CA Reims, ch. civ. sect. 1, 21 juillet 2009, n° 08-01890
REIMS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
JFL Médical (SARL)
Défendeur :
LDR Médical (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Maunand
Conseillers :
Mmes Souciet, Hussenet
Avoués :
SCP Delvincourt-Jacquemet-Caulier-Richard, SCP Genet-Braibant
Avocats :
Me Charrière, Selarl Praxes
La SAS LDR Médical est une entreprise spécialisée dans la fabrication et la vente de produits de chirurgie orthopédique et particulièrement du rachis. Elle commercialise ses produits par l'intermédiaire de ses salariés et de distributeurs indépendants avec lesquels elle signe des conventions.
Le 1er décembre 2003, elle a signé un contrat de distributeur avec la SARL JFL Médical portant sur des produits limitativement énumérés et auprès de clients et de prospects également limitativement énumérés. Le contrat contenait par ailleurs une clause de quota ou de chiffre d'affaires minimal. Leur non-réalisation pendant une période consécutive de six mois avait pour effet d'exclure le client du champ d'application du contrat.
La SAS LDR Médical devait livrer et facturer directement les clients en fonction des commandes transmises par la SARL JFL Médical, laquelle percevait en contrepartie la commission prévue au contrat. La SAS LDR Médical devait communiquer chaque mois le chiffre d'affaires réalisé le mois précédent.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 19 avril 2006, la SAS LDR Médical, se prévalant du non-respect par la SARL JFL Médical de l'article 2 du contrat relatif à la réalisation d'un chiffre d'affaires minimal de 10 000 euro sur une période de six mois consécutive, a notifié à son contractant une nouvelle liste de clients pour l'année 2006 en remplacement de celle figurant en annexe 2 du contrat.
La SARL JFL Médical a contesté cette décision, par lettre du 20 décembre 2006, et a reproché à la SAS LDR Médical de détourner sa clientèle.
Le 17 janvier 2007, la SAS LDR Médical a rappelé à la SARL JFL Médical que l'exclusion de certains clients de la liste se justifiait par l'application de l'article 2 du contrat.
Par acte du 7 mars 2007, la SARL JFL Médical a fait assigner la SAS LDR Médical devant le Tribunal de commerce de Troyes afin d'obtenir la communication sous astreinte des relevés comptables et du chiffre d'affaires réalisé depuis le 1er janvier 2006 avec un certain nombre de clients énumérés dans l'assignation.
Cette demande devait cependant être abandonnée et la SARL JFL Médical a poursuivi la condamnation de son contractant à lui payer la somme provisionnelle de 135 000 euro en réparation du préjudice subi par la rupture partielle du contrat dont elle a demandé la qualification en contrat d'agence commerciale et la somme de 255 200 euro à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice économique.
La SAS LDR Médical s'est opposée à l'intégralité des demandes de la SARL JFL Médical.
Par jugement du 16 juin 2008, le Tribunal de commerce de Troyes a déclaré les demandes de la SARL JFL Médical recevables, mais mal fondées, débouté cette dernière de ses prétentions, dit qu'il n'y avait pas de rupture partielle du contrat de distributeur du 1er décembre 2003 et condamné la SARL JFL Médical au paiement de la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
La SARL JFL Médical a relevé appel de ce jugement le 9 juillet 2008.
Par dernières conclusions notifiées le 18 novembre 2008, la SARL JFL Médical poursuit l'infirmation du jugement déféré et demande à la cour de :
- dire que le contrat la liant à la SAS LDR Médical est un contrat d'agence commerciale ou, à titre subsidiaire, un mandat d'intérêt commun ;
- dire que la SAS LDR Médical a, par la mise en œuvre unilatérale et sans préavis de la clause couperet prévue à l'article 2 du contrat de distributeur du 1er décembre 2003, modifié de manière abusive ledit contrat et l'a partiellement évincée du réseau de distribution ;
- dire que la SAS LDR Médical a, par la mise en œuvre unilatérale et sans préavis, retiré abusivement des produits normalement distribués par elle ;
- dire que le retrait abusif des clients et des produits constitue une rupture partielle et abusive au sens de l'article L. 442-6, 1, 5 du Code de commerce imputable à la SAS LDR Médical et à son préjudice ;
- condamner par conséquent la SAS LDR Médical à lui payer les sommes de :
* 255 200 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la modification abusive du contrat ;
* 100 000 euro à titre d'indemnité compensatrice en réparation du préjudice résultant de la rupture partielle caractérisée par un retrait abusif des produits ;
* 53 000 euro à titre d'indemnité compensatrice en réparation du préjudice découlant de la mauvaise foi et de la déloyauté contractuelle imputable à la SAS LDR Médical ;
- condamner cette dernière au paiement de la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par dernières conclusions notifiées le 20 janvier 2009, la SAS LDR Médical poursuit la confirmation du jugement déféré et le débouté des prétentions de la SARL JFL Médical et demande à la cour de lui donner acte de ce qu'elle se réserve le droit d'agir en concurrence déloyale contre la SARL JFL Médical au titre de son comportement parasitaire et de condamner cette dernière au paiement de la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Sur ce, LA COUR,
Attendu que la SARL JFL Médical poursuit, tout d'abord, l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il n'a pas qualifié le contrat liant les parties en contrat d'agent commercial alors qu'elle disposerait bien du pouvoir de négocier les prix et qu'elle a réussi à obtenir des remises favorables à la SAS LDR Médical ;
Mais attendu que l'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles donnent à leurs conventions, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée ;
Qu'en vertu de l'article L. 134-1 du Code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, est chargé de façon permanente de négocier, et éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestations de services au nom et pour le compte de son mandant (producteur, industriel, commerçant ou autre agent commercial) ;
Qu'il ne ressort pas des pièces soumises à l'appréciation de la cour que la SARL JFL Médical disposerait d'un pouvoir de négociation des contrats et pourrait notamment modifier les tarifs fixés par la SAS LDR Médical, ni les délais de paiement ou les conditions de vente ; que l'intimée fait justement observer que les produits qu'elle commercialise sont soumis à un barème fixé par la sécurité sociale et que le prétendu pouvoir de négociation invoqué par l'appelante est inexistant ;
Que force est de constater que la société appelante ne procède que par affirmations sans cependant rapporter la preuve du pouvoir de négociation qu'elle revendique à l'appui de sa demande de requalification du contrat de distribution du 1er décembre 2003 ; que la SARL JFL Médical se borne, en effet, à écrire dans ses conclusions : " Le fait que l'agent commercial soit tenu à un cadre, notamment quant au prix, imposé par le fabricant ou à une procédure spécifique s'agissant notamment des dossiers d'appels d'offres, n'enlève en rien au fort pouvoir de négociation qu'il détient pour déterminer les autres conditions de la vente : délais, quantité de produits, gamme de produits, promotion des évolutions techniques etc... " ; que, par ailleurs, contrairement à ce que la SARL JFL Médical soutient dans ses conclusions, le pouvoir de négociation n'est pas inhérent à la promotion qu'elle fait des produits de la gamme de la SAS LDR Médical ; que la société appelante ne verse aux débats aucun élément étayant ses allégations sur son prétendu pouvoir de négociation ;
Qu'en l'absence de ce critère déterminant permettant de retenir l'application du statut d'agent commercial, les développements de la SARL JFL Médical sur la permanence et la stabilité du lien contractuel et sur son indépendance sont inopérants ;
Attendu que la demande de la SARL JFL Médical tendant à voir qualifier le contrat de distributeur signé le 1er décembre 2003 en mandat d'intérêt commun est sans intérêt pour la solution du litige dès lors que, si un tel mandat ne peut être révoqué que du consentement mutuel des parties, ou pour une cause légitime reconnue en justice ou suivant les conditions et clauses spécifiées au contrat, force est de constater en l'espèce que la SAS LDR Médical n'a pas révoqué le contrat ;
Attendu, en effet, que la SARL JFL Médical poursuit l'indemnisation de son préjudice qui résulterait de son éviction partielle du réseau de distribution au motif que la SAS LDR Médical aurait cumulativement commis un abus de droit par le retrait brutal et sans préavis d'une grande partie de ses clients et des produits dont le démarchage lui était confié et des actes constitutifs d'une déloyauté manifeste consistant par la suite en un démarchage illicite des clients ;
Attendu, sur le premier point, que le contrat signé le 1er novembre 2003 contenait un article 2 intitulé " secteur & clientèle " et libellé ainsi : " la clientèle et les objectifs de chiffre d'affaires sont définis aux annexes II et IV du présent contrat et pourront faire l'objet d'avenants successifs. Il est expressément convenu que chaque client défini dans l'annexe II réalisant un chiffre d'affaires HT, sur les produits concernés et sur une période consécutive de 6 mois, inférieur à 10 000 euro, sera exclu automatiquement du champ d'application du présent contrat sans que le fabricant ait à le signifier par écrit au distributeur. La non-atteinte des objectifs définis en annexe IV entrainera la renégociation des conditions du présent contrat pour lé ou les clients concernés " ;
Que la SARL JFL Médical ne conteste pas la licéité de cette clause, mais fait valoir qu'elle a été mise en œuvre de manière brutale et sans préavis par la SAS LDR Médical ; qu'elle se prévaut à cette fin d'un premier courrier électronique du 18 décembre 2006 par lequel cette dernière a réactualisé l'annexe II du contrat de distribution en retirant quatre clients pour lesquels les conditions relatives à la réalisation d'un chiffre d'affaires minimal n'étaient pas respectées ; que la SARL JFL Médical excipe également d'un second courrier électronique du 17 janvier 2007 prévoyant pour l'année 2007 l'exclusion de huit clients, dont les quatre visés dans le courrier du 18 décembre 2006 ;
Que c'est cependant en vain que la SARL JFL Médical se prévaut de la prétendue brutalité avec laquelle son contractant aurait retiré ces clients de la liste de ceux qui lui étaient confiés et de l'absence de préavis ; qu'il ressort en effet de la lettre que la SAS LDR Médical a adressée à la SARL JFL Médical le 19 avril 2006 que les parties s'étaient entretenues le 29 mars 2006 de l'activité de la société appelante au cours de l'année 2005 ; que pendant cet entretien, l'intimée avait informé la SARL JFL Médical que cinq clients (le centre hospitalier universitaire de Toulouse, la clinique de l'Espérance à Albi, la clinique de l'Union à Toulouse, la clinique de Chenieux à Limoges et la clinique Saint-Jean à Toulon) ne faisaient plus partie de la liste d'attribution pour l'année 2006 dans la mesure où ils n'avaient généré aucun chiffre d'affaires pour l'année 2005 ; que l'hôpital Dupuytren de Limoges était également exclu de la liste car le chiffre d'affaires réalisé en 2005 n'était que de 978 euro ; qu'enfin, en ce qui concerne la clinique Sainte-Marguerite, la clinique Saint-Martin et l'hôpital de Tarbes, pour lesquels le chiffre d'affaires semestriel était inférieur au minimal contractuel, il avait été convenu " de faire l'analyse de leur activité à la fin du 1er semestre 2006 " ; que le retrait de la prospection de clients, dont fait état l'appelante à la fin l'année 2006 et au début de l'année 2007, ne présente donc aucun caractère de brutalité et ne constitue pas une modification substantielle du contrat de distribution, mais la simple application de ce dernier ; que, de surcroit, la SARL JFL Médical est mal fondée à se prévaloir d'une " perte brutale d'activité " consécutive au retrait litigieux dès lors qu'elle ne générait aucune activité avec les clients retirés de la liste ;
Que c'est tout aussi vainement que la SARL JFL Médical conteste le seuil de 10 000 euro sur six mois comme critère de retrait du client au motif qu'il serait inadapté à la nature des produits et des activités des clients ; qu'en effet, cette clause, qui a été acceptée par la SARL JFL Médical, fait la loi entre les parties conformément à l'article 1134 du Code civil alors, de surcroît, que le gérant de la société appelante est un spécialiste des produits destinés à la chirurgie du rachis pour avoir été précédemment salarié, puis associé de plusieurs sociétés spécialisées en la matière ; que la SARL JFL Médical ne pouvait donc pas se méprendre sur la portée de ses engagements au regard de l'expérience de son gérant et du coût des produits commercialisés ;
Attendu que la SARL JFL Médical reproche par ailleurs à la SAS LDR Médical un " retrait brutal et abusif et sans préavis des produits dont la gamme fait partie du champ contractuel " ; qu'elle fait valoir à cette fin que la société intimée a refusé d'honorer une commande portant sur une " cage ROI TLIF " passée par un chirurgien du centre hospitalier de Dax ; qu'elle soutient que son éviction porte sur trois produits dont la distribution lui est pourtant confiée par contrat ;
Mais attendu que le contrat de distribution du 1er décembre 2003 contenait en annexe I la liste des produits concernés par l'accord, à savoir les implants de fusion ROI, l'Easyspine, le substitut osseux biphasé Alaska et la cage cervicale Mc+ ;
Que, bien qu'ils soient particulièrement confus sur ce point, les développements de la société appelante portent en fait sur trois produits développés par la société intimée et dénommés ROI T, ROI A et ROI B ; que la SAS LDR Médical fait justement valoir que le seul produit dénommé ROI visé par la convention est un implant de fusion qui est totalement différent des cages ROI A, ROI T et ROI C, la SARL JFL Médical opérant pour les seuls besoins de la cause une confusion à partir du signe ROI (radioluscent open implant) qui est un terme générique visant des produits mettant en œuvre des brevets distincts et destinés à traiter des pathologies différentes et selon des procédés chirurgicaux spécifiques ; que ces produits, dont la mise au point est de toute évidence récente pour les deux premiers et en voie d'achèvement pour le troisième, n'ont jamais été compris dans le champ contractuel ; qu'il s'ensuit que la SARL JFL Médical ne peut valablement exciper d'aucun retrait abusif et sans prévis desdits produits ;
Attendu qu'il résulte des développements qui précèdent que la SARL JFL Médical ne peut se prévaloir utilement d'aucune " rupture partielle " fautive du contrat de distribution imputable à la SAS LDR Médical de sorte que ses développements sur les dispositions de l'article L. 442-6, I 5 du Code de commerce sont inopérants ;
Attendu que ne sont pas plus opérants les développements de la société appelante sur la prétendue déloyauté de son contractant alors que si la SAS LDR Médical a dû reprendre une partie des clients dont elle avait initialement confié la prospection à la SARL JFL Médical c'est uniquement parce que cette dernière ne générait pas avec ceux-ci un chiffre d'affaires suffisant, voire ne générait aucun chiffre d'affaires, et ce, contrairement aux engagements qu'elle avait contractuellement souscrits en parfaite connaissance de cause ; qu'aucun des éléments versés aux débats ne caractérise un démarchage illicite des clients de la SARL JFL Médical par la société intimée ;
Attendu qu'il s'ensuit que les demandes indemnitaires formées par la SARL JFL Médical ne peuvent pas prospérer et que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de l'intégralité de ses prétentions ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu de donner à la SAS LDR Médical l'acte requis par elle dès lors qu'une telle disposition serait sans portée juridique ;
Attendu que, succombant dans ses prétentions, la SARL JFL Médical sera condamnée aux dépens d'appel ; qu'elle ne peut donc pas prétendre à l'indemnité qu'elle sollicite au titre de ses frais de procédure non compris dans les dépens ;
Que l'équité commande sa condamnation au paiement de la somme supplémentaire de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ; Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ; Condamne la SARL JFL Médical à payer à la SAS LDR Médical la somme supplémentaire de 5 000 euro (cinq mille euro) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette la demande d'indemnité de procédure formée parla SARL JFL Médical et la condamne aux dépens d'appel ; admet la SCP Genet & Braibant, avoués, au bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.