Cass. com., 24 novembre 2009, n° 08-15.002
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
DDI (Sté)
Défendeur :
L et S (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
Mme Farhouat-Danon
Avocat général :
M. Bonnet
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Thomas-Raquin, Bénabent
LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société DDI que sur le pourvoi incident relevé par la société L et S : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société L et S, spécialisée dans la vente par correspondance de compléments nutritionnels pour sportifs, est propriétaire des marques internationales " Muscle Razor " et " Super Iron Works ", qui désignent notamment des préparations de vitamines et des produits ou aliments diététiques ; que, lui reprochant de se livrer à des actes de contrefaçon de ses marques, de publicité mensongère, de publicité comparative illicite, de dénigrement et de concurrence déloyale, la société L et S a, après avoir fait procéder à divers constats d'huissier de justice, assigné la société DDI ;
Sur le troisième moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société DDI fait grief à l'arrêt d'avoir dit qu'elle avait commis des actes fautifs au préjudice de la société L et S en publiant sur son site internet des avis exclusivement négatifs sur les produits de cette société, puis en publiant ultérieurement une mention selon laquelle elle avait supprimé à la demande de cette dernière des avis dénigrants et de l'avoir condamnée au paiement de dommages-intérêts, alors, selon le moyen : 1°) qu'il résulte de l'article 6, I, 2 de la loi n° 2004 575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique que les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible ; que, pour l'application de ce régime spécial de responsabilité, il n'est pas distingué selon que la mise en ligne de messages écrits par d'autres personnes est effectuée par la personne physique ou morale à titre d'activité principale ou à titre d'activité accessoire en complément d'une autre activité marchande ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société DDI offrait aux consommateurs la possibilité d'exprimer sur son site internet des avis sur les produits qui y étaient commercialisés ; qu'en retenant, par motif adopté des premiers juges, que le régime spécial de responsabilité institué par l'article 6, I, 2 de la loi n° 2004 575 du 21 juin 2004 ne pouvait s'appliquer à la société DDI dès lors que son activité principale n'était pas celle d'un prestataire de service de stockage de données, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; 2°) qu'en justifiant sa décision par cette affirmation que la société DDI aurait jeté le discrédit sur les produits de la société L et S " en ne publiant que des avis extrêmement négatifs ", sans constater que la société DDI ait refusé de mettre en ligne sur son site internet des avis positifs émis par d'autres consommateurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 3°) que si l'énonciation d'un fait exact peut constituer un acte de dénigrement, c'est à la condition qu'elle soit entachée d'un défaut d'objectivité ou qu'elle procède d'une intention de nuire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'après avoir été mise en demeure par la société L et S de supprimer deux avis jugés dénigrants par celle ci, la société DDI a déféré à cette demande tout en publiant la mention : " la société L et S (propriétaire des marques " NTI " et " First American Nutrition " nous ayant indiqué ne pas souhaiter que les avis des internautes " dénigrants " figurent dans l'espace " avis sur le produit ", par précaution, les protéines.com n'a d'autre choix que supprimer tous les avis (positifs et négatifs) pour tous les produits de ces deux marques " ; qu'en qualifiant ce message d'acte de dénigrement fautif, sans constater qu'il aurait été inexact, entaché d'un défaut d'objectivité ou révélateur d'une intention malveillante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant constaté que la société DDI dont l'activité est la vente en ligne de compléments alimentaires de différentes marques publiait sur son site internet marchand des avis sur les produits qui y étaient commercialisés, la cour d'appel a écarté à bon droit l'application à cette société du régime de responsabilité réservé aux intervenants techniques sur internet ;
Et attendu, en second lieu, qu'en retenant que la société DDI avait publié deux avis négatifs, dont l'un qualifiait le produit de " daube ", puis les avait remplacés par une mention précisant que la société titulaire des marques ayant indiqué ne pas souhaiter que les avis " dénigrants " figurent dans la rubrique, elle n'avait d'autre choix que de supprimer tous les avis positifs et négatifs pour tous les produits de ces marques, et que ces mentions jetaient le discrédit sur les produits de la société L et S, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de retenir l'existence d'actes de dénigrement ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident : - Attendu que ce moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal : - Vu l'article 9 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour rejeter la demande tendant à ce que soient écartés des débats les procès verbaux de constat des 14, 18 et 24 août et 11 et 19 septembre 2006, et admettre l'existence d'actes de contrefaçon, l'arrêt retient que la nullité de ces constats n'a pas été soulevée par la société DDI qui se borne à solliciter qu'ils soient écartés, de sorte que leur validité ne saurait être sérieusement contestée, et, partant, leur force probante ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs inopérants, sans analyser ces constats ni rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si l'huissier de justice avait utilisé des procédés déloyaux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Sur le deuxième moyen du pourvoi incident : - Vu l'article L. 121 8 du Code de la consommation ; - Attendu que pour rejeter la demande tendant à voir juger que la société DDI avait, en publiant un tableau comparatif, commis des actes de concurrence déloyale en procédant à une publicité comparative illicite, l'arrêt retient qu'elle n'est qu'un simple détaillant de produits alimentaires, que le tableau ne fait que comparer l'ensemble des produits qu'elle offre à la clientèle, que l'exigence de concurrence qui préside à la reconnaissance de la publicité comparative n'est pas remplie, que les sociétés DDI et L et S ne sont pas en situation de concurrence ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la société DDI avait pour activité la vente sur Internet de compléments alimentaires de différentes marques, et que la société L et S commercialisait sous ses marques des compléments nutritionnels par l'intermédiaire de son site internet, ce dont il résultait que ces sociétés se trouvaient en situation de concurrence, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Sur le quatrième moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche : - Vu l'article 2, alinéa 1er, de la loi du 4 août 1994 ; - Attendu que pour rejeter la demande tendant à voir juger que la société DDI s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale en commercialisant sur son site internet des produits dont l'étiquetage et les fiches de présentation sont entièrement rédigés en langue anglaise, l'arrêt retient que l'article 2, alinéa 1er, de la loi du 4 août 1994 a été déclaré non conforme à la Constitution par décision du 29 juillet 1994 ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur ce moyen, pris en sa troisième branche : - Vu l'article 455 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient encore qu'il résulte de la réglementation communautaire que dès lors que l'information du consommateur peut être assurée dans sa langue par d'autres moyens que l'étiquetage, l'utilisation d'une langue étrangère est licite ;
Attendu qu'en statuant ainsi, sans préciser la réglementation communautaire à laquelle elle se réfère, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, sauf en ce qu'il a rejeté des débats les conclusions et pièces communiquées le 21 janvier 2008, dit qu'en publiant sur son site internet des avis exclusivement négatifs sur ses produits et en publiant, après retrait de ces avis une mention selon laquelle elle avait, à la demande de L et S supprimé des avis jugés dénigrants par cette dernière, la société DDI avait commis des actes fautifs, fait interdiction à la société DDI de poursuivre les actes de dénigrement sous astreinte, l'arrêt rendu le 19 mars 2008, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.