CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 2 décembre 2009, n° 08-06680
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Auto 24 (SARL)
Défendeur :
Jaguar Land Rover France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Fèvre
Conseillers :
MM. Roche, Birolleau
Avoués :
SCP Lagourgue-Olivier, SCP Monin-d'Auriac de Brons
Avocats :
Me Benichou, Selas Vogel & Vogel
LA COUR,
Vu le jugement du 8 février 2008 par lequel le Tribunal de commerce de Bordeaux a débouté la société Auto 24 de l'ensemble de ses demandes dirigées contre la société FMC Automobiles et l'a condamnée à payer à cette dernière la somme de 2 500 euro au titre des frais hors dépens;
Vu l'appel interjeté par la société Auto 24 et ses conclusions enregistrées le 23 septembre 2009 et tendant à la condamnation de l'intimée à lui payer la somme de 1 274 416 euro à titre de dommages et intérêts, outre celle de 9 450 euro au titre des frais hors dépens ;
Vu, enregistrées le 12 octobre 2009, les conclusions présentées par la société Jaguar Land Rover France venant aux droits de la société FMC Automobiles et tendant à faire:
A titre principal,
- constater que la société Auto 24 a déjà été indemnisée du fait de la perte de la représentation de la marque Land Rover en qualité de distributeur agréé VN par le Tribunal de commerce de Versailles,
En conséquence,
- dire et juger que les demandes de cette dernière au titre du refus d'agrément sont irrecevables car se heurtant à l'autorité de chose jugée tirée du jugement du Tribunal de commerce de Versailles du 28 octobre 2006 devenu définitif,
A titre subsidiaire,
- confirmer dans toutes ses dispositions le jugement déféré,
- débouter la société Auto 24 de toutes ses demandes;
A titre très subsidiaire,
- dire et juger, en tout état de cause, que le préjudice invoqué n'est pas établi pas plus que ne l'est le lien de causalité entre les prétendues fautes alléguées et le préjudice invoqué,
Et en tout état de cause,
- condamner la société Auto 24 au paiement de la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
La société Jaguar Land Rover France (ci-après dénommée Land Rover France), exploitant la division Land Rover France, est importateur en France des véhicules automobiles neufs et produits de la marque Land Rover, la distribution de ces véhicules et produits de la marque Land Rover ayant été assurée par un réseau de concessionnaires bénéficiant d'un territoire exclusif jusqu'au 1er octobre 2003 puis, désormais, par le biais d'un réseau de distributeurs agréés;
La société Auto 24, sise à Boulazac (24750), était concessionnaire exclusif Land Rover à Périgueux, en vertu d'un contrat conclu en 1994, remplacé par la suite par un nouveau contrat conclu le 31 mars 2000, lequel lui conférait sur un territoire défini une exclusivité en ce qui concerne la vente de voitures particulières neuves de la marque Land Rover et l'agrément de la société Land Rover France pour assurer le service après-vente des véhicules de sa marque;
Ledit contrat de concession a été résilié en la forme ordinaire le 27 septembre 2002, soit avec le respect d'un préavis de deux ans conformément à son article 12.1 qui stipulait:
"Chacune des parties pourra, sous la seule et unique réserve de respecter un délai de préavis de 24 mois, mettre fin au présent contrat à tout moment, sans indemnité et sans avoir à justifier ou à motiver sa décision qui devra être notifiée à l'autre partie par lettre recommandée avec demande d'avis de réception"
Au jour de la date d'effet de résiliation de ce contrat la société Auto 24 a conclu un nouveau contrat spécifique de réparateur agréé "Land Rover" qui lui donne le droit de vendre des pièces de rechange Land Rover et l'agrément pour assurer le service après-vente de véhicules de cette marque;
En revanche la candidature qu'elle avait également présentée pour devenir distributeur agréé ne fut pas retenue par la société Land Rover France. Par un jugement, devenu définitif en date du 28 octobre 2006, le Tribunal de commerce de Versailles, saisi le 11 janvier 2005 par la société Auto 24, a jugé que la société Land Rover France avait fait preuve de discrimination dans l'examen de la candidature de la demanderesse et l'a condamnée à payer à celle-ci 100 000 euro à titre de dommages et intérêts correspondant à la perte "d'un gain qu'elle aurait pu réaliser dans l'avenir si elle avait obtenu ce contrat";
Par lettre recommandée du 2 janvier 2006, la société Auto 24 a, à nouveau, présenté à la société Land Rover France sa candidature en vue d'obtenir un agrément en qualité de distributeur de véhicules neufs pour la marque Land Rover sur le site de Périgueux; celle-ci a été refusée, par lettre du 19 janvier suivant, au motif que le "numerus clausus" établi par l'intimée ne prévoyait pas de représentation de véhicules neufs dans cette ville. La société Auto 24 a alors répondu en maintenant sa candidature au cas où la société Land Rover France reviendrait sur sa décision de ne pas avoir de distributeur à Périgueux.
Parallèlement la société Pericaud Automobiles, distributeur agréé "Land Rover" à Limoges, a ouvert en octobre 2006, un établissement secondaire à Trélissac, en périphérie de Périgueux;
Par acte du 26 août 2007, la société Auto 24 a, au vu de ces circonstances, assigné la société Land Rover France devant le Tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de l'indemniser du préjudice généré par le refus de cette dernière de l'agréer comme distributeur sur le secteur de Périgueux;
Considérant que c'est dans ces conditions de fait et de droit qu'est intervenu le jugement susvisé présentement déféré;
Sur la recevabilité de la demande en dommages et intérêts formée par la société Auto 24
Considérant que si la société Land Rover France oppose à la demande susvisée de l'appelante l'autorité de la chose jugée attachée à la décision susmentionnée du Tribunal de commerce de Versailles en date du 11 janvier 2006 l'indemnisant du préjudice subi du fait de la non-obtention du contrat de distributeur agréé qu'elle sollicitait et si elle excipe à cet effet des dispositions de l'article 1351 du Code civil en soulignant l'identité de la cause de la demande alors formulée avec celle faisant l'objet du présent contentieux, lequel oppose au surplus les mêmes parties en leur même qualité, il convient de souligner qu'il n'y a autorité de la chose jugée en ce cas que lorsque ne sont pas invoqués des faits nouveaux ayant modifié la situation des parties ; qu'en l'espèce le Tribunal de commerce de Versailles s'est prononcé dans son jugement du 28 octobre 2006 sur les conditions de l'examen par la société Land Rover France de la première candidature présentée le 10 février 2003 par la société Auto 24 ; que le jugement présentement déféré a statué sur une nouvelle décision prise ultérieurement par la société Land Rover France à la suite d'une seconde candidature déposée par la société Auto 24 le 2 janvier 2006 et qui a fait l'objet d'un examen nécessairement nouveau de la situation de l'intimée; que dès lors, l'autorité de la chose jugée invoquée par l'intimée ne saurait, au vu des circonstances nouvelles sus-énoncées, faire obstacle à la recevabilité de la demande indemnitaire présentée par la société Auto 24;
Au fond
Considérant que pour contester le refus d'agrément qui lui a été ainsi opposé, la société Auto 24 soutient que le "numerus clausus" sur lequel s'est fondée pour ce faire l'intimée ne constituerait pas un critère en lui-même, mais la simple conséquence de l'application de critères quantitatifs préalables que le concédant n'a jamais ni énoncé ni justifié;
Considérant, toutefois, qu'aux termes l'article 1 point g du règlement d'exemption n° 1400-2002 le système de distribution sélective est celui "dans lequel le fournisseur applique, pour sélectionner les distributeurs et les réparateurs, des critères qui limitent directement le nombre de ceux-ci"; que si les critères qualitatifs également requis pour sélectionner les distributeurs et les réparateurs doivent, toujours selon les énonciations du règlement d'exemption, être justifiés par la "nature des biens ou des services contractuels", aucune semblable exigence ne pèse sur l'établissement des critères quantitatifs dès lors qu'ils sont suffisamment "définis" et "établis uniformément pour tous les distributeurs ou réparateurs souhaitant adhérer au système de distribution" ; qu'il appartient au seul fournisseur, libre de déterminer sa stratégie de développement, de décider de l'opportunité de la dimension de son réseau et du maillage géographique souhaitable de celui-ci en exerçant sa liberté propre d'opérateur économique; qu'aucune disposition législative ou réglementaire, de droit national ou communautaire, n'impose, en effet, au concédant de justifier des raisons économiques ou autres à l'origine de l'établissement de la liste des implantations de ses distributeurs et qui l'ont amené à arrêter le seul critère objectif quantitatif opposable, identiquement et sans discrimination aucune, à l'ensemble des candidats à l'agrément en qualité de distributeurs de véhicules neufs Land Rover, et que constitue le "numerus clausus" susmentionné ne prévoyant notamment pas la possibilité d'implantation à Périgueux; que, de même, il convient de souligner que ledit "numerus clausus" a été défini préalablement à la candidature déposée le 2 janvier 2006 par l'appelante et n'a pas subi, depuis lors, de modification tant en nombre d'établissements principaux qu'en ce qui concerne l'absence de distributeur agréé sur le secteur de Périgueux;
Considérant, par ailleurs, qu'aux termes de l'article 5 § 2, point b du règlement n° 1400-2002 : " En ce qui concerne la vente de véhicules automobiles neufs, l'exemption ne s'applique à aucune des obligations suivantes contenues dans des accords verticaux : (...)b) toute obligation directe ou indirecte faite dans un système de distribution sélective à tout distributeur de voitures particulières ou de véhicules utilitaires légers, qui restreint sa capacité d'établir des points de vente ou de livraison supplémentaires là où dans le Marché commun la distribution sélective est d'application" ; que l'article 12 § 2 de ce même règlement ajoute que "l'article 5, paragraphe 2, point b), est applicable à compter du 1er octobre 2005", que le point 5.3.3 de la brochure explicative relative au règlement considéré et intitulé "droit d'établir des points de vente supplémentaires (interdiction de la clause de localisation)" précise le sens à donner aux dispositions précitées de la manière suivante : "après le 1er octobre 2005, le règlement 1400-2002 n'exemptera plus les obligations empêchant les concessionnaires de voitures particulières et de véhicules utilitaires légers faisant partie d'un système de distribution sélective d'établir des points de vente ou de livraison supplémentaires dans d'autres régions du Marché commun où la distribution sélective est pratiquée. Cette disposition permet aux concessionnaires d'exploiter de nouvelles opportunités commerciales par une présence physique à proximité des clients potentiels plus éloignés de leur point de vente initial, y compris les clients d'autres Etats membres. Cette liberté va renforcer la concurrence intra-marque à travers l'Europe au profit des consommateurs. De surcroît, elle va permettre aux concessionnaires de développer leur entreprise et d'acquérir une plus grande indépendance vis-à-vis de leurs fournisseurs, mais aussi de devenir des distributeurs de véhicules automobiles neufs à taille européenne";
Considérant, en l'occurrence, que, par courrier du 13 juin 2006, la société Pericaud Automobiles, distributeur agréé à Limoges, informait la société Land Rover France de sa décision d'ouvrir un établissement secondaire à Treussac ainsi que l'article 5 § 2 point b précité lui en donnait la possibilité ; que la décision d'un distributeur de faire usage de sa liberté d'implanter un nouvel établissement "par essaimage" est, en effet, de son seul ressort et n'est soumise à aucun agrément de la part du fournisseur, sous réserve du respect des critères qualitatifs définis par celui-ci; que cette nouvelle implantation, conséquence d'une décision unilatérale d'un distributeur agréé, n'a donc eu ni pour objet ni pour effet de modifier le "numerus clausus" opposé à l'appelante, la société Pericaud Automobiles ne devenant au demeurant aucunement distributeur agréé à Périgueux mais se bornant à y implanter un point de vente de véhicules neufs dépendant de son établissement principal de distributeur agréé sur le secteur de Limoges; qu'au regard de ces éléments la société Auto 24 ne saurait utilement imputer à faute à l'intimée l'exercice autonome par un des ses distributeurs de la faculté propre que lui offre le règlement communautaire susmentionné ni soutenir que "la clause d'essaimage a un lien causal implicite avec la décision de rejet" de sa candidature, affirmation dépourvue de fondement tant factuel que juridique;
Considérant, enfin, que si l'appelante fait aussi état de manœuvres de débauchage de son personnel de la part de la société Pericaud Automobiles, il sera observé qu'elle ne justifie, par les pièces produites et les explications fournies, ni de la réalité de tels actes de concurrence déloyale prétendument à l'origine de sa désorganisation interne ni, surtout, de l'imputabilité de ceux-ci à la société Land Rover France, tierce aux rapports entre les intéressées;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'en rejetant la seconde demande d'agrément formée par la société Auto 24 l'intimée n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité, le "numerus clausus" opposé à l'appelante étant un critère quantitatif objectif, licite et non discriminatoire ; qu'aucun autre manquement ne saurait davantage être retenu à l'encontre de la société Land Rover France; que, par suite, et sans qu'il soit besoin de rechercher la nature et l'effectivité du préjudice dont la société Auto 24 fait état, il y a lieu, par confirmation du jugement en toutes ses dispositions, de débouter cette dernière de l'intégralité de sa demande indemnitaire;
Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que l'équité commande, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la société Auto 24 à payer à la société Land Rover France la somme de 5 000 euro au titre des frais hors dépens;
Par ces motifs, Dit recevable la demande indemnitaire présentée par la société Auto 24. Au fond, confirme le jugement en toutes ses dispositions. Déboute la société Auto 24 de l'intégralité de sa demande. La condamne aux dépens d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile. La condamne ainsi à payer à l'intimée la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.