CA Rouen, 2e ch., 16 avril 2009, n° 07-01513
ROUEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Acomat (SARL)
Défendeur :
Collard et Trolart Thermique (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bartholin
Conseillers :
M. Lottin, Mme Vinot
Avoués :
SCP Colin-Voinchet Radiguet-Thomas Enault, SCP Greff Peugniez
Avocats :
Mes Dubos, Dosquet
Exposé du litige
La société Collard Trolart Thermique (ci-après dénommée CTT), qui exerce une activité de fabrication de matériels de génie climatique, a conclu le 6 octobre 1999 un contrat d'agent commercial avec M. André Hommet.
Par accord du 10 juillet 2003, le bénéfice de ce contrat a été transféré de M. Hommet à la société Acomat, dont il était l'un des deux associés.
En 2005, M. Hommet a informé la société CTT de ce qu'il souhaitait céder la carte d'agent commercial maintenant exploitée par la société Acomat à M. Alain Etienne.
La société CTT ayant notifié son refus d'agrément de M. Etienne par courrier du 18 avril 2005, la société Acomat a par courrier du 28 avril 2005 notifié à sa mandante la rupture du contrat d'agent commercial avec effet au 30 avril 2005 en sollicitant en vain le versement d'indemnités de rupture et de préavis.
Par acte en date du 9 novembre 2005, la société Acomat a assigné la société CTT aux fins de la voir condamner à lui payer les sommes de :
- 1 524,47 euro TTC au titre de l'indemnité de préavis
- 8 042 euro HT au titre de l'indemnité compensatrice
- 2 171,34 euro HT au titre de l'indemnité de remploi
- 2 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC.
Par jugement rendu le 23 mars 2007, le Tribunal de commerce de Rouen :
- a reçu la société Acomat en ses demandes, fins et conclusions, les a dit non fondées et l'en a déboutée,
- a condamné la société Acomat à payer à la société Couard & Trolart Thermique la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC,
- a dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du jugement,
- a condamné la société Acomat aux entiers dépens.
Pour statuer comme il l'a fait, le tribunal a constaté que le contrat ne prévoyait pas le droit pour l'agent de présenter un successeur ni le droit à une indemnité en cas de refus d'agrément par la mandante, de telle sorte que ce refus ne pouvait ouvrir droit à une indemnité que s'il n'était pas justifié par un motif légitime et sérieux.
Il a jugé que les trois motifs de refus notifiés par la société CTT étaient valables et que la rupture notifiée par la société Acomat devait être considérée comme étant à l'initiative de cette dernière.
La société Acomat a interjeté appel de cette décision.
A l'audience, avant le déroulement des débats et à la demande des parties, par mention au dossier, l'ordonnance de clôture rendue le 27 février 2009 a été révoquée et la procédure a été de nouveau clôturée.
Prétentions et moyens des parties
Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions signifiées le 25 février 2009 par la société Acomat et le 5 mars 2009 par la société CTT.
Leurs moyens seront examinés dans les motifs de l'arrêt.
La société Acomat sollicite la condamnation de la société CTT à lui payer les sommes de 1 524,47 euro TTC à titre d'indemnité de préavis et de 8 042 euro HT à titre d'indemnité compensatrice, ce avec intérêts de droit à compter de l'assignation et avec le bénéfice de l'article 1154 du Code civil, ainsi qu'une somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du CPC.
La société CTT sollicite à titre principal la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et demande à la cour de débouter la société Acomat de toutes ses demandes.
A titre subsidiaire, elle conclut à la limitation de l'indemnité compensatrice à deux mois de commissions et au rejet de toute autre demande pécuniaire de la société Acomat.
A titre plus subsidiaire, la société CTT fait valoir qu'il y a lieu de tenir compte de la clientèle préexistante valorisée à la somme de 8 042 euro et demande que cette somme soit déduite du montant des commissions dues.
En tout état de cause, elle sollicite la condamnation de la société Acomat à lui payer la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Sur la responsabilité de la rupture
Pour faire valoir que la société Acomat est responsable de la rupture, la société CTT rappelle que c'est son agent qui a pris l'initiative de céder le contrat au motif que M. Hommet désirait prendre sa retraite, alors que la volonté de se retirer de ce dernier, qui n'en est même pas le gérant, ne constitue pas un motif justifiant de ce que la poursuite de la société Acomat ne puisse plus être exigée.
Elle ajoute que la dissolution de la société Acomat à compter d'août 2006 est sans incidence à cet égard.
Soulignant qu'aucune clause du contrat ne prévoit un droit de présentation de l'agent commercial, la société CTT en déduit que la société Acomat est seule responsable de la rupture.
Toutefois il résulte de la combinaison des articles L. 134-13.3° et L. 134-16 du Code de commerce que la carte d'agent commercial a une valeur patrimoniale et peut toujours être cédée même lorsque le contrat ne le prévoit pas expressément.
Le contrat d'agent commercial étant conclu en considération de la personne, l'agent a l'obligation de solliciter l'agrément de son mandant mais ce dernier, qui ne peut faire échec de façon arbitraire au droit patrimonial de son agent, ne peut refuser cet agrément sans motif sérieux tenant à l'insuffisance professionnelle ou morale du candidat cessionnaire.
En l'espèce, la société CTT a signifié dans sa lettre du 18 avril 2005 trois motifs de son refus :
- M. Etienne, successeur proposé, ne disposait pas d'un fichier des ingénieurs conseils et bureaux d'études, lesquels sont la cible prioritaire de CTT ;
- il ne pouvait couvrir efficacement le secteur alors qu'il continuait à travailler en Ile-de-France ;
- il s'intéressait aux grossistes qui ne sont pas des partenaires importants.
La cour constate que ces griefs sont insuffisants pour justifier le refus alors que le faible éloignement géographique n'est pas un obstacle puisque le secteur de la Normandie attribué par le contrat n'est guère éloigné de l'Ile-de-France, d'autant que M. Etienne, domicilié à Versailles, a déjà repris quatre autres cartes de la société Acomat sur le même secteur de la Normandie et que le travail de l'agent commercial est de rechercher des clients acheteurs autant que des professionnels préconisant le choix des matériels du mandant.
Le fait que la société CTT ait déjà refusé en 2001 la candidature d'agent commercial de M. Etienne pour un autre secteur ne démontre pas, dès lors que ce refus n'était pas fondé sur des éléments précis, l'insuffisance professionnelle de ce dernier.
Enfin il n'est pas nécessaire qu'il existe une complémentarité entre les différentes cartes de l'agent commercial.
La décision de la société CTT de refuser sans motif pertinent l'agrément de M. Etienne et ainsi de priver la société Acomat de la possibilité de bénéficier du caractère patrimonial de son mandat est une circonstance imputable à la mandante qui a justifié la rupture du contrat par la société Acomat.
La société CTT est en conséquence redevable envers la société Acomat de la réparation prévue à l'article L. 134-13 du Code de commerce.
Sur le montant de l'indemnité compensatrice
Pour contester à titre subsidiaire le montant de l'indemnité compensatrice sollicitée, la société CTT invoque les dispositions prévues par l'article 9 du contrat intitulé "Clause d'existence prééminente de clientèle" selon lequel "il va de soi que la clientèle sera seulement développée et/ou remise à niveau par Monsieur Hommet et que cette activité précédente s'apprécierait en cas de rupture de contrat" dont il ressort que la volonté des parties était de tenir compte, pour le calcul de l'indemnité de rupture du chiffre d'affaire réalisé par la société CTT avant l'arrivée de M. Hommet.
Toutefois cette clause est contraire aux dispositions prévues par l'article L. 134-12 du Code de commerce, lesquelles sont d'ordre public en application de l'article L. 134-16 du même code et prévoient que l'indemnité compensatrice est fixée en fonction du préjudice subi par l'agent commercial du fait de la rupture.
En effet ce préjudice correspond à la perte de la clientèle consécutive à la rupture, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre la clientèle apportée par l'agent commercial et la clientèle préexistante.
La société Acomat sollicite que l'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce soit fixée en application de l'usage constant à deux années de commissions soit à la somme de 8 042 euro sur la base de 335,08 euro par mois.
Il y a lieu de tenir compte du seul préjudice de la société Acomat, qui n'est venue au contrat qu'en juillet 2003, et de prendre pour base les commissions perçues par la société Acomat depuis cette date.
Les commissions perçues se sont élevées en 2003 sur 6 mois à 2 104,12euro (350 euro par mois), en2004 à 5 855,79 euro sur 12 mois (488 euro par mois) et en 2005 sur 4 mois à 5 648,80 euro (1 412,20 euro par mois).
En considération des usages, de la durée des relations contractuelles, des ressources tirées de l'activité et de la progression des résultats, le préjudice subi par la société Acomat sera justement compensé par l'indemnité de 8 042 euro sollicitée, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil.
Sur l'indemnité de préavis
La société Acomat sollicite la condamnation de la société CTT à lui payer une indemnité de préavis pour la période allant du 5 octobre 2004, date d'expédition de la lettre de résiliation, jusqu'au 31 janvier 2005, date d'expiration du préavis.
Toutefois l'indemnité de préavis est destinée à réparer la perte, pendant la durée du préavis, du droit de l'agent commercial de percevoir sa part de marché des produits du mandant qu'il a conquise ou maintenue.
En l'espèce, la société Acomat ne justifie pas d'une lettre de résiliation qui aurait été expédiée le 5 octobre 2004 et dont l'auteur n'est pas précisé alors qu'il résulte des pièces versées aux débats que la rupture a été notifiée par cette même société à sa mandante par lettre du 28 avril 2005 avec fixation de la fin des relations contractuelles au 30 avril 2005.
La société CTT, qui n'a pas mis fin au contrat ni ne s'est opposée à l'exécution d'une période de préavis, n'est en conséquence redevable d'aucune indemnité de ce chef.
La société CTT supportera les entiers dépens et paiera à la société Acomat une somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR : - Réformant le jugement entrepris, dit que la société Couard & Trolart Thermique, en refusant sans motif pertinent d'agréer le successeur présenté par la société Acomat, a provoqué la rupture du contrat d'agent commercial à ses torts ; Condamne la société Collard & Trolart Thermique à payer à la société Acomat une somme de 8 042 euro au titre de l'indemnité compensatrice de rupture avec intérêts au taux légal à compter du 9 novembre 2005 et capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil ; Déboute la société Acomat de sa demande faite au titre de l'indemnité de préavis ; Déboute les parties de leurs demandes faites sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Couard & Trolart Thermique à payer les dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, et à payer à la société Acomat une somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.