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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 10 juin 2009, n° 08-04406

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Secma (SAS)

Défendeur :

Ora Communication (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Fèvre

Conseillers :

MM. Roche, Birolleau

Avoués :

SCP Gerigny-Freneaux, SCP Fanet-Serra

Avocats :

Mes Debacker, Pireddu

T. com. Paris, du 21 sept. 2005

21 septembre 2005

LA COUR,

Vu le jugement du 21 septembre 2005 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a notamment :

- débouté la société Secma de ses exceptions d'irrecevabilité, prononcé la résiliation du contrat de distribution du 28 février 2000 aux torts réciproques des parties,

- condamné la société Secma à payer à la société Ora Communication et à la société Ora RC3 la somme de 79 726,15 euro,

- rejeté le surplus des demandes des parties,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision ;

Vu l'appel interjeté par la société Secma et ses conclusions enregistrées le 24 avril 2009 et tendant à :

- réformer le jugement,

- prononcer la nullité du rapport d'expertise déposé le 5 mai 2003,

- dire n'y avoir lieu à retenir les conclusions de l'expert,

- prononcer la résiliation du contrat du 28 février 2000 et de son avenant du 4 juillet 2000 aux torts et griefs de la société Ora Communication,

en conséquence,

- condamner la société Ora Communication à lui payer les sommes de :

- 77 927,05 euro au titre de l'exécution provisoire avec intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2005,

- 12 528,42 euro à titre d'indemnité correspondant au préjudice subi du fait de la mise en œuvre de l'exécution provisoire,

- 1 191 877 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial subi,

- 150 000 euro à titre de dommages-intérêts représentant le coût de l'investissement nécessaire à la reconstitution du réseau de distribution,

- 20 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu, enregistrées le 27 avril 2009, les conclusions présentées par la société Ora Communication, laquelle vient aux droits de la société Ora RC3, et tendant à :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la résiliation du contrat de distribution du 28 février 2000 et de son avenant du 4 juillet 2000 devait être prononcée aux torts réciproques des parties,

- dire que le contrat du 28 février 2000 et son avenant du 4 juillet 2000 est résilié aux torts exclusifs de la société Secma,

- condamner cette dernière à lui payer la somme de 847 704,24 euro en deniers ou quittances, outre les intérêts courus et à courir, outre 45 000 euro au titre des frais hors dépens,

- débouter la société Secma de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, le 28 février 2000, les sociétés Ora Communication, Nogaro Technologies et Secma ont conclu un contrat de distribution exclusive ; que cette dernière, spécialisée dans la conception, la production et la vente de véhicules commercialisés sous la marque Fun'Tech, est intervenue en qualité de constructeur tandis que la société Ora Communication était partie à la convention en qualité de distributeur exclusif chargé de la maintenance et du service après-vente et la société Nogaro Technologies en qualité de technicien associé au développement et à l'optimisation des produits ; que la convention ainsi conclue avait pour objet de permettre la distribution de tricycles et quadricycles lourds et légers sous les marques Fun'Tech et Fun Elec et prévoyait en sous article 11 que "chacune des parties aura la possibilité d'exercer ses droits et obligations au titre de la présente convention par l'intermédiaire d'une société affiliée et contrôlée majoritairement à condition de se porter garante de la bonne exécution desdites obligations. Ora et Nogaro Technologies envisagent de créer une société de distribution et de maintenance principalement réservée aux produits Fior et Fun'Tech dénommée RC3 (Revolution Concept City Car), dans le but de positionner plus fortement ces produits de niche n'appartenant pas aux références classiques des véhicules automobiles et scooters. Pendant la durée du contrat, Ora et ses dirigeants, Secma et ses dirigeants, s'interdisent d'entrer dans le capital d'un réseau de concessionnaires concurrent..." ; qu'en application de ces dispositions les sociétés Nogaro Technologies et Ora Communication ont crée la société RC3 qui s'est substituée à cette dernière dans la commercialisation de produit avant d'être à son tour absorbée par celle-ci aux termes d'une transmission universelle de patrimoine du fait d'une dissolution du 19 février 2005 ; que suite à la signature de cette convention les techniciens de la société Nogaro Technologies ont procédé à une évaluation des véhicules, objets de l'engagement des parties ; qu'un compte-rendu de cet examen, constatant divers désordres affectant lesdits véhicules, a été adressé à la société Secma, laquelle y a répondu par un courrier du 17 avril 2000 ; que le 4 juillet 2000 un avenant au contrat initial était signé afin de permettre l'extension à l'Espagne de l'accord sus-analysé de distribution exclusive ; que, toutefois et eu égard à divers incidents et pannes survenus sur les véhicules considérés, la société Ora Communication a sollicité, par voie de référé la désignation d'un expert afin de rechercher l'origine des désordres allégués et, par arrêt du 1er février 2002, la cour d'appel de céans a ordonné l'expertise réclamée et commis à cet effet M. Azoulay, lequel a déposé son rapport le 5 mai 2003 ; que, dans le même temps, la société Secma informait, par lettre du 15 février 2001, les sociétés Ora Communication et Nogaro Technologies de ce qu'elle entendait faire application de la clause résolutoire avec effet au 15 mai suivant eu égard aux manquements qu'elle observait dans l'application du contrat de distribution; que, par acte du 28 décembre 2001 les sociétés Ora Communication et Ora RC3 assignaient la société Secma devant le Tribunal de commerce de Paris afin de voir dire que la résiliation prononcée était dépourvue de motifs et contraire à la convention des parties ; que, par des conclusions après expertise, les demanderesses, modifiant leur argumentation, ont sollicité l'indemnisation du préjudice né de la résiliation imputable à la seule faute de la société Secma ; que c'est dans ces conditions de fait et de droit qu'est intervenu le jugement susvisé présentement déféré ;

Sur la demande formée liminairement par la société Secma et tendant au prononcé de la nullité du rapport d'expertise de M. Azoulay

Considérant qu'en première instance l'appelante s'était bornée à critiquer le travail de l'expert sans pour autant invoquer la nullité des opérations expertales ; qu'elle est ainsi irrecevable en sa prétention présentée de ce chef en cause d'appel ; qu'en tout état de cause le juge saisi peut toujours retenir à titre de renseignement des constatations indépendantes des investigations ou analyses affectées par la nullité ; que, de même, il est toujours loisible à la juridiction du fond de s'approprier l'avis de l'expert même si celui-ci a exprimé une opinion excédant les limites de sa mission ; qu'en l'occurrence l'expert commis a analysé de façon précise et détaillée les prétentions des parties et les pièces qui lui furent communiquées ; qu'il s'est rendu sur les lieux et a examiné les véhicules litigieux ; qu'il a recueilli l'ensemble des témoignages utiles à ses investigations ; qu'il a soumis aux parties le résultat de celles-ci ; que, dès lors, aucune violation des dispositions des articles 233 et 242 du Code de procédure civile et, plus généralement, du principe du contradictoire ne saurait de toute façon être retenue à son encontre ;

Sur la résiliation du contrat de distribution

Considération qu'alors que la société Secma se devait de livrer des véhicules exempts de désordres les rendant impropres à leur usage il ressort de l'instruction et, notamment, des énonciations du rapport d'expertise que les désordres les affectant tenaient à la fois à des défauts de conception et d'exécution ainsi qu'à une "insuffisance qualitative" quant à la valeur intrinsèque des composants ; que, plus précisément et s'agissant des défauts de conception, l'expert a relevé que ceux-ci concernaient :

- "les freins de service (affecte la sécurité des passagers et la fiabilité du véhicule)

- l'absence du "bruiteur" sur les freins de stationnement (affecte la sécurité des passagers)

- la batterie non conforme (affecte la fiabilité du véhicule)

- la pompe à essence - inadéquate (affecte la fiabilité du véhicule)

- la fixation aberrante du pot d'échappement sur le moteur (affecte la fiabilité du véhicule)

- l'écrou de roue Nylstop (affecte la sécurité des passagers (en rapport avec le frein à main))

- les rétroviseurs G et D inadaptés au véhicule (affecte la sécurité des passagers)

- le moteur bruyant - monocylindrique non équilibré (affecte la fiabilité du véhicule)

- la lampe endommagée (par vibration moteur) (affecte la fiabilité du véhicule)"

- variateur de vitesse non adapté (affecte la fiabilité du véhicule)

- passage de frein à main à corriger

- rotule de direction (affecte la fiabilité du véhicule)..."

qu'eu égard à la nature et à la multiplicité des désordres constatés dans les véhicules distribués ainsi qu'à leur dangerosité potentielle pour leurs utilisateurs la société Secma a, en fabriquant un semblable matériel, directement manqué à l'obligation essentielle de délivrance qui était la sienne ; qu'en revanche elle ne saurait utilement reprocher à ses cocontractants un quelconque défaut de collaboration ou de "partenariat" ; qu'en effet elle a elle-même refusé de suivre les avis et conseils techniques qui lui étaient donnés par la société Nogaro Technologies et n'a, notamment, pas retenu les propositions d'amélioration sécuritaires qui lui étaient faites ; que l'intéressée n'a au demeurant jamais rédigé de cahier de charge à l'usage de ses distributeurs et sous-traitants, empêchant de la sorte toute possibilité de contrôle, de suivi et d'amélioration des produits commercialisés; qu'enfin l'appelante ne saurait davantage imputer à la société Ora Communication le non-respect de quotas annuels dès lors que la mise en service de produits non fiables a nécessairement contribué à l'impossibilité d'atteindre les objectifs de vente initialement arrêtés ; que, dès lors, il échet de prononcer la résiliation du contrat de distribution et de son avenant du 4 juillet 2000 aux torts exclusifs de l'appelante ;

Sur le préjudice subi par la société Ora Communication y compris en sa qualité de société absorbante de la société Ora RC3

Considérant, tout d'abord, que si l'appelante soutient que la société Ora Communication ne peut, en cette dernière qualité, formuler quelque demande que ce soit à son encontre dans la mesure où la société Ora RC3 n'aurait aucun lien contractuel avec elle, il sera relevé que l'article 11 précité du contrat de distribution stipulait expressément, ainsi qu'il a été ci-dessus rappelé, que chacune des parties signataires avait la possibilité d'exercer ses droits et obligations au titre de la "présente convention" par l'intermédiaire d'une société affiliée et contrôlée majoritairement ; que c'est en stricte application de ces dispositions qu'a été créée la société Ora RC3, laquelle a, au demeurant, signé l'avenant n° 1 au contrat considéré ; que, par suite, l'irrecevabilité alléguée ne pourra qu'être écartée ;

Considérant, par ailleurs, que la résiliation intervenue du fait de la faute de l'appelante a causé à l'intimée un préjudice dont cette dernière est fondée à solliciter réparation et qui comprend, en premier lieu, l'indemnisation des conséquences dommageables directes des vices affectant les véhicules distribués ; que ce chef de préjudice inclut les contrôles et tests des véhicules reçus, lesquels ont révélé les défaillances techniques constatées, la mise en conformité des désordres essentiels, les recours en garantie exercés, les frais de gestion de ceux-ci ainsi que les coûts d'assistance et de maintenance; que le montant total des frais exposés à ces différents titres s'élève, conformément aux évaluations expertables que la cour fait siennes et dans la limite des demandes de l'intimée, à la somme de 158 063,64 euro TTC ; qu'il convient d'y ajouter la somme de 27 977,40 euro TTC correspondant à la valeur du stock des pièces détachées de véhicules qui ne purent plus être commercialisées ; qu'enfin il échet de prendre en compte dans l'évaluation du préjudice effectif de la société Ora Communication la perte du profit commercial qu'elle était en droit d'attendre de la mise en œuvre de la convention la liant à la société Secma ; qu'au regard du compte d'exploitation prévisionnel de l'activité de distribution considérée, du volume de l'activité envisagée, de la marge brute commerciale générée par celle-ci et du territoire concédé, la cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour évaluer à 100 000 euro l'indemnisation devant être accordée à ce titre ; qu'en revanche les autres chefs de "préjudice" réclamés sont inhérents à la souscription de tout contrat de distribution, indépendamment de l'objet spécifique de l'engagement litigieux, et à la prise de risque commercial incombant à tout opérateur économique ; qu'ils ne sauraient, dès lors, ouvrir droit à une quelconque indemnisation; que le montant du préjudice indemnisable de la société intimée sera, par suite, évaluée à la somme totale de (158 063,64 euro + 27 977,40 euro + 100 000 euro = 286 041,04 euro) ;

Sur la demande en dommages-intérêts formée par la société Secma

Considérant qu'en l'absence de toute faute imputable à la société Ora Communication et à la faute sus-analysée de la société Secma qui a manqué à son obligation essentielle de délivrance, cette dernière ne peut qu'être déboutée de ses différentes demandes indemnitaires et ce sans qu'il soit besoin d'examiner la réalité des dommages distincts dont elle fait état ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de prononcer la résiliation du contrat en date du 28 février 2000 et de son avenant du 4 juillet 2000 aux torts exclusifs de la société Secma, de condamner cette dernière à payer à la société Ora Communication en deniers ou quittances valables, la somme de 286 041,04 euro, outre les intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt et de débouter les parties du surplus de leurs demandes réciproques ;

Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la société Secma à verser à la société Ora Communication la somme de 8 000 euro sur le fondement de l'article susvisé ;

Par ces motifs, Infirme le jugement. Et statuant à nouveau, Prononce la résiliation du contrat du 28 février 2000 et de son avenant du 4 juillet 2000 aux torts exclusifs de la société Secma. Condamne cette dernière à payer à la société Ora Communication, en deniers ou quittances valables, la somme de 286 041,04 euro outre les intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt. Déboute les parties du surplus de leurs demandes respectives, Condamne la société Secma aux dépens de première instance et d'appel avec, pour ces derniers, droit et recouvrement direct au profit de la SCP Fanet-Serra, avoués. La condamne à payer à la société Ora Communication la somme de 8 000 euro au titre des frais hors dépens.