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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 5 mai 2009, n° 08-01540

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Mellor

Défendeur :

Brunet Dentelles (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Olivier

Conseillers :

M. Deleneuville, Mme Neve de Mevergnies

Avoués :

SCP Congos-Vandendaele, SCP Deleforge Franchi

Avocats :

Mes Roucayrol, Vercken, Saber

T. com. Calais, du 18 déc. 2007

18 décembre 2007

La société Brunet Dentelles est une société française spécialisée dans la fabrication de dentelles pour la lingerie féminine.

M. Christopher Mellor exerce la profession d'agent commercial dans le domaine du textile en Grande-Bretagne.

M. Christopher Mellor s'est rendu à Calais le 27 février 2003 pour discuter de l'opportunité de devenir agent commercial de la société Brunet Dentelles pour l'ensemble de la Grande-Bretagne. Le 17 avril 2003, la société Brunet Dentelles lui a adressé un projet de contrat que M. Christopher Mellor a refusé de signer et le projet initial modifié par lui n'a pas été accepté par la société Brunet Dentelles. Malgré cette absence d'accord, M. Christopher Mellor a commencé son activité et la société Brunet Dentelles lui a adressé des commissions sur les commandes effectuées. Le 14 mars 2005, il était prévenu par M. Alain Brun, salarié de la société Brunet Dentelles que celle-ci souhaitait mettre fin à leur collaboration et engager un commercial salarié. Le 16 mars 2006, la société Brunet Dentelles réitérait par un écrit adressé par fax à M. Christopher Mellor les termes de cet entretien et lui indiquait qu'il percevrait ses commissions sur toutes les commandes existantes et les commandes à venir, gérées et confirmées avant la fin de la collaboration, sans que cette date ne soit indiquée avec précision. Le 12 avril 2005, M. Christopher Mellor remettait à M. Alain Brun la totalité des échantillons de la collection Brunet Dentelles.

Sur assignation de M. Christopher Mellor en paiement de solde de commissions et en dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales en date du 25 octobre 2006, le Tribunal de commerce de Calais, par jugement en date du 18 décembre 2007, a :

- débouté M. Christopher Mellor de ses demandes

- débouté la société Brunet Dentelles de sa demande reconventionnelle

- condamné M. Christopher Mellor au paiement d'une somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Vu l'appel interjeté le 29 février 2008 par M. Christopher Mellor

Dans ses dernières conclusions en date du 19 septembre 2008, M. Christopher Mellor demande à la cour d'infirmer le jugement, de dire que la prescription a été interrompue et qu'elle n'est pas acquise, de condamner la société Brunet Dentelles à lui payer les sommes suivantes :

- 7 554,13 euro au titre du solde des commissions avec intérêts légaux à compter de la délivrance de l'assignation

- 3 914,88 euro au titre du non-respect des règles édictées par l'article L. 134-11 du Code de commerce (préavis)

- 76 677,32 euro en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales par application de l'article L. 134-12 du Code de commerce

- 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et de la condamner aux dépens.

Il expose que la société Brunet Dentelles ne lui a jamais adressé le moindre relevé des commandes passées par lui, qu'il appartient dans ces conditions à cette dernière de démontrer quels sont les montants des commandes passées par ses clients et le montant des commissions dues, que le statut d'agent commercial ne peut lui être refusé, qu'il appartenait à la société Brunet Dentelles de respecter un préavis d'un mois au minimum, ce qu'elle ne démontre pas, que le mail qu'il a adressé le 27 mars 2006 constituait une notification au sens de l'article L. 134-12 du Code de commerce, que son action n'est pas prescrite, qu'il est fondé à réclamer au titre du préjudice subi du fait de la rupture des relations commerciales une indemnité égale à deux années de commissions conformément à l'usage établi en jurisprudence.

Dans ses conclusions en date du 18 août 2008, la société Brunet Dentelles demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter M. Christopher Mellor de l'ensemble de ses prétentions et de le condamner à lui payer la somme de 5 000 euro en réparation du préjudice subi du fait de son abus du droit d'agir en justice outre celle de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile enfin de le condamner aux dépens.

Elle expose en substance, sur les commissions, que M. Christopher Mellor ne démontre pas que de telles commissions évaluées par lui à 7 554,13 euro ne lui ont pas été réglées, sur les indemnités de rupture, qu'elle n'était pas liée à M. Christopher Mellor par un contrat d'agence commerciale, subsidiairement, qu'elle a bien respecté le préavis légal, que la demande d'indemnité compensatrice est prescrite, que M. Christopher Mellor ne justifie pas de la réalité de son préjudice.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 novembre 2008.

Motivation :

- Sur le statut d'agent commercial :

Nonobstant l'affirmation péremptoire de la société Brunet Dentelles qui ne repose que sur le fait - avéré - de l'absence de signature du contrat qu'elle avait elle-même proposé, il résulte amplement des éléments versés aux débats que les parties étaient bien liées par un contrat d'agence commerciale aux termes duquel, M. Christopher Mellor a promu les produits de la société Brunet Dentelles en Grande-Bretagne et recueilli des commandes qui ont donné lieu au paiement de commissions jusqu'à la rupture notifiée verbalement le 14 mars 2005, confirmée par écrit le 16 mars suivant, par mail.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

- Sur les commissions

Aux termes de l'article 1315 du Code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le payement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

En l'espèce, M. Christopher Mellor qui réclame la somme de 7 554,13 euro au titre de commissions impayées sur les commandes passées par lui au titre de deux clients - Shadowline et Eveden - entre les mois de mars et avril 2005, verse un tableau de commissions dues à la suite de commandes effectuées par ses clients directement auprès de la société Brunet Dentelles à compter du 17 mars 2005 et qui restaient à livrer au moment de la rupture des relations entre les parties (pièce n° 12) ainsi que les commissions perçues par lui pour ces clients pour la même période, pièces qui laissent apparaître le solde ainsi réclamé.

Il convient de constater que la société Brunet Dentelles s'abstient de produire un tableau équivalent à celui qu'elle verse pour le client Shadowline pour des commandes s'échelonnant du 19 mai 2005 au 2 septembre 2005 pour la période visée par la réclamation (pièce n° 5) et se contente de soutenir que M. Christopher Mellor ne rapporterait pas la preuve suffisante de sa demande. Ce faisant, elle renverse la charge de la preuve qui lui incombe de ce qu'elle s'est bien acquittée de l'intégralité des commissions générées par les commandes listées par M. Christopher Mellor qu'au demeurant, elle ne conteste pas, étant au surplus rappelé que la société Brunet Dentelles a manqué à son obligation d'exécution de bonne foi en ne communiquant pas à son co-contractant les relevés correspondant au montant des commandes passées par lui.

Au vu de ce qui précède et des éléments apportés par M. Christopher Mellor, il convient de faire droit à la demande de rappel de commissions. Le jugement sera réformé en ce sens.

- Sur le préavis :

Aux termes de l'article L. 134-11 du Code de commerce, lorsque le contrat d'agence est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis... la durée du préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes.

Ces dispositions ne sont assorties d'aucun formalisme particulier.

En l'espèce, les relations commerciales ont débuté en juin 2003 et la rupture est intervenue verbalement le 14 mars 2005 confirmée par mail du 16 mars 2005, aucune date n'ayant toutefois été précisée pour la fin des relations.

La société Brunet Dentelles, ainsi que le relèvent les premiers juges, fait valoir d'une part, que M. Christopher Mellor n'a restitué que le 12 avril 2005 les échantillons de ses produits et d'autre part, qu'il a continué à travailler après cette date et qu'il a notamment passé des commandes de réassort avec la société Shadowline jusqu'au 2 septembre 2005 pour lesquelles il a perçu des commissions. C'est dès lors à juste titre qu'ils ont estimé qu'un délai de préavis suffisant et valable avait été respecté et le jugement sera confirmé sur ce point.

- Sur l'indemnité compensatrice :

Aux termes de l'article L. 134-12 du Code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans le délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits.

Ces dispositions ne sont assorties d'aucun formalisme particulier, étant par ailleurs précisé que la prescription annale commence à courir à compter de l'extinction effective des relations contractuelles et non à la date de la notification de la rupture par le mandant.

En l'espèce, il ressort de ce qui précède que si la notification de la rupture est en date du 16 mars 2005, les relations contractuelles ont perduré jusqu'au 2 septembre 2005, de l'aveu même de la société Brunet Dentelles ; par ailleurs, M. Christopher Mellor a, dans un mail daté du 27 mars 2006, averti son co-contractant qu'il avait pris contact avec un avocat et était en droit de réclamer une indemnité et une compensation en plus des commissions restant dues, mail auquel il était répondu sous la même forme le 7 avril 2006 en l'invitant à donner le montant de ses réclamations.

C'est dès lors à tort que les premiers juges l'ont déclaré déchu de son droit à réparation ; le jugement sera réformé sur ce point.

Quant au montant de l'indemnité, M. Christopher Mellor fait valoir qu'il a perçu en moyenne 38 338,66 euro par an au titre de ses commissions, et qu'il a enregistré à la suite de la rupture brutale des relations contractuelles une nette diminution de ses revenus, ces derniers étant passés de 103 957 euro pour l'exercice allant du 1er octobre 2004 au 30 septembre 2005 à 18 715 euro pour l'exercice suivant. A cet égard, M. Christopher Mellor qui ne disconvient avoir également subi la perte d'un autre de ses mandants précise qu'il n'entend réclamer à la société Brunet Dentelles que la seule perte de revenus liée à la rupture de son contrat passé avec elle.

Au vu des éléments produits et des explications fournies, il sera fait droit à l'indemnisation demandée à raison de deux années de commissions conformément à l'usage habituellement pratiqué en la matière, qui n'est pas utilement critiqué par la société Brunet Dentelles dans la mesure où cette dernière ne prouve pas que le préjudice subi serait moindre, soit une somme de 76 000 euro.

- Sur les demandes accessoires :

La société Brunet Dentelles qui succombe sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais exposés par M. Christopher Mellor au cours de l'entière procédure.

Elle sera déboutée de sa propre demande sur le même fondement ainsi que de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive qui ne peut prospérer, M. Christopher Mellor ayant été accueilli en son recours.

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, par mise à disposition au greffe, Infirme partiellement le jugement entrepris, Statuant à nouveau Condamne la société Brunet Dentelles à payer à M. Christopher Mellor les sommes suivantes : - 7 554,13 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation au titre du solde des commissions - 76 000 euro au titre de l'indemnité compensatrice de l'article L. 134-12 du Code de commerce, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt - 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute M. Christopher Mellor de ses plus amples demandes, Déboute la société Brunet Dentelles de sa demande reconventionnelle, La condamne aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés pour ceux d'appel conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.