ADLC, 9 décembre 2009, n° 09-D-36
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à des pratiques mises en œuvre par Orange Caraïbe et France Télécom sur différents marchés de services de communications électroniques dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Antoine Darodes de Tailly, l'intervention de Mme Nadine Mouy, rapporteure générale adjointe, par M. Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence, président de séance, Mmes Françoise Aubert, Elisabeth Fltîry-Hérard, vices présidentes, M. Patrick Spilliaert, vice-président.
L'Autorité de la concurrence (commission permanente),
Vu la saisine enregistrée le 9 juillet 2004, sous les numéros 04/0050 F et 04/0051 M, par laquelle la société Bouygues Télécom Caraïbe a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Orange Caraïbe et France Télécom sur le marché de la fourniture de services de téléphonie mobile dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane, et a demandé que des mesures conservatoires soient prononcées sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce; Vu la décision du Conseil de la concurrence n° 04-MC-02 du 9 décembre 2004, relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Bouygues Télécom Caraïbe à l'encontre de pratiques mises en œuvre par les sociétés Orange Caraïbe et France Télécom; Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 28 janvier 2005 ; Vu la saisine enregistrée le 10 juin 2005, sous le numéro 05/0042 F, par laquelle la société Outremer Télécom a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Orange Caraïbe et France Télécom sur différents marchés de communications électroniques dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane; Vu la décision du 3 mai 2007 du rapporteur général procédant à la jonction de l'instruction des affaires 04/0050 F et 05/0042 F; Vu les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne, devenus les articles 101 et 102 du TFUE à compter du 1er décembre 2009; Vu le livre IV du Code de commerce dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 ; Vu la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie; Vu l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence et notamment son article 5 ; Vu les avis 2008-0097 et 2008-0098 de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes du 24 janvier 2008 ; Vu les décisions liées à la protection du secret des affaires n° 08-DSA-30 du 26 mai 2008, n° 08-DSADEC-31 du 26 mai 2008, n° 08-DSADEC-33 du 26 mai 2008, n° 08-DSADEC-120 du 22 juillet 2008, n° 09-DSADEC-l8 du 19 février 2009, n009-DSADEC-36 du 31 août 2009, n° 09-DSADEC-37 du 31 août 2009, n° 09-DSADEC-38 du 31 août 2009; Vu les autres pièces du dossier; Vu les observations présentées par les sociétés Orange Caraïbe, France Télécom, Digicel, Outremer Télécom et par le commissaire du Gouvernement; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, les représentants des sociétés Orange Caraïbe, France Télécom, Digicel et Outremer Télécom, entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 15 septembre 2009 ; Adopte la décision suivante:
I. Procédure
A. LES SAISINES
1. LA SAISINE DE BOUYGUES TELECOM CARAÏBE
Par lettre du 9 juillet 2004, enregistrée sous les numéros 04/0050 F et 04/0051 M, la société Bouygues Télécom Caraïbe a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par les sociétés Orange Caraïbe et France Télécom sur le marché de la téléphonie mobile dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique, et de la Guyane (ci-après la "zone Antilles-Guyane ").
2. Accessoirement à sa saisine au fond, Bouygues Télécom Caraïbe a demandé au Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce, que des mesures conservatoires soient enjointes à Orange Caraïbe et à France Télécom, afin de faire cesser l'atteinte grave et immédiate qui lui serait portée, ainsi qu'à l'économie du secteur et aux intérêts des consommateurs.
3. Dans sa saisine, Bouygues Télécom Caraïbe allègue qu'Orange Caraïbe et France Télécom abusent de leur position dominante, au sens des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE, en mettant en œuvre des pratiques qui ont pour objet et/ou pour effet de restreindre l'exercice d'une concurrence effective entre les opérateurs sur le marché de la téléphonie mobile de la zone Antilles-Guyane.
4. Bouygues Télécom Caraïbe estime ainsi qu'Orange Caraïbe abuse de sa position dominante:
- en imposant à ses distributeurs indépendants des prix de revente des cartes-recharges de communication ainsi que des terminaux mobiles;
- en imposant, dans ses relations contractuelles, une clause d'exclusivité aux distributeurs indépendants voulant distribuer ses produits, ainsi qu'au seul réparateur agréé de terminaux dans les Caraïbes (Cetelec Caraïbes);
- en pratiquant, pour les tarifs qu'elle propose à ses clients, une différenciation excessive et discriminatoire, d'une part, entre les appels on net et les appels off net et, d'autre part, entre l'accès au kiosque Orange Caraïbe et l'accès au kiosque Bouygues Télécom Caraïbe;
- en captant la clientèle du marché par des pratiques de fidélisation abusives et par la diffusion de publicités trompeuses;
- en profitant des avantages tirés déloyalement de la proximité avec France Télécom, notamment en raison du recours abusif aux agences de cette dernière pour la distribution des services Orange Caraïbe, par le couplage d'offres de téléphonie, et dans le traitement discriminatoire pour l'accès aux liaisons louées;
- et enfin, en ne respectant pas les exigences du droit de la facturation.
2. LA SAISINE D'OUTREMER TELECOM
5. Par lettre du 10 juin 2005, enregistrée sous le numéro 05/0042 F, la société Outremer Télécom a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés France Télécom et Orange Caraïbe sur les marchés de la téléphonie fixe vers mobile et de la téléphonie mobile, sur le territoire des Antilles et de la Guyane.
6. Dans sa saisine, Outremer Télécom dénonce diverses pratiques d'abus de position dominante dont le but serait d'élever des barrières artificielles à l'entrée sur le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane.
7. Ainsi, selon la saisissante, Orange Caraïbe aurait, notamment, fait obstacle au partage de ses pylônes en méconnaissance de ses obligations réglementaires, retardé délibérément la mise en place de la portabilité des numéros mobiles, offert tardivement l'interconnexion directe à son réseau, proposé avec sa maison mère France Télécom des tarifs d'appels fixe vers mobile qui ne sont pas "réplicables " par un autre opérateur et, enfin, mis en œuvre un système de fidélisation rendant captive sa clientèle la plus rentable.
8. Outremer Télécom demande au Conseil de la concurrence de constater que les sociétés France Télécom et Orange Caraïbe ont enfreint L. 420-2 du Code de commerce, de les sanctionner, et de mettre à leur charge une ou plusieurs injonctions de nature à mettre fin aux pratiques dénoncées.
3. LA JONCTION DE L'INSTRUCTION DES DEUX SAISINES
9. Par décision du 3 mai 2007, le rapporteur général du Conseil de la concurrence a procédé à la jonction de l'instruction des affaires 04/0050 F et 05/0042 F.
B. LA DECISION DE MESURES CONSERVATOIRES N° 04-MC-02 DU 9 DECEMBRE 2004
10. Par sa décision n° 04-MC-02 du 9 décembre 2004 (ci-après, la "décision de mesures conservatoires du 9 décembre 2004 "), le Conseil de la concurrence a décidé de poursuivre au fond l'instruction de la saisine de Bouygues Télécom Caraïbe.
11. En effet, le Conseil de la concurrence a considéré qu'en l'état du dossier et sous réserve de l'instruction au fond, l'essentiel des pratiques dénoncées par Bouygues Télécom Caraïbe étaient susceptibles d'être anticoncurrentielles.
12. En ce qui concerne Orange Caraïbe, les pratiques sont:
- une pratique de prix imposés (paragraphe 40 de la décision);
- des pratiques consistant à imposer aux distributeurs de distribuer exclusivement des produits et services Orange Caraïbe (paragraphe 49 de la décision)
- l'exclusivité imposée au seul réparateur de terminaux mobiles agréé dans les Caraïbes : Cetelec Caraïbes (paragraphe 55 de la décision);
- une pratique de discrimination tarifaire entre les appels on net et les appels off net (paragraphe 62 de la décision);
- une pratique de discrimination tarifaire entre l'accès au kiosque Orange Caraïbe et l'accès au kiosque Bouygues Télécom Caraïbe (paragraphe 68 de la décision)
- et des pratiques de fidélisation de la clientèle (paragraphe 77 de la décision).
13. En ce qui concerne France Télécom, les pratiques sont:
- le couplage d'offres fixes et mobiles de l' " Avantage Améris " (paragraphe 87 de la décision)
- et des pratiques relatives à la fourniture de liaisons louées (paragraphe 90 de la décision).
14. A l'inverse, le Conseil de la concurrence a écarté les pratiques relatives à la publicité trompeuse (paragraphe 79 de la décision), ainsi que celles relatives au non-respect des exigences du droit de la facturation (paragraphe 83 de la décision) qui seraient mises en œuvre par Orange Caraïbe.
15. Après avoir considéré que certaines pratiques dénoncées portaient une atteinte grave et immédiate à Bouygues Télécom Caraïbe, aux consommateurs et au secteur intéressé, le Conseil de la concurrence a enjoint à Orange Caraïbe, dans l'attente d'une décision au fond:
- " de supprimer dans tous les contrats, en cours ou à venir, conclus avec ses distributeurs indépendants les obligations d'exclusivité liant ces derniers, et notamment le quatrième alinéa du premier article du " Contrat d'agent commercial " et les dispositions de l'article 14 du même contrat intitulé " Non-concurrence ". Orange Caraïbe devra en informer l'ensemble de ses distributeurs indépendants par lettre recommandée avec avis de réception dans un délai maximum de deux mois à compter de la notification de la présente décision. Cette lettre devra comprendre, en annexe, une copie de l'intégralité de la présente décision;
- de supprimer l'ensemble des obligations d'exclusivité qu'elle impose à Cetelec Caraïbes. Orange Caraïbe devra informer Cetelec Caraïbes de cette mesure par lettre recommandée avec avis de réception dans un délai maximum de deux mois à compter de la notification de la présente décision;
- de faire en sorte que, pour toutes les offres comportant des tarifs différents pour les communications on net, d'une part, et off net, d'autre part, l'écart entre ces tarifs on net et off net ne dépasse pas l'écart entre les coûts que Orange Caraïbe supporte pour l'acheminement de ces deux types de communications. Orange Caraïbe en informera ses clients par mention sur leur prochaine facture et par affichage visible dans les agences France Télécom et les points de vente Orange. Cette mesure devra prendre effet dans un délai maximum de deux mois à compter de la notification de la présente décision
- de permettre que ses clients utilisent les points de fidélité qu'ils ont acquis ou dont ils pourraient faire l'acquisition, en tant qu'à valoir venant en déduction du prix de tout achat d'un bien ou d'un service qu'elle propose à sa clientèle, la valeur du point étant celle fixée par Orange Caraïbe. Cette dernière en informera ses clients par mention sur leur prochaine facture et par affichage visible dans les agences France Télécom et les points de vente Orange. Cette mesure devra prendre effet dans un délai maximum de deux mois à compter de la notification de la présente décision ".
16. Saisie d'un recours contre cette décision, la Cour d'appel de Paris, par un arrêt du 28 janvier 2005, a confirmé les mesures conservatoires prononcées. Elle a seulement alloué deux mois supplémentaires à Orange Caraïbe pour mettre en œuvre les mesures relatives aux coûts des communications et aux actions de fidélisation compte-tenu, respectivement, des impératifs techniques liés aux modifications à apporter à son système de facturation et des contraintes légales imposées pour les modifications contractuelles dans le secteur concerne.
11. Constatations
A. LE SECTEUR DE LA TELEPHONIE MOBILE DANS LA ZONE ANTILLES-GUYANE
17. Seront successivement décrits les acteurs du secteur puis abordées les caractéristiques du marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane.
1. LES ACTEURS DU SECTEUR
a) Orange Caraïbe
18. La société Orange Caraïbe, anciennement dénommée France Caraïbes Mobiles, est détenue en totalité par Orange Holding, elle-même détenue par France Télécom. En effet, Orange Caraïbe a été intégrée dans la société Orange SA à l'automne 2000. Orange SA est demeurée une filiale contrôlée à 100 % par France Télécom jusqu'au 13 février 2001, date à laquelle environ 13 % des actions de la société Orange SA ont été placées sur les marchés financiers. Le 1er septembre 2003, France Télécom a lancé une offre publique d'échange (OPE) sur sa filiale, suivie quelques semaines plus tard d'une offre de retrait obligatoire. Au 31 décembre 2003, France Télécom détenait plus de 99 % des parts d'Orange SA avant d'en posséder de nouveau 100 % quelques semaines plus tard.
19. Orange Caraïbe propose des offres commerciales de services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane depuis 1996. La marque " Orange Caraïbe ", sous laquelle sont commercialisés les services de téléphonie mobile du groupe France Télécom dans la zone Antilles-Guyane, n'a cependant été utilisée qu'à partir de 2001, en remplacement de la marque " Améris ".
20. Dans la zone Antilles-Guyane, Orange Caraïbe est demeurée en monopole de fait jusqu'en décembre 2000, date à laquelle Bouygues Télécom Caraïbe est arrivée sur le marché. A l'été 2004, Orange Caraïbe détenait plus de 82 % du marché des services de téléphonie mobile. Depuis cette date, la part de marché de l'entreprise s'est érodée et oscille, désormais, entre 50 et 60 % du parc.
21. Au 31 décembre 2004, Orange Caraïbe avait réalisé un chiffre d'affaires annuel de 320 millions d'euro pour 112 millions d'euro de résultat net.
b) France Télécom
22. Jusqu'en 2007, la société France Télécom, société-mère d'Orange Caraïbe, détenait dans la zone Antilles-Guyane une part de marché supérieure à 70 % sur les marchés des communications vocales fixes. Le principal concurrent de France Télécom sur ces marchés est l'opérateur Outremer Télécom.
23. En 2008, France Télécom a réalisé un chiffre d'affaires consolidé de 53,488 milliards d'euro.
c) Bouygues Télécom Caraïbe devenue Digicel Limited
24. Créée en janvier 2000, la société Bouygues Télécom Caraïbe a débuté son activité commerciale dans la zone Antilles-Guyane le 7 décembre 2000. Elle a obtenu sa licence d'exploitation par arrêté du 19 juillet 2001 (JO 191 du 19 août 2001), mais avant cette date, sa société-mère, Bouygues Télécom, bénéficiait d'une autorisation provisoire pour fournir des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane.
25. Depuis le retrait d'un actionnaire minoritaire à la fin de l'année 2003, Bouygues Télécom Caraïbe était détenue en totalité par Bouygues Télécom. En 2006, Bouygues Télécom Caraïbe a été vendue à Digicel Limited, un opérateur jamaïcain de téléphonie mobile très actif dans la région des Caraïbes (7 millions de clients).
26. Au 30 juin 2004, la part de marché de Bouygues Télécom Caraïbe sur le parc de clients actifs de téléphonie mobile dans les Caraïbes était de 17,5 %, et de près de 20 % à la fin de l'année 2005. Elle dépasse 30 % aujourd'hui.
27. En 2003, Bouygues Télécom Caraïbe a réalisé un chiffre d'affaires de 76 millions d'euro, pour une perte de 20,6 millions d'euro.
d) Outremer Télécom
28. La société Outremer Télécom, qui exploite ses services sous la marque " Only ", se présente comme le premier opérateur alternatif de télécommunications des départements d'outre-mer. En effet, elle offre, dans les quatre départements de l'outre-mer français (Martinique, Guadeloupe, Guyane et Réunion), ainsi qu'à Mayotte, des services de communications électroniques très variés, tant aux particuliers qu'aux professionnels (téléphonie fixe et mobile, accès à Internet, liaisons louées ...).
29. Outremer Télécom s'est longtemps concentrée sur les services de télécommunications fixes (voix et accès à Internet) et n'a commencé ses activités de téléphonie mobile qu'à la fin de l'année 2004 en Guyane, à la fin de l'année 2005 dans les îles de la Martinique et de la Guadeloupe et en 2007 à la Réunion. Actuellement, Outremer Télécom détient un peu plus de 15 % du marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane.
30. En 2006, elle a réalisé un chiffre d'affaires de 124 millions d'euro pour une perte de 31 millions d'euro.
2. LES CARACTERISTIQUES DU MARCHE DES SERVICES DE TELEPHONIE MOBILE DANS LA ZONE ANTILLES-GUYANE
31. Le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane se caractérise, en premier lieu, par une maturité plus tardive qu'en métropole mais compensée par un dynamisme récent, en deuxième lieu, par l'existence de barrières à l'entrée et, en troisième lieu, par une consommation atypique.
a) Une maturité plus tardive qu'en métropole, mais compensée par un dynamisme récent
32. L'émergence d'une véritable concurrence sur le marché des services de téléphonie mobile de la zone Antilles-Guyane a été plus tardive qu'en métropole. En effet, dans cette zone, l'ouverture commerciale des services de téléphonie mobile n'a commencé que quatre ans après la métropole. Par ailleurs, le marché de la téléphonie mobile a été caractérisé par une situation de monopole de fait d'Orange Caraïbe jusqu'en décembre 2000, puis entre 2001 à 2005, par l'existence d'un duopole avec Bouygues Télécom Caraïbe.
33. Le marché s'est cependant vite dynamisé grâce notamment à l'émergence dans la zone Antilles-Guyane de l'opérateur Outremer Télécom (fin 2004 en Guyane et fin 2005 en Martinique et en Guadeloupe) et à la reprise de Bouygues Télécom Caraïbe en 2006 par Digicel.
34. En outre, le taux de pénétration des services de téléphonie mobile (nombre de cartes SIM actives/nombre d'habitants) dans la zone Antilles-Guyane n'a cessé d'augmenter depuis 2000. Ainsi, ce taux était d'environ 35 % au milieu de l'année 2000, de 65 % au printemps 2002, de 70 % à l'été 2004 (contre 45 % en métropole), de 93 % à la fin de l'année 2006 (contre 80 % en métropole). Actuellement, il dépasse les 100 %, c'est-à-dire un taux largement supérieur à celui de la moyenne métropolitaine (85 %).
b) L'existence de barrières à l'entrée
35. Le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane se caractérise par l'existence de nombreuses barrières à l'entrée.
36. Dans l'avis n° 2008-0098 en date du 24 janvier 2008 que l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ci-après l' "ARCEP ") a rendu dans le cadre de la présente affaire (ci-après l'"avis de l'ARCEP n° 2008-0098 "), celle-ci a souligné:
" il convient de relever l'importance des barrières non techniques à l'entrée sur le marché, tenant par exemple à la nécessité de déployer un réseau de vente pertinent, d'acquérir et fidéliser une clientèle dans un contexte de marché mûr et ne comprenant pas de mécanisme effectif de portabilité des numéros mobiles (effective sur la zone au 1er avril 2006). Plus précisément, il s'agit pour un nouvel entrant de réaliser ou d'accéder à un réseau de distribution mono-marque et/ou multimarque lui offrant une présence commerciale suffisante sur un plan quantitatif et qualitatif ce qui implique de forts coûts échoués (constitution d'une force de vente, mise en place d'une politique de franchisage, obtention d'implantations commerciales performantes ...) et en tout état de cause représente une activité de plusieurs semestres. [...] " (page 3 de l'avis).
37. Par ailleurs, sur un marché arrivé à maturité, les coûts de changement d'opérateurs (" switching costs ") sont aussi susceptibles de constituer des barrières à l'entrée pour de nouveaux entrants. De plus, le nombre de clients potentiels pour un nouvel entrant est d'autant plus réduit que le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane se caractérise, comme en métropole, par des périodes d'engagements importantes (de 12 ou 24 mois).
38. L'absence de mécanisme efficace de portabilité des numéros mobiles a également longtemps constitué un frein très important au changement d'opérateur. Depuis le mois d'avril 2006, cette barrière à l'entrée a cependant été considérablement réduite grâce à la mise en place précoce dans la zone Antilles-Guyane du système de portabilité des numéros mobiles (treize mois avant la métropole).
<emplacement tableau>
c) Une consommation atypique
39. Le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane se caractérise aussi par une consommation atypique.
40. En effet, il y a lieu de relever, d'une part, la prépondérance des offres prépayées, qu'il s'agisse des cartes prépayées ou des forfaits prépayés. Ainsi, comme l'a expliqué Orange Caraïbe, lors d'une audition: " [...] En terme de clients, le prépayé carte représente 46 % environ, l'abonnement prépayé 44 % environ, et l'abonnement post-payé : 10 % environ ".
41. D'autre part, comme l'indique le tableau ci-dessous, le pouvoir d'achat des habitants de la zone Antilles-Guyane est sensiblement plus faible qu'en métropole.
<emplacement tableau>
42. Enfin, les consommateurs caribéens se caractérisent par une forte appétence pour les nouvelles technologies. En effet, malgré un pouvoir d'achat en moyenne inférieur de 30 % à celui du consommateur de métropole, la clientèle de la zone Antilles-Guyane souhaite bénéficier des dernières innovations technologiques, au même moment que la métropole.
B. LES PRATIQUES MISES EN OEUVRE
43. Il convient de décrire successivement les pratiques mises en œuvre par Orange Caraïbe et celles émanant de France Télécom.
1. LES PRATIQUES MISES EN OEUVRE PAR ORANGE CARAÏBE
44. S'échelonnant entre 2000 et 2007, ces pratiques concernent:
- les relations contractuelles entre Orange Caraïbe et ses distributeurs indépendants;
- les relations contractuelles entre Orange Caraïbe et Cetelec Caraïbes;
- la politique commerciale d'Orange Caraïbe en matière de fidélisation et d'engagement de la clientèle
- la politique tarifaire d'Orange Caraïbe pour les appels à destination du réseau de Bouygues Télécom Caraïbe;
- et enfin, les tarifs proposés par Orange Caraïbe dans certaines offres sur mesure pour les appels vers son réseau.
a) Les relations contractuelles entre Orange Caraïbe et ses distributeurs indépendants
45. A l'époque des faits, la distribution des services d'Orange Caraïbe et des terminaux associes s effectuait principalement par deux canaux : les agences France Télécom et les distributeurs indépendants. L'essentiel des ventes était assuré par l'intermédiaire des distributeurs indépendants (80 %).
46. Selon le rapport administratif d'enquête, " le nombre d'enseignes des distributeurs indépendants des produits Orange Caraïbe est de quatorze en Martinique, douze en Guadeloupe et de vingt en Guyane, plus trois dans les îles du nord de la Guadeloupe ", ce qui correspondait à 110 points de vente.
47. Le caractère stratégique de la capacité à disposer dans la zone Antilles-Guyane d'un réseau de commerces en dur spécialisés a été souligné par Orange Caraïbe au cours de l'instruction : " la clientèle des DOM présente la spécificité de rechercher un service clientèle très présent. La clientèle recherche un contact très direct avec les prestataires de services ".
48. En l'espèce, les pratiques constatées sont, d'une part, l'existence de clauses d'exclusivité et de non-concurrence dans les contrats de distribution conclus entre Orange Caraïbe et ses distributeurs indépendants, et d'autre part, la mise en place par Orange Caraïbe d'une politique tarifaire à l'égard de ces derniers en matière de commercialisation des terminaux.
Les clauses d'exclusivité et de non-concurrence figurant dans les contrats de distribution
49. L'enquête administrative a révélé qu'entre 2000 et 2005, le contrat d'agent commercial, ainsi que le contrat Kit Card, prévoyaient des clauses d'exclusivité en faveur d'Orange Caraïbe applicables pendant la durée du contrat et deux ans après sa cessation. En 2005, en exécution de la mesure conservatoire prononcée par le Conseil de la concurrence dans sa décision du 9 décembre 2004, Orange Caraïbe a supprimé les clauses litigieuses des contrats concernés.
Les contrats concernés
* Le contrat d'agent commercial
50. Tous les distributeurs indépendants sont liés à Orange Caraïbe par un contrat d'agent commercial, dénommé "contrat d'agent commercial Améris ", puis " contrat d'agent commercial Orange Caraïbe ".
51. L'article 1er, alinéa 4, de ce contrat stipulait que : "l'Agent s'oblige à représenter, à titre exclusif le service de Orange Caraïbe et s'interdit, en conséquence, d'accepter la représentation d'un service concurrent sans l'accord exprès, écrit et préalable de Orange Caraïbe, accord que Orange Caraïbe peut refuser à son entière discrétion. Il s'interdit, sous les mêmes conditions, de prendre une participation dans le capital d'une société prêtant ou distribuant un tel service ou à assister, de quelque manière que ce soit, un tiers ayant cette activité ".
52. L'article 14 du contrat, intitulé "Non-concurrence ", prévoyait également que : " l'Agent s'engage à ne pas distribuer, de quelque manière que ce soit, et ce sur le territoire, de services de radiotéléphonie substituables au service Orange Caraïbe, sauf accord exprès de Orange Caraïbe ".
53. L'article 14 précisait encore que l'exclusivité s'appliquait également " deux ans après sa cessation ".
54. Enfin, l'article 14.2 stipulait que : " le manquement à cette obligation de non concurrence est, pendant la durée du contrat, une faute grave ", en précisant qu'un tel manquement :
" est sanctionné par une indemnité contractuelle d'un montant équivalent à 12 mois des commissions versées pendant l'activité de l'Agent pour OC [Orange Caraïbe] ", et que " l'indemnité conventionnelle prévue aux dispositions ci-dessus est sans préjudice du droit de OC [Orange Caraïbe] à réclamer des dommages et intérêts supérieurs [...] ".
* Le contrat Kit Card
55. Il ressort de l'instruction que certains distributeurs indépendants signaient en même temps un contrat Kit Card et un contrat d'agent commercial.
56. Le contrat " Kit Card Améris ", devenu ensuite le contrat " Kit Card Orange " concernait uniquement la commercialisation des cartes de rechargement (sans engagement). En effet, le contrat Kit Card avait " pour objet de préciser les conditions dans lesquelles OC [Orange Caraïbe] confie au cocontractant le soin de commercialiser les cartes prépayées de communications Card Orange et leurs Kits de commercialisation incluant les cartes SIM" (article 1er du contrat).
57. L'article il du contrat Kit Card, intitulé " Non-concurrence " stipulait que : " le cocontractant s'engage à ne pas distribuer, de quelque manière que ce soit, et sur le territoire, de services de radiotéléphonie substituables au service Orange, sauf accord express préalable et écrit de OC [Orange Caraïbe], comme à prendre une participation dans le capital d'une société prêtant ou distribuant un tel service, comme à apporter par quelque moyen que ce soit une aide financière à une société ayant cette activité ".
58. Le dernier alinéa du même article il précisait que : " cette obligation de non concurrence s'applique pendant la durée du présent contrat et deux ans après sa cessation " et que " le manquement à cette obligation de non-concurrence constitue une faute grave ".
Les autres éléments du dossier
59. Dans le cadre de l'instruction des mesures conservatoires, Bouygues Télécom Caraïbe avait indiqué: " au lancement de Bouygues Télécom Caraïbe, 3 ou 4 distributeurs, soit moins de 3 O~ du total de la distribution numérique en téléphonie mobile, ont essayé de distribuer dans un même point de vente ou sous la même enseigne les produits et services Orange Caraïbe et Bouygues Télécom Caraïbe. Ils en ont toutefois très vite été dissuadés par Orange Caraïbe, qui les a sommés de choisir. Ainsi, Intermobile a choisi Bouygues Télécom Caraïbe, mais depuis cette décision, se trouve en procès contre Orange Caraïbe. Un autre distributeur, Aujevala, a choisi Orange Caraïbe. Actuellement il n'existe toujours pas de distributeurs multimarques. Les rares distributeurs (au nombre de deux aujourd'hui) qui ont bravé l'interdit d'Orange Caraïbe, ont dû créer deux entités juridiques différentes et distribuer les deux marques dans des points de vente différents (ex: Phone Center Caraïbe est distributeur de Bouygues Télécom Caraïbe, tandis que Always Music distribue Orange Caraïbe, ces 2 enseignes appartenant au même distributeur). Mais en réalité, ces deux distributeurs ne commercialisent pas un nombre important de lignes ".
60. Lors de l'enquête administrative, le gérant de la société Radio Shop Antilles (5 points de vente), a expliqué que, depuis la suppression des clauses d'exclusivité, "je ne suis plus exclus f donc j'ai tout à fait le droit de travailler avec un autre opérateur ".
61. Le distributeur Compuphone Caraïbes a souligné : "je ne travaille que pour Orange car je ne souhaite pas commercialiser les offres de plusieurs opérateurs. Je pense de toute façon qu'il existe des pénalités en cas de commercialisation des offres des concurrents (voir article 14)".
62. Le distributeur No Games, qui distribuait les produits de Bouygues Télécom Caraïbe, a affirmé, quant à lui, qu'en mettant un terme à son contrat de distribution, Orange Caraïbe avait entendu faire de son cas un exemple pour les autres distributeurs: " nous avons été montrés du doigt par FCM [Orange Caraïbe] comme le distributeur à ne pas imiter. Les autres distributeurs ne commercialisent donc pas les produits BTC [Bouygues Télécom Caraïbe]".
63. Le distributeur Dimeco Connexion a indiqué au sujet de la distribution des produits et services de Bouygues Télécom Caraïbe : " cette multiplicité de points de vente n'était pas conforme à l'image à laquelle on avait bien voulu nous faire croire qui était une distribution de produits par des spécialistes. En effet, il n'est pas rare de rencontrer des points de vente de ligne de produits Bouygues dans des bazars, les revendeurs de chaussures ou les supérettes ".
64. L'instruction a révélé que, malgré l'existence des clauses d'exclusivité, Bouygues Télécom Caraïbe a pu déployer un réseau commercial d'une soixantaine de points de vente en bénéficiant parfois de quelques emplacements de premier ordre (centres commerciaux Places d'Armes, La Galleria et Destreland ...).
65. Par ailleurs, interrogée par le rapporteur sur son réseau de distribution, Outremer Télécom a précisé : " En théorie, Outremer Telecom aurait pu confier la distribution de ses services mobiles à un réseau commercial de distribution multimarque présent dans la zone Antilles-Guyane. Outremer Telecom a néanmoins préféré mettre en place son propre réseau de distribution. D'après notre expérience, les distributeurs multimarques sont en effet assez peu enclins à traiter sur un plan d'égalité les services et produits d'un troisième entrant sur le marché par rapport à ses concurrents arrivés antérieurement lesquels drainent pour le distributeur, un volume d'affaires beaucoup plus important. en rapport avec les parts de marché détenues par les différents acteurs ".
66. En outre, il ressort des déclarations recueillies auprès des distributeurs indépendants que certains d'entre eux n'ont pas souhaité travailler avec Bouygues Télécom Caraïbe. Ainsi, le gérant du distributeur GSM a exposé : "nous ne distribuons que du Orange Caraïbe. C'est un choix volontaire [...]. A l'arrivée de BTC [Bouygues Télécom Caraïbe], ils nous ont contactés par téléphone, une personne de BTC est venue ici [...]. Nous avons préféré rester à satisfaire nos clients OC. Les engagements proposés par BTC n'étaient pas intéressants. Ils voulaient que chaque boutique finance elle-même l'installation pour les produits BTC. Au niveau local, il aurait fallu de la place pour les infrastructures réseau, les frais, les pôles informatiques (5 postes à mettre en place), le suivi commercial était déjà massif avec OC [...]. De plus, il fallait former les vendeurs. Il aurait fallu doubler l'équipe pour BTC ". De même, les responsables des magasins Radio Shop Antilles ont déclaré : " j'ai rencontré BTC en 2001. Nous avons discuté mais cela n'a pas abouti. Leurs tarifs n'étaient pas intéressants. J'ai donc renoncé à travailler avec eux et ils ne sont jamais revenus vers nous ". Les représentants de la société Dimeco qui exploitent les magasins Connexion ont indiqué : " BTC nous a démarchés et nous avons prévenu FCM [France Caraïbes Mobiles]. Nous n'avons pas eu d'empêchement de la part de FCM pour travailler avec BTC. Nous avons rapidement réalisé que BTC était dépourvu d'organisation en ce qui concerne la disponibilité et la distribution des produits et totalement dépourvu d'organisation en ce qui concerne le SA V ".
67. Enfin, les éléments de l'enquête révèlent que Bouygues Télécom Caraïbe elle-même a parfois fait le choix de ne pas commercialiser ses services chez certains distributeurs. Ainsi, le responsable du magasin Group Digital a indiqué : " j'ai été contacté par BTC pour distribuer leurs produits mais BTC a retenu Connexion situé en face de notre magasin [...]. Ils ne voulaient donc pas mettre deux nouveaux distributeurs côte à côte ". De même, le gérant du magasin Europhone a déclaré : " Nous avons été sollicités par Bouygues Télécom Caraïbe quand nous sommes arrivés en 1999. Nous avons souhaité travailler avec BTC mais BTC n'a pas voulu en nous reprochant notamment d'être trop petit. FCM nous a alors accueillis. Quand BTC est revenu nous voir en 2003 après un changement de direction, nous ne pouvions pas leur faire confiance ". La gérante de la société Bagage Plus a également expliqué que : "la société Bouygues, représentée par [...] et [...], sont venus en 2000 me proposer la commercialisation à l'Aéroport et à la marina de la gamme de téléphonie et des abonnements Bouygues Télécom, avec une obligation de part de marché de 50/50 (Orange/Bouygues) en linéaire magasin. Devant leur arrogance et exigence commerciales, je leur ai proposé de démarrer avec une part de marché de 20 %. Ils ont refusé et ont donné la commercialisation au magasin de journaux d'en face (à l'Aéroport) [...] ".
La mise en place par Orange Caraïbe d'une politique tarifaire à l'égard des distributeurs indépendants en matière de commercialisation des terminaux
68. Les distributeurs indépendants achètent des terminaux à Orange Caraïbe, qu'ils revendent ensuite aux consommateurs. Ainsi, lors d'une audition, Orange Caraïbe a indiqué que :
" [...] Orange Caraïbe achète puis revend les terminaux mobiles à ses distributeurs, lesquels les revendent ensuite à leur tour aux prix qu'ils souhaitent [...]. [...] les distributeurs sont libres de déterminer leur politique de prix de revente en matière de mobile (et des équipements accessoires.* batteries, etc.). Ils fixent ainsi leur marge. [...] il n a pas chez Orange Caraïbe de mécanisme de reprise de terminaux. Lorsque les distributeurs n'arrivent pas à vendre certains terminaux, ils font leur affaire personnelle de leurs stocks ".
69. Cependant, il résulte de l'enquête, qu'entre 2002 et 2006, Orange Caraïbe a mis en place une politique tarifaire à l'égard de ses distributeurs en matière de commercialisation des terminaux auprès des consommateurs, dans le cadre des offres promotionnelles et du programme de fidélisation "Changez de mobile".
Politique tar faire concernant la commercialisation des terminaux dans le cadre des offres promotionnelles
70. En périodes d'offres promotionnelles, Orange Caraïbe a adressé à ses distributeurs indépendants un courriel contenant une liste, sous forme de tableaux, avec pour chaque terminal :
- le prix de vente conseillé par Orange Caraïbe, sur la base duquel étaient réalisées les différentes publicités et opérations de communication;
- le prix auquel Orange Caraïbe vendait chaque terminal au distributeur ainsi que le montant de la subvention que l'opérateur prenait en charge au titre de la souscription d'un abonnement par le consommateur;
- et enfin, dans certains cas, la marge du distributeur, laquelle était nulle.
71. Les terminaux concernés faisaient partie de "packs" liés à la souscription d'un abonnement Orange Caraïbe. Lors de l'enquête, plusieurs distributeurs ont confirmé qu'ils percevaient une commission pour la souscription d'un abonnement concomitamment à la vente d'un terminal. Ainsi, le gérant de la SARL Tech and Com a déclaré: " je ne gagne pas d'argent sur le prix de vente du portable mais sur le nombre de contrats dégagés ". La gérante de la société FAPS a également indiqué que " mon bénéfice réside [...] uniquement dans ma rémunération pour l'ouverture d'une ligne ".
72. Deux exemples de ces tableaux, établis lors des périodes de promotions de janvier et de février 2006, sont reproduits ci-dessous. Des tableaux similaires ont été retrouvés pour d'autres périodes, notamment pour 2004 et 2005.
<emplacement tableau>
73. Il est constaté qu'à partir du mois de mars 2006, le tableau ne contient plus la ligue " Marge distri ". Cette marge est cependant facile à calculer en retranchant du prix de vente conseillé le prix d'achat du terminal par le distributeur à Orange Caraïbe, puis en ajoutant à ce prix la subvention versée par Orange Caraïbe.
<emplacement tableau>
. La durée des offres promotionnelles
74. Ainsi qu'il ressort des éléments de l'enquête, les offres promotionnelles d'Orange Caraïbe avaient lieu tous les mois, pendant une période de quinze jours, souvent prolongée d'une semaine. En effet, initialement envisagées pour une période de deux semaines en début de mois, les offres promotionnelles étaient la plupart du temps reconduites pour une semaine de plus. La responsable du distributeur Europhone a indiqué lors d'une audition : " Les promotions concernent une période de 15 jours et elles sont généralement renouvelées une semaine. Il n a pas de promotion pour la dernière semaine ". Cette déclaration est confirmée par les différents courriers échangés entre Orange Caraïbe et ses distributeurs indépendants. En effet, divers courriels, émanant notamment de la personne en charge chez Orange Caraïbe des relations avec les distributeurs, informent ces derniers de la prolongation des promotions sur les packs d'abonnement. Par exemple, concernant le premier trimestre 2006, un courriel en date du 16 janvier 2006 envoyé à l'ensemble des distributeurs indique : " la promotion de Janvier 2006 est prolongée jusqu'au 21 inclus ". Puis un autre courriel en date du 23 janvier 2006 maintient la promotion jusqu'à la fin du mois : " prolongation jusqu'au 28/01/06 des abonnements Pref et Entreprises en fonction des stocks disponibles ". Pour le mois de février, un courriel du 16 février 2006 informe du maintien de la promotion de la première quinzaine du mois pour une semaine de plus : " Prolongation des offres packs abonnement jusqu'au 25/02 inclus [...] ". Enfin, un courriel du 16 mars 2003 à l'attention de l'ensemble des distributeurs précise que " tous les packs abonnements sont prolongés à l'identique jusqu'au 25/03 inclus. Les packs kit card s'arrêtent comme prévu le 18/03 ". Ainsi, sur les treize semaines du premier trimestre 2006, dix ont fait l'objet d'une période promotionnelle. Ces prolongations de périodes promotionnelles ne sont pas limitées au seul premier trimestre de l'année 2006 mais se retrouvent sur d'autres années, et notamment dès janvier 2004.
. Les autres éléments recueillis au cours de l'instruction
75. Interrogée sur sa politique tarifaire concernant la commercialisation des terminaux dans le cadre des offres promotionnelles, Orange Caraïbe a déclaré que " certains mails ou documents [...] comportent la mention " marge distri ". Cette mention est portée, à titre purement indicatif sur nos documents dans la mesure où nos distributeurs indépendants peuvent fixer librement le prix de détail des terminaux qu'ils vendent. [...] Cette " marge distri " permet à chaque distributeur d'apprécier la marge de manœuvre dont il dispose pour fixer le prix de vente du terminal au client final".
76. Certains distributeurs indépendants ont, pour leur part, souligné la spécificité des offres promotionnelles concernant la fixation des prix des terminaux.
77. Ainsi, le représentant de la société Global System Mobile a déclaré que " les prix de vente des terminaux mobiles sont fixés par OC. On ne vend jamais moins cher que le prix d'OC. Sur certains prix, je vais voir les concurrents et je me mets un peu en dessous sans vendre en dessous du prix fixé par OC. Le " tarif distri " est un prix plancher. [...] fi y aurait des sanctions si je vendais en dessous de ce seuil plancher. Il y aurait un risque de résiliation. Ce sont des choses cachées. Il y a dû avoir des rappels à l'ordre. Cela a vraisemblablement été le cas de Connexion qui avant vendait des produits OC et BTC ". Le représentant de la société Digital a déclaré : " nous appliquons les prix conseillés. [...] Si je ne respecte pas les prix conseillés, il ne se passe rien, tant que je ne revends pas à perte. [...] Nous appliquons strictement les prix conseillés par OC y compris pendant les promotions. [...] Tacitement nous appliquons les promotions OC ". Le responsable de la société Radio Shop Antilles a confirmé: " les prix apparaissant sur les publicités sont pour moi des prix conseillés. Hors promotion, je vends les produits au prix que je veux en tenant compte du marché, de mes concurrents. OC ne nous donne pas de liste de prix de vente conseillés en dehors des offres promotionnelles ". Le représentant de la société Socrate a précisé: " Nous sommes bien obligés de nous tenir au prix des promos. C'est logique, nous n'avons pas le choix. Hors promo, nous faisons ce que nous voulons ". Les représentants de la société SGR ont déclaré: " Sur les promotions, nous n'avons pas de marge. Nous ne pouvons pas baisser les prix. Sur les kits card, la marge est automatiquement de 30 euro. Sur l'offre prépayée et liberté, notre marge sur le coût du terminal est calculée par OC et est donc fixée à 0 euro. Notre marge est égale à la rémunération de l'abonnement, soit 45,73 euro HT". Le représentant de la société Compuphone Caraïbes a indiqué : "je reçois de l'opérateur des grilles de prix pour les promotions et je suis tenue de suivre ces prix. En dehors de ces promotions, je suis libre de la fixation de ma marge ". Le gérant de la société Europhone a déclaré : " pour les promotions, les prix sont conseillés. Nous respectons ces prix conseillés et parfois pour nous démarquer de la concurrence nous faisons un petit cadeau ".
78. En outre, les contrats de distribution liant Orange Caraïbe (ou auparavant France Caraïbe Mobiles), et les distributeurs indépendants contiennent des clauses qui encadrent les politiques publicitaires et promotionnelles de ces derniers.
79. Si ces clauses ne prévoient pas expressément un contrôle des prix par Orange Caraïbe, elles stipulent, en revanche, que les " prestations publicitaires ", ainsi que les " animations commerciales " doivent recevoir un accord écrit préalable d'Orange Caraïbe.
80. Ainsi, l'article 3.2.2.7 du contrat d'agent commercial Orange Caraïbe prévoit que : " l'Agent [le distributeur] s'engage à observer les instructions que OC pourrait lui donner en matière de promotion commerciale du Service (ventes, conditionnements, etc). OC se réserve le droit de vérifier si l'application de cette promotion est conforme à ses instructions ". Une clause quasiment identique figurait dans le contrat d'agent commercial Améris. En outre, l'article 6 du contrat d'agent commercial Orange Caraïbe stipule :
" l'Agent fie distributeur] pourra réaliser des opérations publicitaires ou promotionnelles pour promouvoir le service Orange Caraïbe. [...] Ces prestations publicitaires et ces animations commerciales devront respecter l'image de la marque " Orange Caraïbe " et de ses produits, dans tous les cas elles devront avoir reçu préalablement à leur exécution et ce quelle qu'en soit la nature l'accord préalable et écrit de OC". La même clause figurait dans le contrat d'agent commercial Améris.
81. Enfin, l'article 2.7 du contrat de distribution d'équipement Orange Caraïbe, intitulé " Prix de vente " stipule que : " le distributeur est libre de déterminer la politique commerciale et des prix pratiqués dans le respect de la législation et d'une concurrence loyale. Néanmoins, celui-ci s'interdit d'avoir recours, sans avoir obtenu l'accord préalable et écrit de OC, à certaines pratiques commerciales telles qu'offres promotionnelles répétées et régulières utilisant la technique du prix d'appel dans la seule mesure où celles-ci auraient pour conséquence d'entraîner une dépréciation ou une banalisation aux yeux de la clientèle des équipements fournis par OC". La même clause figurait dans le contrat de distribution d'équipement de France Caraïbe Mobiles (ex-Orange Caraïbe).
Politique tar faire concernant la commercialisation des terminaux dans le cadre du programme de fidélisation "Changez de mobile"
82. Lors de l'instruction, Orange Caraïbe a présenté son programme de fidélisation "Changez de mobile" de la manière suivante: " OC [Orange Caraïbe] attribue à chaque titulaire d'un forfait (pré ou post-payé) un point par euro facturé. Les abonnés accumulent ainsi des points dont le nombre est indiqué sur chaque facture mensuelle sous la rubrique " solde de points ". S'il le souhaite, l'abonné qui a accumulé 350 points ou plus (ce qui peut se produire avant même l'achèvement de la durée initiale de 12 mois) peut les utiliser pour acheter un nouveau terminal à un tarif préférentiel, ce qui ouvre une nouvelle période d'engagement de 24 mois ".
83. Comme Orange Caraïbe l'a expliqué au cours d'une audition, " les conditions du programme 'Changez de mobile' sont très clairement exposées sur différents supports:
Ainsi : [...] iii) la liste des terminaux, leur description et leur valeur (en nombre de points) figurent sur les catalogues et sur le site Internet d'OC; iv) les modalités et le coût d'acquisition des points éventuellement manquants pour obtenir un terminal sont également clairement présentés dans les catalogues ; [...] ".
84. Les distributeurs indépendants d'Orange Caraïbe participent à ce programme de fidélité. Ainsi, ils sont reliés à une application logicielle d'Orange Caraïbe (Clémentine), qui détermine le nombre de points nécessaires pour l'acquisition d'un nouveau terminal et qui édite le document contractuel formalisant le réengagement du client.
85. Par ailleurs, Orange Caraïbe diffuse tous les trimestres auprès de ses distributeurs des grilles leur permettant de connaître le nombre de points requis pour délivrer un nouveau terminal dans le cadre d'un réengagement, le tarif auquel le distributeur achète le terminal concerné à Orange Caraïbe (Tarif Distri), la base rémunération du distributeur ainsi que la marge du distributeur.
86. Au cours de l'enquête, la gérante du distributeur FAPS a décrit le fonctionnement du programme de la manière suivante: " [...] j'achète par exemple un mobile à Orange 100 euro, il vaut 1500 points. Si le client a bien 1500 points, Orange me rembourse la valeur de ces points, soit 50 euro de marge. Si le client n'a pas les 1500 points, s'il a par exemple 100 points seulement, il va me régler les 500 points (50 euro) et Orange me dédommage uniquement sur les 1000 points (soit 100 euro, valeur d'achat du poste) ".
87. Interrogée sur la pratique mise en œuvre par Orange Caraïbe, la gérante du distributeur SGR a indiqué : " nous ne pouvons pas changer les prix puisque c'est le logiciel (Clémentine) qui calcule le nombre de points du client et qui sort le contrat de fidélité ". Le directeur de la société GSM a pour sa part déclaré: " OC fixe notre marge. C'est la même pour tous les distributeurs ". Radio Shop Antilles a également déclaré: "je vous remets les tarifs " changez de mobile " clients et distributeurs [...] qui font apparaître la rémunération du distributeur avec et sans engagement. Nous constatons que la marge distributeur est toujours de 50 euro avec engagement et 30 euro sans engagement ". En outre, l'un des distributeurs a fait référence à la société No Games et à son gérant, M. Nonon, dont le contrat de distribution avait été rompu par Orange Caraïbe: " Olivier Nonon ne respectait pas les prix conseillés d'Orange Caraïbe. Il faisait des prix plus bas que la concurrence ".
b) Les relations contractuelles entre Orange Caraïbe et Cetelec Caraïbes
88. L'enquête a révélé qu'Orange Caraïbe et le seul réparateur de terminaux mobiles agréé dans les Caraïbes, Cetelec Caraïbes, ont été liés par plusieurs contrats, dans lesquels il était prévu l'obligation pour Cetelec Caraïbes de réaliser ses prestations de services de maintenance de téléphones mobiles et accessoires à titre exclusif pour Orange Caraïbe. Ces pratiques ont débuté le 1er avril 2003 et ont cessé au mois de janvier 2005, avec la mise en œuvre par Orange Caraïbe de la mesure conservatoire prononcée par le Conseil de la concurrence dans sa décision du 9 décembre 2004.
Historique des relations entre Orange Caraïbe et Cetelec Caraïbes
89. Il est essentiel pour un opérateur de téléphonie mobile de pouvoir assurer à ses clients un service après-vente, notamment de maintenance des terminaux défectueux.
90. Selon les éléments du dossier, avant 2003, dans la zone Antilles-Guyane, la société A Novo réalisait de manière non exclusive pour le compte d'Orange Caraïbe des prestations de réparation. Ce n'est que lors de la fermeture d'A Novo, au début de l'année 2003, qu'Orange Caraïbe a soutenu la création dans la zone de la société Cetelec Caraïbes en se réservant l'exclusivité de ses prestations.
91. Lors de l'instruction de la demande de mesures conservatoires, Orange Caraïbe avait indiqué qu'" à la demande de Canal+ et de Bouygues Télécom, la société A Novo a créé un centre agréé dans la Caraïbe en 2001, c'est-à-dire peu après l'entrée de BTC sur le marché. OC a alors confié la réparation de ses terminaux à A Novo dès 2001. BTC, en revanche, n'a pas souhaité en faire de même. Fin 2002, A Novo a informé OC de ses difficultés financières et de sa décision de fermer son centre caribéen. C'est donc A Novo qui a résilié le contrat qui la liait à OC et non pas l'inverse. Se trouvant sans prestataire extérieur, OC n'est pas restée passive: elle a repris la réparation de ses terminaux en interne à partir de la fin de l'année 2002 puis, par une opération d'essaimage, a suscité au cours de l'hiver 2003 la création d'un centre agréé par la société Cetelec Caraïbes, qu'elle a aidée financièrement et matériellement à s'installer dans la Caraïbe ".
92. Cetelec Caraïbes est une filiale de la société Cetelec qui assure des services de réparation de terminaux mobiles en métropole. Cetelec Caraïbes s'appuie donc sur les compétences, le système d'information et les agréments de sa maison-mère. A ce titre, elle est agréée pour la réparation des terminaux des principales grandes marques (notamment Alcatel, Sagem, Nokia, LG, Sony Ericsson, Motorola). Sur chacun des trois départements de la zone Antilles-Guyane, Cetelec Caraïbes dispose d'un site d'accueil, de prise en charge des clients ainsi que de réparation des produits. Cetelec Caraïbes assure sur place la réparation des petites pannes (niveaux 1 et 2). Dans les autres cas, elle renvoie le matériel en métropole ou chez le constructeur. Cetelec Caraïbes fournit alors au client un terminal de remplacement.
93. Il ressort d'un compte-rendu d'une réunion tenue le 29 octobre 2003 entre Bouygues Télécom Caraïbe et Cetelec Caraïbes que seule la moitié des terminaux défectueux pouvait faire l'objet d'une réparation par Cetelec Caraïbes, l'autre moitié devant être renvoyée en métropole. En termes de volume, Cetelec Caraïbes traitait pour Orange Caraïbe, à l'époque des faits, 150 terminaux par jour pour l'ensemble de la zone Antilles-Guyane.
La clause d'exclusivité figurant dans le contrat de services de maintenance
94. Le 1er avril 2003, Orange Caraïbe et Cetelec Caraïbes ont conclu un contrat de services de maintenance.
95. L'article 10 de ce contrat, intitulé " Non-concurrence ", stipulait qu'" il est expressément convenu que le prestataire s'engage à ne pas effectuer de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, et sur le Territoire, de prestations de maintenance de mobiles au profit d'un concurrent (et ses clients) pendant la durée du présent contrat, sauf accord préalable et écrit de l'opérateur. Par concurrent de l'opérateur, il convient d'entendre tout opérateur de réseau ou de services de télécommunications fixes ou mobiles, ainsi que toute société de commercialisation de services de télécommunications fixes ou mobiles ".
96. Ce même article prévoyait une sanction particulièrement sévère en cas de manquement à cette obligation contractuelle. Ainsi, il était prévu qu'" en cas de manquement à cette obligation d'exclusivité, le contrat pourra être résilié de plein droit par l'opérateur à la date de la survenance du manquement, sans indemnité pour le prestataire. En ce cas, l'opérateur constatera la résiliation de plein droit et informera le prestataire par lettre recommandée avec accusé de réception dans un délai de quinze jours. Sans préjudicier à l'application de l'alinéa précédent, le manquement à cette obligation d'exclusivité sera sanctionné par une indemnité contractuelle d'un montant équivalent à 12 mois de rémunération moyenne perçue par le prestataire pendant l'activité du prestataire pour l'opérateur. L'indemnité conventionnel/e prévue aux dispositions ci-dessus est sans préjudice du droit de OC à réclamer des dommages et intérêts supérieurs à charge pour lui de prouver l'existence et l'étendue d'un préjudice plus important. Sans préjudicier à l'application des alinéas précédents, la simple mise en demeure au prestataire de cesser ces activités en violation de la présente clause de non concurrence entraîne le paiement d'une astreinte de 1 000 euro (mille euro) par jour à compter de la réception de la mise en demeure en cas de poursuite des activités concurrentielles ".
97. En ce qui concerne la durée du contrat, l'article 16 prévoyait une période initiale du contrat de trois ans, renouvelable par tacite reconduction, par période d'un an: " le présent contrat est conclu pour une durée de trente six mois à compter de la date de la signature par les deux Parties. Il sera renouvelé par tacite reconduction par période de douze mois sauf dénonciation par l'une des Parties par lettre recommandée avec accusé de réception au moins trois mois avant la date d'expiration de la période en cours [...] ".
La clause d'exclusivité figurant dans les contrats de sous-location
98. Entre 2003 et 2005, Orange Caraïbe a consenti à Cetelec Caraïbes deux contrats de bail de courte durée portant sur la sous-location de locaux en Guyane et en Martinique.
99. Le contrat de bail pour la sous-location du local en Guyane, conclu pour une période de 17 mois, comprise entre le 1er septembre 2003 au 28 février 2005, prévoyait que: " la présente sous-location est consentie sans paiement de loyers, la contrepartie à la charge du sous-locataire étant l'obligation pour lui de réaliser ses prestations de service de maintenance de téléphones mobiles et accessoires à titre exclusif pour la société Orange Caraïbe sur tout le territoire de la Guyane pendant la durée d'application du présent bail ".
100. Une même clause était prévue dans le contrat de bail pour la sous-location du local en Martinique, conclu pour une période de 24 mois, comprise entre le 1er décembre 2003 et le 30 novembre 2005 : " la présente sous-location est consentie sans paiement de loyers, la contrepartie à la charge du sous-locataire étant l'obligation pour lui de réaliser ses prestations de service de maintenance de téléphones mobiles et accessoires à titre exclus f pour la société Orange Caraïbe, sur tout le territoire de la Martinique ".
La portée de l'exclusivité
101. Orange Caraïbe a indiqué au cours de l'instruction: " Jamais Cetelec ne nous a demandé de revoir la clause d'exclusivité, donc nous n'avons jamais refusé que Cetelec travaille avec Bouygues Télécom Caraïbe. Nous sommes prêts à accepter une telle éventualité dès lors que les conditions financières d'Orange Caraïbe, vis-à-vis de Cetelec, seraient redéfinies pour tenir compte des investissements qui ont été consentis ".
102. Il ressort cependant des autres éléments du dossier que, pendant la période des faits, Bouygues Télécom Caraïbe n'a pas été en mesure de nouer un partenariat avec Cetelec Caraïbes.
103. En effet, afin de trouver un centre de réparation local, Bouygues Télécom Caraïbe a tout d'abord lancé un appel d'offres à la fin du premier semestre 2003. Cet appel d'offres est resté sans réponse de la part de Cetelec Caraïbes. Ensuite, le 29 octobre 2003, Bouygues Télécom Caraïbe a obtenu une réunion avec le responsable de Cetelec Caraïbes pour étudier les possibilités de collaboration. Le compte-rendu de cette réunion, établi par Bouygues Télécom Caraïbe, indiquait que : " Cetelec nous confirme le contrat d'exclusivité avec Orange Caraïbe mais précise entreprendre une démarche de négociation auprès d'eux afin de faire évoluer les conditions d'exclusivité ".
104. Ces discussions ont donné lieu au printemps 2004 à des propositions précises. Néanmoins, il ressort des éléments du dossier qu'afin de pouvoir conclure un engagement commercial avec Bouygues Télécom Caraïbe, Cetelec Caraïbes était nécessairement tenue de rediscuter avec Orange Caraïbe de son exclusivité. Ainsi, le 19 mai 2004, dans un courrier électronique adressé à Bouygues Télécom Caraïbe, Cetelec Caraïbes indiquait : " la seule solution pour réduire les coûts d'une manière significative et de répondre par la suite à votre demande (à l'extrême d'avoir un [Centre de réparation agrée] par île), est d'avoir une organisation commune pour la réparation pour les deux opérateurs. Comme déjà expliqué, les constructeurs en trouveraient leur avantage, ainsi que les deux opérateurs. Pour cela, nous devons entamer une discussion début juin avec l'autre opérateur concerne. Mais cela va sûrement décaler le planning de démarrage de votre service ".
c) La politique commerciale d'Orange Caraïbe en matière de fidélisation et d'engagement de la clientèle
105. La politique commerciale d'Orange Caraïbe en cause porte, d'une part, sur le programme "Changez de mobile", et d'autre part, sur les périodes d'engagement et de réengagement imposées aux consommateurs.
Le programme "Changez de mobile"
106. Orange Caraïbe fidélise et engage ses clients par le biais de différents programmes dont le principal est le programme "Changez de mobile". Ce programme, dont le principe a été exposé au paragraphe 82, a été mis en place par Orange Caraïbe au printemps 2002.
107. Lors de l'instruction des mesures conservatoires, Orange Caraïbe avait indiqué que :
" depuis le lancement de cette offre, seuls 98 000 clients ont choisi de mettre en œuvre la possibilité qui leur était ainsi offerte de changer de terminal, soit moins d'un tiers des abonnés ayant accès à cette offre et 17 % des abonnés du total des abonnés d'OC. Le nombre d'abonnés souscrivant à cette offre est globalement stable depuis son lancement (entre 4 500 et 5 500 par mois), à rapporter à un parc total de 570 000 clients environ à fin septembre 2004 ".
108. Depuis la mise en œuvre de l'injonction prononcée par le Conseil de la concurrence dans sa décision de mesures conservatoires, c'est-à-dire 2005, le client peut également utiliser ses points de fidélité sans se réengager. En effet, celui-ci peut bénéficier, soit d'une réduction sur l'achat d'un terminal nu, soit de différents lots de services (SMS, minutes de communications supplémentaires ...) dans le cadre du "Programme Service Orange", étant précisé que les lots en question doivent être utilisés dans les 30 jours suivants leur attribution.
109. Par ailleurs, il est envisagé que le client qui résilie son forfait Orange Caraïbe pourra encore bénéficier des lots de services au-delà de la date de cessation de son contrat. Ainsi, selon les déclarations d'Orange Caraïbe : " le client Orange Pref ou max qui met fin à son contrat d'abonnement, pourra s'il le souhaite ouvrir un compte prépayé Orange Card gratuitement et disposer sur ce compte du crédit équivalent à son nombre de points fidélité restant sur son compte Points Orange. Dans ce cas, le client utilisera ce crédit sur la base des tarifs prépayés Orange Card Seconde. Le client pourra conserver à sa demande son numéro d'appel lors du transfert de Pref à Card ou lors du transfert de Max à Card ".
110. En mai 2005, Orange Caraïbe présentait ses nouveaux programmes de fidélité de la manière suivante:
<emplacement tableau>
Les périodes d'engagement ou de réengagement imposées aux consommateurs
111. A la souscription d'un abonnement à un forfait Orange Caraïbe (prépayé ou post-payé), le client s'engage au minimum pour une durée de douze mois, l'opérateur subventionnant alors le terminal du pack. Néanmoins, même si le client ne souhaite pas de terminal (notamment s'il en possède déjà un), il n'a pas la possibilité de souscrire un abonnement d'une durée inférieure à 12 mois.
d) La politique tarifaire d'Orange Caraïbe pour les appels à destination du réseau de Bouygues Télécom Caraïbe
112. Il convient tout d'abord de rappeler le principe de facturation des charges de terminaison d'appel entre les opérateurs de téléphonie mobile. Ensuite, seront exposées successivement l'évolution de ces charges dans la zone Antilles-Guyane puis la différenciation des prix de détail d'Orange Caraïbe entre les appels on net et les appels off net.
Le principe de facturation des charges de terminaison d'appel
113. Un appel on net est un appel d'un client d'un opérateur A vers un autre client de l'opérateur A. Un appel on net est donc approximativement un appel à l'intérieur du réseau du même opérateur. Un appel off net est un appel d'un client d'un opérateur A vers un client d'un opérateur B. L'appel off net est donc appelé à sortir du réseau de l'opérateur A vers le réseau de l'opérateur B. Dans ce cas, pour acheminer l'appel, l'opérateur A va devoir "emprunter" le réseau de l'opérateur B pour que l'appel puisse se terminer sur le terminal d'un client de l'opérateur B.
114. Le Conseil de la concurrence a défini la notion de terminaison d'appel de la manière suivante : " lorsqu'un abonné téléphonique veut en appeler un autre, la communication part du combiné de l'appelant pour traverser la boucle locale de son opérateur, puis elle transite par différents éléments du réseau pour se terminer sur la boucle locale de l'opérateur de l'appelé. La communication emprunte donc une boucle locale de départ et une boucle locale de terminaison " (voir, notamment, avis n° 04-A-17, du 14 octobre 2004, relatif à une demande d'avis présentée par l'Autorité de Régulation des Télécommunications en application de l'article L. 37-1 du Code des postes et des communications électroniques, paragraphe 13, et avis n° 07-A-01, du 1er février 2007, relatif à une demande d'avis de l'ARCEP portant sur l'analyse des marchés de gros de la terminaison d'appel vocal sur les réseaux mobiles des sociétés Outremer Télécom et St-Martin & St-Barthélémy Tel Cell dans la zone Antilles-Guyane, paragraphe 3).
115. S'agissant plus précisément des prestations de terminaison d'appel, le Conseil de la concurrence a indiqué que " lorsqu'un client veut appeler d'un téléphone fixe ou mobile, un numéro de téléphone mobile, l'opérateur (fixe ou mobile) du consommateur appelant fait payer à ce dernier un prix de détail de la communication vers le réseau de l'opérateur de l'appelé. Parallèlement, l'opérateur de l'appelant paie à l'opérateur de l'appelé. directement (s'il bénéficie d'une interconnexion directe avec lui), ou par le biais d'opérateurs de transit, le prix de gros de la prestation de terminaison d'appel vocal utilisant le réseau de l'opérateur de l'appelé " (voir, avis n° 07-A-05, du 19 juin 2007, relatif à une demande d'avis de 1'ARCEP dans le cadre de la procédure d'analyse du marché de gros de la terminaison d'appel vocal sur les réseaux mobiles, paragraphe 6).
116. Ainsi, pour joindre, depuis un téléphone fixe ou un mobile, un abonné sur un réseau de l'opérateur A, il n'existe pas d'autres solutions que de terminer l'appel sur le réseau de l'opérateur A. Pour terminer l'appel vers un abonné de l'opérateur A, le vecteur le plus direct est celui de la prestation de terminaison d'appel fournie par l'opérateur A, dans le cadre d'une interconnexion directe. Concrètement, l'opérateur de l'appelant livre la communication à l'entrée du réseau A, et l'opérateur A se charge de 'terminer' l'appel en acheminant l'appel jusqu'à l'appelé, moyennant le versement par l'opérateur de l'appelant d'une charge de terminaison d'appel.
117. Cependant, pour acheminer l'appel vers un réseau mobile, les opérateurs ont développé un autre vecteur, en utilisant des solutions dites de "hérissons" ou de "mobilebox". Schématiquement, l'opérateur B, qui veut acheminer un appel vers un abonné de l'opérateur A, va faire passer l'appel sur une carte SIM de l'opérateur A, qui deviendra alors un appel on net sur le réseau A, et facturé comme tel.
118. Comme le Conseil l'a indiqué dans l'avis n° 07-A-01 du 1er février 2007, précité, " le seul substitut potentiel à la terminaison d'appel vocal sur le réseau mobile est l'utilisation de 'hérissons' [...]. Les 'hérissons' ou passerelles GSM consistent à transformer des appels off net (appel vers un mobile n'appartenant pas au même réseau que l'appelant) ou des appels fixes en des appels on net (appel vers un mobile appartenant au même réseau que l'appelant). L'appel mobile off net ou provenant d'un réseau fixe est dévié (routé) vers une carte SJM de l'opérateur destinataire et est alors transformé en appel on net. Ainsi, alors que l'appel off net suppose l'achat d'une prestation de terminaison d'appel à l'opérateur de l'abonné appelé, l'appel on net permet de substituer à cette prestation le tarif de détail d'un appel on net sur le réseau de cet opérateur " (paragraphe 5 de l'avis).
<emplacement tableau>
119. En l'espèce, les éléments du dossier démontrent que si les solutions de "hérissons" ont effectivement été utilisées par certains opérateurs dans le passé, elles n'ont constitué que des substituts de moindre qualité n'offrant aucune garantie de pérennité.
120. Ainsi, lors de l'instruction, les représentants d'Outremer Télécom ont indiqué que " les offres Orange Caraïbe par lesquelles nous établissons nos hérissons reposent sur un contrat dans lequel il est expressément stipulé qu'il est précisément interdit de revendre les communications, c'est-à-dire de faire du hérisson. Ainsi, ce n'est que par une tolérance d'Orange Caraïbe qui ne dépend que de son bon vouloir qu'Outremer Telecom peut utiliser de tels hérissons. D'ailleurs, il y a quelques mois, Orange Caraïbe nous a interdit d'utiliser des hérissons, nous avons dû protester fermement pour qu'il nous accorde de nouveau une tolérance. On comprend bien qu'il ne s'agit pas d'une situation sécurisée et viable ".
121. De plus, il ressort de l'article 13.4 des conditions générales de vente du service "Orange entreprises Liberté" que " la carte SIM étant conçue pour fonctionner dans des terminaux agréés GSM, seule l'utilisation de ces terminaux est conforme à la destination de cette carte. OC ne saurait être tenu responsable du non-fonctionnement ou de la défaillance de la carte SIM utilisée dans un terminal non agréé. L'utilisation de la carte SIM dans un terminal non-agréé peut entraîner la résiliation du contrat d'abonnement comme stipulé dans l'article 15.3 ".
122. Ainsi, selon Outremer Télécom, " conformément à ces stipulations contractuelles, Orange Caraïbe a interdit à Outremer Telecom la mise en place de ces solutions, à compter de la fin de l'année 2004, par la désactivation de cartes SIM nécessaires à leur mise en place. A la suite de la demande pressante d'Outremer Telecom de rétablir la mise en œuvre des solutions de hérissons, cette interdiction a été tacitement levée le 18 mai dernier [2005], Orange Caraïbe acceptant finalement la remise et l'activation de cartes SIM nécessaires à une telle mise en place. Outremer Telecom en a pris acte dans un courrier adressé à Orange Caraïbe le 27 mai 2005 mais reste suspendu au bon vouloir d'Orange Caraïbe, qui peut à tout moment s'appuyer sur l'interdiction contractuelle de l'utilisation des passerelles mobiles pour en supprimer le bénéfice ".
123. Dans son avis n° 2008-0098, précité, 1'ARCEP a confirmé les affirmations d'Outremer Télécom en indiquant même que: " Orange Caraïbe interdit contractuellement l'utilisation de passerelles mobiles [...] ". En outre, l'ARCEP a précisé que: " dans la mesure où les solutions techniques d'interconnexion indirecte décrites par Outremer Télécom reposent sur un détournement d'usage, Orange Caraïbe est fondé à prohiber leur utilisation ".
L'évolution de la tarification des charges de terminaison d'appel dans la zone Antilles-Guyane
124. Le prix de gros de la terminaison d'appel que les opérateurs se facturent entre eux est en principe libre. Orange Caraïbe et Bouygues Télécom Caraïbe pratiquaient le même prix de gros pour leur terminaison d'appel respective. Le 1er janvier 2004, Orange Caraïbe a cependant décidé unilatéralement de baisser son prix de gros de terminaison d'appel.
125. Dans l'avis n° 2008-0097 en date du 24 janvier 2008, que I'ARCEP a rendu dans le cadre de la présente affaire (ci-après l' "avis n° 2008-0097 "), celle-ci a indiqué que les prix des terminaisons d'appel que les deux opérateurs se sont facturés entre eux, dans la zone Antilles-Guyane, pour leurs appels off net étaient les suivants :
<emplacement tableau>
La différenciation des prix de détail d'Orange Caraïbe entre les appels on net et les appels off net
126. En 2003 et 2004, dans ses offres de forfaits prépayés ou post-payés, et lorsque les communications concernées sont comprises dans le forfait, Orange Caraïbe ne pratiquait aucune différenciation tarifaire entre les appels à destination de son propre réseau (on net) et ceux à destination du réseau de Bouygues Télécom Caraïbe (off net).
127. En revanche, Orange Caraïbe opérait une telle différenciation tarifaire pour toutes les communications passées en dépassement du forfait, et dans le cadre des cartes prépayées.
Prix des communications passées en dépassement du forfait
128. Les éléments du dossier révèlent que les communications passées en dépassement du forfait étaient facturées de la sorte (prix en euro à la minute avec une facturation à la seconde dès la première seconde)
<emplacement tableau>
Prix des communications passées dans le cadre des cartes prépayées
129. Orange proposait trois types de cartes prépayées: "Orange Card Classique", "Orange Card soir et week-end", et "Orange Card seconde". Selon les affirmations d'Orange Caraïbe, les cartes "Orange Card soir et week-end" et "Orange Card Classique" représentent près de 30 % des clients d'Orange Caraïbe. Par ailleurs, ces cartes ont représenté un chiffre d'affaires hors taxes entre 4 et 4,2 millions d'euro par mois au début de l'année 2004.
130. Orange Caraïbe a également précisé que: " sur les cartes (soit 46 % du parc clients d'Orange Caraïbe), entre 35 et 40 % des cartes sont facturé es aux clients à la seconde dès la première seconde, le reste, soit entre 65 et 60 % est facturé avec une première minute indivisible ".
* Orange Card Classique
<emplacement tableau>
* Orange Card soir et Week-end
<emplacement tableau>
* Orange Card Seconde
<emplacement tableau>
e) Les tarifs proposés par Orange Caraïbe dans certaines offres sur mesure pour les appels vers son réseau
131. Pour les entreprises, Orange Caraïbe a développé l'offre dénommée "forfaits Liberté". Cette offre précisait que " tous les appels inclus dans le forfait et en dépassement du forfait sont décomptés à la seconde dès la première seconde ". Au 19 juin 2004, le forfait proposait les tarifs suivants aux entreprises et collectivités:
<emplacement tableau>
132. Par ailleurs, dans un contrat conclu en 2005 avec EDF, Orange Caraïbe a accordé les tarifs suivants:
<emplacement tableau>
Prime de bienvenu 24 mois:
Un crédit de 20 euro HT sera accordé sur tout nouvel abonnement souscrit avec un engagement de 24 mois (le 2e mois)
<emplacement tableau>
2. LES PRATIQUES MISES EN OEUVRE PAR FRANCE TELECOM
133. Les pratiques mises en œuvre par France Télécom concernent, d'une part, l' " Avantage Améris " et, d'autre part, les tarifs proposés dans certaines offres sur mesure pour les appels fixes à destination des mobiles du réseau Orange Caraïbe.
a) L"'Avantage Améris"
L' " Avantage Améris " proposé par France Télécom
134. L' "Avantage Améris" était une option tarifaire gratuite proposée par France Télécom pour tout titulaire d'un abonnement professionnel au réseau téléphonique commuté de France Télécom ou au réseau Numéris. Cette option permettait aux clients qui souhaitaient en bénéficier de se voir appliquer un taux de réduction sur le prix des appels fixes vers les mobiles du réseau Améris (marque commerciale de France Caraïbe Mobile, devenue Orange Caraïbe). L' "Avantage Améris" était la réplique dans la zone Antilles-Guyane de l'offre métropolitaine "Avantage Itinéris" qui prévoyait également une réduction pour les communications fixes à destination du réseau Itinéris (anciennement Orange).
135. Le tableau suivant fait apparaître les taux de réduction accordés au titre de l"'Avantage Améris"
<emplacement tableau>
Le maintien de l"'Avantage Améris"
136. Il ressort de l'instruction que France Télécom a maintenu la commercialisation de l' " Avantage Améris " après l'arrivée sur le marché de Bouygues Télécom à la fin de l'année 2000 et ce, jusqu'à la fin du mois de mai 2002, date à laquelle il l'a remplacé par la nouvelle offre "Avantage Mobiles Plus" qui prévoyait des réductions sur le prix des appels fixes vers les téléphones mobiles de la zone Antilles-Guyane, quel que soit le réseau mobile destinataire.
137. Il ressort également de l'instruction qu'au delà du mois de mai 2002, France Télécom a maintenu l'option "Avantage Améris" pour les clients qui l'avaient souscrite avant cette date. En effet, pour ces clients, l'opérateur n'a pas procédé à la résiliation de l'option, alors même qu'en vertu des conditions générales des services téléphoniques pour les professionnels et les entreprises, une telle possibilité lui était offerte. L'article 8 des conditions générales d'abonnement stipulait ainsi que : " le client trouve le détail de la tarification des communications dans le Catalogue de prix [...] Les modifications de prix sont applicables en cours d'exécution du contrat et portées à la connaissance des clients au plus tard huit jours avant leur application. Le client peut, dans ce cas, résilier le contrat conformément à l'article 15.2 ".
138. Selon les données transmises par France Télécom, au 31 décembre 2005, certains clients bénéficiaient encore de l' "Avantage Améris" pour certaines de leurs lignes.
L'historique réglementaire de l' "Avantage Améris"
139. L'option "Avantage Améris" qui faisait l'objet de la décision tarifaire n° 00 309 de France Télécom a été homologuée par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le 31 octobre 2000, après un avis favorable rendu par l'ART le 25 octobre 2000 (avis n° 00-1142). Dans son avis, l'ART indique que " l'unique objet de la présente décision tar faire est de déplacer les tarifs des appels entrants de la rubrique 'Services mobiles' de son catalogue de prix à la rubrique 'Téléphone de base', et ce sans aucune modification des tarifs actuellement pratiqués ". Elle expose également qu'" à compter du 1er novembre 2000, le tarif des communications émises au départ du réseau fixe à destination des postes mobiles sera fixé par l'opérateur fixe, tandis qu'il était jusqu'alors du ressort des opérateurs mobiles ". L'ART conclut qu'e à ce stade, lieue] prend acte de la décision tarifaire 00309 de France Télécom, ceci sans préjudice de l'analyse qu'elle sera amenée à développer sur les futures propositions tarifaires de France Télécom relatives aux appels fixe vers mobiles ".
140. A la fin du mois de novembre 2001, France Télécom a pris l'engagement vis-à-vis de l'ART de transformer l' "Avantage Améris" en un "Avantage mobile plus" donnant droit à une réduction de volume maximale de 8 % pour les appels fixes vers l'ensemble des mobiles. Dans son avis n° 01-1150 du 14 décembre 2001, l'ART a rendu un avis favorable à cette modification : " France Télécom propose de cesser la commercialisation de l'option "Avantage Améris" proposée jusqu'à présent pour les appels fixes vers les mobiles de ses filiales dans les DOM et de créer une nouvelle option dénommée "Avantage Mobiles Plus". Cette option permet au client titulaire d'un contrat professionnel de bénéficier d'une réduction sur le prix des appels fixes vers mobiles à l'intérieur des départements d'outre-mer, quel que soit le réseau mobile destinataire [...] ".
141. L'option "Avantage mobile plus" a été homologuée par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie le 23 avril 2002 et sa commercialisation a débuté le 21 mai 2002. Ainsi, dans un courrier du 6 mai 2002 répondant à une demande de Bouygues Télécom Caraïbe, un responsable de France Télécom a indiqué : " je vous informe de l'arrêt de la commercialisation de l'option tarifaire Avantage Améris " et son remplacement par l'option tarifaire 'Avantage Mobile Plus'. Ces dispositions prendront effet d'ici la fin du mois de mai 2002 ".
b) Les tarifs proposés par France Télécom dans certaines offres sur mesure pour les appels fixes vers les mobiles Orange Caraïbe
142. Lors de plusieurs appels d'offres passés en 2004, France Télécom a proposé à certaines collectivités territoriales des offres de téléphonie 'fixe vers mobile' avec un prix unitaire de base par minute de communication de 0,12 euro hors taxes. Ces propositions tarifaires étaient souvent présentées comme des 'variantes' dans la mesure où elles reposaient sur une solution technique supposant l'achat de matériel par la collectivité concernée. En effet, les propositions de France Télécom reposaient sur l'utilisation de mécanismes de "hérissons", encore appelés "passerelles GSM".
143. Ainsi, dans le cadre d'un appel d'offres passé par le conseil régional de Guyane, France Télécom a proposé ce type de services.
144. Dans son offre, France Télécom commençait, dans un premier temps, par présenter la situation : " actuellement le trafic depuis les différents standards du Conseil Régional de Guyane vers les postes GSM de Guyane, sont routés à travers le réseau fixe de France Télécom. Le prix unitaire de base entreprise par minute de communication, par le moyen ci-dessus est de 0,24 euro HT (hors crédit-temps) ". Puis, dans un deuxième temps, France Télécom présentait sa nouvelle offre : " nous vous proposons : 1) une offre passerelle pour les communications vers les mobiles de Guyane acheminées par vos autocommutateurs (réduction de plus de 50 %) et, en complément, 2) 12 % de réduction sur toutes les autres communications fixes vers mobiles, y compris les communications vers les mobiles de métropole [...] L'offre passerelle de France Télécom consiste à poser sur le standard du site de la Direction Générale des Services Régionaux, au 66 avenue du Général de Gaulle à Cayenne (là où se trouve l'autocommutateur le plus gros), des boîtiers d'interface appelés " Passerelle GSM". Ces boitiers routent automatiquement les appels vers les mobiles GSM DOM (Orange Caraïbe, Bouygues Caraïbe et Outremer Telecom) directement sur le réseau mobile sans passer par le réseau fixe, en les transformant en communications mobiles-mobiles. Ce qui permet de bénéficier des prix forfaitisés en durée, sans crédit-temps et de la facturation à la seconde dès la première seconde de communication. Le prix unitaire de base par minute de communication est de 0,12 euro HT ". France Télécom exposait, dans un troisième temps, que son offre reposait sur l'utilisation d'un des forfaits d'Orange Caraïbe, le forfait Liberté : " nous vous proposons que le trafic 'Fixes vers mobiles' soit facturé en Forfait Liberté Orange pour bénéficier des tarifs les plus bas : 0,12 euro HT la minute ", en précisant que : " en cas de dépassement du forfait, les communications locales vers les mobiles Orange Caraïbe seront comptées à 0,12 euro HT la minute, et vers les mobiles Bouygues Caraïbe à 0,18 euro HT la minute ". Puis, après un bref calcul opéré sur la base des communications passées par le Conseil régional, l'offre de France Télécom concluait : " ce qui représente un gain mensuel de 1 056,80 euro HT par rapport à la facture actuelle de la DGSR [Direction Générale des Services Régionaux] ".
145. Le cabinet Cortel, chargé d'assister le conseil régional de Guyane dans l'opération, a indiqué au sujet de la proposition de 'hérisson' de France Télécom, que celle-ci :
" permettrait de réduire considérablement la facture téléphone du Conseil Régional de Guyane (- 64 % par rapport au tarif en vigueur GSM) sachant que ces coûts représentent à eux seuls, plus de 45 % de votre budget communications fixe vers mobile ".
146. Si les mécanismes de "hérisson" supposent l'achat, ou la location, par l'entreprise ou la collectivité du matériel nécessaire, il apparaît que le coût de ces "passerelles GSM" est relativement faible et peut être amorti très rapidement. Ainsi, le cabinet Cortel a fait réaliser un devis pour l'installation de "passerelle GSM" pour le conseil régional de Guyane dont il ressort que, pour une installation permettant quatre appels simultanés vers des mobiles Orange Caraïbe en 'hérisson', il en coûterait en matériel et main-d'œuvre, 4 708 euro TTC. Cette somme est à mettre en rapport avec le gain mensuel sur les communications annoncé par France Télécom de 1 056 euro.
147. Par ailleurs, il ressort des éléments du dossier que France Télécom proposait des remises importantes sur ces matériels. En effet, si dans le cadre de l'appel d'offres du conseil régional de Guyane, France Télécom n'a pas offert de telles remises, les éléments de l'instruction ont révélé qu'elle l'avait fait lors d'autres appels d'offres.
148. Ainsi, il est arrivé à France Télécom de proposer d'offrir les passerelles. En effet, le cabinet Cortel a précisé qu'il s'était " enquis auprès du Directeur général de France Télécom à Cayenne, s'il était susceptible de [...] faire la même offre qu'au Conseil général de la Guyane, c'est-à-dire 'offrir' la mise en place de 2 passerelles. M Lejosne n'a plus les mêmes libertés et ne peut vous faire la même offre ".
149. De même, lors d'un appel d'offres de la ville du François, pour lequel France Télécom proposait pour les appels 'fixe vers mobile' une facturation à la seconde dès la première seconde (sans minute indivisible) de 13 centimes d'euro, le rapport du directeur des affaires financières de la ville à indiqué, concernant les équipements de 'hérisson' que " la mise en place de ces solutions implique des frais, sur lesquels nous avons négocié 30 % de remise en ce qui concerne le matériel et 50 % de remise en ce qui concerne la mise en service ".
C. LES GRIEFS NOTIFIES
150. Sur la base des constatations qui précèdent, par lettre du 4 août 2008, le rapporteur général a notifié à Orange Caraïbe et à France Télécom sept griefs concernant différentes pratiques mises en œuvre par Orange Caraïbe. Il a été reproché à propos de cette dernière:
- " d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane en imposant à ses distributeurs des obligations d'exclusivité et de non concurrence les interdisant de commercialiser des services concurrents. Une telle pratique doit recevoir la qualification d'abus de position dominante au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce ainsi que l'article 82 du traité CE dans la mesure où elle a eu pour objet et pour effet de conforter la position d'Orange Caraïbe en rendant artificiellement plus difficile l'accès et le développement d'entreprises concurrentes, notamment depuis l'arrivée de Bouygues Télécom Caraïbe sur le marché en décembre 2000 jusqu'à la suppression de ces restrictions en janvier 2005 ", ci-après le 'grief n° 1.1' ;
- " de s'être entendue avec ses distributeurs indépendants par la signature de contrats de commercialisation contenant des obligations d'exclusivité et de non concurrence interdisant à ces derniers de commercialiser des services concurrents de 1'opérateur. Une telle pratique doit recevoir la qualification d'entente anticoncurrentielle au regard de l'article L.420-1 du Code de commerce ainsi que l'article 81 du traité CE dans la mesure où elle a eu pour objet et pour effet de limiter la concurrence effective et potentielle entre les opérateurs de téléphonie mobile de la zone Antilles-Guyane, notamment depuis l'arrivée de Bouygues Télécom Caraïbe sur le marché en décembre 2000 jusqu'à la suppression de ces restrictions en janvier 2005 ", ci-après, le 'grief n° 1.2' ;
- " de s'être entendue avec Cetelec Caraïbes par la signature de contrats envisageant des obligations d'exclusivité et de non concurrence interdisant à ce dernier d'assurer des services de réparation et de maintenance pour tout concurrent de l'opérateur. Une telle pratique doit recevoir la qualification d'entente anticoncurrentielle au regard de l'article L.420-1 du Code de commerce ainsi que l'article 81 du traité CE dans la mesure où elle a eu pour objet et pour effet de limiter la concurrence effective et potentielle entre les opérateurs de téléphonie mobile de la zone Antilles-Guyane, notamment depuis l'arrivée de Bouygues Télécom Caraïbe sur le marché en décembre 2000jusqu'à la suppression de ces restrictions en janvier 2005 ", ci-après le 'grief n° 2' ;
- " d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane en imposant à ses distributeurs des prix de revente des terminaux dans le cadre d'offres promotionnelles répétées ainsi que dans le cadre du programme de fidélité 'Changez de Mobile'. Une telle pratique doit recevoir la qualification d'abus de position dominante au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce ainsi que l'article 82 du traité CE dans la mesure où elle a eu pour objet et pour effet de conforter la position d'Orange Caraïbe en rendant artificiellement plus difficile l'accès et le développement d'entreprises concurrentes, notamment depuis l'arrivée de Bouygues Télécom Caraïbe sur le marché en décembre 2000 ", ci-après 'grief n° 3' ;
- " d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane tout d'abord en imposant un réengagement de 24 mois pour l'utilisation des points de fidélité du programme 'Changez de mobile' du printemps 2002 au printemps 2005. En outre, cet abus est constitué par le fait qu'Orange Caraïbe n'a proposé et ne propose encore que des offres forfaitaires avec un engagement minimal de 12 mois, et que des offres de réengagement avec subvention du terminal de 24 mois. De telles pratiques doivent recevoir la qualification d'abus de position dominante au regard de l'article L.420-2 du Code de commerce ainsi que l'article 82 du traité CE dans la mesure où elles ont eu pour objet et pour effet de conforter la position d'Orange Caraïbe en rendant artificiellement plus difficile l'accès et le développement d'entreprises concurrentes, notamment depuis l'arrivée de Bouygues Télécom Caraïbe sur le marché en décembre 2000 et d'Outremer Télécom en 2005, sans qu'elles puissent être justifiées à suffisance par des contreparties au bénéfice des consommateurs et/ou du marché ", ci- après le 'grief n° 4' ;
- " d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane en pratiquant une discrimination tar faire injustifiée entre les appels à destination de son réseau (on net) et ceux à destination des autres operateurs (et notamment de Bouygues Télécom Caraïbe). Une telle pratique doit recevoir la qualification d'abus de position dominante au regard de l'article L.420-2 du Code de commerce ainsi que l'article 82 du traité CE dans la mesure où elle a eu pour objet et pour effet de conforter la position d'Orange Caraïbe en rendant artificiellement plus difficile l'accès et le développement d'entreprises concurrentes, notamment depuis l'arrivée de Bouygues Télécom Caraïbe sur le marché en décembre 2000 jusqu'à sa suppression au printemps 2005 ", ci-après, le 'grief n° 5' ;
- " d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché de la terminaison d'appel sur son réseau en proposant à des collectivités ou entreprises des offres à destination de son réseau en dessous des coûts qu'un opérateur aussi efficace qu'elle doit nécessairement supporter pour proposer la même prestation, c'est-à-dire en dessous de sa charge de terminaison d'appel facturée à ses concurrents. Une telle pratique doit recevoir la qualification d'abus de position dominante au regard de l'article L.420-2 du Code de commerce ainsi que l'article 82 du traité CE dans la mesure où elle a eu pour objet et pour effet d'introduire une distorsion de concurrence majeure sur le segment de marché des offres de téléphonie mobile à destination des entreprises et des collectivités dans la zone Antilles-Guyane en renforçant encore la dominance d'Orange Caraïbe ", ci-après, le 'grief n° 6' ;
151. Par ailleurs, par la lettre du 4 août 2008, le rapporteur général a notifié à France Télécom deux autres griefs, reprochant à l'opérateur:
- " d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché des services de téléphonie fixe dans la zone Antilles-Guyane en appliquant à de nombreux de ses clients professionnels et entreprises une réduction sur les appels depuis un poste fixe à destination du réseau de sa filiale Orange Caraïbe exclusivement (Avantage Améris). Une telle pratique doit recevoir la qualification d'abus de position dominante au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce ainsi que l'article 82 du traité CE dans la mesure où elle a eu pour objet et pour effet de favoriser artificiellement la filiale de téléphonie mobile de France Télécom et de rendre artificiellement plus difficile l'accès et le développement d'entreprises concurrentes depuis l'arrivée de Bouygues Télécom Caraïbe sur le marché en décembre 2000 ", ci- après, le 'grief n° 7' ;
- " d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché des services de téléphonie fixe dans la zone Antilles-Guyane en proposant à des collectivités ou entreprises des offres de télécommunications fixe vers mobile' en dessous des coûts qu'un opérateur aussi efficace qu'elle doit nécessairement supporter pour proposer la même prestation. Une telle pratique doit recevoir la qualification d'abus de position dominante au regard de l'article L.420-2 du Code de commerce ainsi que l'article 82 du traité CE dans la mesure où elle a eu pour objet et pour effet d'introduire une distorsion de concurrence sur le marché des offres fixe vers mobile " pour les entreprises et les organismes publics dont ont pu souffrir les concurrents de France Télécom dans la zone Antilles-Guyane ", ci-après, le 'grief n° 8'.
III. Discussion
152. Seront successivement abordés:
- la procédure
- l'application du droit communautaire de la concurrence;
- le bien-fondé des griefs
- les pratiques n'ayant pas fait l'objet de griefs
- l'imputabilité des pratiques;
- les sanctions.
A. SUR LA PROCEDURE
1. SUR LE MOYEN TIRE DU PRETENDU NON-RESPECT DU SECRET DES AFFAIRES
153. France Télécom fait valoir qu'elle a découvert dans la version non-confidentielle du dossier des pièces comportant des données commerciales dont elle a demandé et obtenu le classement en annexe confidentielle, ou pour lesquelles elle n'a pas été mise en mesure de formuler une demande de traitement confidentiel. Il s'agirait plus particulièrement des réponses de France Télécom à des appels d'offres lancés par certaines collectivités locales dans la zone Antilles-Guyane. France Télécom conclut que ces violations du droit à la protection du secret des affaires portent des atteintes graves à ses droits de la défense.
154. Cependant, il convient de relever, tout d'abord, que France Télécom n'apporte aucun élément de nature à établir que la version non-confidentielle du dossier, transmise aux parties saisissantes, contenait des données pour lesquelles elle aurait demandé et obtenu la protection de secrets d'affaires, en application des articles L. 463-4, R. 463-13, alinéa 1, et R. 463-14, alinéa 2, du Code de commerce.
155. Quant aux réponses de France Télécom à des appels d'offres lancés par des collectivités locales dans la zone Antilles-Guyane, il convient de souligner que les services d'instruction de l'Autorité de la concurrence ont adressé des courriers à chacune des collectivités concernées, les invitant à demander, si elles l'estimaient nécessaire, le classement en annexe confidentielle des données communiquées. Or, certaines collectivités locales ont expressément indiqué qu'elles ne souhaitaient pas formuler de telles demandes. Les autres n'ont, quant à elles, jamais répondu, malgré les multiples relances des services d'instruction. Il paraît en toute hypothèse difficile de considérer que les données en cause conservent un caractère " éminemment confidentiel ", comme le soutient France Télécom, compte-tenu notamment de leur ancienneté et leur relative obsolescence. En effet, celles-ci dataient pour la plupart, des années 2004 et 2005, et concernaient au surplus des solutions techniques ayant évolué ces dernières années.
156. Enfin et surtout, France Télécom n'expose nullement en quoi la prétendue violation de son droit à la protection du secret des affaires aurait porté atteinte à ses droits de la défense en l'empêchant de répondre de manière efficace aux griefs qui lui avaient été notifiés.
157. En tout état de cause, selon la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence : " la sanction qui s'attache à la divulgation d'informations couvertes par le secret des affaires n'est pas la nullité de la procédure, mais le versement éventuel d'une indemnité en réparation, dans le cas où la communication de tels documents serait de nature à créer un préjudice direct et certain à ces entreprises " (voir, notamment, décision n° 07-D-50, du 20 décembre 2007, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de jouets, paragraphe 470).
158. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré du prétendu non-respect du secret des affaires doit être écarté.
2. SUR L'ETUDE ECONOMIQUE DU CABINET MAPP TRANSMISE PAR ORANGE CARAïBE EN REPONSE AU RAPPORT
159. Par une télécopie du 9 septembre 2009, Digicel a demandé au président de l'Autorité de la concurrence d'écarter des débats l'étude économique du cabinet MAPP transmise par Orange Caraïbe, le 14 août 2009, à l'appui de ses observations au rapport. En effet, Digicel souligne, tout d'abord, que les données essentielles de ce rapport ont été occultées au titre de la protection du secret des affaires et que dès lors, elle se trouverait dans l'incapacité de comprendre la manière dont a été menée l'étude et resterait même dans l'ignorance du contenu réel de cette étude et de ses résultats. Digicel invoque ensuite le fait que l'étude MAPP a été volontairement produite au stade du rapport, ce qui lui laissait moins de 15 jours pour en faire l'examen et étudier sa pertinence, alors que les pratiques en cause sont anciennes et que la procédure est ouverte depuis 2004.
160. Cependant, l'étude économique du cabinet MAPP a été transmise par Orange Caraïbe à l'appui de ses observations au rapport, dans les délais impartis par la rapporteure générale, conformément aux dispositions du Code de commerce, qui n'interdisent pas la production de telles études au deuxième tour du débat contradictoire.
161. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'écarter des débats l'étude économique du cabinet MAPP transmise par Orange Caraïbe en réponse au rapport.
3. SUR LE MOYEN TIRE DE L'IMPRECISION DES GRIEFS
162. France Télécom soutient que le grief n° 7 relatif à l' " Avantage Améris " et le grief n° 8 relatif au ciseau tarifaire ne satisfont pas aux exigences de précision et de spécificité requises pour l'établissement d'une notification valable, ce qui porterait une atteinte irrémédiable à ses droits de la défense.
163. Selon une jurisprudence constante, les griefs énoncés doivent être interprétés par référence aux développements préalables du rapporteur (voir arrêt de la Cour d'appel de Paris du 18 février 1997, ODA et CMS). Or, en l'espèce, il résulte bien du corps de la notification des griefs que la pratique visée par le grief n° 7 est la commercialisation par France Télécom de l' " Avantage Améris " lors de l'arrivée de Bouygues Télécom Caraïbe sur le marché en décembre 2000, jusqu'au 21 mai 2002, puis son maintien postérieurement à cette date pour les clients qui l'avaient déjà souscrit (voir, notamment les paragraphes 316 et 318 de la notification des griefs). Par ailleurs, s'agissant du grief n° 8, il ressort des paragraphes 339 à 347 de la notification des griefs que celui-ci porte sur une offre "fixe vers mobile" de France Télécom avec un prix unitaire de base par minute de communication de 0,12 euro hors taxes, lors d'un appel d'offres passé par le conseil régional de Guyane en 2004.
164. Il en résulte que le moyen soulevé par France Télécom tiré de l'imprécision des griefs doit être écarté.
B. SUR L'APPLICATION DU DROIT COMMUNAUTAIRE DE LA CONCURRENCE
165. Tous les griefs ont été notifiés sur le fondement des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, et des articles 81 et 82 du traité CE, devenus les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) depuis l'entrée en vigueur, le 1er décembre 2009, du traité de Lisbonne. Lors de la séance, Orange Caraïbe a contesté l'application du droit communautaire aux pratiques en cause, dans la mesure où celles-ci n'auraient pas eu d'effet sensible sur le commerce entre Etats membres.
166. L'article 299 du traité CE, devenu l'article 355 du TFUE, prévoit que les dispositions du traité sont applicables aux départements français d'outre-mer. Dans ses lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité (JO 2004, C 101, p. 81), la Commission européenne rappelle que " les articles 81 et 82 du traité s'appliquent aux accords horizontaux et verticaux et aux pratiques abusives d'entreprises qui sont "susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres" " (point 1). La Commission précise que " le critère de l'affectation du commerce est un critère autonome du droit communautaire qu'il convient d'apprécier séparément dans chaque cas. De nature juridictionnelle, il définit le champ d'application du droit communautaire de la concurrence. Ainsi, ce droit n'est pas applicable aux accords et aux pratiques qui ne sont pas susceptibles d'affecter sensiblement le commerce entre Etats membres. Le critère de l'affectation du commerce limite le champ d'application des articles 81 et 82 aux accords et pratiques susceptibles d'avoir un niveau minimal d'effets transfrontaliers à l'intérieur de la Communauté. Selon les termes de la Cour de justice, l'accord ou la pratique doit affecter "de façon sensible" le commerce entre États membres " (points 12 et 13).
167. Se fondant sur le traité et les lignes directrices de la Commission, le Conseil de la concurrence, approuvé par la Cour d'appel de Paris, a ainsi considéré que trois éléments doivent être démontrés pour établir que des pratiques mises en œuvre sont susceptibles d'avoir sensiblement affecté le commerce entre Etats membres l'existence d'échanges entre Etats membres portant sur les produits ou les services faisant l'objet de la pratique, l'existence de pratiques susceptibles d'affecter ces échanges et le caractère sensible de cette possible affectation (voir, décision n° 08-D-30 du 4 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés des pétroles Shell, Esso SAF, Chevron Global Aviation, Total Outre Mer et Total Réunion et l'arrêt de la Cour d'appel du 24 novembre 2009).
1. SUR LES DEUX PREMIERS ELEMENTS LIES A L'EXISTENCE DE PRATIQUES SUSCEPTIBLES D'AFFECTER LE COMMERCE ENTRE ETATS MEMBRES
168. Selon la jurisprudence constante des juridictions européennes, la notion d'affectation des échanges entre Etats membres est interprétée largement, dans la mesure où, " pour être susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres, une décision, un accord ou une pratique doivent, sur la base d'un ensemble d'éléments de fait et de droit, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'ils puissent exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre Etats membres, et cela de manière à faire craindre qu'ils puissent entraver la réalisation d'un marché unique entre Etats membres" (arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du 15 décembre 1994, DLG, C-250-92, Rec. p. 1-5641, point 54, et du 25 octobre 2001, Ambulanz Glôckner, C-475-99, Rec. p. 1-8089, point 48). Cette approche est reprise par la Cour d'appel de Paris (voir, en dernier lieu, arrêt du 24 novembre 2009).
169. C'est pourquoi la Commission européenne a précisé dans ses lignes directrices que " la notion de "commerce" n'est pas limitée aux échanges transfrontaliers traditionnels de produits et de services, mais a une portée plus large qui recouvre toute activité économique internationale, y compris l'établissement. Cette interprétation concorde avec l'objectif fondamental du traité consistant à favoriser la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux " (point 19). Toujours selon la Commission, " l'application du critère d'affectation du commerce est indépendante de la définition des marchés géographiques en cause, car le commerce entre Etats membres peut également être affecté dans des cas où le marché en cause est national ou subnational " (point 22).
170. En pratique, comme l'a rappelé la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 24 novembre 2009 précité, confirmant l'analyse que le Conseil de la concurrence avait retenue dans la décision n° 08-D-30, l'appréciation de l'affectation des échanges peut résulter de plusieurs facteurs, qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants la nature de l'accord ou de la pratique en cause, la nature des produits concernés par l'accord ou la pratique, la position et l'importance des entreprises en cause.
171. Ainsi, ce n'est pas parce que des pratiques anticoncurrentielles ne couvrent qu'une partie d'un Etat membre qu'elles ne sont pas susceptibles d'affecter le commerce intracommunautaire. A cet égard, le Conseil de la concurrence a déjà considéré à plusieurs reprises que les articles 81 et 82 du traité CE étaient applicables dans des cas concernant une partie du territoire français, dès lors qu'étaient en cause des activités par nature transfrontalières, comme les activités de transport ou de télécommunications. En effet, dans de telles hypothèses, il importe peu que les pratiques ne couvrent qu'une partie d'un Etat membre, l'important étant que leur portée soit susceptible de s'étendre au-delà de leur siège géographique (voir, notamment, décisions n° 08-D-30 du 4 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés des pétroles Shell, Esso SAF, Chevron Global Aviation, Total Outre Mer et Total Réunion, paragraphes 166 à 184, confirmée par l'arrêt de la Cour d'appel du 24 novembre 2009, n° 09-D-10 du 27 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent, paragraphes 97 à 103 et n° 09-D-24 du 28 juillet 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par France Télécom sur différents marchés de services de communications électroniques fixes dans les DOM, paragraphes 141 à 144).
172. En l'espèce, si les pratiques en cause ont été mises en œuvre dans une partie d'un Etat membre, à savoir la zone Antilles-Guyane, elles portent sur des services de communications électroniques qui ont pour objet de permettre aux utilisateurs d'émettre ou de recevoir des appels ou des données, notamment au départ et en direction d'autres Etats membres de l'Union européenne. De ce fait, les pratiques portent sur des services qui, par leur nature même, sont susceptibles d'être pour partie transfrontaliers.
173. En outre, pour s'assurer de l'affectation du commerce entre Etats membres, il peut également y avoir lieu de prendre en considération les conditions concrètes de fonctionnement du marché et les effets réels ou potentiels des pratiques en cause sur la structure de la concurrence dans la Communauté. En effet, comme la Commission l'a indiqué dans ses lignes directrices, " la notion de commerce englobe aussi les cas où des accords et pratiques affectent la structure de la concurrence sur le marché. Ainsi, les accords et pratiques qui affectent cette structure à l'intérieur de la Communauté en éliminant ou en menaçant d'éliminer un concurrent qui y opère peuvent tomber sous le coup des règles communautaires de concurrence " (point 20). Il en est d'autant plus ainsi lorsque le ou les concurrents sont originaires d'autres Etats membres, dans la mesure où leur éviction actuelle ou potentielle est susceptible d'aller à l'encontre de la réalisation du marché unique, qui constitue un objectif des règles de concurrence communautaires (voir l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, du 10 juin 2009, GlaxoSmithKline Services/Commission, non encore publié au Recueil, point 61).
174. Ainsi, la Cour de justice des Communautés européennes a jugé que le commerce entre Etats membres peut être affecté par une mesure qui empêche une entreprise de s'établir dans un autre Etat membre pour y fournir des services sur le marché en cause (voir arrêt Ambulanz Glôckner, précité, point 49). Dans une décision n° 07-D-08 du 12 mars 2007, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'approvisionnement et de la distribution du ciment en Corse, le Conseil de la concurrence, approuvé par la Cour d'appel de Paris par un arrêt du 6 mai 2008, a de même considéré que des pratiques dont l'objet et l'effet étaient d'évincer du marché corse les cimentiers européens, notamment grecs et italiens, au profit des deux cimentiers français, étaient susceptibles d'affecter le courant des échanges intracommunautaires.
175. En l'espèce, les pratiques en cause sont essentiellement des pratiques d'éviction ayant consisté pour Orange Caraïbe à élever artificiellement des barrières à l'entrée sur le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane.
176. Or, l'instruction a révélé que les grands groupes européens présents dans le secteur de la téléphonie mobile s'intéressent à la région des Caraïbes où ils offrent leurs services par le biais de filiales qu'ils y ont établies. Ainsi, T-Mobile, la filiale de Deutsche Telecom (allemande), exploite un réseau de téléphonie mobile à Puerto Rico. De même, Lime (anciennement Bmobile), filiale de Cable & Wireless (britannique) opère à la Jamaïque, ou encore à Trinidad et Tobago. L'instruction a également montré que, dès lors qu'un opérateur européen ou non est implanté en un point de la région, il a vocation à développer sa présence sur les autres territoires de la zone, afin de bénéficier d'un maillage territorial plus complet, ce qui le rend à la fois plus efficace et plus attractif vis-à-vis des consommateurs. Ainsi, depuis le mois d'avril 2004, Orange Caraïbe offre également des services de téléphonie mobile en République dominicaine par l'intermédiaire d'Orange Dominica. De même, l'opérateur jamaïcain Digicel s'est graduellement implanté dans 23 pays de la zone des Caraïbes.
177. Dès lors, si les pratiques mises en œuvre par Orange Caraïbe ont eu des effets certains sur Bouygues Télécom Caraïbe et Outremer Télécom Caraïbe, elles ont également eu une incidence au moins potentielle sur les opérateurs provenant notamment des autres Etats membres de l'Union européenne, présents dans la région, dont l'entrée sur le marché de la zone Antilles-Guyane a pu être rendue plus difficile du fait des pratiques mises en œuvre par Orange Caraïbe.
178. Il en résulte que les pratiques en cause dans la présente affaire ont été susceptibles d'affecter le commerce intracommunautaire au sens des articles 81 et 82 du traité CE, devenus 101 et 102 du TFUE.
2. SUR LE TROISIEME ELEMENT LIE AU CARACTERE SENSIBLE DE L'AFFECTATION
179. Selon les lignes directrices de la Commission, précitées, l'appréciation du caractère sensible dépend des circonstances de chaque espèce et notamment de la nature de l'accord ou de la pratique, de la nature des produits concernés et de la position sur le marché des entreprises en cause (point 45). Ainsi, selon la Commission, la position de marché des entreprises en cause et le chiffre d'affaires qu'elles réalisent avec les produits en cause renseignent sur la capacité d'un accord ou d'une pratique d'affecter le commerce entre Etats membres (point 47). Dans son arrêt du 24 novembre 2009, précité, la Cour d'appel de Paris, se référant aux lignes directrices de la Commission, a ainsi jugé que l'appréciation du caractère sensible dépend des circonstances de chaque espèce, et notamment de la nature de l'accord ou de la pratique, de la nature des produits concernés et de la position de marché des entreprises en cause.
180. S'écartant d'une appréciation au cas par cas, la Commission a posé, dans ses lignes directrices, précitées (point 52), le principe selon lequel le commerce entre Etats membres n'est pas affecté sensiblement si la part de marché totale des parties sur un marché communautaire en cause affecté par l'accord n'excède pas 5 % et si, en cas d'accords verticaux, le chiffre d'affaires annuel total réalisé dans la Communauté par le fournisseur avec les produits concernés par l'accord n'excède pas 40 millions d'euro. A contrario, s'agissant des accords qui sont, par nature, susceptibles d'affecter le commerce, si la part de marché totale des parties excède 5 % du marché communautaire en cause ou si les entreprises en cause réalisent au moins 40 millions d'euro de chiffre d'affaires annuel avec les produits concernés, ces accords sont présumés affecter sensiblement le commerce intra-communautaire. Cependant, une telle présomption n'existe pas lorsque l'accord ne couvre qu'une partie d'un État membre (point 53).
181. S'agissant des pratiques d'abus de position dominante, la Commission européenne a indiqué dans ses lignes directrices que " si la position dominante couvre une partie d'un Etat membre qui constitue une partie substantielle du marché commun et si l'abus de cette position rend plus difficile aux concurrents d'autres Etats membres l'accès au marché sur lequel l'entreprise est dominante, le commerce entre Etats membres doit normalement être considéré comme susceptible d'être affecté de manière sensible " (point 97). A cet égard, la Cour de justice des Communautés européennes a jugé, par exemple, dans l'arrêt du 25 octobre 2001, Ambulanz Glôckner, précité, que le land de Rhénanie-Palatinat en Allemagne constituait une partie substantielle du marché commun, eu égard à la superficie étendue du territoire de ce land, qui est de près de 20 000 km2, et au nombre très élevé de ses habitants, qui est d'environ quatre millions, lequel est supérieur à la population de certains Etats membres (point 38 de l'arrêt).
182. Dans la mesure où les pratiques en cause ne couvrent qu'une partie d'un Etat membre, il convient de procéder à une analyse des circonstances de l'espèce pour apprécier le caractère sensible de l'affectation du commerce intracommunautaire. A cet égard, il y a lieu de relever que les nombreuses pratiques en cause, qui portent sur une large gamme de services et se cumulent les unes avec les autres, ont été mises en œuvre par France Télécom et sa filiale Orange Caraïbe, c'est-à-dire par un groupe de téléphonie de dimension européenne, présent non seulement en France mais aussi dans d'autres Etats membres de l'Union européenne, comme le Royaume-Uni, l'Espagne ou la Pologne, qui réalisait plus de 40 milliards d'euro de chiffres d'affaires à l'époque des faits et qui occupe de fortes positions sur les marchés pertinents en cause. Ainsi, à l'époque des faits, le chiffre d'affaires annuel d'Orange Caraïbe sur le marché des services de téléphonie mobile était en moyenne d'environ 300 millions d'euro, c'est-à-dire d'un montant très nettement supérieur au seuil de 40 millions figurant dans les lignes directrices de la Commission, qui, même s'il ne peut fonder la présomption posée par ce document, reste un indicateur utile pour mesurer la sensibilité de l'affectation des échanges. La part de marché de France Télécom et d'Orange Caraïbe sur les marchés en cause s'élevait quant à elle à environ 80 %. Il est utile de souligner que la zone Antilles-Guyane, dont la superficie est de 86 805 km2 et qui compte 1 041 900 d'habitants (données INSEE pour 2005) est plus étendue que ne le sont quatorze Etats membres et plus peuplée que ne le sont trois Etats membres de l'Union européenne. Elle surpasse nettement, aussi bien en superficie qu'en population, la Corse (8 700 km2, 300 000 habitants) qui a déjà été considérée comme une partie substantielle du marché commun (décision n° 07-D-08 et arrêt du 6 mai 2008 déjà cités). Enfin, comme indiqué plus haut, les pratiques en cause tendent à évincer ou à gêner l'entrée sur le marché de concurrents qui sont notamment des filiales d'autres grands groupes européens du secteur de la téléphonie mobile.
183. Le caractère sensible de l'affectation est donc établi.
184. Il résulte de ce qui précède que les pratiques mises en œuvre par Orange Caraïbe et France Télécom sont susceptibles d'avoir affecté de manière sensible le commerce entre Etats membres et peuvent donc être qualifiées au regard des articles 81 et 82 du traité CE, devenus 101 et 102 du TFUE.
C. SUR LE BIEN-FONDE DES GRIEFS
1. SUR LES POSITIONS DOMINANTES D'ORANGE CARAÏBE ET DE FRANCE TELECOM SUR LES DIFFERENTS MARCHES DE COMMUNICATIONS ELECTRONIQUES
185. L'analyse des pratiques en cause au regard des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, et des articles 81 et 82 du traité CE, devenus les articles 101 et 102 du TFUE, suppose tout d'abord de définir les marchés pertinents et de déterminer les positions des parties sur ces différents marchés.
a) En ce qui concerne les services de téléphonie mobile offerts aux consommateurs
Sur la délimitation du marché de détail des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane
Sur le marché des services
186. Orange Caraïbe fait valoir, tout d'abord, que la notification de griefs, alors qu'elle retient comme pertinent un marché de l'ensemble des services de téléphonie mobile, fonde l'analyse concurrentielle sur un périmètre plus réduit: celui des offres résidentielles en ce qui concerne les griefs n° 1, 2, 3, 4 et 5, celui des offres de téléphonie mobile à destination des entreprises et des collectivités dans la zone Antilles-Guyane pour le grief n° 6. Orange Caraïbe allègue ensuite que, contrairement à ce qu'indique la notification de griefs, le marché de détail des services de téléphonie mobile n'a pas à être segmenté selon le type de consommateurs (particuliers ou entreprises), ou le type d'offres (abonnement prépayé ou abonnement postpayé), dès lors qu'il existe une forte substituabilité du côté de l'offre entre ces différents services, chaque opérateur étant en mesure de proposer indifféremment une offre destinée aux entreprises ou aux particuliers, et de concevoir des forfaits prépayés ou sous forme d'abonnements mensuels, les offreurs n'étant pas spécialisés selon un certain type d'acheteurs.
187. Mais il y a lieu de rappeler que se situent sur un même marché les produits et services dont on peut raisonnablement penser que les acheteurs les regardent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande. Dans son rapport annuel pour 2001, le Conseil de la concurrence a précisé que la substituabilité entre différents biens ou services du point de vue de la demande constitue le critère déterminant pour la délimitation du marché pertinent.
188. En ce qui concerne plus précisément le secteur de la téléphonie mobile, le Conseil de la concurrence a considéré, dans plusieurs décisions, que la téléphonie mobile constitue un marché distinct des services de téléphonie fixe (voir, notamment, décision n° 05-D-65 du 30 novembre 2005, relative à des pratiques constatées dans le secteur de la téléphonie mobile, paragraphe 142).
189. Le marché des services de téléphonie mobile pourrait être subdivisé en plusieurs marchés distincts selon que la clientèle adressée est résidentielle ou professionnelle. En effet, dans le secteur de l'accès à Internet, le Conseil a déjà eu l'occasion de préciser que l'existence d'offres standards à destination des professionnels, distinctes de celles proposées à la clientèle résidentielle, ainsi que d'offres sur mesure pour les plus grands comptes, pouvait justifier une segmentation plus fine des marchés (décision n° 07-D-33 du 15 octobre 2007, relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le secteur de l'accès a internet à haut débit, paragraphes 52 à 61). De même, dans une précédente affaire relative aux services de téléphonie mobile, le Conseil de la concurrence avait souligné les caractéristiques des offres destinées aux entreprises et aux professionnels. Ainsi, le Conseil avait indiqué que: " les entreprises et les professionnels peuvent bénéficier d'un abonnement simple, d'un rabais, en fonction de la taille de la flotte, portant sur le prix de forfaits individuels, ou encore d'un forfait global utilisable par l'ensemble des usagers de l'entreprise. En outre, il existe des offres dites de convergence, groupant des fonctionnalités de téléphonie fixe et mobile. Enfin, un client grand public ne peut souscrire une offre entreprises " (décision n° 02-D-69, du 26 novembre 2002, relative aux saisines et aux demandes de mesures conservatoires présentées par la société Bouygues Télécom, l'union fédérale des consommateurs Que choisir et la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie, paragraphe 7).
190. Cependant, en l'espèce, que l'on procède ou non à une segmentation plus fine du marché de la téléphonie mobile selon le type de consommateurs concernés, le pouvoir de marché détenu par Orange Caraïbe reste sensiblement le même.
191. Comme l'a déjà souligné le Conseil de la concurrence, les autorités de la concurrence, tant nationales que communautaires, préfèrent, lorsque la segmentation d'un marché n'apporterait aucune information supplémentaire sur le pouvoir de marché dont dispose l'entreprise concernée et sur les effets sur la concurrence, laisser la question ouverte (décision n° 09-D-24, du 28 juillet 2009, relative à des pratiques mises en œuvre par France Télécom sur différents marchés de services de communications électroniques fixes dans les DOM, paragraphe 146).
192. Contrairement à ce que soutient Orange Caraïbe, cela ne fait pas obstacle à ce que soient appréciés, en vue de qualifier les pratiques examinées, les effets potentiels ou réels de ces dernières sur un segment particulier du marché pertinent, notamment lorsque ce segment en représente une partie importante. Ainsi, en l'espèce, l'analyse concurrentielle peut, comme l'a fait la notification des griefs, s'intéresser à un périmètre plus réduit, celui des offres résidentielles en ce qui concerne les griefs n° 1, 2, 3, 4 et 5, et celui des offres de téléphonie mobile à destination des entreprises et des collectivités dans la zone Antilles-Guyane pour le grief n° 6 dès lors que, quelle que soit la définition du marché retenue, Orange Caraïbe y occupe une position dominante.
Sur le marché géographique
193. Un marché géographique pertinent comprend le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre de biens et services en cause et sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes. Il ne comprend pas les zones géographiques voisines dès lors que les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable.
194. A cet égard, il convient de rappeler, tout d'abord, que, dans son avis n° 04-A-17, précité, le Conseil de la concurrence avait considéré que les départements d'outre-mer, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon possèdent de nombreuses particularités faisant d'eux des marchés distincts de la métropole. Parmi ces caractéristiques, qui sont en l'espèce toujours vérifiables, le Conseil avait relevé l'éloignement géographique et l'isolement des îles, les caractéristiques météorologiques et environnementales particulières (risques climatiques, séismes, paysages accidentés), les caractéristiques socio-économiques différentes, une pénétration des mobiles spécifique et un démarrage de l'activité mobile plus tardif qu'en métropole (paragraphe 65 de l'avis).
195. L'on peut ajouter qu'en ce qui concerne les services de téléphonie mobile, les autorisations de fréquence GSM sont spécifiquement attribuées aux opérateurs mobiles pour la zone Antilles-Guyane regroupant les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de Guyane.
196. Sur le plan géographique, il convient donc de distinguer le marché de la zone Antilles-Guyane de celui de la métropole. Une délimitation plus fine, identifiant chaque département d'outre-mer comme un marché différent, est, à ce stade, inutile puisqu'elle ne modifierait pas sensiblement les analyses développées ultérieurement, que ce soit sur la dominance d'Orange Caraïbe ou sur les effets des comportements en cause sur la concurrence.
Sur la position d'Orange Caraïbe sur le marché de détail des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane
197. Orange Caraïbe souligne que pour évaluer sa position sur le marché, il conviendrait de prendre en compte l'érosion forte et continue de ses parts de marché, qui seraient passées de 80 % en 2001, à 55 % fin 2007.
198. Cependant, les éléments de l'instruction ont révélé que si les parts de marché d'Orange Caraïbe ont diminué en 2000 lors de l'entrée sur le marché de Bouygues Télécom Caraïbe, pour s'établir à hauteur de 75 % en moyenne en 2002, elles ont ensuite progressé, pour atteindre environ 83 % à la fin de l'année 2003. En 2004, la part de marché d'Orange Caraïbe est ensuite restée globalement stable en oscillant autour de 82 %.
199. Par ailleurs, si en 2005 Orange Caraïbe a connu une érosion certaine de ses parts de marché en raison d'une animation concurrentielle plus vive, l'opérateur est parvenu à contenir celle-ci, en stabilisant sa position autour de 55 %.
200. A cet égard, dans son avis n° 2008-0098, précité, l'ARCEP a communiqué les données suivantes
<emplacement tableau>
201. De plus, une étude de l'évolution des parts de marché en valeur des différents opérateurs de la zone Antilles-Guyane permet de relativiser l'affaiblissement de la position d'Orange Caraïbe sur le marché.
202. En effet, comme le démontre le graphique ci-dessous, entre le deuxième trimestre 2005 et le deuxième trimestre 2007, la baisse des parts de marché d'Orange Caraïbe en valeur a été deux fois plus faible que la baisse de ses parts de marché en nombre de clients actifs. Cet élément souligne la capacité d'Orange Caraïbe à conserver les clients offrant les plus forts ARPU (revenu annuel moyen par client), c'est-à-dire les clients les plus rentables pour les opérateurs.
<emplacement tableau>
203. Par ailleurs, il convient de rappeler que, dans son avis n° 04-A-17, du 14 octobre 2004, précité, le Conseil de la concurrence avait estimé que: " de façon générale, les îles sont des marchés étroits, et donc plus faciles à couvrir et conquérir. Ainsi, selon le Conseil, il est probable que la position d'un acteur sera intimement liée à sa date d'arrivée sur le marché : le premier arrivé bénéficie d'un avantage concurrentiel fort, surtout s'il a eu le temps de constituer une solide base de clientèle avant l'arrivée des autres." (paragraphe 70 de l'avis).
204. En l'espèce, Orange Caraïbe, qui a commencé la commercialisation de ses services dans la zone Antilles-Guyane dès le mois de septembre 1996 et qui a bénéficié, pendant près de cinq ans, d'une situation de monopole, a pu développer, dans cette zone, une position de marché particulièrement solide et importante.
205. En outre, comme il a été souligné aux paragraphes 32 à 34, le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane est entré dans une phase de maturité dès l'année 2004. La rareté, dans ce contexte de marché, des primo-accédants a donc rendu plus difficile la pénétration des nouveaux opérateurs.
206. Enfin, la puissance d'Orange Caraïbe sur le marché est renforcée par son adossement au groupe France Télécom. Cette situation offrait la garantie à Orange Caraïbe de bénéficier en tant que de besoin de ressources financières importantes, par exemple pour réaliser des investissements techniques et commerciaux. Elle lui a en outre permis de bénéficier de la renommée de l'opérateur historique, ainsi que d'un réseau dense d'agences, de l'expertise de ses techniciens et de ses commerciaux et d'une forte puissance d'achat auprès de ses fournisseurs.
207. Il résulte de ce qui précède qu'à l'époque des faits, Orange Caraïbe était en position dominante sur le marché de détail des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane.
b) En ce qui concerne les prestations de terminaison d'appels mobiles offertes aux opérateurs de réseau
Sur la délimitation du marché des prestations de terminaison d'appels mobiles à destination du réseau d'Orange Caraïbe
208. Comme il a été indiqué aux paragraphes 113 à 116, pour joindre, depuis un téléphone fixe ou un mobile, un abonné sur un réseau de l'opérateur A, il n'existe pas d'autre solution que de terminer l'appel sur le réseau de l'opérateur A. Pour terminer l'appel vers un abonné de l'opérateur A, le vecteur le plus direct est celui de la prestation de terminaison d'appel fournie par l'opérateur A, dans le cadre d'une interconnexion directe. Concrètement, l'opérateur de l'appelant livre la communication à l'entrée du réseau A, et l'opérateur A se charge de 'terminer' l'appel en acheminant l'appel jusqu'à l'appelé, moyennant le versement par l'opérateur de l'appelant d'une charge de terminaison d'appel.
209. Pour acheminer l'appel vers un réseau mobile, les opérateurs ont développé un autre vecteur, en utilisant des solutions dites de "hérissons" ou de "mobilebox". Schématiquement, l'opérateur B, qui veut acheminer un appel vers un abonné de l'opérateur A, va faire passer l'appel sur une carte SIM de l'opérateur A, qui deviendra alors un appel on net sur le réseau A, et facturé comme tel (voir paragraphes 117 et 118).
210. Orange Caraïbe milite pour une définition plus large du marché en faisant valoir que jusqu'en 2007, les mécanismes de "hérissons" ont été considérés comme étant des substituts aux prestations de terminaison d'appel dans la zone Antilles-Guyane.
211. Le Conseil de la concurrence a relevé que les trois marchés amont de terminaison des appels correspondant aux trois réseaux GSM en service constituent des marchés pertinents (avis n° 08-A-16, du 30 juillet 2003, relatif à la situation des opérateurs de réseaux mobiles virtuels (MVNO) sur le marché français de la téléphonie mobile, paragraphe 130, et décision n° 04-D-48, du 14 octobre 2004, relative à des pratiques mises en œuvre par France Télécom, SFR, Cegetel et Bouygues Télécom, paragraphe 158).
212. Dans sa décision n° 04-D-48, précitée, le Conseil de la concurrence avait considéré que les solutions de "hérissons" ou de "mobile box" pouvaient, dans certains cas, constituer une solution alternative effective à l'interconnexion directe (voir paragraphe 199 de la décision). De même, dans l'avis n° 04-A-17 du 14 octobre 2004, précité, le Conseil de la concurrence avait relevé que la mise en place de "hérissons" s'apparentait à une activité d'arbitrage tirant profit de déséquilibres tarifaires, soulignant ainsi un certain degré de substituabilité entre, d'une part, l'interconnexion directe et, d'autre part, les solutions de "hérissons" (paragraphe 49 de l'avis).
213. Toutefois, dans l'avis n° 07-A-01 du 1er février 2007, précité, le Conseil de la concurrence a pris soin de souligner que: " la pression concurrentielle des hérissons n'est pas suffisante pour inclure cette forme de terminaison des appels dans le marché pertinent. En effet, leur utilisation est limitée par la capacité des émetteurs du réseau de destination sur lesquels sont routés les appels et elle engendre rapidement des problèmes d'encombrement qui dégradent la qualité du service rendu. De plus, le développement des hérissons n'est possible que si les offres de détail des opérateurs de destination permettent l'écoulement d'un trafic on net important " (paragraphe 6 de l'avis).
214. Ceci est d'autant plus vrai que les solutions de "hérissons" étaient interdites par les contrats signés avec Orange Caraïbe, qui pouvait à tout moment mettre fin à leur tolérance (voir paragraphes 119 à 122).
215. Ainsi, contrairement à ce que soutient Orange Caraïbe, les mécanismes des "hérissons" à destination du réseau Orange Caraïbe ne sont pas substituables aux prestations de terminaison d'appel (interconnexion directe) vers le réseau d'Orange Caraïbe, dont l'offre et la demande forment par elles-mêmes un marché pertinent.
Sur la position d'Orange Caraïbe sur le marché des prestations de terminaison d'appels mobiles à destination du réseau d'Orange Caraïbe
216. Orange Caraïbe fait valoir que si la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence consistant à identifier un monopole de fait de chaque opérateur sur la terminaison d'appel sur son propre réseau peut être pertinente au regard de la réglementation sectorielle, elle s'avère totalement inappropriée pour l'application du droit de la concurrence. Orange Caraïbe estime également que l'analyse de la dominance doit prendre en compte la possibilité pour les opérateurs alternatifs d'utiliser effectivement des mécanismes de "hérissons" comme substituts aux prestations de terminaison d'appel en interconnexion directe.
217. Cependant, le Conseil de la concurrence considère que chaque opérateur de réseau mobile, en monopole sur la terminaison d'appel sur son propre réseau, est en position dominante sur ce marché. Cette analyse a été réaffirmée plusieurs fois, notamment dans les avis n° 04-A-17 du 14 octobre 2004 et n° 07-A-05 du 19 juillet 2007, rendus à l'ARCEP dans le cadre de l'analyse des marchés de terminaison d'appel sur les réseaux mobiles, ou encore dans les décisions n° 09-D-15 du 2 avril 2009 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société SFR concernant diverses pratiques mises en œuvre par le groupe France Télécom sur les marchés de la téléphonie mobile et de l'Internet haut débit (offre "Unik"), et n° 04-D-48 du 14 octobre 2004.
218. Par ailleurs, le Conseil de la concurrence considère de manière constante que le contre- pouvoir des acheteurs des prestations de terminaison d'appel, c'est-à-dire des autres opérateurs de téléphonie mobile et/ou fixe, est tout à fait insuffisant pour faire face au pouvoir de monopole des opérateurs mobiles sur leurs propres réseaux.
219. Ainsi, dans un avis n° 05-A-10, du 11 mai 2005, relatif à une demande d'avis de l'ART en application de l'article 37-1 du Code des postes et communications électroniques, portant sur l'analyse des marchés de la terminaison d'appel géographiques sur les réseaux alternatifs fixes, le Conseil a retenu que la puissance d'achat des opérateurs de télécommunications est d'abord limitée par le fait que l'article L. 34-8 du Code des postes et des communications électroniques les contraint à terminer les appels destinés aux réseaux de leurs concurrents, et que, par ailleurs, la menace d'une différenciation des tarifs de détail pour les appels à destination du réseau ayant une charge de terminaison d'appel élevée n'était pas suffisante pour contrebalancer ce pouvoir de monopole (paragraphe 17).
220. Enfin, les solutions de "hérisson" ne sauraient contribuer à diminuer la situation de dominance d'Orange Caraïbe sur le marché en cause. En effet, comme il a été démontré aux paragraphes 208 à 215 ci-dessus, ces solutions n'entrent pas dans la définition du marché pertinent retenu.
221. Il ressort de ce qui précède qu'Orange Caraïbe occupe une position dominante sur le marché des prestations de terminaison d'appels mobiles à destination de son réseau.
c) En ce qui concerne les services de téléphonie fixe
Sur la délimitation du marché des services de téléphonie fixe dans la zone Antilles-Guyane
Sur le marché des services
222. Dans la décision n° 09-D-24 du 28 juillet 2009, précitée, l'Autorité de la concurrence a déjà relevé que le marché des services de téléphonie fixe est parfois sous-divisé en plusieurs marchés distincts. Ainsi, les autorités de concurrence et de régulation ont pu distinguer des marchés spécifiques selon que la clientèle adressée est résidentielle ou professionnelle, selon la destination des appels (vers les fixes ou vers les mobiles, appels locaux/nationaux/internationaux) (paragraphe 146 de la décision).
223. Néanmoins, en l'espèce, il n'apparaît pas nécessaire de retenir un marché plus étroit que celui des services de téléphonie fixe, étant donné que selon les frontières du marché retenues, la position occupée par France Télécom n'est pas sensiblement différente et l'appréciation des effets des comportements en cause sur la concurrence ne se trouve pas modifiée.
224. Comme cela a déjà été indiqué, le fait de retenir un marché pertinent ainsi délimité pour l'appréciation de la dominance de France Télécom n'interdit nullement, contrairement à ce que soutient France Télécom, de constater que les effets des pratiques mises en œuvre ont été particulièrement importants sur un segment plus restreint de ce marché, et notamment sur le segment des offres "fixe vers mobile" à destination des entreprises et des collectivités.
Sur le marché géographique
225. Outre les particularités géographiques déjà relevées au paragraphe 194, l'absence des grands compétiteurs métropolitains de France Télécom dans la zone Antilles-Guyane (Neuf et Free notamment) et l'entrée nettement plus tardive de concurrents de France Télécom distinguent la zone précitée, caractérisée par une dominance plus large de l'opérateur historique sur la période considérée. Par ailleurs, l'arrivée plus tardive qu'en métropole des offres " double et triple play " n'ont pas permis avant 2008 le développement commercial des solutions de VOIP (Voice Over Internet Protocol).
226. La définition d'un marché géographique propre à la zone Antilles-Guyane est donc en l'espèce pertinente. Une délimitation plus fine, identifiant chaque département d'outre-mer et la Guyane comme un marché différent, est, à ce stade, inutile puisqu'elle ne modifierait pas sensiblement les analyses développées ultérieurement, à commencer par celles relatives à la dominance de France Télécom.
227. Il résulte de ce qui précède qu'en l'espèce le marché de l'ensemble des services de téléphonie fixe dans la zone Antilles-Guyane peut être regardé comme un marché pertinent pour apprécier le pouvoir qu'y détient France Télécom.
Sur la position dominante de la société France Télécom sur le marché de l'ensemble des services de téléphonie fixe dans la zone Antilles-Guyane
228. Selon France Télécom, la notification de griefs ne prendrait aucunement en compte l'évolution concurrentielle globale du marché de la téléphonie 'fixe' classique par réseau commuté. Ainsi, France Télécom souligne que, dans la zone Antilles-Guyane, ce marché se trouve dans une situation de forte décroissance, notamment en raison du développement massif des offres dites de " triple play " intégrant le service de voix sur IP, et du marché de la téléphonie mobile.
229. Cependant, il convient de rappeler, qu'entre 2000 et 2006, dans la zone Antilles-Guyane, la part de marché de France Télécom sur le marché des services de communications vocales fixes était supérieure à 75 %. En effet, jusqu'en 2005, France Télécom n'a subi qu'une concurrence marginale des opérateurs alternatifs. De plus, la concurrence sur le marché des services de téléphonie fixe a été limitée par l'arrivée tardive dans la zone du dégroupage partiel et total et de l'offre de vente en gros de l'abonnement.
230. Ces constatations ne sauraient être remises en cause par les arguments développés par France Télécom. En effet, il est à noter, d'une part que, dans la zone Antilles-Guyane, le développement des offres " triple play " intégrant le service de voix sur IP est extrêmement récent, puisqu'il date de 2008, et reste encore très limité. D'autre part, dans la mesure où le degré de substituabilité entre les réseaux de communication fixe et mobile est faible, le développement croissant du marché de la téléphonie mobile n'a pas été en mesure d'affecter sensiblement la situation de dominance de l'opérateur historique sur le marché des services de téléphonie fixe.
231. Il résulte de ce qui précède que, lors de la mise en œuvre des pratiques, France Télécom occupait une position dominante sur le marché de l'ensemble des services de téléphonie fixe dans la zone Antilles-Guyane.
2. SUR LES PRATIQUES
a) Sur les clauses d'exclusivité (griefs n° 1.1, 1.2, 2)
Sur les principes applicables en matière de clauses d'exclusivité
232. Le Conseil a rappelé à de nombreuses reprises que les exclusivités de distribution ou d'achat ne sont pas des pratiques anticoncurrentielles par elles-mêmes. Elles peuvent, par exemple, être nécessaires pour assurer la rentabilité d'une activité, en raison notamment de l'existence d'investissements spécifiques que l'entreprise n'engagerait pas si elle ne bénéficiait pas d'une exclusivité. Ainsi qu'il l'a souligné dans l'étude thématique publiée dans le rapport annuel pour l'année 2007, le Conseil procède donc au cas par cas il est attentif aux circonstances concrètes de marché dans son analyse des accords d'exclusivité (décision n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008, relative à des pratiques mises en œuvre dans la distribution des iPhones, paragraphes 147 et 148, confirmée par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 4 février 2009).
233. En pratique, l'effet d'éviction ou de verrouillage que peuvent comporter de telles clauses d'exclusivité dépend de nombreux facteurs, parmi lesquels le champ et la portée de l'exclusivité, la part de la demande liée, la durée ou la combinaison dans le temps des contrats, les conditions de résiliation et de renouvellement, la dispersion géographique et l'atomicité de la demande. Dans sa décision n° 08-D-10 en date du 7 mai 2008, le Conseil a ainsi relevé les principaux éléments à prendre en compte pour apprécier le caractère anticoncurrentiel de clauses d'exclusivité "il convient [...] de s'assurer que les clauses d'exclusivité n'instaurent pas, en droit ou en pratique, une barrière artificielle à l'entrée sur le marché en appréciant l'ensemble de leurs éléments constitutifs : le champ d'application, la durée, l'existence d'une justification technique à l'exclusivité, et la contrepartie économique obtenue par le client ".
234. La méthodologie du Conseil de la concurrence concorde avec l'approche de la Commission européenne en matière d'exclusivité exposée dans les lignes directrices sur les restrictions verticales COM (JOCE 2000-C 291-01).
235. En l'espèce, c'est au regard de ces critères que doivent être examinées les exclusivités conclues entre Orange Caraïbe et les distributeurs indépendants, d'une part, et entre Orange Caraïbe et Cetelec Caraïbes, d'autre part.
Sur les exclusivités conclues entre Orange Caraïbe et les distributeurs indépendants (griefs n° 1.1 et 1.2)
236. Comme il a été exposé aux paragraphes 49 à 58, l'enquête a révélé qu'entre 2000 et 2005, le contrat d'agent commercial, ainsi que le contrat Kit Card, prévoyaient des clauses d'exclusivité en faveur d'Orange Caraïbe, applicables pendant la durée des contrats en cause mais également deux ans après leur cessation.
237. Digicel souligne en outre que le rapport d'enquête relève la persistance d'une clause d'exclusivité dans les contrats Kit Card, postérieurement au délai imparti par la décision de mesures conservatoires pour y mettre fin. Elle fait valoir également que, en pratique, les démarches de Bouygues Télécom Caraïbe, puis de Digicel afin de voir leurs produits distribués par les distributeurs indépendants d'Orange Caraïbe sont demeurées infructueuses.
238. Orange Caraïbe expose au contraire que la clause d'exclusivité en cause n'est pas anticoncurrentielle par objet puisqu'elle est dépourvue de tout objectif visant à porter atteinte au libre jeu de la concurrence. En tout état de cause, elle n'aurait pas été en fait appliquée. Orange Caraïbe ne se serait d'ailleurs jamais opposé à une demande de levée de la clause d'exclusivité, expressément prévue par le contrat. Bouygues Télécom Caraïbe aurait donc pu nouer des relations contractuelles avec les distributeurs indépendants liés par la clause litigieuse. Orange Caraïbe souligne également que depuis la suppression de la clause d'exclusivité en application des mesures conservatoires prononcées par le Conseil de la concurrence, ses distributeurs continuent d'être monomarque. Par ailleurs, selon Orange Caraïbe, le monomarquisme n'aurait pas empêché une augmentation importante de la pression concurrentielle depuis l'entrée sur le marché d'Outremer Télécom et la reprise de Bouygues Télécom Caraïbe par Digicel. Orange Caraïbe soutient de plus que la clause d'exclusivité est pleinement justifiée par des investissements, tant financiers qu'humains pouvant légitimement être protégés contre le risque de parasitisme.
239. En réponse aux arguments de Digicel, il convient de souligner que tous les distributeurs indépendants liés à Orange Caraïbe par un contrat d'agent commercial ont reçu une lettre recommandée de cette dernière les informant de la suppression, en application de la décision de mesures conservatoires, de la clause d'exclusivité figurant dans leur contrat. Dans ces conditions, les quelques retards constatés concernant la suppression de la clause d'exclusivité concernée dans les contrats Kit Card Orange ne sauraient avoir une incidence sur la période des pratiques retenue qui s'échelonne de 2000 à 2005.
240. En réponse aux arguments d'Orange Caraïbe, il convient d'examiner le champ d'application et la durée des exclusivités, les effets restrictifs de concurrence qu'elles ont pu provoquer et enfin leurs éventuelles justifications économiques ou techniques.
Sur le champ d'application et la durée des exclusivités
241. Dans son étude thématique du rapport annuel pour l'année 2007, le Conseil de la concurrence a indiqué que l'effet de verrouillage des contrats dépend non seulement de la durée d'engagement contractuelle, mais aussi des modalités précises de sortie ou de reconduction (pénalités financières de sortie anticipée, reconduction tacite, etc.). Une entreprise concurrente, pour attirer des acheteurs, devra leur offrir une compensation pour ces coûts de sortie. Les clauses de résiliation coûteuses réduisent ainsi les incitations des acheteurs à changer de fournisseur.
242. En l'espèce, le champ d'application des clauses d'exclusivité imposées par Orange Caraïbe à ses distributeurs indépendants était large, puisqu'elles interdisaient à ces derniers d'accepter la distribution de produits et services concurrents d'Orange Caraïbe sans l'accord exprès et préalable de celle-ci, dans l'ensemble de la zone Antilles-Guyane.
243. Par ailleurs, la durée des clauses d'exclusivité était particulièrement longue puisqu'elle avait vocation à s'appliquer, non seulement pendant la durée d'exécution des contrats de distribution conclus pour une durée indéterminée, mais également deux ans après leur cessation. Ainsi, même en proposant aux distributeurs indépendants des conditions commerciales plus attractives qu'Orange Caraïbe, Bouygues Télécom Caraïbe n'aurait pas pu les convaincre de distribuer ses produits et services, dans la mesure où pour ce faire, les distributeurs auraient dû cesser toute activité pendant deux ans.
244. Enfin, la sanction attachée à la méconnaissance des clauses concernées était lourde, dans la mesure où elle correspondait, en ce qui concerne le contrat d'agent commercial, au versement d'une somme équivalant à douze mois de commissions, sans préjudice du droit d'Orange Caraïbe à réclamer des dommages et intérêts supérieurs.
Sur la possibilité de déroger en pratique aux exclusivités
245. Il ressort des éléments du dossier que les dérogations aux clauses d'exclusivité ont été très rares et n'ont pas perduré (voir les déclarations de Bouygues Télécom Caraïbe, paragraphe 59). Par ailleurs, les déclarations des distributeurs indépendants démontrent que ces derniers avaient une conscience aiguë du lien d'exclusivité qui les liait à Orange Caraïbe (voir les déclarations, paragraphes 60 à 62).
246. Ainsi, contrairement à ce que soutient Orange Caraïbe, les clauses d'exclusivité figurant dans les contrats de distribution conclus entre Orange Caraïbe et ses distributeurs indépendants ont fait l'objet d'une application effective, qui a produit des effets réels sur le marché.
247. Par ailleurs, le fait que plusieurs distributeurs indépendants d'Orange Caraïbe aient déclaré lors de l'enquête qu'ils ne souhaitaient pas travailler avec Bouygues Télécom Caraïbe, indépendamment de l'existence de la clause d'exclusivité (voir les déclarations, paragraphe 66), peut, à certains égards, conforter, le caractère anticoncurrentiel de la pratique mise en œuvre.
248. En effet, la protection ou le renforcement de la position dominante d'Orange Caraïbe a pu être profitable pour les distributeurs indépendants eux-mêmes. Comme le Conseil de la concurrence l'a souligné dans son analyse thématique du rapport annuel pour 2007 " en cas d'exclusivité, le fournisseur peut mettre en place des conditions commerciales (prix de gros) qui augmentent le total des profits réalisés sur le marché par le fournisseur et ses distributeurs. Adéquatement redistribués entre les parties de la chaîne verticale, ces gains sont suffisants pour inciter les distributeurs à accepter l'obligation d'exclusivité d'approvisionnement ". Ainsi, les distributeurs indépendants ont pu avoir intérêt à conforter la position dominante d'Orange Caraïbe afin de s'assurer une part plus importante du profit, et ceci au détriment des consommateurs.
Sur l'analyse des effets des exclusivités imposées par Orange Caraïbe
249. Pour évaluer les effets des exclusivités imposées par Orange Caraïbe à ses distributeurs indépendants, il est possible de se référer aux lignes directrices de la Commission européenne sur les restrictions verticales. Dans ses lignes directrices, la Commission a indiqué que le monomarquisme qui vise les accords dont le trait principal est d'inciter l'acheteur à s'approvisionner, pour un type donné de produit, auprès d'un seul fournisseur produit quatre principaux effets négatifs sur la concurrence, notamment: " 1) les autres fournisseurs sur le marché ne peuvent vendre aux acheteurs concernés, ce qui peut verrouiller le marché [...]; les parts de marché sont rigidifiées (...) ; 3) en ce qui concerne la distribution de biens finals, les détaillants concernés ne vendent qu'une seule marque , ce qui élimine la concurrence intermarque à l'intérieur de leur point de vente [...]".
* Sur la création de barrières artificielles à l'entrée pour tout nouvel opérateur
250. Dans son avis n° 2008-0098, précité, 1'ARCEP a indiqué que le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane se caractérisait par d'importantes barrières à l'entrée. Ainsi : " [...] il s'agit pour un nouvel entrant de réaliser ou d'accéder un réseau de distribution mono-marque et/ou multimarque lui offrant une présence commerciale suffisante sur un plan quantitatif et qualitatif ce qui implique de forts coûts échoués (constitution d'une force de vente, mise en place d'une politique de franchisage, obtention d'implantations commerciales performantes...) et en tout état de cause représente une activité de plusieurs semestres " (voir page 3 de l'avis).
251. En l'espèce, il y a lieu de rappeler que Bouygues Télécom Caraïbe est entrée sur le marché en 2001, soit plus de quatre années après Orange Caraïbe. Afin de commercialiser ses produits et services auprès de la clientèle de la zone Antilles-Guyane, le nouvel opérateur devait nécessairement développer un réseau de commerces en dur spécialisés, qui était stratégique pour bâtir son offre (voir la déclaration d'Orange Caraïbe, paragraphe 47). Pour ce faire, Bouygues Télécom Caraïbe pouvait, soit créer son propre réseau de distribution, soit s'appuyer sur un réseau de distributeurs indépendants.
252. La création en propre d'un réseau de distribution requiert des coûts d'implantation extrêmement importants (recherche de baux commerciaux, formation d'un personnel commercial ...). C'est ainsi qu'à l'époque des faits, Bouygues Télécom Caraïbe a cherché, comme Orange Caraïbe l'avait fait auparavant, à assurer la distribution de ses produits et services essentiellement par l'intermédiaire d'un réseau de distributeurs indépendants.
253. Cependant, en interdisant à une cinquantaine de distributeurs, représentant 110 points de vente, de commercialiser des produits et services concurrents aux siens, Orange Caraïbe a considérablement réduit la capacité de Bouygues Télécom Caraïbe ou de tout nouvel entrant de s'appuyer sur un réseau de distributeurs indépendants spécialisés et bien implantés. En effet, lors de son entrée sur le marché, Orange Caraïbe, en situation de monopole, a pu choisir les distributeurs indépendants les mieux placés et les plus efficaces. De plus, l'enquête a révélé que, dans la zone Antilles-Guyane, le nombre de distributeurs indépendants en mesure de commercialiser efficacement des services et des produits de téléphonie mobile est relativement faible. Enfin, même lors de l'entrée sur le marché de Bouygues Télécom Caraïbe, la très large dominance d'Orange Caraïbe, dont le parc de clients était le plus important et dont la marque était bien implantée, ne laissait guère de choix aux distributeurs qui devaient, au terme de leur exclusivité, obligatoirement choisir entre l'un des deux opérateurs.
254. Les clauses d'exclusivité figurant dans les contrats de distribution ont donc entraîné le verrouillage du marché concerné. Dans son arrêt du 28 janvier 2005, la Cour d'appel de Paris, confirmant la décision de mesures conservatoires prononcée par le Conseil de la concurrence, avait jugé à cet égard que de telles clauses : " entravent l'accès au marché de la distribution dès lors que Bouygues Télécom Caraïbe doit, pour trouver des distributeurs indépendants qualifiés et disposant d'un emplacement attractif sur de petits territoires, f aire des efforts bien supérieurs à ceux qu'il aurait besoin de fournir dans des conditions de concurrence normales, alors surtout que cet opérateur est arrivé sur le marché quatre ans après Orange Caraïbe ".
255. L'effet de verrouillage du marché est, en l'espèce, d'autant plus grand qu'il concerne les produits finals au stade de la vente au détail. En effet, comme la Commission l'a indiqué dans ses lignes directrices sur les restrictions verticales, " de façon générale, le risque de verrouillage est plus grand pour les produits finals au stade de la vente au détail en raison des barrières élevées que doivent surmonter la plupart des producteurs afin d'ouvrir des points de vente pour leurs seuls produits " (point 148).
256. Enfin, dans la mesure où Bouygues Télécom Caraïbe s'est vue contrainte de distribuer ses produits et services dans des boutiques non spécialisées ou trop petites, l'offre de cet opérateur a souffert dans son image de marque, rendue moins attractive pour les distributeurs spécialisés et performants (voir les déclarations d'un distributeur indépendant, paragraphe 63).
* Sur la diminution de l'intensité concurrentielle liée à la distribution mono- marque
257. Lors d'une précédente affaire, le Conseil de la concurrence avait déjà eu l'occasion de souligner que " la distribution mono-marque participe à ces politiques de fidélisation en réduisant les arbitrages inter-opérateurs lorsque le client a pénétré dans la boutique du distributeur de son opérateur. En effet, les conseils du vendeur seront nécessairement liés aux services d'un opérateur défini. A titre d'illustration, on peut constater que plus des trois quarts des réengagements non réalisés par téléphone le sont dans des boutiques de distribution mono-marque. Comme le souligne l'ARCEP dans l'avis qu'elle a rendu au Conseil : " la concurrence ne peut que pâtir de l'extension de la distribution exclusive, laquelle peut certes permettre de valoriser davantage les produits offerts, mais restreint surtout la possibilité pour les consommateurs de procéder à une comparaison immédiate des prestations d'opérateurs concurrents. Une telle évolution apparaît d'autant plus préoccupante que le secteur est déjà marqué par des écarts significatifs et stables de parts de marché, ainsi qu'un dynamisme et une fluidité limitée " (décision n° 07-D-37, du 7 novembre 2007, relative à une saisine de l'Association de défense, d'éducation et d'information du consommateur (ADEIC) à l'encontre de pratiques mises en œuvre par le Groupe France Télécom et sa filiale Orange dans le secteur de la distribution de téléphonie mobile, paragraphe 14).
258. En l'espèce, les clauses d'exclusivité figurant dans les contrats de distribution conclus entre Orange Caraïbe et ses distributeurs indépendants ont eu pour effet de généraliser une distribution mono-marque dans la zone Antilles-Guyane. En effet, dans la mesure où le premier entrant, en monopole de fait pendant plusieurs années, avait choisi une distribution mono marque, ce modèle s'est imposé à l'entrant suivant mis dans l'impossibilité d'opter pour une distribution multimarque. Il s'est de même imposé au troisième entrant. Ainsi, la constatation faite par Orange Caraïbe selon laquelle ni Bouygues Télécom Caraïbe, ni Outremer Télécom n'ont mis à profit la suppression des clauses d'exclusivité en application de la mesure conservatoire prononcée par le Conseil de la concurrence, ne démontre pas que les clauses en question n'avaient aucun effet restrictif de concurrence. Au contraire, cette constatation confirme que les clauses d'exclusivité ont durablement orienté la distribution des produits et des services mobiles dans la zone Antilles-Guyane vers le monomarquisme et privé ainsi les consommateurs concernés des avantages d'une distribution multimarque.
259. La généralisation de la distribution mono-marque dans la zone Antilles-Guyane a été sans conteste une source d'affaiblissement de la concurrence sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane, dans la mesure où le consommateur a été privé de la capacité de faire un choix à l'intérieur d'une même boutique. Ce type de distribution a eu tendance à cristalliser les parts de marché d'Orange Caraïbe au dessus de 80 %, confortant ainsi la position ultra dominante de l'opérateur sur le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane.
Sur les éventuelles justifications économiques
260. Orange Caraïbe renvoie à cet égard à l'instruction de la mesure conservatoire au cours de laquelle elle avait déclaré que : " l'exclusivité est la contrepartie d'investissements réalisés [par elle] en faveur de ses agents commerciaux. Elle est objectivement justifiée et n'est donc pas constitutive, selon une jurisprudence constante, d'un abus de position dominante ". En outre, Orange Caraïbe avait précisé que: " 26 boutiques ont pu bénéficier d'une aide financière d'OC pour leur aménagement lié à la mise en place de la marque Orange. Ces investissements ont représenté un montant total se situant entre 250 000 et 600 000 euro HT pour les années 2002 et 2003 et sera de l'ordre de 35 000 à 50 000 euro pour l'année 2004. Par ailleurs, tous les agents OC bénéficient d'un support commercial pour la présentation et la mise en valeur des services OC (PLV, ILV, enseignes lumineuses, vitrophanie, etc.). Ces investissements ont représenté environ 140 000 euro pour deux campagnes en 2001 et 2004. Enfin, à la demande des agents, OC peut contribuer financièrement à la réalisation d'une opération promotionnelle spéciale (par exemple une foire d'exposition). Les sommes engagées dans ce cadre en 2002 et 2003 s'élevaient à 343.000 euro HT au total ". Par ailleurs, Orange Caraïbe soutient que les spécificités de la clientèle des départements d'outre-mer contribuent également à justifier une approche monomarque. Ainsi, elle indique que ce sont précisément ces spécificités qui expliqueraient que les autres opérateurs ont également opté pour une distribution monomarque, alors même que les clauses d'exclusivités liant Orange Caraïbe et ses distributeurs indépendants avaient été supprimées.
261. Dans une décision n° 06-D-18, du 28 juin 2006, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité cinématographique, le Conseil de la concurrence a considéré que des entreprises en position dominante peuvent se défendre ou contester le caractère éventuellement abusif d'une pratique en démontrant qu'elle est objectivement justifiée ou qu'elle est source de gains d'efficacité au profit des consommateurs.
262. Mais il faut que l'exclusivité soit nécessaire et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il faut aussi que les gains d'efficacité qu'elle génère, en partie au bénéfice des consommateurs, soient supérieurs à l'atteinte à la concurrence qu'elle peut créer.
263. Dans une décision n° 07-D-37 du 7 novembre 2007, relative à une saisine de l'Association de défense, d'éducation et d'information du consommateur (ADEIC) à l'encontre de pratiques mises en œuvre par le groupe France Télécom et sa filiale Orange dans le secteur de la distribution de téléphonie mobile, le Conseil de la concurrence avait opposé les gains d'efficacité au bénéfice du consommateur aux restrictions de concurrence générées par la distribution mono-marque: " Si [...] le développement de la distribution mono-marque peut effectivement être un élément tendant à réduire les possibilités d'arbitrage immédiat du consommateur, il convient de remarquer que cette stratégie menée par les opérateurs constitue par ailleurs une réponse à la complexification des services de téléphonie mobile. En effet, si pendant longtemps les services de téléphonie mobile étaient presque exclusivement constitués de services de transmission vocale, ils évoluent rapidement vers de nouveaux services avec notamment le développement des SMS, des MMS, de Internet mobile et plus généralement vers des échanges de données. Cet enrichissement des services liés au mobile s'est accompagné d'une comple4fication des terminaux mais aussi des offres des opérateurs. L'adoption par les consommateurs de ces nouvelles fonctionnalités (à forte valeur ajoutée) nécessite des investissements importants de la part des opérateurs en matière de conseils aux consommateurs. Il ne s'agit plus seulement de vendre mais aussi de conseiller le client pour lui permettre et l'inciter à utiliser les nouveaux services issus des dernières innovations technologiques. Ainsi, les opérateurs ont investi dans la formation et la spécialisation de vendeurs, dans des boutiques plus interactives permettant aux clients de découvrir et de se familiariser avec ces nouveaux usages et en consacrant davantage de temps et de ressources au conseil des clients. Ces investissements spécifiques qui profitent largement aux consommateurs ne peuvent être réalisés par les opérateurs s'ils n'offrent pas une rentabilité suffisante. Or, le développement de circuits de distribution mono-marque permet aux opérateurs d'investir dans une distribution riche en conseils en limitant le risque que ces investissements puissent profiter à leurs concurrents " (paragraphe 15 de la décision).
264. Cependant, il convient de relever, en premier lieu, que, si la distribution mono-marque peut présenter certains avantages pour le consommateur, c'est aussi le cas de la distribution multimarque. Le Conseil de la concurrence n'a jamais considéré dans la décision précitée que seul le recours au monomarquisme était dans l'intérêt du consommateur. Il a seulement relevé que la coexistence du monomarquisme et du multi-marquisme diversifie l'offre et permet au consommateur d'arbitrer entre leurs mérites respectifs.
265. En deuxième lieu, il est difficile de percevoir en l'espèce en quoi les investissements réalisés par Orange Caraïbe chez ses distributeurs indépendants étaient spécifiques et pouvaient créer un risque de parasitisme préjudiciable pour cette dernière.
266. En effet, d'une part, lors de la mise en œuvre des pratiques faisant l'objet de la présente décision, soit avant le mois de janvier 2005, les fonctionnalités des terminaux mobiles grand public se limitaient pour l'essentiel à la voix et à quelques services de données basiques. Dès lors, les justifications à la distribution mono-marque qui avaient été avancées dans le cadre de l'affaire ayant donné lieu à la décision n° 07-D-37, précitée, ne sauraient être utilement invoquées dans le cas présent.
267. D'autre part, la publicité et l'information sur les lieux de vente (PLV-ILV) qui visent à assurer la promotion des produits et services d'Orange Caraïbe ne constituaient en rien des investissements spécifiques, qui auraient pu profiter à un opérateur qui ne les aurait pas financés. Une telle situation doit donc être distinguée de celle dans laquelle Orange Caraïbe a consacré des investissements pour aménager des boutiques (mobiliers, supports de présentation ...), au risque de faire bénéficier les autres opérateurs commercialisés des investissements ainsi réalisés (parasitisme).
268. Les investissements avancés restent, en tout état de cause, limités au regard du chiffre d'affaires et du résultat réalisés par Orange Caraïbe. En effet, les investissements dont
Orange Caraïbe se prévaut ont représenté moins de 0,1 % du chiffre d'affaires de l'entreprise et moins de 0,6 % de son résultat net sur la période comprise entre 2002 et 2004. Ainsi, contrairement à ce que soutient l'entreprise mise en cause, leur protection par une exclusivité d'une durée illimitée est manifestement disproportionnée par rapport à l'atteinte que les clauses d'exclusivité en cause portent à la concurrence.
269. En troisième lieu, l'argument d'Orange Caraïbe selon lequel ni Bouygues Télécom Caraïbe, ni Outremer Télécom n'ont mis à profit la suppression des clauses d'exclusivité en application de la mesure conservatoire prononcée par le Conseil de la concurrence, ne démontre pas que les clauses en cause étaient justifiées par les spécificités de la clientèle des départements d'outre-mer. En effet, comme il a été expliqué au paragraphe 258 ci- dessus, dans la mesure où le premier entrant, en monopole de fait pendant plusieurs années avait choisi une distribution mono-marque, ce modèle s'est imposé à l'entrant suivant mis dans l'impossibilité d'opter pour une distribution multimarque. Il s'est de même imposé au troisième entrant.
Conclusion sur les griefs n01.1 et 1.2.
270. Les clauses d'exclusivité figurant dans les contrats de distribution conclus entre Orange Caraïbe et ses distributeurs indépendants ont rendu plus difficile pour tout nouvel entrant l'accès du marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane. En effet, ces clauses ont limité de manière sensible la capacité de commercialisation de tout nouvel opérateur, en augmentant ses coûts d'entrée, dans un secteur précisément caractérisé par de forts coûts fixes. La pratique anticoncurrentielle mise en œuvre du fait des clauses d'exclusivité reprochées, dans les conditions où elles ont été conclues et appliquées, a contribué à élever des barrières à l'entrée de nature à empêcher ou retarder des offres concurrentes. Cette pratique ne peut trouver comme justification que la volonté d'Orange Caraïbe de protéger sa position dominante sur le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane. Elle s'inscrit donc bien, comme l'a souligné l'ARCEP dans son avis n° 2008-0098, précité, dans une " dynamique d'exclusion commerciale ".
271. Le développement dynamique de Bouygues Télécom Caraïbe, ainsi que la pénétration rapide d'Outremer Télécom sur le marché en cause, n'invalident en rien ce constat. Dans sa décision n° 04-D-13 du 28 avril 2004, relative à des pratiques mises en œuvre par la société des caves et des producteurs réunis de Roquefort dans le secteur des fromages à pâte persillée, le Conseil a rappelé la solution qui avait été adoptée par le Tribunal de première instance des communautés européennes dans son arrêt du 30 septembre 2003, Michelin/Commission (T-203-01, Rec. p. 11-4071), selon laquelle: " La requérante ne saurait tirer un argument du fait que ses parts de marché et ses prix ont diminué pendant la période litigieuse. En effet, lorsqu'une entreprise met effectivement en œuvre des pratiques dont l'objet est de restreindre la concurrence, la circonstance que le résultat escompté n'est pas atteint ne suffit pas à écarter l'application de l'article 82 CE (arrêt du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, cité au point 55 ci- dessus, point 149). En tout état de cause, il est fort probable que la diminution des parts de marché de la requérante (voir considérant 336 de la décision attaquée) et de ses prix de vente (voir considérant 337 de la décision attaquée) aurait été plus importante en l'absence des pratiques dénoncées par la décision " (voir, paragraphe 67 de la décision).
272. Enfin, en ce qui concerne plus précisément la qualification de la pratique en cause au regard des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE, devenu 102 du traité TFUE, il ne fait aucun doute que, en l'espèce, l'existence d'un lien de causalité entre l'abus et la position dominante peut être établie, comme l'exige la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence (décision n° 05-D-70 du 19 décembre 2005, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des vidéocassettes préenregistrées, paragraphe 250). En effet, Orange Caraïbe a utilisé son pouvoir de marché pour imposer aux distributeurs indépendants des contrats de distribution dans lesquels figuraient des clauses d'exclusivité. Ces distributeurs n'avaient d'autre choix que d'accepter ces conditions contractuelles, puisque, à défaut, ils se seraient vus privés de la possibilité de distribuer les produits et services du principal opérateur mobile de la zone Antilles-Guyane.
273. Il ressort de ce qui précède qu'entre 2000 et 2005, Orange Caraïbe a abusé de sa position dominante sur le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane, en méconnaissance des dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE, devenu 102 du traité TFUE, en imposant des clauses d'exclusivité dans les contrats de distribution conclus avec ses distributeurs indépendants. Même si, en vertu de la jurisprudence nationale et communautaire, les griefs d'entente et d'abus de position dominante à propos d'une même pratique peuvent être retenus cumulativement, il n'apparaît pas utile d'examiner l'éventuelle qualification de la pratique en cause au regard des dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE relatives aux ententes anticoncurrentielles (grief n° 1.2).
Sur l'exclusivité conclue entre Orange Caraïbe et Cetelec Caraïbes (griefn0 2)
274. Comme il a été exposé aux paragraphes 94 à 100 de la présente décision, l'enquête a révélé qu'entre 2003 et 2005, Orange Caraïbe et le seul réparateur de terminaux mobiles agréé dans les Caraïbes, Cetelec Caraïbes, ont été liés par plusieurs contrats, dans lesquels était prévue l'obligation pour Cetelec Caraïbes de réaliser ses prestations de service de maintenance de téléphones mobiles et accessoires à titre exclusif pour Orange Caraïbe.
275. Orange Caraïbe allègue que le grief n° 2 vise une période comprise entre le mois de décembre 2000 et le mois de janvier 2005, alors même que Cetelec Caraïbes n'a été créée qu'au début de l'année 2003. Elle s'étonne que la notification de griefs retienne une qualification des pratiques au regard des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE, alors même que la décision de mesures conservatoires du Conseil de la concurrence n'avait pas retenu ce fondement, et que Cetelec Caraïbes n'avait pas été mise en cause. Elle souligne l'absence d'impact de l'exclusivité sur l'entrée d'Outremer Télécom sur le marché, ce qui démontrerait qu'il existait des moyens alternatifs tout aussi efficaces pour faire réparer les terminaux mobiles. Elle fait valoir encore que Cetelec Caraïbes pouvait se libérer de la clause d'exclusivité à certaines conditions. En outre, en mars 2004, Bouygues Télécom Caraïbe aurait reçu une proposition commerciale de la part de Cetelec Caraïbes au moins aussi avantageuse que celle dont bénéficiait Orange Caraïbe. Enfin, Orange Caraïbe expose que l'exclusivité en cause était objectivement et économiquement justifiée au regard des investissements substantiels qu'elle avait consentis pour soutenir le démarrage de l'activité du seul réparateur agréé de terminaux de la zone Antilles-Guyane.
276. Comme le rapport l'a indiqué, le champ temporel du grief n° 2 doit être réduit à la période écoulée entre la date de signature du contrat de services de maintenance, c'est-à-dire le 1er avril 2003, et le mois de janvier 2005, date à laquelle Orange Caraïbe a supprimé les clauses d'exclusivité litigieuses des contrats conclus avec Cetelec Caraïbes.
277. Contrairement à ce que soutient l'entreprise mise en cause, une décision de mesures conservatoires, rendue en l'état de l'instruction, constitue une décision provisoire qui ne constate pas d'infraction. Au terme de l'instruction au fond, l'autorité de la concurrence peut retenir une analyse différente des pratiques. Il n'existe donc pas d'obstacle à ce que l'exclusivité reprochée puisse être appréciée au regard des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE, devenu 101 du traité TFUE, relatifs aux ententes et non des dispositions prohibant les abus de position dominante sur le fondement desquelles a été ordonnée la mesure conservatoire.
278. Par ailleurs, en application des principes qui ont été énoncés aux paragraphes 232 et 233, seront successivement analysés le champ d'application et la durée des clauses d'exclusivité conclues entre Orange Caraïbe et Cetelec Caraïbes, les effets de ces restrictions sur la concurrence, et enfin les éventuelles justifications économiques des clauses concernées.
Sur le champ d'application et la durée de l'exclusivité
279. La clause d'exclusivité figurant dans le contrat de services de maintenance avait un champ très large, puisqu'elle interdisait à Cetelec Caraïbes toute prestation de services au profit d'un concurrent d'Orange Caraïbe, et ce, dans toute la zone Antilles-Guyane.
280. La durée de la clause d'exclusivité était relativement longue au regard des évolutions constatées sur le marché concerné. En effet, la clause s'appliquait pendant toute la durée de validité du contrat de services de maintenance entre Orange Caraïbe et Cetelec Caraïbes, conclu le 1er avril 2003 pour une durée de 36 mois et renouvelable par tacite reconduction par période de 12 mois.
281. Enfin, la sanction attachée à la méconnaissance de la clause d'exclusivité était particulièrement lourde, dans la mesure où elle correspondait, en ce qui concerne le contrat de service de maintenance, au versement d'une somme équivalant à douze mois de rémunération moyenne perçue par le prestataire.
Sur les effets de l'exclusivité
* L'application effective de l'exclusivité
282. Il ressort des éléments exposés aux paragraphes 102 à 104 de la présente décision que, contrairement à ce que prétend Orange Caraïbe, Bouygues Télécom Caraïbe, après avoir lancé un appel d'offres infructueux pour la zone Antilles-Guyane, a tenté en vain de nouer un partenariat avec Cetelec Caraïbes. L'exclusivité qui lui a été opposée a été un frein très important à la négociation d'un partenariat avec Bouygues Télécom Caraïbe.
* L'impossibilité pour tout nouvel entrant de bénéficier d'un service local de maintenance
283. L'enquête a révélé qu'il est en pratique impossible pour un opérateur de créer un centre de réparation agréé local. En effet, cette création est particulièrement longue et coûteuse. Elle suppose l'obtention d'agréments de la part des constructeurs, la formation du personnel et l'engagement de coûts fixes importants et irrécupérables (matériels, machines, outils informatiques ...).
284. Par ailleurs, un nouvel entrant, tel que Bouygues Télécom Caraïbe, qui détenait, à l'époque des faits, moins de 20 % de parts de marché, ne disposait pas de la clientèle suffisante pour générer un flux de maintenance suffisant pour amortir les coûts induits. D'ailleurs, les difficultés de la création d'un centre de réparation agréé local sont illustrées par le fait qu'Orange Caraïbe, qui disposait pourtant de plus de 80 % de la clientèle locale, a dû aider Cetelec Caraïbes à s'implanter dans la zone.
285. Il en résulte que l'exclusivité entre Orange Caraïbe et Cetelec Caraïbes a eu pour effet d'empêcher tout nouvel entrant sur le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane de bénéficier d'un service local de maintenance.
* La dégradation de l'image de marque de tout nouvel entrant
286. Devant l'impossibilité d'offrir à ses clients des prestations de maintenance de leurs terminaux dans la zone Antilles-Guyane, Bouygues Télécom Caraïbe n'a eu comme autre solution que celle d'envoyer les terminaux défectueux vers des centres de réparation agréés en métropole. La gestion de ces envois en métropole a généré des délais de réparation souvent supérieurs à deux mois, bien au-delà de ceux garantis par Orange Caraïbe. Elle a donc été une source d'insatisfaction pour les clients.
287. Pendant cette période, Orange Caraïbe, pour sa part, n'a pas hésité à mettre en avant sa capacité à offrir un service après-vente réactif et rapide. C'est ainsi que, dans sa réponse à l'appel d'offres passé par le conseil régional de Guyane, au mois de septembre 2004, elle précisait que : " Dans chacun des départements des Antilles et de la Guyane, Cetelec, prestataire de service après-vente pour Orange Caraïbe effectue le suivi après-vente et les réparations en 48 heures ".
288. L'exclusivité convenue entre Orange Caraïbe et Cetelec Caraïbes a donc également eu pour effet de dégrader l'image de marque de tout nouvel entrant, et notamment en l'espèce celle de Bouygues Télécom Caraïbe.
* Sur l'augmentation des coûts pour les concurrents
289. Afin de minimiser l'atteinte à son image, Bouygues Télécom Caraïbe s'est engagée, à partir de 2003, à prêter à ses clients un terminal de même niveau de gamme que celui dont ils disposaient avant la panne. Selon Bouygues Télécom Caraïbe, " cet engagement de qualité a conduit BTC [Bouygues Télécom Caraïbe] à acquérir un parc important de terminaux neufs et notamment haut de gamme afin d'être en mesure de satisfaire ses clients et les faire patienter dans des conditions acceptables ". Elle a précisé que cela avait représenté " un coût très important, de l'ordre de 1,2 million d'euro par an (dont 90 % est représenté par la dotation en produits neufs) ". De même, Outremer Télécom a indiqué qu'elle a " organisé la réparation de ses téléphones mobiles par des réparateurs installés en métropole. Cette situation n'a pas eu d'impact sur son développement autre que de renchérir artificiellement ses coûts ".
290. Les barrières créées par l'exclusivité de maintenance ont donc été non seulement techniques mais aussi économiques.
Sur les éventuelles justifications économiques
291. Orange Caraïbe souligne qu'elle a mis gracieusement à la disposition de Cetelec Caraïbes:
i) un certain nombre d'équipements : ordinateurs de téléchargement, switchs, waveteks, ordinateurs, ii) un local en Guyane et à la Martinique sous forme de sous-contrat de bail à titre gratuit ainsi que des services annexes (gardiennage, nettoyage, etc.), iii) un stock de terminaux de remplacement d'une valeur comprise dans une fourchette de 300 000 à 700 000 euro environ, iv) un salarié dans le cadre d'un détachement. Ainsi, Orange Caraïbe précise que c'est en contrepartie de ces investissements que Cetelec Caraïbes s'est engagée à lui accorder l'exclusivité de ses services pendant la durée du contrat, soit trois ans, étant précisé que ce contrat est entré en vigueur le 1er avril 2003.
292. En l'espèce, certes, Orange Caraïbe a réalisé des investissements et consenti des avantages importants au bénéfice de Cetelec Caraïbes. Toutefois, elle aurait pu soutenir la création et le développement de cette dernière, sans pour autant se réserver l'exclusivité de ses services. En effet, comme Cetelec Caraïbes l'a indiqué lors de l'instruction (voir paragraphe 104 de la présente décision), afin de bénéficier d'économies d'échelle, il aurait été plus efficace qu'elle se voie confier la réparation des terminaux d'autres opérateurs.
293. Ainsi, sur un marché marqué par une situation de très nette dominance et une faible vivacité concurrentielle, l'entrave à la concurrence résultant de l'accord d'exclusivité convenu entre Orange Caraïbe et Cetelec Caraïbes ne saurait se justifier par des investissements qui auraient pu être consentis dans des conditions respectant le jeu de la concurrence par les mérites.
Conclusion sur le grief n° 2
294. Il ressort des analyses qui précèdent qu'en signant et en faisant appliquer la clause d'exclusivité interdisant la réparation de terminaux commercialisés par des opérateurs concurrents, Orange Caraïbe et Cetelec Caraïbes se sont entendues en méconnaissance des dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE. Comme l'a indiqué Orange Caraïbe au cours de l'instruction, " cette exclusivité n'a [...] pas été 'imposée' par OC mais consentie par Cetelec Caraïbes [...] ". Le concours de volonté entre les deux entreprises n'est d'ailleurs en l'espèce pas contesté.
295. L'entente en cause, qui a eu pour effet d'entraver artificiellement le développement d'opérateurs concurrents, a débuté le 1er avril 2003 lors de la signature du contrat de services de maintenance entre Orange Caraïbe et Cetelec Caraïbes et a cessé à la fin du mois de janvier 2005, lors de la suppression de l'exclusivité en exécution de la mesure conservatoire prononcée par le Conseil de la concurrence. Par un courrier du 24 janvier 2005, Orange Caraïbe a informé Cetelec Caraïbes de la suppression de la clause d'exclusivité figurant dans le contrat de services de maintenance et, en conséquence, de celle prévue dans les deux contrats de bail de sous-location.
b) Sur l'imposition de prix de revente des terminaux (grief n° 3)
296. Comme il a été exposé aux paragraphes 68 à 87 et 150, il est reproché à Orange Caraïbe d'avoir imposé à ses distributeurs indépendants des prix de vente des terminaux dans le cadre d'offres promotionnelles répétées, et du programme de fidélité "Changez de mobile'.
297. Outremer Télécom souligne que cette pratique a permis en réalité à Orange Caraïbe de contrôler les marges de ses distributeurs, en leur permettant de disposer d'une marge significative en cas de vente d'un abonnement avec réengagement. La pratique en cause aurait ainsi eu pour objet ou pour effet de dissuader les distributeurs d'Orange Caraïbe de proposer des abonnements sans réengagement.
298. Orange Caraïbe expose au contraire que les distributeurs bénéficiaient d'une totale liberté tarifaire pour la fixation des prix des terminaux et que la pratique de prix imposés n'est pas démontrée à suffisance de droit.
299. Selon la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence, pour établir l'existence d'une pratique de prix imposés, les éléments suivants doivent être réunis:
- en premier lieu, les prix de vente au détail souhaités par le fournisseur sont connus des distributeurs;
- en deuxième lieu, une police des prix a été mise en place pour éviter que des distributeurs déviants ne compromettent le fonctionnement durable de l'entente;
- en troisième lieu, ces prix souhaités par le fournisseur et connus des distributeurs, sont significativement appliqués par ces derniers (voir décisions n° 05-D-32, du 22 juin 2005, relative à des pratiques mises en œuvre par Royal Canin et son réseau et n° 07-D-50 du 20 décembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de jouets, confirmée par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 28 janvier 2009).
300. La deuxième branche du faisceau d'indices n'est en général pas invoquée lorsque la pratique de prix imposés est recherchée dans le cadre d'un abus de position dominante. Dans un tel cadre, les prix peuvent être imposés de telle manière que des mécanismes de contrôle et de sanction ne soient pas nécessaires, notamment si la marge de manœuvre des distributeurs est nulle. Il n'est en effet pas pertinent de rechercher une quelconque police des prix si les distributeurs n'ont en réalité aucune marge de manœuvre pour la fixation de leurs prix.
En ce qui concerne les offres promotionnelles répétées
301. Il ressort des éléments du dossier que, s'ils respectaient les prix de revente tels que conseillés par Orange Caraïbe dans ses courriels, les distributeurs indépendants des produits et services d'Orange Caraïbe disposaient d'une marge nulle sur la revente des terminaux. En effet, le prix d'achat du terminal auprès d'Orange Caraïbe, diminué de la subvention accordée par l'opérateur, correspondait exactement au prix de revente aux consommateurs tel que conseillé par Orange Caraïbe. Dans ces conditions, il pourrait être considéré que, ne pouvant vendre les terminaux à un prix inférieur au prix de vente conseillé par Orange Caraïbe sans vendre à perte, cette dernière imposait, en réalité, les prix de vente des terminaux. Le Conseil de la concurrence a déjà estimé que la prohibition des prix imposés porte sur des prix minima et non sur des prix maxima (décision n° 07-D- 50 du 20 décembre 2007, précitée, paragraphe 614).
302. Cependant, les terminaux dont les prix de vente sont en cause étaient nécessairement vendus par les distributeurs dans le cadre de la souscription d'un abonnement pour lequel les distributeurs percevaient une commission d'une cinquantaine d'euro environ. Dès lors, pour apprécier la capacité des distributeurs à revendre les terminaux à un prix inférieur au prix de vente conseillé, il convient de prendre en compte non seulement la marge réalisable sur la revente du terminal (nulle, en l'espèce) mais également la commission touchée par le distributeur pour la souscription d'un abonnement aux services de téléphonie mobile d'Orange Caraïbe.
303. Les distributeurs indépendants disposaient donc bien de la possibilité de pratiquer des prix de vente des terminaux plus bas que les prix de vente conseillés par Orange Caraïbe, quitte à les revendre à perte puisque l'opération demeurait profitable compte tenu de la commission versée par l'opérateur pour la souscription de l'abonnement.
304. Or les déclarations des distributeurs indépendants recueillies au cours de l'instruction (voir paragraphe 77) sont insuffisantes pour établir, d'une part qu'Orange Caraïbe avait mis en place une police de prix, et d'autre part, que les prix conseillés faisaient l'objet d'une application significative par les distributeurs. Il ne peut donc être retenu qu'Orange Caraïbe a imposé à ses distributeurs indépendants le prix de revente des terminaux durant des périodes promotionnelles répétées de 2004 à 2006.
En ce qui concerne le programme "Changez de mobile"
305. Même si le logiciel d'Orange Caraïbe fixait le prix de vente du terminal dans le cadre de la valorisation des points de fidélité, les distributeurs pouvaient, au moins en théorie, vendre le terminal à un prix inférieur en proposant une réduction sur le barème de l'opérateur.
306. En l'absence de relevé de prix et de déclarations de distributeurs indépendants de nature à démontrer que l'opérateur avait mis en œuvre une police des prix (voir paragraphe 87), il ne peut être établi qu'Orange Caraïbe a imposé à ses distributeurs indépendants le prix de revente des terminaux dans le cadre du programme "Changez de mobile".
307. En tout état de cause, il convient de relever que la troisième condition du standard de preuve tenant à l'application effective des prix par les distributeurs est en l'espèce délicate à établir, que ce soit dans le cadre des offres promotionnelles ou dans celui du programme "Changez de mobile", dès lors que les terminaux dont les prix de vente sont en cause étaient nécessairement vendus par les distributeurs dans le cadre de la souscription d'un abonnement.
308. Il résulte de ce qui précède qu'il n'est pas établi qu'Orange a abusé de sa position dominante sur le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane en imposant à ses distributeurs des prix de revente des terminaux dans le cadre d'offres promotionnelles répétées ainsi que dans le cadre du programme de fidélité "Changez de Mobile". Le grief n° 3 doit donc être écarté.
c) Sur les politiques de fidélisation et d'engagement mises en œuvre par Orange Caraïbe (grief n° 4)
309. Au soutien du grief notifié, Digicel et Outremer Télécom soulignent que la pratique de fidélisation abusive n'a pas cessé après la modification du programme "Changez de mobile" imposée par la décision de mesures conservatoires. Elles font valoir que les réengagements systématiques des clients de l'opérateur dominant avant même le terme de l'engagement initial retirent du marché les plus gros consommateurs et affaiblissent durablement la concurrence sur le marché.
310. Orange Caraïbe conteste le caractère abusif de sa politique de fidélisation en affirmant que l'ensemble des programmes visés par le grief reposait sur des prestations économiques objectives et sur des gains d'efficience bénéfiques pour le consommateur. Elle soutient que ses programmes de fidélité n'ont pu produire aucun effet d'éviction sur un marché caractérisé par un fort degré de fluidité qui a, d'ailleurs, permis aux opérateurs concurrents de provoquer une forte baisse des parts de marché d'Orange Caraïbe en quelques mois.
311. A titre liminaire, il convient de rappeler que le grief notifié comporte deux branches. La première vise la pratique mise en œuvre par Orange Caraïbe ayant consisté à imposer à ses clients un réengagement de 24 mois pour l'utilisation de leurs points de fidélité dans le cadre du programme "Changez de mobile" du printemps 2002 au printemps 2005. La seconde vise, quant à elle, de manière plus générale, la pratique d'Orange Caraïbe consistant à ne proposer, pour les offres de forfaits, que des engagements initiaux de 12 mois et des réengagements pour des périodes de 24 mois.
Sur la distinction entre les "offres de fidélité" et les "offres de fidélisation"
312. Une distinction doit s'opérer entre les "offres de fidélité" et les "offres de fidélisation". Une offre de fidélité correspond à une gratification de l'opérateur à son client en vue de le récompenser de sa fidélité passée. Elle s'apparente donc à une remise sur le volume consommé. Une offre de fidélisation propose une remise ou un avantage au bénéfice du client, en échange d'un engagement de ce dernier pour l'avenir. Ce type d'offre a donc pour effet de priver le consommateur de sa capacité d'arbitrage pendant une période donnée.
313. Les offres de fidélité sont généralement considérées comme pro-concurrentielles, tandis que les offres de fidélisation peuvent produire des effets restrictifs de concurrence comme le Conseil de la concurrence l'a indiqué dans sa décision de mesures conservatoires du 9 décembre 2004: " les programmes de fidélisation ont deux effets pour le consommateur :
un effet direct, favorable, de baisse des prix par rapport au prix courant de la prestation pour les clients non fidélisés; un effet indirect défavorable, parce qu'ils augmentent le coût de changement d'opérateur pour les consommateurs et n'incitent donc pas les offreurs à se faire concurrence en prix. En outre, ces programmes modifient l'arbitrage auquel fait face le consommateur au moment de comparer l'avantage à rester chez son opérateur ou à partir chez un concurrent, en rendant cette dernière option plus coûteuse. Ils ont donc pour effet de figer les parts de marché (paragraphe 72 de la décision).
314. Par ailleurs, dans une décision n° 04-D-13 du 8 avril 2004, précitée, le Conseil de la concurrence avait relevé que: " la jurisprudence décide de manière constante que seuls les systèmes de rabais qui n'ont pas d'effet fidélisant au profit d'une entreprise en position dominante, par exemple les rabais quantitatifs liés au seul volume des achats effectués auprès d'elle, sont dénués d'effet anticoncurrentiel (CJCE, Portugal/Commission, 29 mars 2001, point 50). Il s'ensuit qu'un système de rabais sera considéré comme abus f si les critères et les modalités de son attribution font apparaître que le système ne repose pas sur une contrepartie économiquement justifiée mais tend, à l'instar d'un rabais de fidélité, à limiter l'approvisionnement des clients auprès de producteurs concurrents (CJCE, Hoffman-La Roche/Commission, 13 février 1979, CJCE Portugal/Commission, 29 mars 2001, précité, TPICE Irish Sugar/Commission 7 octobre 1999, Michelin/Commission, 23 septembre 2003 " (paragraphe 57 de la décision).
315. L'analyse des offres de fidélisation doit donc s'effectuer dans le cadre d'un bilan concurrentiel mettant en balance les effets anticoncurrentiels inhérents à ce genre de pratiques et les bénéfices que peuvent en retirer le consommateur ou le marché. Il convient ainsi d'examiner, pour chaque offre de fidélisation, la durée des engagements, les avantages financiers ou en nature octroyés au consommateur, la structure du marché et leurs modalités de mise en œuvre.
316. S'agissant de la structure du marché, il est à noter que lorsque celui-ci est caractérisé par de fortes asymétries de parts de marché et notamment par la présence d'opérateurs de petite taille n'ayant pas atteint la taille critique, les pratiques de fidélisation seront plus aptes à empêcher le développement de ces opérateurs, voire de provoquer leur sortie du marché.
317. Plus le marché est mature, plus les pratiques de fidélisation peuvent restreindre la concurrence. Sur un marché en phase de croissance, les clients 'à prendre' sont des consommateurs nouvellement présents sur le marché. Par conséquent, même si l'essentiel des consommateurs ne fait pas partie de la 'demande adressable' en raison du fait qu'ils sont engagés auprès d'un opérateur, un nouvel entrant peut, en principe, réussir à pénétrer le marché. En revanche, sur un marché mature, l'essentiel de la demande potentielle est déjà présente sur le marché. Dès lors, si ces consommateurs sont déjà engagés auprès des acteurs présents pour des périodes d'engagement longues, la pénétration d'un nouvel entrant sera rendue très difficile.
318. Enfin, les modalités de mise en œuvre des offres de fidélisation revêtent également une importance pour évaluer leurs possibles effets anticoncurrentiels. En effet, les périodes d'engagement des offres peuvent parfois se chevaucher. Ainsi, c'est le cas lorsque le client actuellement engagé se réengage avant le terme de la période de son premier engagement. Si ce mécanisme se répète, le client se trouve alors réengagé, avant même d'avoir pu comparer les offres de son opérateur avec celles de ses concurrents.
Sur le programme "Changez de mobile" dans sa version antérieure au mois d'avril 2005
319. Le programme "Changez de Mobile" permet aux clients d'Orange Caraïbe de cumuler des points de fidélité à chaque facture en fonction du montant de celle-ci. Un tel système s apparente donc à une offre de fidélité. Il a été modifié par Orange Caraïbe en 2005, en exécution des mesures conservatoires prononcées par le Conseil de la concurrence. L'analyse du programme "Changez de mobile" diffère donc selon qu'il s'agit de sa version antérieure ou postérieure au mois d'avril 2005.
320. En application de la version antérieure au mois d'avril 2005, le client d'Orange Caraïbe ne pouvait utiliser ses points de fidélité que pour l'acquisition d'un terminal, et sous la condition d'un réengagement de 24 mois auprès d'Orange Caraïbe. Le programme revêtait donc bien le caractère d'une offre de fidélisation de nature à produire des effets anticoncurrentiels.
321. En effet, le client d'Orange Caraïbe, disposant de points de fidélité, qui souhaitait aller au terme de son engagement et changer d'opérateur de téléphonie mobile, ne le pouvait qu'en perdant la contre-valeur de ses points. Un tel mécanisme de fidélisation était par conséquent de nature à cristalliser les parts de marché d'Orange Caraïbe, en dissuadant le consommateur de faire jouer la concurrence au seul moment où cela lui était possible, c'est-à-dire au terme de sa période d'engagement.
322. Par ailleurs, les effets sur la concurrence de cette pratique ont été renforcés par le fait qu'à partir de 2003, le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane avait atteint un stade de maturité. Ainsi, dans son avis n° 2008-0098, précité, l'ARCEP a précisé que : " cet effet est d'autant plus important que la prépondérance d'Orange Caraïbe sur le marché de détail est avérée et que le marché connaît une croissance faible ou modérée. En effet dans une phase de forte croissance du marché, à savoir 2002-2003 pour le marché considéré, ces pratiques ont pu avoir une moindre portée du fait que l'acquisition des clients concernait avant tout des primo-accédants non équipés. Depuis, le marché connaît une moindre croissance, ce qui peut conférer une portée importante aux pratiques fidélisantes que pourrait pratiquer un acteur dominant, ayant pour objet ou pour effet de prévenir le changement d'opérateur par les abonnés ('churn') en direction de la concurrence. En effet, dans un marché mature, la demande porte en effet pour l'essentiel sur le renouvellement d'abonnements, ce qui confère une portée importante aux pratiques fidélisantes ayant pour objet ou pour effet de prévenir la perte d'abonnés au profit des opérateurs concurrents, et de manière plus générale permettent à l'opérateur dominant de tirer profit du lien contractuel existant avec l'abonné ".
323. En outre, en réduisant le nombre de clients potentiels, les pratiques de fidélisation ont créé artificiellement une barrière à l'entrée pour tout nouvel entrant souhaitant pénétrer le marché de la téléphonie mobile de la zone Antilles-Guyane.
324. Certes, le programme "Changez de mobile" ne concernait qu'une partie de la clientèle d'Orange Caraïbe (voir les déclarations d'Orange Caraïbe, paragraphe 107). Toutefois, la clientèle qui bénéficiait du programme était celle qui, ayant souscrit des abonnements avec forfait, consommait le plus et générait le plus fort ARPU (Average Revenue per User). Par ailleurs, si en nombre de clients, seul 20 % du parc était susceptible de bénéficier du programme "Changez de mobile", en valeur, cette part était nettement plus importante et en constante progression. Ainsi, en valeur, la proportion de la clientèle engagée dans le cadre du programme "Changez de Mobile" représentait plus d'un quart de la clientèle totale d'Orange Caraïbe.
325. Enfin, le fait que certaines pratiques de fidélisation soient également mises en œuvre par d'autres opérateurs, notamment en métropole, n'est pas de nature à remettre en cause le caractère anticoncurrentiel du programme "Changez de mobile" dans la zone Antilles-Guyane. En effet, comme le rappelle régulièrement la jurisprudence communautaire, toute entreprise en position dominante a la " responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée sur le marché " (voir, notamment, arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, NBIIVI/Commission, 322-81, Rec. p. 3461, point 57; arrêts du Tribunal du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission, T-228-97, Rec. p. 11-2969, point 112, et du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T-203-01, Rec. p. 11-4071, point 97). Ainsi, la spécificité du marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane aurait dû conduire Orange Caraïbe à s'abstenir de mettre en œuvre des pratiques de fidélisation abusives.
326. Il ressort des analyses qui précèdent, que du printemps 2002 au printemps 2005, le programme de fidélisation "Changez de mobile", tel qu'il a été conçu et appliqué dans la zone Antilles-Guyane, relève d'une pratique contraire aux articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE, devenu 102 du traité TFUE.
Sur les périodes d'engagement
327. La seconde branche du grief n° 4 vise de manière générale la pratique d'Orange Caraïbe consistant à ne proposer, pour les offres de forfaits, que des engagements initiaux de 12 mois et des réengagements pour des périodes de 24 mois.
328. Dans la mesure où ni l'enquête administrative, ni l'instruction n'ont porté sur l'analyse précise et approfondie des offres de forfaits proposées par Orange Caraïbe, des justifications économiques - liées notamment à la subvention du terminal - associées à ces offres et des effets de fermeture du marché qui pourraient résulter de la seule durée imposée pour les engagements ou les réengagements, l'Autorité n'est pas en mesure de se prononcer sur la licéité de ces offres au regard des règles de concurrence.
329. La seconde branche du grief n° 4 ne peut donc être établie.
d) Sur la différenciation tarifaire entre les appels off net et les appels on net (grief n° 5)
330. Orange Caraïbe expose que la différenciation tarifaire entre les appels on net et les appels off net n'a pas d'objet anticoncurrentiel. En effet, cette pratique se justifierait objectivement par des différences de niveau de terminaison d'appel, par l'effet palier lié au tarif de détail appliqué par Orange Caraïbe pour les appels vers le réseau Bouygues Télécom Caraïbe et par la facturation par cette dernière de la terminaison d'appel avec une première minute indivisible. Orange Caraïbe invoque également la circonstance que, à l'époque des faits, elle était largement déficitaire sur le trafic issu de son réseau vers le réseau de Bouygues Télécom Caraïbes. Elle estime que la différenciation tarifaire entre les appels on net et les appels off net n'a pu produire d'effet anticoncurrentiel en l'absence de renforcement d'un "effet de club" et en l'absence de tout effet constaté sur son principal concurrent Bouygues Télécom Caraïbe.
331. Une différenciation tarifaire entre les appels à l'intérieur du réseau du même opérateur (dits "on net ") et les appels d'un client d'un opérateur A vers un client d'un opérateur B (dits "off net ") (voir paragraphe 113) incite les abonnés à passer des appels au sein du même réseau plutôt que vers les réseaux tiers. Cette incitation tarifaire a plusieurs conséquences. Elle peut tout d'abord renforcer les effets de réseau ou les "effets de club", c'est-à-dire la satisfaction qu'un consommateur peut tirer de son appartenance à un réseau du fait que d'autres consommateurs en font également partie. En effet, ce consommateur peut davantage appeler ses correspondants au sein du même réseau et, en retour, être davantage appelé. A cet égard, il est à noter que, plus le parc de clientèle de l'opérateur en cause est étendu, plus les "effets de club" sont importants. La différenciation tarifaire peut ensuite distordre les flux de trafic entre opérateurs, en accroissant les appels on net au détriment des appels off net.
332. Le Conseil puis l'Autorité de la concurrence ont plusieurs fois eu l'occasion de souligner, au stade des mesures conservatoires, en quoi ces effets pouvaient être anticoncurrentiels. Dans sa décision n° 02-D-69 du 26 novembre 2002, le Conseil a indiqué que le renforcement des effets de club pouvait "favoriser le plus grand des parcs, les clients valorisant la possibilité d'appeler et d'être appelés par le plus grand nombre possible de correspondants. " Dans son arrêt du 28 janvier 2005, la Cour d'appel de Paris, confirmant la décision de mesures conservatoires du 9 décembre 2004 rendue par le Conseil dans la présente affaire, a souligné que la différenciation "appliquée par un opérateur en position dominante, est de nature à renforcer ce dernier par un effet de réseau, ou 'effet de club', dans la mesure où les clients sont incités à restreindre le volume des appels destinés à l'opérateur concurrent et, lors du premier achat ou d'un renouvellement, à tenir compte du réseau auquel appartiennent leurs principaux correspondants , qu'il en est d'autant plus ainsi lorsqu'une telle pratique est observée sur un marché étroit (moins d'un million de clients potentiels), ne comportant que deux acteurs aux positions fortement asymétriques ".
333. Le renforcement de l'attractivité du plus gros des réseaux n'est pas le seul effet possible sur la concurrence. Dans sa décision n° 09-MC-02 du 16 septembre 2009 relative aux saisines au fond et aux demandes de mesures conservatoires présentées par les sociétés Orange Réunion, Orange Mayotte et Outremer Télécom concernant des pratiques mises en œuvre par la société SRR dans le secteur de la téléphonie mobile à La Réunion et à Mayotte, l'Autorité de la concurrence a considéré que la différenciation tarifaire pouvait "avoir pour effet de présenter artificiellement les opérateurs tiers comme des opérateurs 'coûteux' car 'chers à appeler' ". Dans sa décision n° 09-D-15 du 2 avril 2009, l'Autorité évoquait également la possible augmentation des coûts des concurrents, résultant à la fois de la distorsion des flux de trafic et de la capacité plus réduite des petits opérateurs à mettre en œuvre des pratiques de différenciation compte tenu des effets de club. De tels effets peuvent affaiblir la capacité de ces acteurs à animer le jeu concurrentiel sur le marché.
334. S'agissant de la qualification de cette pratique au regard du droit de la concurrence, le Conseil a considéré à plusieurs reprises que "pour un opérateur en position dominante, le f ait de pratiquer des c4fférences de prix est susceptible de constituer un abus si cette pratique a pour objet ou peut avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché concerne. (...) Néanmoins, une différenciation tarifaire peut trouver une justification objective, notamment par des différences de coûts entre les prestations" (voir, décision n° 09-MC-02 du 16 septembre 2009, précitée, paragraphe 44).
335. Le lien de causalité entre la pratique et la position détenue par l'entreprise qui la met en œuvre ne peut être mis en doute. L'Autorité relevait déjà dans sa décision n° 09-D-15, précitée, que "les opérateurs mobiles justifient cette différenciation par le fait que la terminaison des appels sur leur propre réseau représente pour eux un coût très faible [...], alors que les appels vers les réseaux tiers se traduisent par le paiement des charges de terminaison d'appel à leurs concurrents. Plus la différence entre les coûts réels de terminaison d'appel et les charges de terminaison d'appel que se facturent entre eux les opérateurs est grande, plus les opérateurs ont intérêt à encourager leurs abonnés à concentrer leurs appels sur les appels 'on net', afin de minimiser les transferts financiers vers leurs concurrents ". La différenciation tarifaire traduit la capacité de l'opérateur qui la pratique à dégager une marge significative sur la prestation de terminaison d'appel lorsqu'elle est vendue sur le marché amont à travers la perception d'une charge de terminaison, et à renoncer, sur le marché aval, en tout ou partie à cette marge en consentant à ses clients des tarifs plus attractifs sur les appels on net en comparaison des appels off net. Or cette capacité découle de la situation de monopole que détient l'opérateur sur la prestation de terminaison des appels sur son réseau.
336. Lorsqu'il peut être établi que la différenciation tarifaire, en l'absence de justification objective, poursuit un objet anticoncurrentiel ou a la capacité de produire des effets anticoncurrentiels, cette pratique s'analyse comme l'exploitation abusive du pouvoir de marché détenu par l'opérateur qui la met en œuvre sur le marché amont de la terminaison des appels sur son réseau. La circonstance que cet opérateur détient également une position dominante sur le marché aval - celui de la fourniture des services aux consommateurs finaux - est de nature à renforcer les effets de cet abus la différenciation tarifaire peut aussi être l'un des leviers d'une stratégie visant à évincer ou discipliner les concurrents sur le marché aval, d'autant plus efficacement que cette position est forte. Il convient enfin de préciser que la différenciation tarifaire abusive constitue une pratique distincte du ciseau tarifaire, dès lors qu'elle peut fausser le jeu de la concurrence sans pour autant empêcher les concurrents du marché aval aussi efficaces de proposer leurs services de manière rentable.
337. S'agissant des arguments qui peuvent être favorablement accueillis pour justifier les différences de prix, figure l'existence de différences entre les charges de terminaison qui doivent être acquittées pour faire aboutir les appels. Une charge de terminaison plus élevée pratiquée par l'opérateur B par rapport à l'opérateur A pour terminer les appels sur son réseau peut par exemple justifier que le prix des appels à destination du réseau B soit supérieur d'autant au prix des appels à destination du réseau A.
338. En revanche, l'entreprise ne peut valablement invoquer l'existence de coûts de transfert internes, pour la terminaison des appels on net, qui seraient inférieurs à la charge de terminaison facturée aux concurrents. Comme le Conseil de la concurrence a eu l'occasion de le souligner à plusieurs reprises, notamment dans ses avis n° 05-A-10 du 11 mai 2005 et n° 07-A-05 du 19 juin 2007, la prestation de terminaison d'appel revêt, au regard du droit de la concurrence, le caractère d'une "facilité essentielle ", de sorte que "les conditions d'accès à cette prestation doivent être transparentes, objectives, non discriminatoires et permettre aux compétiteurs d'exercer une concurrence effective ". Sur un plan tarifaire, ces principes peuvent parfois appeler, compte tenu de la situation concurrentielle de l'espèce, une stricte égalité entre les tarifs d'accès et les coûts sous-jacents. Dans l'hypothèse inverse, il est loisible à l'opérateur de dégager une marge sur cette prestation, dans les limites de ce qui est nécessaire à l'exercice d'une concurrence effective. Dans ce cas, les principes rappelés plus haut impliquent à tout le moins que la charge de terminaison d'appel, qui peut donc se situer à un niveau supérieur aux coûts, soit appliquée de manière non discriminatoire, y compris pour les transferts internes. C'est d'ailleurs ce qu'a rappelé l'ARCEP : le régulateur a en effet énoncé (décision n° 2007-0810 fixant le principe et les modalités de la régulation ex-ante des prestations de terminaison d'appel des opérateurs mobiles) que " l'application d'une obligation de non-discrimination permet de garantir que les entreprises puissantes sur un marché de gros ne faussent pas la concurrence sur un marché de détail, notamment lorsqu'il s'agit d'entreprises intégrées verticalement qui fournissent des services à des entreprises avec lesquelles elles sont en concurrence sur des marchés en aval. [...] L'obligation de non-discrimination vise principalement dans ce cas à éviter que les opérateurs mobiles n'augmentent leurs charges vis-à-vis d'opérateurs acheteurs dont le pouvoir de négociation serait moindre, ou qu'ils n'avantagent leurs propres unités d'affaires, leurs partenaires ou leurs filiales en concurrence avec les autres acheteurs de terminaison d'appel vocal. De telles pratiques auraient pour effet de fausser le jeu de la concurrence entre les opérateurs sur les marchés de détail. [...] Ainsi, un opérateur puissant n'est pas autorisé à pratiquer des conditions artificiellement différenciées, notamment lorsque la prestation d'interconnexion fournie est la même [...] ".
339. En l'espèce, il convient d'une part de rechercher si la différenciation tarifaire mise en œuvre par Orange Caraïbe a eu un objet ou un effet anticoncurrentiel et d'autre part d'examiner dans quelle mesure cette pratique peut se justifier, notamment au regard d'éventuelles différences entre les charges de terminaison d'appel.
Sur les effets de la différenciation tarifaire on net et off net
340. La différenciation tarifaire entre les appels off net et les appels on net mise en œuvre par Orange Caraïbe a produit trois types d'effets anticoncurrentiels, qui peuvent être identifiés ainsi le renforcement d'un effet de réseau ou "effet de club" confortant la position dominante d'Orange Caraïbe, une dégradation de l'image de Bouygues Télécom Caraïbe et, enfin un effet revenu impactant la capacité d'action des opérateurs concurrents.
Le renforcement de l'effet de réseau ou "effet de club "profitant à Orange Caraïbe
341. Dans un document en date du 6 mars 2006 intitulé "Barriers to entry" (DAF/COM(2005)42), l'OCDE a défini les effets de réseau de la manière suivante : " il y a des effets directs de réseau lorsque l'avantage qu'un consommateur tire d'un produit augmente non seulement avec la quantité qu'il/elle consomme, mais avec le nombre d'autres personnes qui le consomment également ".
342. Si un opérateur A détient 80 % du parc de clients, sur une base statistique primaire, le consommateur-type a 80 % de chance d'appeler vers un correspondant abonné chez l'opérateur A. Dès lors, si le consommateur-type choisit l'opérateur A, statistiquement, 80 % de ses appels seront des appels on net et 20 % des appels off net. S'il choisit l'opérateur B qui détient 20 % du parc de clients, statistiquement, 20 % de ses appels seront des appels on net et 80 % des appels off net. Si les appels on net sont significativement moins chers que les appels off net, le consommateur-type est mécaniquement incité à recourir à l'opérateur A pour bénéficier du tarif on net plus avantageux pour 80 % de ses appels.
343. Comme rappelé au paragraphe 332, le Conseil de la concurrence avait déjà été saisi d'une pratique de différenciation entre les tarifs on net et les tarifs off net d'Orange, en métropole. Dans cette affaire, le Conseil avait considéré que : " la différenciation entre tarifs on net et tarifs off net envisagée par Orange, en métropole, pouvait influer sur le choix des clients lors du premier achat ou d'un renouvellement, dans la mesure où ils seront désormais susceptibles de tenir compte des réseaux auxquels appartiennent leurs principaux correspondants. Selon le Conseil, ces effets sont de nature [...] à favoriser le plus grand des parcs, les clients valorisant la possibilité d'appeler et d'être appelés par le plus grand nombre possible de correspondants " (décision n° 02-D-69 du 26 novembre 2002, paragraphe 25).
344. L'importance du renforcement de l'effet de club dépend de deux éléments : d'une part, l'asymétrie des parts de marché entre les opérateurs et, d'autre part, l'importance de la différenciation tarifaire entre les appels on net et les appels off net.
345. En l'espèce, Orange Caraïbe dispose d'une part de marché prééminente et a opéré une différenciation tarifaire entre ses appels on net et ses appels off net dont le niveau est particulièrement élevé par rapport aux différences des charges de terminaison d'appel. Elle a donc cherché à accentuer un "effet de club" qui existait déjà.
346. Dans sa décision de mesures conservatoires, le Conseil de la concurrence avait souligné que : " l'effet de 'club' résultant de la différenciation tar faire pratiquée entre les appels off net et on net sur le réseau d'Orange Caraïbe est directement proportionnel à l'ampleur de cette différenciation. Il est, en outre, considérablement renforcé par le fait qu'il n'existe que deux réseaux et que le plus grand des deux détient une part de marché de plus de 82 %. L'écart de taille entre les réseaux, et non la taille absolue du plus petit réseau, est l'élément crucial de l'espèce car cet écart constitue un levier multipliant l'effet du montant de la différence des tarifs. En outre, cet écart dans la taille des réseaux prive le plus petit de moyens de réplique: même en pratiquant une différenciation élevée entre ses tarifs on net et off net, le petit réseau ne peut proposer des tarifs on net plus attractifs en les finançant par les revenus tirés des terminaisons d'appel " (paragraphe 61 de la décision).
347. De même, dans son avis n° 2008-0098, précité, l'ARCEP a considéré que " s'agissant de l'effet de réseau/effet club se rattachant à la pratique d'une différenciation tar faire par un opérateur dominant, l'Autorité soulignait dans son avis que cet effet est d'autant plus important que l'opérateur mettant en cause la sur tarification dispose d'une part de marché élevée [...]. Dans le cadre de la présente sais me, les pratiques de sur tarification dénoncées sont semblables à celles de l'espèce susmentionnée. Il est toutefois remarquable que ces pratiques ont eu lieu sur un marché ne comportant, au moment de la saisine, que deux acteurs, dont un en position fortement dominante, ce qui en exacerbe les effets au regard de la situation concurrentielle en métropole ".
348. Au surplus, la pratique tarifaire d'Orange Caraïbe, notamment sur les cartes prépayées décomptées avec une première minute indivisible, a porté sur un segment de clientèle particulièrement décisif dans le jeu concurrentiel, à savoir la clientèle des primo-accédants et en particulier des jeunes. En effet, la différenciation tarifaire et le renforcement de l' "effet club" incitent les nouveaux consommateurs à souscrire à une offre de services auprès du réseau le plus important. En l'espèce, le changement d'opérateur étant par ailleurs limité en raison des autres pratiques mises en œuvre par Orange Caraïbe, la captation de la clientèle des primo-accédants et notamment des jeunes était susceptible d'avoir un effet durable. Ainsi, dans la décision prononçant des mesures conservatoires à l'encontre d'Orange Caraïbe, le Conseil de la concurrence soulignait que : "les cartes prépayées sont susceptibles de produire des effets de club d'autant plus sensibles qu'elles sont généralement les premiers produits que les primo-accédants achètent ".
349. Il résulte de ce qui précède que la pratique de différenciation tarifaire d'Orange Caraïbe a eu pour effet de renforcer artificiellement, par un "effet club", l'attractivité du réseau d'Orange Caraïbe. En particulier, l'argument d'Orange Caraïbe selon lequel l'attractivité accrue de son réseau ne pourrait être établie, faute pour les consommateurs d'agir de façon rationnelle, ne peut être retenu. En effet, si les consommateurs n'agissaient pas, du moins en grande masse, de façon rationnelle, Orange Caraïbe n'aurait eu aucun intérêt à pratiquer des tarifs plus attractifs pour ses appels on net que pour ses appels off net.
350. S'agissant, enfin, de la réalité des effets sur le marché, ils sont difficiles à quantifier et à isoler du reste du contexte du marché, notamment des autres pratiques mises en œuvre par Orange Caraïbe. Néanmoins, l'absence d'effet mesurable sur Bouygues Télécom Caraïbe ne saurait occulter que la pratique, en renforçant artificiellement l' attractivité d'Orange Caraïbe, n'a pu que rendre plus difficile et plus lent le développement de la concurrence sur un marché qu'elle dominait déjà.
La dégradation de l'image de Bouygues Télécom Caraïbe
351. La différenciation tarifaire entre les appels off net et les appels on net mise en œuvre par Orange Caraïbe a également contribué à ternir l'image de Bouygues Télécom Caraïbe, qui a pu apparaître aux yeux des consommateurs comme un réseau cher.
352. En effet, il convient de rappeler que dans le cadre de l'affaire ayant donné lieu à la décision n° 02-D-69, précitée, l'ART avait souligné que " cette sur tarification, qui ne peut donc pas se jusitifier économiquement par le coût des réseaux concurrents, risque pourtant d'être perçue comme telle par le client. En particulier, lorsque le client d'Orange France recevra des factures où apparaîtra le prix des communications à destination de ses correspondants abonnés aux réseaux mobiles tiers, il constatera le prix plus élevé de ces appels, et risque d'en reporter la responsabilité sur les coûts du réseau appelé. Il se produira vraisemblablement un "effet facture "défavorable à l'image de Bouygues Télécom et à celle de SFR, et ce d'autant plus que la fourniture au client d'une facturation détaillée gratuite fait partie des obligations des opérateurs depuis le 1er septembre 2002 " (voir, avis n° 02-901 du 10 octobre 2002).
353. La dégradation de l'image de Bouygues Télécom Caraïbe résulte ainsi de la pratique tarifaire d'Orange Caraïbe en tant qu'elle faisait apparaître un tarif facial plus élevé pour les communications vers ce réseau, sans qu'il ait été nécessaire pour Orange Caraïbe de lancer d'éventuelles campagnes de communication afin de promouvoir ces offres.
Les effets sur les revenus et la marge des opérateurs concurrents
354. La différenciation tarifaire entre les appels off net et les appels on net a encore eu pour effet d'accroitre le volume du trafic on net et de diminuer le volume du trafic off net d'Orange Caraïbe. En effet, dans la mesure où les appels on net sont devenus plus attractifs que les appels off net, l'abonné d'Orange Caraïbe a pu avoir tendance à de ne pas trop faire durer ses appels off net.
355. Un tel effet avait été souligné par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 28 janvier
2005 : " cette pratique de discrimination tar faire non justifiée par une différence objective de situation, appliquée par un opérateur en position dominante, est de nature à renforcer ce dernier [...] dans la mesure où les clients sont incités à restreindre le volume des appels destinés à l'opérateur concurrent [...] ".
356. En réduisant ainsi artificiellement le volume d'appels à destination du réseau de Bouygues Télécom Caraïbe, Orange Caraïbe a privé cette dernière de revenus et de marge substantiels sur la prestation de terminaison des appels sur son réseau. Or, jusqu'à 40 % des revenus d'un nouvel entrant peuvent résulter des charges de terminaison d'appel facturées.
357. La pratique de discrimination tarifaire mise en œuvre par Orange Caraïbe a donc privé Bouygues Télécom Caraïbe d'une partie des revenus liés au versement par Orange Caraïbe des charges de terminaison d'appel, limitant ainsi la capacité d'investissement du nouvel opérateur, notamment sur des opérations commerciales plus agressives. Le fait que le solde d'interconnexion entre les deux opérateurs ait pu être initialement ou ponctuellement déséquilibré à l'avantage de Bouygues Télécom ne change rien au fait que, toutes choses étant égales par ailleurs, la différenciation a eu pour effet de priver Bouygues Télécom Caraïbe de recettes d'interconnexion.
Sur les justifications au regard des éventuelles différences entre les charges de terminaison d'appel
Pour les appels facturés avec une première minute indivisible
358. L'analyse porte sur les cartes prépayées " Orange Card soir et week-end " et " Orange Card Classique " dont la tarification repose sur un crédit temps d'une première minute indivisible.
359. Le tableau suivant permet de comparer les différences de tarifs de détail des offres " Orange Card soir et week-end " et " Orange Card Classique " par rapport aux différences de charges de terminaison d'appel, facturées respectivement par Orange Caraïbe et Bouygues Télécom Caraïbe. L'analyse est dans ce cas réalisée sur des bases comparables puisque les tarifs de détail, comme les charges de terminaison d'appel, sont calculés avec un crédit temps d'une première minute indivisible.
<emplacement tableau>
360. En ce qui concerne la période avant le mois de janvier 2004, la différenciation tarifaire entre les appels on net et les appels off net ne trouvait aucune justification dans une éventuelle différence de charges de terminaison d'appel, puisque les niveaux et les modes de tarification des charges de terminaison d'appel d'Orange Caraïbe et de Bouygues Télécom Caraïbe étaient strictement identiques.
361. Dans son avis n° 2008-0097, l'ARCEP a noté que " les tarifs de détail examinés sont en vigueur depuis le 15 septembre 2003, date à laquelle les charges de terminaison d'appel des deux opérateurs étaient strictement identiques. Ainsi, il conviendrait que le Conseil attache une importance particulière à la période allant jusque fin 2003, sur laquelle toute différenciation sur le détail ne pouvait trouver de justification au regard des prix d'interconnexion " (page 15 de l'avis).
362. Pour la période comprise entre le mois de janvier 2004 et le début de l'année 2005, la différence de tarification entre les appels on net et les appels off net était comprise entre 2,028 et 26,0 centimes d'euro, alors que la différence de terminaison d'appel se limitait à 1,472 et 2,544 centimes d'euro par minute. La différenciation tarifaire opérée par Orange Caraïbe n'avait donc aucune justification au regard des différences de charges de terminaison d'appel.
Pour les appels facturés à la seconde dès la première seconde
363. L'analyse porte sur les cartes prépayées "Orange Card Seconde", ainsi que sur les communications passées au-delà des forfaits. La comparaison entre d'une part les différences constatées sur les tarifs de détail entre les appels on net et les appels off net et d'autre part les écarts de terminaison d'appel est en l'espèce beaucoup plus délicate, dans la mesure où les modes de facturation sont différents.
364. En effet, sur la période considérée, Bouygues Télécom Caraïbe a toujours facturé des charges de terminaison d'appel à Orange Caraïbe sur la base d'un crédit temps d'une minute indivisible. Ainsi, pour tous les appels du réseau Orange Caraïbe vers le réseau Bouygues Télécom Caraïbe inférieurs à une minute, celui-ci facturait à celui-là une charge de terminaison d'appel d'une minute.
365. Il est possible de calculer une moyenne des charges de terminaison d'appel à la minute sur la base des facturations effectives des charges de terminaison d'appel. Comme l'avait souligné l'ART dans son avis du 14 octobre 2004, rendu dans le cadre de la procédure de mesures conservatoires : " la présence d'une période indivisible [1° minute de la terminaison d'appel] a un effet important sur le prix moyen payé à la minute ".
<emplacement tableau>
366. Concernant les cartes prépayées "Orange Card Seconde", ainsi que pour les dépassements de forfaits pour lesquels la différenciation tarifaire incriminée a pu être observée, la problématique de l'effet palier de la facturation de la charge de terminaison d'appel avec une première minute indivisible est pertinente dès lors que la tarification de détail pratiquée par Orange Caraïbe se faisait à la seconde.
367. Pour ces dernières offres, la notification de griefs a retenu le prix moyen de la charge de terminaison d'appel de Bouygues Télécom Caraïbe, méthode qui permet d'éviter tout effet 'palier' de la facturation de la charge de terminaison d'appel avec une première minute indivisible. En effet, ce prix moyen est obtenu en divisant le prix total des charges de terminaison d'appel facturées par Bouygues Télécom Caraïbe à Orange Caraïbe par le nombre de minutes de communications effectivement envoyées par Orange Caraïbe à destination du réseau de Bouygues Télécom Caraïbe. Une telle méthode comporte une marge d'inexactitude dans la mesure où elle n'isole pas les consommations effectives des offres visées (dépassement de forfaits et Orange Card Seconde). Concernant cependant l'offre Orange Card Seconde, même si la différence moyenne entre la terminaison d'appel moyenne de Bouygues Télécom Caraïbe et celle d'Orange Caraïbe d'environ 3 centimes d'euro peut être marginalement discutée, la différence de 24 centimes d'euro constatée entre les appels on net et les appels off net pratiquée par Orange Caraïbe ne laisse aucun doute sur le rapport démesuré entre les prix facturés par Orange Caraïbe à ses clients et les différences de charges de terminaison d'appel sous-jacentes.
368. Une telle disproportion ne peut, en revanche, être mise en évidence pour les communications en dépassement de forfaits.
Conclusion
369. Il résulte des constatations et analyses qui précèdent que la différenciation tarifaire pratiquée par Orange Caraïbe en 2003 et 2004, entre les appels on net et les appels off net pour ses cartes " Orange Card Soir et week-end ", " Orange Card Classique " et " Orange Card Seconde ", constitue un abus de position dominante au sens des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE, devenu 102 du TFUE.
e) Sur la pratique de ciseau tarifaire reprochée à Orange Caraïbe (grief n° 6)
370. Orange Caraïbe expose qu'un test de ciseau tarifaire n'a aucun sens s'il ne prend pas en compte l'équilibre général d'une offre et se limite à une seule de ses composantes, comme en l'espèce les appels hors forfaits vers un mobile Orange Caraïbe.
371. L'Autorité de la concurrence constate que l'instruction n'a en effet pas permis de recueillir les éléments relatifs notamment aux revenus liés aux consommations en dépassement de forfaits, aux profils de consommation effectivement constatés, à l'éventuelle prise en compte de revenus entrants, ainsi qu'à l'ensemble des coûts sous-jacents à l'offre.
372. Il en résulte que la pratique de ciseau tarifaire reprochée en l'espèce à Orange Caraïbe n'est pas établie à suffisance de droit.
f) Sur la discrimination de l' " Avantage Améris " (grief 1107)
373. Le grief n° 7 (paragraphes 134 à 141) vise la pratique de France Télécom ayant consisté:
- d'une part, à avoir maintenu la commercialisation de l' " Avantage Améris " après I arrivée sur le marché de Bouygues Télécom Caraïbe à la fin de l'année 2000 et jusqu'au 21 mai 2002, date à laquelle l'option a été remplacée par la nouvelle offre "Avantage Mobiles Plus";
- d'autre part, à avoir maintenu l'Avantage Améris" au bénéfice des clients qui l'avaient souscrit avant le 21 mai 2002.
374. France Télécom souligne en premier lieu que ni la commercialisation, ni le maintien de l' " Avantage Améris " ne revêtaient d'objet anticoncurrentiel. En effet, à la suite de l'entrée de Bouygues Télécom Caraïbe sur le marché fin 2000, France Caraïbe Mobiles se serait spontanément engagée envers l'ART à étendre l'Avantage Améris" à tous les opérateurs mobiles. Cependant, cette extension n'a pu se faire avant l'homologation par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie de la nouvelle offre "Avantage Mobile Plus". Par ailleurs, le maintien de l' " Avantage Améris " s'imposait, selon France Télécom, au titre du respect de ses obligations contractuelles. L'opérateur soutient qu'il n'était pas en droit de modifier arbitrairement les clauses contractuelles sur la base desquelles ses clients s'étaient engagés, sans le consentement de ces derniers ou sans qu'une décision de justice ne lui impose de faire migrer ses clients automatiquement sur une nouvelle offre. De plus, à ces obstacles juridiques se seraient ajoutés des problèmes techniques dans la mesure où la migration des clients bénéficiant de l' " Avantage Améris " aurait été freinée par sa mauvaise prise en compte par le système d'information. France Télécom souligne en deuxième lieu que la pratique qui lui est reprochée n'a produit aucun effet anticoncurrentiel. En effet, le maintien de l' " Avantage Améris " n'aurait concerné, à la fin de l'année 2005, que 6 % du chiffre d'affaires 'fixe vers mobile', et moins de 2 % du chiffre d'affaires total réalisé par France Télécom au titre des services de téléphonie fixe auprès de ses clients entreprises et collectivités territoriales dans la zone Antilles-Guyane. France Télécom avance enfin que l' " Avantage Améris " n'était plus commercialisé depuis 2002 et n'entrait donc pas dans l'arbitrage que les clients potentiels exerçaient pour choisir leur opérateur fixe ou mobile.
Le caractère discriminatoire de l' " Avantage Améris "
Une différenciation tar faire non justifiée par des raisons objectives
375. Dans un avis n° 01-1150 du 14décembre 2001, l'ART avait rappelé que : " de manière générale, l'Autorité veille à ce que les tarifs proposés par France Télécom sur les appels fixe vers mobiles respectent les conditions d'une concurrence loyale entre opérateurs et s'inscrivent dans l'intérêt du consommateur. A cet égard, les tarifs de détail pratiqués par France Télécom doivent respecter les principes suivants [...] ii) France Télécom ne devrait pas traiter de manière discriminatoire, dans l'établissement de ses tarifs, tel ou tel opérateur de terminaison, en différenciant ses tarifs au-delà de ce qui serait justifié par des données objectives, et notamment les coûts encourus pour les appels vers cet opérateur, un tel comportement pourrait consister par exemple en des options tarifaires ciblées sur les appels vers un opérateur déterminé, par exemple une filiale ou partenaire, ou se traduire par l'exclusion de tel opérateur d'une option tar faire applicable aux autres; de telles pratiques paraîtraient critiquables au regard du principe de non- discrimination, dès lors qu'elles ne pourraient être justifiées, en particulier par des différences de coûts ou de niveau de charge de terminaison. A cet égard, dès lors que les prix de terminaison d'appel ne font pas l'objet de réduction au volume (article D. 99-17 du Code des postes et télécommunications) la politique d'options tarifaires de France Télécom ne devrait porter que sur sa propre rémunération ".
376. En l'espèce, avant décembre 2001, l"'Avantage Améris" ne soulevait pas de difficulté au regard du droit de la concurrence dans la mesure où le réseau Améris était le seul réseau de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane.
377. A partir de 2001, date à laquelle Bouygues Télécom est arrivée sur le marché, le maintien de l'option "Avantage Améris" a conduit à une différenciation tarifaire entre, d'une part, les appels 'fixe' vers les mobiles Orange Caraïbe, et, d'autre part, les appels ~fixe' vers les mobiles Bouygues Télécom Caraïbe. Les éléments de l'enquête ont pourtant révélé qu'une telle différence de traitement ne reposait sur aucune justification objective, que ce soit avant ou après le mois de janvier 2004.
378. En effet, seules des différences de charges de terminaison d'appel facturées par les opérateurs mobiles auraient été susceptibles de justifier des différences de coûts entre un appel 'fixe' vers un mobile Orange Caraïbe et un appel 'fixe' vers un mobile Bouygues Télécom Caraïbe. Cependant, dans la mesure où, jusqu'au 14 janvier 2004, les niveaux et modes de calcul des charges de terminaison d'appel des deux opérateurs en cause étaient strictement identiques, il n'existait aucune raison objective pour que France Télécom accorde un traitement tarifaire privilégié pour les appels à destination du réseau de sa filiale Orange Caraïbe.
379. En ce qui concerne la période postérieure au mois de janvier 2004, la différence des charges de terminaison d'appel résultant d'une baisse unilatérale de celle d'Orange Caraïbe a été répercutée par France Télécom dans les tarifs de ses communications 'fixe vers mobile'. Dans ces conditions, le maintien de l'Avantage Améris" pour les seuls appels fixes vers le réseau Orange Caraïbe n'était également justifié par aucune raison objective.
Les effets sur la concurrence de cette discrimination
380. En offrant aux clients entreprises des réductions tarifaires sur le volume des appels 'fixe' vers les mobiles Orange Caraïbe, France Télécom a réduit le coût des appels vers le réseau de sa filiale. Or, lorsqu'une entreprise choisit un opérateur de téléphonie mobile, elle s'intéresse non seulement aux prix des communications au départ de sa flotte de téléphones mobiles mais aussi aux prix des appels vers sa flotte, notamment depuis les postes fixes de l'entreprise. Il en résulte que le coût des appels depuis les postes fixes de l'entreprise vers sa flotte de téléphones mobiles sera un élément déterminant du choix de son opérateur mobile. Dans ce contexte, en accordant, de manière discriminatoire et sans aucune justification objective, une réduction tarifaire pour les appels 'fixe' vers les mobiles Orange Caraïbe, France Télécom a octroyé un avantage sensible à sa filiale dans la commercialisation de ses services auprès des entreprises, des collectivités ainsi que des organismes publics.
381. Ainsi, dès le mois de décembre 2000, l' " Avantage Améris " a eu pour effet de favoriser Orange Caraïbe sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles Guyane au détriment de Bouygues Télécom Caraïbe. De même, à partir de la fin de l'année 2004 en Guyane et à partir de la fin de l'année 2005 en Martinique et en Guadeloupe, cette option a avantagé Orange Caraïbe au détriment d'Outremer Télécom.
382. En outre, il ressort d'un tableau fourni par France Télécom lors de l'instruction que le maintien de l' " Avantage Améris " postérieurement au mois de mai 2002 était défavorable pour les clients qui en étaient bénéficiaires.
Sur le maintien de l' " Avantage Améris "
383. Selon la jurisprudence des juridictions européennes : " la possibilité d'exclure un comportement anticoncurrentiel déterminé du champ d'application des articles 81 CE et 82 CE, en raison du fait qu'il a été imposé aux entreprises en question par la législation nationale existante ou que celle-ci a éliminé toute possibilité de comportement concurrentiel de leur part, n'a été admise que de manière restrictive par la Cour. Pour que le cadre juridique national ait pour effet d'écarter l'application des articles 81 CE et 82 CE aux comportements anticoncurrentiels d'entreprises, il faut que les effets restrictifs de la concurrence trouvent leur origine uniquement dans la loi nationale. En revanche, les articles 81 CE et 82 CE peuvent s'appliquer s'il s'avère que la législation nationale laisse subsister la possibilité d'une concurrence susceptible d'être empêchée, restreinte ou faussée par des comportements autonomes des entreprises " (voir, arrêt du Tribunal du 10 avril 2008, Deutsche Télécom AG, T-271-03, Rec. p. 11-477, points 86 à 88).
384. Le fait que l' " Avantage Améris " ait été homologué le 31 octobre 2000, sans réserve ni de l'ART, ni du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie n'a en droit aucune incidence sur la qualification de la pratique en cause au regard des règles de concurrence. Au surplus, il convient d'ajouter que l'avis de l'ART n° 00-1142 du 25 novembre 2000 avait été rendu à une époque où Améris était le seul réseau mobile de la zone Antilles-Guyane. De plus, dans son avis n° 00-1 142, l'ART avait précisé, au sujet de l'offre jumelle en métropole "Avantage Itinéris", laquelle n'octroyait également de réduction que pour les appels fixes vers les mobiles du réseau Itinéris (anciennement Orange France) que " dès lors que les tarifs sont fixés par France Télécom, [...] les options tarifaires correspondantes s'appliquent à l'ensemble des appels vers tout réseau mobile ". Ainsi, France Télécom était avertie du caractère anticoncurrentiel que pouvait présenter l"'Avantage Améris" dès lors que Bouygues Télécom Caraïbe entrait sur le marché en décembre 2000. Enfin, le 26 novembre 2002, France Télécom avait été une nouvelle fois avertie de ces risques puisque dans une décision n° 02-D-69, le Conseil de la concurrence avait relevé que: "pour un opérateur en position dominante, le fait de pratiquer des différences de prix non justifiées par des différences de coût de revient des services, et qui pourraient donc être discriminatoires, est susceptible de constituer un abus si cette pratique a pour objet ou peut avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché concerné " (voir décision n° 02-D-69, du 26 novembre 2002, relative aux saisines et aux demandes de mesures conservatoires présentées par la société Bouygues Télécom, l'UFC Que Choisir et la CLCV, paragraphe 23).
385. C'est à tort que France Télécom prétend que le maintien de la commercialisation de l'Avantage Améris" s'imposait à elle jusqu'à la date d'homologation ministérielle de la nouvelle offre "Avantage Mobile Plus". En effet, aucune homologation ministérielle n'était nécessaire pour que France Télécom cesse la commercialisation de l' " Avantage Améris ".
386. De même, contrairement à ce que soutient France Télécom, il n'existait aucun obstacle juridique à ce que France Télécom résiliât l' " Avantage Améris " à l'égard des clients qui en étaient bénéficiaires. En effet, l'article 8 des conditions générales d'abonnement stipulait que : " le client trouve le détail de la tarification des communications dans le Catalogue de prix [...]. Les modifications de prix sont applicables en cours d'exécution du contrat et portées à la connaissance des clients au plus tard huit jours avant leur application. Le client peut, dans ce cas, résilier le contrat conformément à 1'article 15.2 ". En tout état de cause, France Télécom a souligné elle-même dans ses écritures qu'elle avait procédé à la migration des clients par un traitement manuel par ligne dans la mesure où la précédente migration avait " été freinée par des problèmes techniques ayant trait à sa mauvaise prise en compte par le système d'information ". Ainsi, l'opérateur ne fait état d'aucun problème juridique concernant cette migration tardive. De même, à la suite de l'enquête administrative, France Télécom a mis très peu de temps à assurer la migration des dernières lignes bénéficiant encore de l' " Avantage Améris " vers l'offre "Avantage Mobile Plus".
387. France Télécom ne saurait non plus arguer du fait qu'elle a cessé la commercialisation de l'option "Avantage Améris" a compter de la fin du mois de mai 2002 et qu'elle n'a fait que la maintenir pour les clients qui l'avaient déjà souscrite antérieurement. En effet, le caractère anticoncurrentiel de l"'Avantage Améris" résulte en partie du fait que celui-ci a été maintenu après le mois de mai 2002.
388. Enfin, le fait que l'Avantage Améris" n'ait concerné, à la fin de l'année 2005, que 6 % du chiffre d'affaires 'fixe vers mobile', et moins de 2 % du chiffre d'affaires total réalisé par France Télécom au titre des services de téléphonie fixe auprès de ses clients entreprises et collectivités territoriales dans la zone Antilles-Guyane, s'il est de nature à relativiser l'importance du dommage à l'économie causé par la pratique - au titre des éléments utiles pour le calcul de la sanction -, n'a aucune incidence sur la qualification juridique du comportement en cause.
Conclusion
389. Il résulte de ce qui précède qu'en commercialisant l'offre "Avantage Améris" après l'arrivée de Bouygues Télécom sur le marché en décembre 2000, jusqu'au 21 mai 2002, puis en la maintenant postérieurement à cette date jusqu'à la fin de l'année 2005 pour les clients qui l'avaient déjà souscrite, France Télécom a abusé de sa position dominante sur le marché des services de téléphonie fixe et ainsi méconnu les dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE, devenu 102 du traité TFUE.
g) Sur la pratique de ciseau tarifaire de France Télécom (grief n08)
390. Selon Outremer Télécom, la pratique de ciseau tarifaire reprochée par le grief n° 8 perdure dans les offres proposées par France Télécom aux entreprises pour le trafic fixe vers mobile. L'entreprise relève ainsi que l'appel vers un mobile Orange Caraïbe au départ d'un téléphone fixe de Guadeloupe ou de Martinique est facturée 0,175 d'euro pour la mise en relation, puis 0,096 d'euro par minute, alors que la terminaison d'appel d'Orange Caraïbe est fixée, pour 2008, à il centimes d'euro par minute. Concernant la pratique des "hérissons", Outremer Telecom précise qu'elle a découvert que France Télécom avait été autorisée par Orange Caraïbe à utiliser des "hérissons" tandis que de telles pratiques étaient interdites à Outremer Télécom ou très restreintes. Outremer Telecom regrette par ailleurs que la notification de griefs ait souligné les effets de cette pratique sur Bouygues Telecom Caraïbe mais ait omis de revenir sur l'effet d'éviction que cette pratique a eu vis-à-vis d'Outremer Telecom tant en sa qualité d'opérateur fixe qu'en sa qualité d'opérateur mobile à partir de 2004.
391. En réponse, France Télécom souligne tout d'abord que l'offre incriminée (via un hérisson) est une offre d'Orange Caraïbe et qu'en tout état de cause, l'absence d'intégration verticale au sein du groupe exclut que France Télécom puisse se voir imputer un ciseau tarifaire causé par un tarif de terminaison d'appel fixé de manière autonome par sa filiale. Par ailleurs, elle estime que le test opéré par la notification de griefs ne peut être concluant :
dans un marché avec plusieurs opérateurs mobiles pratiquant des tarifs de terminaison d'appels différents, un tarif 'fixe vers mobile' ne peut pas être comparé à une terminaison d'appel unique dès lors que les tarifs 'fixe vers mobiles' s'appuient par définition sur une moyenne des terminaisons d'appels des réseaux mobiles destinataires établie sur la base de la répartition du trafic entre ces différents réseaux. France Télécom expose qu'en tout état de cause, aucun effet anticoncurrentiel n'a été démontré par la notification de griefs.
392. Cependant, il ressort de l'instruction que, lors d'un appel d'offres passé par le Conseil régional de Guyane à l'été 2004, France Télécom a proposé une offre tarifaire qui n'était pas "réplicable" par un opérateur concurrent aussi efficace qu'elle, sauf à supporter des pertes.
393. Contrairement à ce que soutient France Télécom, l'offre remise par France Télécom ne pouvait être considérée comme une offre d'Orange Caraïbe. En effet, le lot concerné, c'est-à-dire le lot 2 était spécifique à la téléphonie fixe. La réponse de France Télécom précisait à cet égard que son offre " constitue la réponse de France Télécom au Cahier des Clauses Techniques Particulières pour la téléphonie fixe (lot 2) correspondant à tout type de trafic depuis un téléphone fixe (local, voisinage, national, international, vers tous types de mobiles) ". Dans sa réponse, à la différence d'autres soumissions, France Télécom ne précisait nullement qu'elle agissait au nom et pour le compte de sa filiale Orange Caraïbe. La circonstance selon laquelle sa proposition reposait pour partie sur l'utilisation d'offres mobiles de sa filiale ne saurait l'exclure de toute responsabilité au titre des conditions tarifaires qu'elle a elle-même proposées.
394. Par ailleurs, l'argument relatif à l'absence d'intégration verticale entre les deux branches du ciseau est dénué de pertinence en l'espèce, dès lors que, comme il sera démontré aux paragraphes 407 à 431 de la présente décision, France Télécom et Orange Caraïbe constituent en tout état de cause une seule et même entreprise au regard du droit de la concurrence.
395. S'agissant des critiques relatives au niveau d'agrégation retenu pour effectuer le test, il convient de rappeler que, dans sa décision n° 04-D-48, du 14 octobre 2004, précitée, le Conseil de la concurrence a considéré que: " les entreprises clientes (surtout de taille moyenne) retiennent fréquemment le même fournisseur pour l'ensemble du trafic téléphonique, en portant une attention particulière aux tarifs pratiqués sur le trafic fixe vers mobile, de sorte que chaque opérateur intégré peut s'appuyer sur des tari/s attractifs sur le trafic fixe vers mobile destiné à son réseau GSM pour remporter, par effet de levier, des clients sur l'ensemble du trafic fixes vers mobiles voire sur l'ensemble du trafic de téléphonie fixe. A priori, la demande de communications fixe vers mobile porte sur les trois réseaux destinataires des appels puisque l'appelant n'a pas le choix du réseau mobile de son interlocuteur. Toutefois, en ce qui concerne les entreprises, le même décideur choisit le prestataire pour les communications fixes et le réseau de la flotte de mobiles de l'entreprise, les communications fixes vers les mobiles de la flotte constituant une part importante de l'ensemble des communications fixes vers mobiles de l'entreprise. Le tarif des communications fixes vers mobiles du réseau choisi pour la flotte constitue donc un critère important dans la sélection du prestataire pour 1'ensemble des services de téléphonie fixe. Un ciseau tarifaire entre les tarifs des communications fixes vers mobiles d'un réseau donné et la CTA de ce réseau est alors susceptible d'évincer les offres des concurrents " (paragraphes 217 et 218 de la décision). Ainsi, à la différence d'une offre mobile qui mérite d'être appréhendée dans son économie globale, la réponse à un appel d'offres 'fixe vers mobiles' doit être analysée sur la base des coûts et revenus des seuls appels 'fixe vers mobiles'.
396. En outre, il est pertinent que le test soit mené sur le périmètre des seuls appels 'fixe vers les mobiles Orange Caraïbe', sachant que la plupart des appels étaient, de fait, dirigés vers les mobiles du réseau Orange Caraïbe qui détenait, à l'époque des faits, près de 85 % du parc de mobiles dans la zone Antilles-Guyane. Pour l'ensemble de ces raisons, la qualification d'abus suppose de rechercher si les tarifs proposés par France Télécom pour les appels fixes à destination des mobiles du réseau d'Orange Caraïbe pouvaient être répliqués par un opérateur aussi efficace qu'elle.
397. Par ailleurs, les mécanismes de hérisson ne peuvent être considérés pour les opérateurs concurrents de France Télécom comme des solutions alternatives effectives au sens de la jurisprudence puisqu'ils représentent des solutions juridiquement instables et non pérennes. En effet, comme il a été démontré, aucun opérateur alternatif ne peut bénéficier d'une solution sécurisée et durable de reroutage par les mobiles box. Dans son avis n° 2008-0098, l'ARCEP relève que: "dans la mesure où les solutions techniques d'interconnexion indirecte décrites par Outremer Telecom reposent sur un détournement d'usage, Orange Caraïbe est fondé à prohiber leur utilisation, et Outremer ne peut se prévaloir d'une quelconque discrimination tendant aux caractéristiques des services ainsi détournes ". Ainsi, les opérateurs de téléphonie fixe alternatifs n'avaient pas d'autre choix que de recourir à l'interconnexion directe avec Orange Caraïbe pour proposer des appels fixes à destination des mobiles du réseau Orange Caraïbe.
398. Enfin, concernant les effets du ciseau tarifaire constaté, il convient de rappeler que, dans son arrêt du 3 mars 2009, la Cour de cassation a énoncé " qu'une pratique de 'ciseau tarifaire' a un effet anticoncurrentiel si un concurrent potentiel aussi efficace que l'entreprise dominante verticalement intégrée auteur de la pratique ne peut entrer sur le marché aval qu'en subissant des pertes; qu'un tel effet peut être présumé seulement lorsque les prestations fournies à ses concurrents par l'entreprise auteur du 'ciseau tarifaire' leur sont indispensables pour la concurrencer sur le marché aval ". Or, en l'espèce, les opérateurs alternatifs n'avaient pas d'autre choix que de recourir à l'interconnexion directe avec Orange Caraïbe puisque les mécanismes de "hérissons" n'étaient ni pérennes, ni sécurisés et que, en les utilisant, les opérateurs alternatifs prenaient des risques importants. En effet, comme l'a rappelé l'ARCEP dans son avis n° 2008-0098, ces opérateurs ne bénéficiaient d'aucun droit pour les imposer dans la durée à Orange Caraïbe.
399. Il résulte de ce qui précède qu'en 2004, dans le cadre de l'appel d'offres du Conseil régional de Guyane, France Télécom a méconnu les articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE, devenu 102 du traité TFUE, en proposant à des collectivités ou entreprises des offres de télécommunications "fixe vers mobile" en dessous des coûts qu'un opérateur aussi efficace qu'elle devait nécessairement supporter pour proposer la même prestation.
D. SUR LES PRATIQUES N'AYANT PAS FAIT L'OBJET DE GRIEFS
400. Dans ses observations au rapport, Digicel, qui a racheté Bouygues Télécom Caraïbes, indique prendre acte du fait que les pratiques relatives au service kiosque, à la publicité trompeuse et au non-respect du droit à la facturation n'ont pas fait l'objet de griefs. En revanche, elle sollicite un renvoi à l'instruction pour deux pratiques qui auraient été mises en œuvre par France Télécom, à savoir, d'une part, le retard de fourniture puis les pannes de rétablissement des liaisons louées à Saint-Georges, et, d'autre part, les pratiques de couplage entre les services de téléphonie fixe et mobile dans les offres faites aux entreprises.
1. SUR LA FOURNITURE ET LA REPARATION DES LIAISONS LOUEES A SAINT-GEORGES
401. Bouygues Télécom se plaint du traitement discriminatoire dont elle aurait été victime de la part de France Télécom dans la fourniture de liaisons louées. Elle avance notamment que France Télécom lui a fourni avec beaucoup de retard une liaison louée vers le site de Saint-Georges en Guyane, essentielle pour la mise en place de ses services sur cette zone. Elle soutient également qu'en cas de panne, ces liaisons louées étaient rétablies plus rapidement pour Orange Caraïbe que pour elle-même.
402. Cependant, en l'espèce, aucun élément du dossier n'étaye la thèse selon laquelle France Télécom aurait délibérément retardé la fourniture de la liaison louée vers le site de Saint-Georges dans le but de favoriser sa filiale Orange Caraïbe. De même, aucun élément ne permet d'établir que France Télécom aurait opéré une discrimination entre Orange Caraïbe et Bouygues Télécom Caraïbe pour le rétablissement des pannes affectant les liaisons louées.
403. Par conséquent, il n'y a pas lieu de renvoyer à l'instruction l'examen de la pratique alléguée.
2. SUR LES PRATIQUES DE COUPLAGE ENTRE LES SERVICES DE TELEPHONIE FIXE ET MOBILE OFFERTS AUX ENTREPRISES
404. S'appuyant sur les conclusions du rapport administratif d'enquête, Digicel expose que le fait pour France Télécom de répondre de manière groupée avec sa filiale aux appels d'offres des entreprises et de proposer des solutions globales "fixe et mobile", notamment aux entreprises et aux collectivités, alors même que celles-ci n'en font pas la demande, constitue une pratique d'offres couplées anticoncurrentielles.
405. Cependant, en l'espèce, aucun élément du dossier ne démontre que France Télécom aurait accordé des avantages, notamment des remises, aux acheteurs d'une solution globale "fixe et mobile". En effet, les éléments de l'enquête ne font qu'établir que France Télécom a répondu à des lots "téléphonie mobile" au nom de sa filiale et pour le compte d'Orange Caraïbe.
406. Par conséquent, il n'y a pas lieu non plus de renvoyer à l'instruction l'examen de cette autre pratique alléguée.
E. SUR L'IMPUTABILITE DES PRATIQUES
407. Il s'agit de déterminer si la responsabilité de France Télécom, en sa qualité de société-mère, peut être retenue pour les infractions au droit de la concurrence commises par sa filiale, Orange Caraïbe. Dans ce cadre, il convient tout d'abord de rappeler la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence et la jurisprudence des juridictions de contrôle en matière d'imputabilité entre société-mère et filiale. Il convient ensuite d'exposer la jurisprudence communautaire dans ce domaine.
1. LA PRATIQUE DECISIONNELLE DU CONSEIL DE LA CONCURRENCE ET LA JURISPRUDENCE DES JURIDICTIONS DE CONTROLE
408. Il résulte de la pratique décisionnelle jusqu'ici développée par le Conseil de la concurrence que les pratiques mises en œuvre par une filiale sont, même dans le cas où elle est détenue à 100 % par une société-mère, imputables à la première pour autant qu'elle soit suffisamment autonome de la société qui la contrôle en ce qui concerne la mise en œuvre des pratiques qui lui sont reprochées. La filiale doit être en mesure de définir sa propre stratégie commerciale, financière ou technique, et en particulier de mettre en œuvre les pratiques en s'affranchissant du contrôle hiérarchique de la société dont elle dépend. Ainsi, au sein d'un groupe, il est possible d'imputer une pratique anticoncurrentielle à une filiale à raison du rôle effectif dans la réalisation de la pratique ou de l'imputer à la société-mère, si la filiale ne fait qu'exécuter des décisions prises par cette dernière (décisions n° 08-D-25 du 29 octobre 2008, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de produits cosmétiques et d'hygiène corporelle vendus sur conseil pharmaceutique, paragraphes 27 à 29, et n° 08-D-30 du 4 décembre 2008, précitée paragraphe 496, confirmée par la Cour d'appel dans un arrêt du 24 novembre 2009).
409. Ces principes ont été confirmés par les juridictions de contrôle qui ont jugé que les pratiques mises en œuvre par une société filiale sont imputables à celle-ci pour autant qu'elle soit en mesure de définir sa propre stratégie commerciale, financière et technique, et de s'affranchir du contrôle hiérarchique du siège de la société dont elle dépend (voir, arrêt de la Cour de cassation, Jean Lefebvre, du 4 juin 1996 et arrêt de la Cour d'appel de Paris, Cemex Bétons Sud-Est, du 25 mars 2008).
410. Récemment, dans une décision n° 09-D-06, du 5 février 2009, relative à des pratiques mises en œuvre par la SNCF et Expédia mc., le Conseil a toutefois relevé qu'il résulte de la jurisprudence communautaire qu'une société est présumée responsable des pratiques commises par les filiales qu'elle détient à 100 %, sauf pour elle à renverser cette présomption en démontrant que ces filiales disposent d'une autonomie de décision (paragraphe 154). Dans la mesure où le droit communautaire est applicable en l'espèce, il convient d'évoquer plus précisément cette jurisprudence, qui vient d'être clairement rappelée par la Cour de justice.
2. LA JURISPRUDENCE COMMUNAUTAIRE
a) La notion d'entreprise
411. Dans un arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission (C-97-08 P, non encore publié au Recueil), la Cour de justice des Communautés européennes a rappelé qu'il est de jurisprudence constante que les infractions prévues aux articles 81 et 82 du traité CE visent des entreprises, définies comme des entités exerçant une activité économique, indépendamment de leur statut juridique et de leur mode de financement. La notion d'entreprise doit être comprise comme désignant une unité économique, même si cette unité est constituée, d'un point de vue juridique, de plusieurs personnes morales. Dans son arrêt, la Cour a également rappelé que c'est cette entité économique qui doit, lorsqu'elle a enfreint le droit de la concurrence, répondre de cette infraction, conformément au principe de la responsabilité personnelle.
412. C'est conformément à ces principes qu'il incombe à l'Autorité de concurrence d'imputer l'infraction à une personne juridique.
b) Le cas des filiales à 100 %
413. Dans l'arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, précité, la Cour a également rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle: " le comportement d'une filiale peut être imputé à la société-mère notamment lorsque, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentielles instructions qui lui sont données par la société-mère [...], eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques [...] qui unissent ces deux entités juridiques. En effet, il en est ainsi parce que, dans une telle situation, la société-mère et sa filiale font partie d'une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise [...]. Ainsi, le fait qu'une société-mère et sa filiale constituent une seule entreprise au sens de l'article 81 CE permet à la Commission d'adresser une décision imposant des amendes à la société-mère, sans qu'il soit requis d'établir l'implication personnelle de cette dernière dans l'infraction " (points 58 et 59 de l'arrêt).
414. En ce qui concerne le cas particulier où une société-mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles communautaires de concurrence, la Cour a également rappelé qu': " [...] il existe une présomption refragable selon laquelle ladite société-mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale f..] " (point 60 de l'arrêt).
415. La Cour en a déduit que " dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d'une filiale est détenue par sa société-mère pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale " (point 61 de l'arrêt).
416. Ainsi, il résulte de la jurisprudence communautaire que lorsqu'une société-mère détient
100 % des parts de sa filiale, il existe une présomption selon laquelle cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché et forme avec sa société-mère une entreprise au sens du droit communautaire de la concurrence. C'est pourquoi la société-mère peut être tenue responsable du comportement de sa filiale, sans qu'il soit nécessaire de démontrer qu'elle a effectivement exercé un pouvoir de direction sur celle-ci dans le cadre de la mise en œuvre des pratiques reprochées.
417. Cette présomption joue également lorsqu'une société-mère ne détient pas la totalité du capital de sa filiale mais la quasi-totalité de celui-ci (par exemple 98 %) (voir arrêt du TPICE du 30 septembre 2009, T-168-05, Arkema/Commission, non encore publié au Recueil, point 71).
c) La nature de la présomption et les éléments susceptibles de la renverser
418. La présomption selon laquelle, lorsqu'une société-mère détient la totalité ou la quasi- totalité du capital de sa filiale, cette société constitue une unité économique avec sa filiale est cependant une présomption réfragable.
419. Dans l'arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, précité, la Cour a jugé qu'elle peut en effet être renversée en démontrant, eu égard aux liens économiques, organisationnels et juridiques entre la société-mère et sa filiale, que les deux sociétés ne constituent pas une seule entité économique. Selon la Cour, il ne suffit donc pas de soutenir que la société-mère n'était pas impliquée dans la mise en œuvre de la politique commerciale de sa filiale ou des pratiques concernées.
420. Dans ses conclusions sous l'arrêt, l'avocat général Mme Julianne Kokott avait éclairé ce point en précisant " qu'il fallait écarter comme dépourvu de pertinence le critère de savoir si/a société-mère s'est mêlée de la gestion quotidienne de sa filiale ou si les activités anticoncurrentielles de la filiale s'expliquaient par des instructions de la société-mère ou étaient connues de cette dernière. Une société-mère peut exercer une influence déterminante sur ses filiales même sans faire usage d'un droit de regard et sans donner ni instructions ni directives sur certains aspects de la politique commerciale. Une politique commerciale un forme au sein d'un groupe peut également résulter indirectement de l'ensemble des liens économiques et juridiques entre la société-mère et ses filiales. A l'inverse, l'absence d'une telle politique entre société-mère et filiales ne peut d'ailleurs être constatée qu'au moyen d'une appréciation de l'ensemble de leurs liens économiques et juridiques ".
421. Ainsi, comme le Tribunal de première instance l'a rappelé dans l'arrêt Arkema/Commission du 30 septembre 2009, précité, " ce n'est [...] pas une relation d'instigation relative à l'infraction entre la société-mère et la filiale, ni à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu'elles constituent une seule entreprise qui habilite la Commission à adresser la décision imposant des amendes à la société-mère d'un groupe de sociétés. En effet, le droit communautaire de la concurrence reconnaît que c4ffe'rentes sociétés appartenant à un même groupe constituent une unité économique, et donc une entreprise au sens de l'article 81 CE, si les sociétés concernées ne déterminent pas de façon autonome leur comportement sur le marché " (point 66).
d) Les conséquences en terme de paiement de l'amende
422. Toujours selon la Cour de justice, dès lors que la Commission européenne a établi que la société-mère exerce une influence déterminante sur sa filiale, elle est " en mesure, par la suite, de considérer la société-mère comme solidairement responsable pour le paiement de l'amende infligée à sa filiale, à moins que cette société-mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n'apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché " (voir l'arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 61).
3. LE CARACTERE CONTRAIGNANT DE L'INTERPRETATION DES ARTICLES 81 ET 82 DU TRAITE CE PAR LES JURIDICTIONS COMMUNAUTAIRES
423. La notion d'entreprise et les règles d'imputabilité relèvent des règles matérielles du droit communautaire de la concurrence. L'interprétation qu'en donnent les juridictions communautaires s'impose donc à l'autorité nationale de concurrence lorsqu'elle applique le droit communautaire, ainsi qu'aux juridictions qui la contrôlent. En effet, comme la Cour de justice des Communautés européennes l'a indiqué dans un arrêt du 4 juin 2009, T- Mobile Netherlands e.a. (C-8-08, non encore publié au Recueil, points 49 et 50) " l'article 8] CE, d'une part, produit des effets directs dans les relations entre les particuliers et engendre des droits dans le chef des justiciables que les juridictions nationales doivent sauvegarder et que, d'autre part, il constitue une disposition d'ordre public, indispensable à l'accomplissement des missions confiées à la Communauté européenne, qui doit être appliquée d'office par les juridictions nationales (voir, en ce sens, arrêts du 1er juin 1999, Eco Swiss, C-126-97. Rec. p. 1-3055, points 36 et 39, ainsi que du 13juillet 2006, Manfredi e.a., C-295-04 à C-298-04, Rec. p. 1-6619, points 31 et 39). Partant, lors de l'application de l'article 81 CE, l'interprétation qui en est donnée par la Cour est contraignante pour l'ensemble des juridictions nationales des États membres ". Cette conclusion vaut également pour l'article 82 du traité CE, devenu 102 du TFUE.
424. Il en résulte qu'en l'espèce, le droit communautaire étant applicable, la question de l'imputabilité des pratiques mises en œuvre par Orange Caraïbe doit être examinée au regard des principes dégagés par la jurisprudence communautaire.
4. L'APPLICATION AU CAS D'ESPECE DE LA JURISPRUDENCE COMMUNAUTAIRE
425. France Télécom fait valoir que les griefs notifiés en commun à Orange Caraïbe et à elle- même ne lui sont en aucun cas imputables. Ainsi, une analyse détaillée des relations entre France Télécom et Orange Caraïbe permettrait de constater que, hors la détention du capital et l'implication de France Télécom et/ou d'Orange SA dans le Conseil d'administration d'Orange Caraïbe, aucun élément complémentaire ne permettrait d'accréditer la thèse de l'absence d'autonomie d'Orange Caraïbe. En effet, selon France Télécom, d'une part, Orange Caraïbe bénéficierait de manière générale d'une réelle autonomie opérationnelle sur le marché et, d'autre part, la société-mère n'aurait aucunement été impliquée dans la mise en œuvre des pratiques reprochées à Orange Caraïbe. Ainsi, s'agissant plus précisément de l'autonomie d'Orange Caraïbe dans la gestion de sa stratégie commerciale, financière et technique, France Télécom souligne qu'Orange Caraïbe est un opérateur de réseau indépendant, bénéficiant d'une licence d'opérateur mobile propre et attribuée intuitu personae. France Télécom fait également valoir qu'Orange Caraïbe disposerait de ses propres équipes opérationnelles (marketing, clients ...), techniques (réseaux ...) et de support (financier et juridique). Par ailleurs, Orange Caraïbe aurait toujours librement défini la structure de son offre, ses plans marketing et ses modes de commercialisation. De plus, s'agissant de sa politique d'achat en matière de terminaux, Orange Caraïbe achèterait ses terminaux tant via les processus d'achat au niveau du groupe, que via des démarches à son initiative directement auprès de fabricants de terminaux et de grossistes. En outre, Orange Caraïbe traiterait avec France Télécom dans les mêmes conditions que celles des autres distributeurs indépendants. Enfin, les systèmes d'information d'Orange Caraïbe et de France Télécom seraient distincts, autonomes et ne s'alimenteraient pas mutuellement.
426. Cependant, il faut, conformément à la jurisprudence communautaire, rappeler qu'Orange Caraïbe a été intégrée dans la société Orange SA à l'automne 2000. Orange SA est demeurée une filiale contrôlée à 100 % par France Télécom jusqu'au 13 février 2001, date à laquelle environ 13 % des actions de la société Orange SA ont été placées sur les marchés financiers. Le 1er septembre 2003, France Télécom lançait une offre publique d'échange (OPE) sur sa filiale, suivie d'une offre de retrait obligatoire quelques semaines plus tard. Au 31 décembre 2003, France Télécom détenait plus de 99 % des parts d'Orange SA puis contrôlait de nouveau à 100 % sa filiale quelques semaines plus tard, à la suite de l'expiration de différents recours.
427. Ainsi, pendant la période des pratiques en cause, France Télécom détenait indirectement la totalité ou la quasi-totalité du capital d'Orange Caraïbe, ce qu'elle ne conteste d'ailleurs pas. En application de la jurisprudence communautaire (voir paragraphes 411 à 417), il doit être présumé que France Télécom et Orange Caraïbe constituent une entité économique unique et, dès lors, une entreprise au sens du droit communautaire.
428. Contrairement à ce que soutient France Télécom, l'absence d'éléments au dossier démontrant son implication directe dans la mise en œuvre concrète des pratiques reprochées à Orange Caraïbe ne saurait suffire, seule ou en combinaison avec les autres arguments avancés par France Télécom en l'espèce, pour renverser cette présomption d'absence d'autonomie et d'unité économique. A cet égard il y a lieu de relever d'une part que la marge de manœuvre dont bénéficierait Orange Caraïbe ne dépasse pas ce qu'induit l'éloignement géographique entre elle-même et sa société-mère. Il en est ainsi notamment de l'argument selon lequel Orange Caraïbe disposerait sa propre licence d'opérateur mobile et de ses propres équipes commerciales. D'autre part, la politique d'achat d'Orange Caraïbe consistant à se fournir dans certains cas directement auprès des fournisseurs ne suffit pas à établir que, dans l'ensemble, d'un point de vue des liens organisationnels, elle est autonome de sa société-mère. France Télécom ne fait donc état d'aucun facteur, tiré de l'analyse de l'ensemble des liens organisationnels, juridiques et économiques existant au sein du groupe, susceptibles de démontrer de manière probante qu'Orange Caraïbe n'appartiendrait pas à une telle unité économique.
429. Au demeurant, ces arguments sont contredits par certains éléments du dossier, dont il résulte qu'à l'époque des faits, France Télécom et Orange Caraïbe se présentaient comme un groupe vis-à-vis de leurs clients et partenaires. Il en a été ainsi notamment dans le cadre de l' " Avantage Améris " (paragraphes 134 à 141) et des offres sur mesure de France Télécom pour les appels fixes vers les mobiles Orange Caraïbe (paragraphes 142 à 149).
430. En outre, il est à noter que la stratégie globale du groupe France Télécom reposait, à l'époque des faits, sur l'articulation entre les services de téléphonie mobile et ceux offerts par les communications électroniques fixes. Ainsi, dans le document de référence de France Télécom de 2004, déposé auprès de l'Autorité des marchés financiers, il est indiqué que " France Télécom adopte le modèle de l'opérateur intégré " reposant davantage sur une segmentation par type de clientèle visé avec trois divisions clients " Au travers de ses divisions clients ('Personal','Home','Entreprises), France Télécom, opérateur intégré, met progressivement en place une segmentation un fiée de la clientèle. Elle développe et propose à ses clients des services principalement basés sur ses métiers coeurs le Mobile et le Haut Débit, en exploitant les résultats des chantiers transverses destinés à offrir une plus grande simplicité d'usage et une complète fluidité entre les différents réseaux ".
431. Il résulte donc de l'ensemble de ce qui précède que France Télécom est responsable, aux côtés d'Orange Caraïbe, des pratiques commises par cette dernière.
F. SUR LES SANCTIONS
1. SUR LE PLAFOND DES SANCTIONS
432. L'article L. 464-2 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-420 du
15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques (ci-après la "loi NRE ") dispose que " le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ".
433. L'article 94 de la loi NRE précise que: " les dispositions de l'article 69 et celles de l'article 73 en ce qu'elles concernent l'application de l'article L. 464-2 du Code de commerce ne s'appliquent pas aux affaires pour lesquelles une sais me du Conseil de la concurrence a été effectuée avant la date d'entrée en vigueur de la présente loi ".
434. Le Conseil de la concurrence a considéré que, en vertu de la non-rétroactivité des lois à caractère punitif, les dispositions issues de la loi NRE relatives au plafond des sanctions, en ce qu'elles sont plus sévères que celles qui étaient en vigueur antérieurement, n'étaient pas applicables aux infractions commises antérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi, quand bien même la saisine relative aux faits appréhendés serait postérieure à celle-ci (décision n° 05-D-65, du 30 novembre 2005, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la téléphonie mobile, paragraphe 328, confirmée par l'arrêt de la Cour d'appel du il mars 2009).
435. Cependant, le Conseil de la concurrence a retenu que, s'agissant d'infractions continues, si les pratiques appréhendées avaient débuté avant l'entrée en vigueur de la loi NRE mais s'étaient poursuivies après cette date, les nouvelles dispositions de la loi NRE, et notamment celles modifiant l'article L. 464-2 du Code de commerce, étaient applicables (décision n° 07-D-33 du 15 octobre 2007, précitée, paragraphe 88). Ce raisonnement a été confirmé par la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 12 décembre 2006.
436. En l'espèce, les saisines de Bouygues Télécom Caraïbe et d'Outremer Telecom sont postérieures à l'entrée en vigueur de la loi NRE, dans la mesure où elles datent respectivement du 9 juillet 2004 et du 10juin 2005.
437. Ces saisines visent un ensemble de pratiques qui, pour la plupart ont commencé au mois de décembre 2000, et se sont ensuite poursuivies de manière continue au-delà de la date d'entrée en vigueur de la loi NRE, c'est-à-dire le 18 mai 2001.
438. Ainsi, puisque les premières pratiques datent de la fin de l'année 2000, les chiffres d'affaires pertinents pour déterminer le plafond légal de la sanction sont ceux des années 1999 à 2008 incluse.
439. Le chiffre d'affaires le plus élevé de la société Orange Caraïbe a atteint 1 176 171 793 euro au cours de l'exercice clos le 31 décembre 2000, ses comptes étant consolidés au sein de ceux du groupe France Télécom. Les comptes consolidés de France Télécom font apparaître pour 2008 un chiffre d'affaires de 53,488 milliards d'euro. Compte-tenu de ces éléments, le plafond de sanction normalement applicable, égal à 10 % du chiffre d'affaires consolidé le plus élevé de la période examinée est de 5,348 milliards d'euro.
440. Le chiffre d'affaires le plus élevé de la société France Télécom a atteint 22 820 000 000 euro au cours de l'exercice clos le 31 décembre 2008, ses comptes étant consolidés au sein de ceux du groupe France Télécom. Les comptes consolidés de France Télécom font apparaître pour 2008 un chiffre d'affaires de 53,488 milliards d'euro. Compte-tenu de ces éléments, le plafond de sanction normalement applicable, égal à 10 % du chiffre d'affaires consolidé le plus élevé de la période examinée est de 5,348 milliards d'euro.
2. SUR LES CRITERES DE DETERMINATION DES SANCTIONS
441. Le I de l'article 464-2 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi NRE en date du 15 mai 2001, dispose que " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".
442. Seront successivement abordées, parmi les critères de la sanction:
* la gravité des pratiques;
* l'importance du dommage à l'économie;
* la prise en compte éventuelle de la réitération
* la situation individuelle des entreprises.
a) Sur la gravité des pratiques
443. Orange Caraïbe fait valoir que la situation de monopole de fait jusqu'en 2001 ne lui est en aucun cas imputable dès lors que Bouygues Télécom Caraïbe aurait pu pénétrer le marché dès la fin de l'année 1998. Ainsi, le choix de cette dernière de ne pénétrer le marché qu'en 2001, sans s'en donner les moyens, relèverait de sa seule décision stratégique qui ne saurait en aucun cas être prise en compte au titre d'une quelconque responsabilité particulière d'Orange Caraïbe. Par ailleurs, selon Orange Caraïbe, "l'effet de masse" que l'instruction a attribué au cumul de nombreuses pratiques ne permet pas de conclure à un quelconque élément d'aggravation générale des pratiques, chaque prétendue pratique illicite étant déconnectée des autres et la réalité de l'évolution du secteur contredisant l'établissement par Orange Caraïbe de prétendues barrières à l'entrée sur le marché.
444. France Télécom conteste que l' " Avantage Améris " puisse être considéré comme une discrimination manifeste. En effet, cette option aurait été mise en place à une époque où seule France Caraïbes Mobiles était présente sur le marché. De plus, cette pratique permettait simplement au client de bénéficier d'une remise au volume, bénéfique au consommateur. En outre, France Télécom aurait été dans l'obligation d'attendre l'homologation de la nouvelle offre "Avantages Mobiles Plus" avant de pouvoir la commercialiser. Enfin, l' " Avantage Améris " n'aurait plus été commercialisé depuis le mois de mai 2002.
445. En l'espèce, la gravité des pratiques en cause doit être appréciée en tenant compte des deux éléments qui suivent.
La nature des pratiques mises en œuvre par France Télécom et Orange Caraïbe
446. Les pratiques mises en œuvre par France Télécom et Orange Caraïbe sont des abus d'exclusion dont l'objectif est d'éliminer du marché des concurrents réels ou potentiels. Comme le Conseil de la concurrence l'a plusieurs fois retenu, ces pratiques sont graves en elles-mêmes (décisions n° 04-D-13 du 9 avril 2004 et n° 05-D-32 du 22 juin 2005). Il faut également tenir compte de la position d'ancien opérateur historique de France Télécom et du fait que les pratiques ont été mises en œuvre sur des marchés caractérisés par l'existence de barrières à l'entrée significatives.
447. En particulier, la discrimination manifeste maintenue par l' " Avantage Améris " au profit d'Orange Caraïbe est particulièrement grave, car elle s'appuie sur la puissance, notamment historique, de France Télécom pour favoriser sa filiale sur un marché plus concurrentiel, censé ne pas être affecté par des asymétries issues de l'ancien monopole de l'opérateur historique.
448. De même, s'agissant de la pratique de ciseau tarifaire instituant le grief n° 8, le Conseil de la concurrence a déjà estimé qu'une telle pratique mise en œuvre par France Télécom:
" revêt une gravité particulière compte tenu de sa position d'opérateur historique qui lui confirme une position dominante sur les marchés de la téléphonie fixe, notamment sur le marché aval affecté en l'espèce, et lui donne la maîtrise de beaucoup des paramètres dont dépendent les conditions de l'entrée sur le marché de nouveaux concurrents, tels que, en l'espèce, les modalités du rééquilibrage entre le trafic entrant international et le trafic entrant national. L'opérateur historique dispose, de plus, d'avantages concurrentiels déterminants, notamment en termes d'intégration verticale et de présence sur l'ensemble des marchés, qui rend d'autant plus grave son recours à des pratiques ne relevant pas d'une concurrence par les mérites " (voir, décision n° 04-D-48, précitée, paragraphe 283). Dans son arrêt du 4 juillet 2006, la Cour d'appel de Paris a confirmé cette approche, en retenant que la sanction de 80 millions d'euro prononcée par le Conseil de la concurrence à l'encontre de France Télécom pour une pratique de ciseau tarifaire n'était pas disproportionnée eu égard à la gravité des faits. La Cour d'appel a relevé à cet égard que le Conseil avait retenu avec pertinence que la pratique anticoncurrentielle de France Télécom était très grave.
449. Ensuite, le nombre, le cumul et l'interaction des comportements anticoncurrentiels mis en œuvre en même temps constituent un facteur qui doit être pris en compte au titre de la gravité des faits.
La responsabilité particulière d'un ancien monopole de fait
450. Orange Caraïbe s'est trouvée pendant plus de quatre années en situation de monopole de fait sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane, même si d'autres opérateurs auraient pu pénétrer le marché durant cette période. Ce monopole de fait conférait à Orange Caraïbe la responsabilité toute particulière de ne pas entraver l'entrée sur le marché et le développement d'un opérateur concurrent. Or, en créant ou en laissant subsister des freins artificiels à la pénétration de nouveaux acteurs sur le marché, Orange Caraïbe et sa société-mère, France Télécom, ont manifestement méconnu la responsabilité particulière qui leur incombait.
b) Sur l'importance du dommage causé à l'économie
451. Orange Caraïbe invoque que les pratiques qui lui sont reprochées n'ont eu aucun impact sur le marché. A cet égard, elle allègue que ses concurrents n'ont cessé de se développer et de croître, selon leur rythme et l'efficacité de leur stratégie, au cours de la période considérée.
452. France Télécom prétend également que les prétendues pratiques anticoncurrentielles qui lui sont reprochées n'ont pas eu d'effet sur le marché. Ce constat s'imposerait avec évidence concernant l' " Avantage Améris ", notamment lorsqu'on observe Outremer Télécom, qui est entrée de façon spectaculaire sur le marché mobile dans la zone Antilles-Guyane trois ans après la cessation de la commercialisation de cette offre et en dépit de son maintien à quelques cas limités. Concernant la pratique alléguée de ciseau tarifaire, l'identification des concurrents affectés par les prétendues pratiques et l'analyse concrète des effets à leur égard feraient défaut.
453. A cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence approuvée par la Cour d'appel de Paris, le dommage à l'économie doit s'apprécier en tenant compte de la durée des pratiques, de la taille du marché affecté, et de la potentialité des effets anticoncurrentiels des pratiques sur le marché concerne.
Sur la durée des pratiques
454. Cette durée est variable selon les pratiques. Elle peut être décomposée ainsi:
* s'agissant des clauses d'exclusivité entre Orange Caraïbe et les distributeurs indépendants (grief n° 1.1): entre 2000 et 2005
* s'agissant de l'exclusivité entre Orange Caraïbe et Cetelec Caraïbes (grief n° 2): du 1er avril 2003 au mois de janvier 2005
* s'agissant du programme de fidélité "Changez de mobile" (première branche du grief n° 4): entre 2002 et 2005
* s'agissant de la différenciation tarifaire entre les appels off net et les appels on net (grief n° 5): entre 2003 et 2004;
* s'agissant de la discrimination de l' " Avantage Améris " maintenue par France Télécom au profit de certains clients (grief n° 7) : entre 2000 et 2006;
* s'agissant de la pratique de ciseau tarifaire de France Télécom (grief n° 8) : 2004.
455. Il est à noter que si les pratiques visées par les griefs n° 1.1, 2, 4 et 5, ont été, pour certaines, d'une durée relativement brève, c'est uniquement en raison de la mise en œuvre par Orange Caraïbe des mesures conservatoires imposées par le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 04-MC-02 du 9 décembre 2004 et confirmées par la Cour d'appel de Paris le 28 janvier 2005.
Sur la taille des marchés affectés
456. Afin d'apprécier l'importance du dommage à l'économie causé par les pratiques, il convient également de prendre en compte la taille du marché affecté. Si l'on ne peut prétendre à un chiffrage exact et précis de ce marché, un tel exercice permet d'apprécier l'importance du marché affecté (décision n° 07-D-33 du 15 octobre 2007, relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le secteur de l'accès à internet à haut débit, paragraphe 97). La Cour d'appel de Paris a validé l'analyse du Conseil sur ce point en jugeant, " qu'il n'est pas nécessaire que le dommage à l'économie
soit chiffré avec précision dès lors que les éléments permettant d'en mesurer l'importance sont suffisants " (voir, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 8 avril 2009).
457. Ainsi, selon les données fournies par l'ARCEP lors de l'instruction, les chiffres d'affaires annuels globaux du marché de détail des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane se répartissaient de la manière suivante:
Année CA
2001 157,4
2002 206,3
2003 232,7
2004 261,8
En millions d'euro
458. Compte-tenu de la croissance du parc d'abonnés, il est possible d'estimer le chiffre d'affaires global du marché de détail pour 2005 à environ 300 millions d'euro.
459. Sur le marché de détail, les chiffres communiqués par 1'ARCEP soulignent qu'Orange Caraïbe captait plus de 80 % de la valeur totale:
<emplacement tableau>
460. Sur les marchés de gros, comme le tableau réalisé ci-dessous le démontre, à l'époque des faits, les chiffres d'affaires des prestations de terminaisons d'appel des deux principaux opérateurs étaient aussi largement asymétriques:
<emplacement tableau>
461. Sur le marché de détail, les parts de marché des principaux opérateurs ont évolué de la manière suivante:
<emplacement tableau>
462. Si, du point de vue du parc de clients actifs, la baisse des parts de marché d'Orange Caraïbe est sensiblement marquée, l'examen des parts de marché en valeur (revenu récurrent) conduit à relativiser cette baisse. En effet, comme le souligne 1'ARCEP dans son avis n° 2008-098, précité, la baisse des parts de marché en valeur d'Orange Caraïbe a été nettement moins marquée que celle de ses parts de marché en nombre de clients actifs:
<emplacement tableau>
Sur la potentialité des effets anticoncurrentiels des pratiques sur les marchés concernés
463. Les pratiques mises en œuvre par Orange Caraïbe n'ont pas eu pour effet d'éliminer du marché Bouygues Télécom Caraïbe (voir paragraphes 64, 65, 66), mais de rendre plus difficiles sa pénétration et son développement sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane. Plus généralement, elles ont retardé dans la zone concernée le développement de la concurrence.
464. Par la mise en œuvre de ses pratiques, dont l'Autorité a montré au stade de l'examen des griefs les multiples effets anticoncurrentiels et à la description desquels il convient de renvoyer pour illustrer l'importance du dommage causé à l'économie, Orange Caraïbe a pu éviter une concurrence vive pendant quelques années. D'ailleurs, il y a lieu de relever que l'érosion des parts de marché d'Orange Caraïbe a commencé quelques mois après le prononcé des mesures conservatoires par le Conseil de la concurrence et s'est ensuite poursuivie de manière significative.
465. Cependant, les premières victimes de l'absence de mise en concurrence sur le marché des services de téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane ont été les consommateurs caribéens.
466. Dans son avis rendu au Conseil de la concurrence concernant la saisine d'Outremer Telecom, l'ARCEP soulignait, en janvier 2008, qu'il convient de distinguer " la situation concurrentielle de marché antérieure à la saisine du Conseil de la concurrence par la société Outremer Telecom [juin 2005] de la situation concurrentielle postérieure, dans la mesure où cette dernière coïncide avec les interventions marquées du Conseil de la concurrence et du régulateur sectoriel, interventions qui ont eu pour effet de modifier la dynamique concurrentielle sur le marché. En effet, pour une part notable, les évolutions du marché postérieures à la date de la sais me du Conseil de la concurrence par Outremer Télécom [juin 2005], et plus précisément postérieures aux faits décrits par cette dernière dans sa saisine, peuvent être attribuées d'une part au prononcé des mesures conservatoires par le Conseil de la concurrence dans sa décision 04-MC-02 du 9 décembre 2004, et d'autre part aux interventions du régulateur sectoriel en vue de réduire les coûts de changement d'opérateur mobile sur la zone. Le fait, pour le Conseil, de prononcer des injonctions tendant à ouvrir les réseaux de distribution commerciaux et de réparation de terminaux à des opérateurs entrants, de mettre fin à la sur-tarification au détail des appels vers les réseaux de ces opérateurs, ainsi qu'aux pratiques fidélisantes constitue une intervention de nature à créer les conditions d'un jeu concurrentiel accru par l'entrée effective de nouveaux opérateurs sur le marché. L'Autorité observe sur ce point que ces mesures ont été suivies d'un regain d'investissement sur la zone, par l'entrée commerciale d'Outremer en Antilles et le rachat de Bouygues Télécom Caraïbe par Digicel AFG ".
467. En ce qui concerne les pratiques imputées spécifiquement à France Télécom (griefs n° 7 et
8), l'Autorité tiendra compte de ce qu'elles ont concerné un nombre limité de clients (maintien de l'Avantage Améris") ou d'offres sur mesure (ciseau tarifaire).
c) Sur la réitération des pratiques
468. Dans sa décision n° 07-D-33 du 15 octobre 2007, relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le secteur de l'accès à Internet à haut débit, le Conseil de la concurrence a indiqué que la réitération des pratiques est depuis longtemps considérée comme une circonstance aggravante justifiant une élévation de la sanction notamment au regard de l'objectif de dissuasion que poursuit sa politique de sanctions (paragraphe 112 de la décision).
469. Ainsi qu'indiqué au paragraphe 432 de la présente décision, l'article L. 464-2 du Code de commerce dans sa rédaction issue de la loi NRE, qui en a fait un critère explicite de détermination du montant des sanctions, est applicable dans la présente affaire pour des pratiques initiées en 2000 mais qui se sont poursuivies au-delà. Le régime sui generis de la réitération au sens du droit français de la concurrence exige, pour en apprécier l'existence, que quatre conditions soient réunies. Il faut:
- en premier lieu, qu'une précédente infraction au droit de la concurrence ait été constatée avant la commission des nouvelles pratiques;
- en deuxième lieu, que ces dernières soient identiques ou similaires, par leur objet ou leur effet, à celles ayant fait l'objet du précédent constat d'infraction;
- en troisième lieu, que ce dernier soit devenu définitif à la date à laquelle l'autorité de concurrence statue sur les nouvelles pratiques;
- en quatrième lieu, que le délai écoulé entre le précédent constat d'infraction et la commission des nouvelles pratiques soit pris en compte pour appeler une réponse proportionnée à la propension de l'entreprise à s'affranchir des règles de concurrence (voir décision n° 08-D-39 du 16 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du négoce de produits sidérurgiques, paragraphe 419).
470. En l'espèce, se pose au préalable la question de savoir si les pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par France Télécom précédemment constatées dans d'autres décisions, peuvent lui être opposées au titre de la réitération pour des pratiques mises en œuvre par sa filiale Orange Caraïbe.
471. Dans la décision n° 08-D-32 du 16 décembre 2008, précitée, le Conseil de la concurrence a rappelé que les règles en matière de réitération doivent suivre celles appliquées en matière d'imputabilité.
472. C'est d'ailleurs ce que retiennent les juridictions communautaires. En effet, dans un arrêt récent du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission (T-161-05, non encore publié au Recueil), le Tribunal de première instance des Communautés européennes a jugé que la récidive jouait au sein de l'unité économique constituée entre la maison-mère et ses filiales: " Hoechst ayant été sanctionnée dans les décisions matières colorantes et PVC Il pour violation de l'article 81 CE, il s'agit bien de la même entreprise qui, dans la décision attaquée, a été condamnée pour le même type d'infraction pour avoir participé à l'entente sur le marché de l'AMCA, en dépit du fait que les infractions en cause concernent des filiales (voir, en ce sens, arrêt Michelin/Commission, précité, point 290) ou des marchés différents (voir en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, BASF/Commission, T-101-05 et T-111/05, Rec. p. 11-4949, point 64). En effet, en dépit du constat d'une infraction au droit communautaire de la concurrence, l'entreprise, au sens de l'article 81 CE, a continué à violer ladite disposition " (point 147 de l'arrêt).
473. Comme il a été démontré aux paragraphes 407 à 431 de la présente décision, France Télécom et Orange Caraïbe forment une seule et même entité économique.
474. Il en résulte que les pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par France Télécom précédemment constatées dans d'autres décisions, peuvent être opposées au titre de la réitération à l'entreprise que forme, au sens des articles 81 et 82 du traité CE, devenus 101 et 102 du traité TFUE, France Télécom avec sa filiale Orange Caraïbe.
475. L'instruction s'est fondée, dans la présente affaire, sur six décisions ou arrêts constatant un abus de position dominante de la part de France Télécom pour proposer que soit retenue la réitération
* la décision n° 94-D-21 en date du 22 mars 1994 par laquelle le Conseil de la concurrence a constaté que France Télécom avait, avec l'une de ses filiales, mis en œuvre une politique d'exclusion, en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce sur le marché de la publicité insérée dans les annuaires téléphoniques;
* la décision n° 97-D-53 en date du 1er juillet 1997 dans laquelle le Conseil de la concurrence a qualifié d'abus de position dominante l'octroi par une des filiales de France Télécom d'avantages exclusifs permettant à cette dernière de conforter sa position de leader sur le marché des transmissions de données. Dans cette affaire, le Conseil avait considéré que, en laissant subsister de manière discriminatoire une remise pour les appels fixes à destination du seul réseau mobile d'Orange Caraïbe, France Télécom avait réservé à sa filiale un avantage singulier de nature à évincer ses concurrents;
* l'arrêt en date du 29 juin 1999 dans lequel la Cour d'appel de Paris a jugé que France Télécom avait abusé de sa position dominante sur le marché de la liste des abonnés au téléphone en mettant en œuvre, sur le marché "aval" des fichiers de prospection, une discrimination de prix, en imputant des charges d'accès à la structure qu'elle gère moindres que celles qu'elle facture à ses concurrents;
* la décision n° 01-D-46 en date du 13 juillet 2001, relative à des pratiques mises en œuvre par France Télécom à l'occasion d'une offre sur mesure conclue en 1999, dans laquelle le Conseil de la concurrence a qualifié et sanctionné une pratique de ciseau tarifaire mise en œuvre par France Télécom, similaire à celle en cause dans la présente affaire, dans le cadre d'une offre sur mesure proposée à la société Renault;
* la décision n° 05-D-59 en date du 7 novembre 2005, relative à des pratiques mises en œuvre par France Télécom dans le secteur de l'Internet haut débit, dans laquelle le Conseil de la concurrence a sanctionné France Télécom pour un refus d'accès à une partie de son réseau qualifiée d'infrastructure essentielle
* la décision n° 07-D-33 en date du 15 octobre 2007, relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le secteur de l'accès à Internet à haut débit, dans laquelle le Conseil de la concurrence avait identifié trois abus de position dominante mis en œuvre par France Télécom. Ainsi, le Conseil avait tout d'abord retenu que: " depuis le début de l'année 2001 jusqu'à la fin du premier semestre 2002, France Télécom a abusé de sa position dominante sur la boucle locale téléphonique pour favoriser la commercialisation des services d'accès à Internet par l'ADSL de sa filiale Wanadoo en mettant à la disposition des FAI alternatifs (et de leurs distributeurs) des informations relatives à l'éligibilité des lignes à 1'ADSL moins actualisées et moins précises que celles dont disposaient les agents commerciaux de France Télécom pour la commercialisation des packs Wanadoo ainsi qu'en ne mettant pas en place un système de commande d'une ligne ADSL aussi direct et rapide que celui dont disposaient les agents commerciaux de France Télécom pour la commercialisation des packs Wanadoo ". Le Conseil avait ensuite considéré que " France Télécom a abusé de sa position dominante sur le marché de la boucle locale, lui conférant une place singulière d'interlocuteur réfèrent, en ayant invité ses agents commerciaux à dénigrer les FAI concurrents de sa filiale Wanadoo par la mise en place d'un contre-argumentaire véhiculé sur une application (Americ) de l'Intranet de l'entreprise ". Enfin, il avait exposé que " France Télécom a abusé de sa position dominante sur le marché de la boucle locale, en utilisant des données qu'elle seule détenait en sa qualité de propriétaire et d'exploitant de la boucle locale, dans le but de faciliter la commercialisation de services d'accès à Internet de sa filiale Wanadoo ".
Sur l'existence d'un constat d'infraction antérieure
476. Les constats d'infractions résultant des décisions n° 94-D-21, 97-D-53 et 01-D-56 et de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 29 juin 1999 sont antérieurs à la commission de l'ensemble des pratiques en cause. Ces décisions doivent donc être prises en compte au titre de la réitération.
477. S'agissant de la décision n° 05-D-59, celle-ci ne peut être prise en compte que pour les pratiques postérieures au 7 novembre 2005, c'est-à-dire en l'espèce la discrimination maintenue par l"'Avantage Améris" et visée par le grief n° 7, qui s'est poursuivie jusqu'au mois de janvier 2006.
478. En revanche, dans la mesure où aucune pratique ne peut être reprochée dans le présent dossier à France Télécom ou Orange Caraïbe au-delà du 15 octobre 2007, il convient d'écarter la décision n° 07-D-33 qui ne peut être prise en compte au titre de la réitération.
Sur le caractère définitif à la date de la présente décision, du constat d'infraction
479. Les décisions ou arrêts précités sont devenus définitifs:
* la décision n° 94-D-21 a été confirmée, s'agissant de la qualification des pratiques, par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 18 janvier 1995
* la décision n° 97-D-53 a été confirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 19 mai 1998;
* l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 29 juin 1999 est devenu définitif;
* la décision n° 01-D-46 n'a pas fait l'objet de recours dans les délais légaux;
* la décision n° 05-D-59 a été confirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 4 juillet 2006 qui a fait l'objet d'un pourvoi rejeté par la Cour de cassation le 23 octobre 2007;
* la décision n° 07-D-33 du 15 octobre 2007 n'a pas fait l'objet de recours.
480. Ce point n'est pas contesté par les parties.
Sur l'identité ou la similitude des pratiques
481. La réitération a pour objet d'appréhender les cas dans lesquels une entreprise précédemment sanctionnée pour un type particulier de comportement met de nouveau en œuvre des pratiques identiques ou similaires. Pour être prises en compte, les pratiques peuvent être identiques ou similaires par leur même objet anticoncurrentiel, critère qui renvoie pour l'essentiel à la base légale utilisée pour les qualifier, mais elles peuvent aussi être identiques ou similaires par leur même effet anticoncurrentiel, critère qui s'attache davantage à la finalité du comportement poursuivi. Ainsi, des pratiques d'entente ou des comportements unilatéraux peuvent rechercher le même effet d'éviction à l'égard de concurrents sur un marché, sans pour autant relever du même régime de prohibition.
482. En l'espèce, il y a lieu de relever que les décisions n° 94-D-21 du 22 mars 1994, n° 97-D-53 du 1er juillet 1997, l'arrêt du 29juin 1999, les décisions n° 01-D-46 du 13 juillet 2001 et 05-D-59 du 7 novembre 2005 appréhendaient des comportements abusifs mis en œuvre par France Télécom et dont l'objet ou l'effet était d'empêcher ou de freiner l'entrée sur le marché de nouveaux concurrents. Même si les marchés affectés sont, pour certains, différents, les abus déjà constatés ont eu le même effet de rendre artificiellement plus difficile l'exercice d'une pression concurrentielle de nouveaux opérateurs, confortant ainsi la position du groupe France Télécom sur les différents marchés qu'il domine. Dès lors, la réitération pourra être retenue au cas d'espèce au regard de ces quatre décisions et de cet arrêt.
483. Compte-tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment du délai séparant les constats d'infractions antérieures et la commission des nouvelles pratiques, il y a lieu de majorer, au titre de la réitération, la sanction de 50 %, comme l'avaient fait le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 07-D-33 précitée et l'Autorité dans sa décision n° 09-D-24, elle aussi déjà citée.
d) Sur la situation individuelle des entreprises
484. France Télécom a réalisé en 2008 un chiffre d'affaires consolidé d'un montant de 53 milliards d'euro pour un résultat opérationnel de près de 10,2 milliards d'euro et un résultat net de l'ensemble consolidé d'environ 4 milliards d'euro.
485. Durant la période de mise en œuvre des pratiques, Orange Caraïbe a connu une croissance particulièrement profitable, notamment grâce à l'absence d'une concurrence vive sur les marchés concernés. Les chiffres reproduits ci-dessous révèlent la réalisation par l'entreprise d'un bénéfice net annuel par client de l'ordre de 140 à 150 euro pendant les années 2003 et 2004.
<emplacement tableau>
486. Les chiffres reportés en bas du tableau démontrent une profitabilité tout à fait exceptionnelle, même pour une entreprise de téléphonie mobile.
3. SUR LE MONTANT DES SANCTIONS
a) Pour Orange Caraïbe et France Télécom conjointement et solidairement
487. France Télécom et Orange Caraïbe doivent répondre des pratiques anticoncurrentielles visées par les griefs n° 1.1., 2, 4 et 5. En fonction des éléments individuels et généraux tels qu'ils ont été appréciés ci-dessus, il y aurait lieu de les sanctionner conjointement et solidairement à hauteur de 35 millions d'euro, montant qui doit être majoré de 50 % pour tenir compte de la réitération et donc porté à 52,5 millions d'euro.
b) Pour France Télécom
488. France Télécom a commis les pratiques anticoncurrentielles visées par les griefs n° 7 et 8. En fonction des éléments individuels et généraux tels qu'ils ont été appréciés ci-dessus, il y aurait lieu de sanctionner France Télécom à hauteur de 7 millions d'euro d'amende, montant qui doit être majoré de 50 % pour tenir compte de la réitération et donc porté à 10,5 millions d'euro d'amende.
4. SUR L'OBLIGATION DE PUBLICATION
489. Afin d'attirer la vigilance des consommateurs, entreprises et collectivités locales qui recourent aux services de téléphonie dans la zone Antilles-Guyane, il y a lieu, compte-tenu des faits constatés par la présente décision et des infractions relevées, d'ordonner la publication d'un résumé de la décision dans les éditions des quotidiens France-Antilles Martinique, France-Antilles Guadeloupe et France Guyane.
490. Résumé de la décision:
" Saisie par Bouygues Télécom Caraïbe puis par Outremer Télécom, l'Autorité de la concurrence vient de rendre une décision dans laquelle elle sanctionne Orange Caraïbe et France Telecom à hauteur de 63 millions d'euro pour avoir mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles sur le marché de la téléphonie mobile ou de la téléphonie fixe (vers les mobiles) dans la zone Antilles-Guyane.
Historique de la procédure : des mesures conservatoires prononcées en 2004
Dans l'attente de sa décision au fond, le Conseil de la concurrence a prononcé dès 2004 des mesures d'urgence (décision 04-MC-02), en imposant à Orange Caraïbe de mettre fin à certains comportements dénoncés par la plainte. Cette décision a été confirmée par la Cour d'appel de Paris (arrêt du 28 janvier 2005): l'opérateur a modifié sa politique commerciale en conséquence.
Après avoir instruit l'affaire au fond, l'Autorité de la concurrence sanctionne aujourd'hui Orange Caraïbe et France Télécom sur le fondement des règles nationales et communautaires de la concurrence.
Les pratiques d'Orange Caraïbe ont freiné le développement de la concurrence dans la téléphonie mobile
Orange Caraïbe est l'opérateur historique de la zone Antilles-Guyane : il détenait à l'époque des faits plus de 75 % du marché des services de téléphonie mobile. Afin de conserver sa position, il a mis en œuvre une série de pratiques qui, toutes, ont eu pour objet ou pour effet d'handicaper l'entrée ou de rendre plus difficile le développement d'opérateurs concurrents:
* Accords d'exclusivité avec les distributeurs indépendants, limitant de manière sensible la capacité de commercialisation de tout nouvel opérateur, en augmentant ses coûts d'entrée, dans un secteur précisément caractérisé par de forts coûts fixes (de 2000 à 2005).
* Clauses d'exclusivité conclue avec l'unique réparateur agréé de terminaux dans les Caraïbes, empêchant tout nouvel opérateur de proposer à ses clients un service local de maintenance, au risque de dégrader l'image de marque de ce dernier (d'avril 2003 à janvier 2005).
* Mise en place du programme de fidélisation " Changez de mobile ", en vertu duquel les clients d'Orange Caraïbe ne pouvaient utiliser leurs points de fidélité que pour l'acquisition d'un nouveau terminal, et sous la condition d'un réengagement de 24 mois auprès d'Orange Caraïbe. Ce mécanisme de fidélisation aboutissait à dissuader le consommateur de faire jouer la concurrence au seul moment où cela lui était possible, c'est-à-dire au terme de sa période d'engagement (entre 2002 et 2005).
* Pratiques de différenciation tarifaire abusive entre les appels " on net " (vers son réseau) et les appels " off net " (vers un réseau concurrent), ayant eu pour effet de renforcer artificiellement l'effet de réseau au bénéfice d'Orange Caraïbe (" effet club ") et de contribuer à dégrader l'image et les revenus de l'opérateur concurrent, jugé plus cher (entre 2003 et 2004).
En maintenant la commercialisation de l'option " Avantage Améris ", et en se livrant à des pratiques de ciseau tarifaire, France Telecom a favorisé abusivement sa filiale Orange Caraïbe par rapport à ses concurrents
France Télécom a commercialisé de 2000 à mai 2002 une option tar faire gratuite offrant aux professionnels, aux entreprises, aux collectivités et aux professions libérales, des remises (au volume) sur les appels fixes à destination du seul réseau Orange Caraïbe. Si à partir de mai 2002, cette option n'a plus été commercialisée, des clients ont continué à en bénéficier jusqu'au début de l'année 2006.
Par ailleurs, France Telecom a proposé en 2004 à des collectivités ou entreprises des offres de télécommunications "fixe vers mobile " en dessous des coûts qu'un opérateur aussi efficace qu'elle doit nécessairement supporter pour proposer la même prestation (ciseau tar faire).
Une sanction justifiée par la gravité des pratiques et l'importance des dommages causés à l'économie dont ont souffert les consommateurs caribéens
Orange Caraïbe, qui a bénéficié entre 1996 et la fin de l'année 2000 d'une situation de monopole de fait dans la zone Antilles-Guyane, a été en mesure de conforter une position de marché particulièrement solide, position renforcée par son adossement au groupe France Télécom. Les pratiques mises en œuvre ont eu pour effet de retarder le développement de la concurrence dans cette zone, au préjudice des consommateurs caribéens.
En ce qui concerne les pratiques reprochées spécifiquement à France Télécom (Avantage Améris et ciseau tar faire), l'Autorité a tenu compte de ce qu'elles n'avaient concerné qu'un nombre limité de clients ou d'offres sur mesure.
Une condamnation solidaire de France Télécom et d'Orange Caraïbe
Faisant application de la jurisprudence communautaire, l'Autorité, pour les pratiques sur le marché de la téléphonie mobile, sanctionne conjointement et solidairement Orange Caraïbe et France Télécom qui forment une seule entreprise au sens du droit européen. La sanction est de 52,5 millions d'euro.
Les pratiques mises en œuvre spécifiquement par France Telecom sont sanctionnées à hauteur de 10,5 millions d'euro.
Ces montants intègrent une majoration de 50 % due à la réitération, en raison d'infractions au droit de la concurrence similaires déjà commises par France Télécom.
Le texte intégral de la décision de l'Autorité de la concurrence est disponible sur le site:
www.autoritedelaconcurrence.fr ".
Décision
Article 1er : Il est établi que les sociétés Orange Caraïbe et France Télécom, qui forment ensemble une seule et même entreprise, ont enfreint les dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce ainsi que celles des articles 81 et 82 du traité CE, devenus 101 et 102 du traité TFUE, au titre des pratiques citées au paragraphe 487.
Article 2 : Il est établi que la société France Télécom a enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE, devenu 102 du traité TFUE, au titre des pratiques citées au paragraphe 488.
Article 3 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
* aux sociétés Orange Caraïbe et France Télécom, conjointement et solidairement, une sanction de 52,5 millions d'euro;
* à la société France Télécom une sanction de 10,5 millions d'euro.
Article 4 : Les sociétés mentionnées aux articles 1 et 2 feront publier le texte figurant au paragraphe 490 de la présente décision, en respectant la mise en forme, dans les éditions des quotidiens France-Antilles Martinique, France-Antilles Guadeloupe et France Guyane. Ces publications interviendront dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractère gras de même taille: " Décision de l'Autorité de la concurrence n° 09-D-36 du 9 décembre 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par Orange Caraïbe et France Télécom sur différents marchés de services de communications électroniques dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane ". Elles pourront être suivies de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet de recours devant la Cour d'appel de Paris si de tels recours sont exercés. Les sociétés concernées adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de ces publications, dès leur parution et au plus tard le 9 février 2010.