux un contrat de franchise d'une durée de sept ans pour l'exploitation d'un fonds de commerce sous l'enseigne "Shopi", ainsi qu'un contrat d'approvisionnement d'une durée de cinq ans ; qu'après avoir formulé différents griefs à l'encontre de la société Prodim, M. Catiaux lui a notifié, le 19 septembre 1996, la résiliation des deux contrats et a poursuivi son exploitation sous l'enseigne "Coccinelle" ; qu'estimant cette résiliation fautive, la société Prodim a engagé une procédure d'arbitrage à l'encontre de M. Catiaux, laquelle a abouti à la condamnation de chacune des parties à payer à l'autre des dommages-intérêts, d'un côté pour rupture fautive du contrat d'approvisionnement, de l'autre pour manquement du franchiseur à ses obligations contractuelles ; que, reprochant aux sociétés Francap Distribution et Ségurel de s'être rendues complices de cette rupture fautive et du prétendu manquement de M. Catiaux à ses obligations contractuelles, la société Prodim et la société CSF, venant à ses droits au titre du contrat d'approvisionnement, les ont assignées en indemnisation de leurs préjudices ;
Sur le premier moyen : - Attendu que les sociétés Prodim et CSF font grief à l'arrêt d'avoir rejeté les demandes d'un franchiseur (la société Prodim) et d'une société d'approvisionnement (la société CSF), dirigées contre des sociétés concurrentes (les sociétés Ségurel et Francap), en réparation des préjudices qu'ils avaient subis, par suite de la tierce complicité dont elles s'étaient rendues coupables, en aidant un franchisé à rompre ses contrats avant terme, alors, selon le moyen : 1°) que la responsabilité de sociétés concurrentes pour tierce complicité dans la violation, par un franchisé appartenant à un réseau concurrent, de ses obligations contractuelles en cours, ne peut être écartée du simple fait que le franchisé avait lui-même rompu les relations contractuelles avant terme, dès lors que les sociétés concurrentes ont, en connaissance de cause, accepté de conclure de nouveaux contrats dans de telles conditions ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a écarté la responsabilité de la société Ségurel, à qui il avait été reproché par les sociétés Prodim et CSF d'avoir conclu de nouveaux contrats sous une nouvelle enseigne avec un de leurs franchisés qui avait unilatéralement rompu ses contrats de franchise et d'approvisionnement en cours, au simple motif qu'au jour de l'apposition de l'enseigne concurrente, le franchisé s'était lui-même dégagé de tout lien contractuel antérieur, quand la société Ségurel, professionnelle de la distribution, avait accepté de contracter, dans de telles conditions, avec M. Catiaux, a violé l'article 1382 du Code civil ; 2°) que toute obligation de faire peut se résoudre en dommages-intérêts ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a dégagé la société Ségurel de toute responsabilité pour tierce complicité dans la rupture, par un franchisé, de contrats de franchise et d'approvisionnement en cours avec les sociétés Prodim et CSF, au motif que celles-ci avaient implicitement reconnu que les contrats étaient rompus aux dates voulues par M. Catiaux, puisqu'elles n'avaient pas poursuivi l'exécution forcée de ces contrats en cours, a violé les articles 1142 et 1382 du Code civil ; 3°) que toute société concurrente qui facilite la violation, par le franchisé d'un réseau concurrent, de ses obligations en cours, engage sa responsabilité délictuelle à l'égard du franchiseur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a écarté toute responsabilité délictuelle de la société Ségurel à l'égard des sociétés Prodim et CSF, alors que M. Catiaux avait, immédiatement après avoir rompu les relations contractuelles, apposé l'enseigne concurrente "Coccinelle" et poursuivi son activité sans encombre (ce qu'il n'aurait pu faire sans l'appui d'un concurrent, diverses attestations établissant d'ailleurs le démarchage systématique des franchisés de la société Prodim), outre qu'il avait eu recours aux services de l'avocat de la société Ségurel, a violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'après avoir relevé qu'au jour de la mise en œuvre des nouvelles relations contractuelles découlant de la concession de l'enseigne Coccinelle, M. Catiaux était dégagé des liens des anciens contrats, l'arrêt retient qu'il n'est pas démontré que la société Ségurel aurait fait bénéficier ce dernier d'une aide l'invitant à penser qu'il était en mesure de s'affranchir de ces anciens liens contractuels, qu'il estimait devenus financièrement insupportables, et ce d'autant qu'il n'est pas établi que cette société aurait été en pourparlers avec lui pendant toute la période de cristallisation du litige, de la formulation des griefs adressés par M. Catiaux à la société Prodim jusqu'à la notification de la rupture des contrats ; qu'il relève encore que, dans l'instance arbitrale ayant opposé la société Prodim à M. Catiaux, les arbitres, dont la décision est définitive, ont estimé que le franchiseur n'avait pas démontré que l'enseigne Coccinelle aurait une notoriété nationale ou régionale qui permettrait de la faire entrer dans le champ d'application de la clause de non-réaffiliation post-contractuelle figurant dans le contrat de franchise ; qu'il en déduit qu'aucune faute contractuelle n'ayant été établie de ce chef contre M. Catiaux, il est exclu que la société Ségurel s'en soit rendue complice; qu'il ajoute qu'il n'existe pas d'engagement post-contractuel dans le contrat d'approvisionnement ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, abstraction faite des motifs surabondants critiqués à la deuxième branche, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen : - Attendu que les sociétés Prodim et CSF font grief à l'arrêt de les avoir condamnées à régler des dommages-intérêts pour procédure abusive pour avoir attrait des concurrentes en justice, alors, selon le moyen, que le droit d'agir en justice ne doit pas être restreint, de sorte qu'il ne peut dégénérer en abus qu'en présence d'une faute particulièrement grave et caractérisée ; qu'en l'espèce, la cour, qui a condamné les sociétés Prodim et CSF à indemniser les sociétés Ségurel et Francap pour procédure abusive en première instance et en appel, en s'appuyant sur des motifs impropres à caractériser les fautes commises par les appelantes, de nature à faire dégénérer en abus leur droit d'agir en justice, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient qu'instruites sur la réalité de leurs droits, par des décisions antérieures ayant opposé les mêmes parties dans des affaires similaires, les sociétés Prodim et CSF n'ont initialement attrait les sociétés Francap et Ségurel dans la présente instance que parce qu'il s'agissait de sociétés qui leur faisaient concurrence en proposant leurs services aux commerçants indépendants franchisés dans leurs réseaux; qu'il retient encore que, disposant de moyens puissants du fait de leur appartenance à un groupe de distribution d'importance mondiale, les sociétés Prodim et CSF ont essayé d'entraver l'action de leurs concurrents en multipliant les instances judiciaires, génératrices de frais significatifs et, dont les intéressés doivent faire l'avance, et grevant en conséquence leur trésorerie, dans l'espoir dissimulé de les voir renoncer de continuer à venir leur faire concurrence auprès des franchisés de leurs réseaux ; qu'il en déduit que, ce faisant, en visant, non pas à protéger les intérêts légitimes de leur réseau de distribution, mais à protéger un territoire correspondant à la zone de chalandise des franchisés concernés, les sociétés en cause ont, par malice et calcul de pure opportunité, fait dégénérer en abus leur droit d'agir en justice contre les sociétés défenderesses ; qu'il ajoute qu'il en va de même pour leur droit de recours en appel; que la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.