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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 4 septembre 2009, n° 08-01953

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Vortex (SA)

Défendeur :

NRJ (SA), NRJ Groupe (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Girardet

Conseillers :

Mmes Regniez, Saint-Schroeder

Avoués :

SCP Bolling-Durand-Lallement, Me Teytaud

Avocats :

Mes Chappuis, Boespflug

TGI Paris, du 16 mars 2004 ; Paris, 4e c…

16 mars 2004

La société NRJ exploite une station de radio sous la marque NRJ déposée le 30 janvier 1996 par la société NRJ Groupe pour désigner en classe 38 de la classification internationale la diffusion de programmes de radio et de communications radiophoniques.

Elle a lancé, entre le 9 septembre et le 2 octobre 2002, une campagne publicitaire dans plusieurs journaux et magazines comportant les deux annonces superposées qui suivent:

" NRJ 1ère radio de France des 11-14 ans avec 1 179 000 auditeurs quotidiens*

T'es pas jalouse au moins ? "

" NRJ 1ère radio de France des 15-24 ans avec 2 151 000 auditeurs quotidiens*

Tu m'en veux pas... Hein ? "

La société Vortex, qui exploite la station de radio concurrente Skyrock, a répliqué par la campagne suivante:

" Jaloux pas du tout

Skyrock 1ère radio de France des 15-24 ans*

Skyrock + 25,4 % en chiffre d'affaires publicitaire**

Tellement pas jaloux qu'on te fait de la pub : 68,8 % des auditeurs de NRJ ont plus de 24 ans***"

Estimant que ces assertions ne respectaient pas les conditions de la publicité comparative, les sociétés NRJ et NRJ Groupe ont assigné la société Vortex en contrefaçon de marque.

Par jugement du 16 mars 2004, la troisième chambre du Tribunal de grande instance de Paris a, notamment, dit que la société Vortex en faisant usage du slogan " 68,8 % des auditeurs de NRJ ont plus de 24 ans " dans une campagne publicitaire en dehors d'une comparaison a commis des actes de contrefaçon par reproduction de la marque n° 96 608 198 au détriment de la société NRJ Groupe et des actes de dénigrement constitutifs de concurrence déloyale au détriment de la société NRJ, a condamné la société Vortex à payer à titre de dommages et intérêts à la société NRJ Groupe la somme de 15 000 euro ainsi que celle de 10 000 euro à la société NRJ outre la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du (nouveau) Code de procédure civile et ordonné des mesures d'interdiction et de publication.

La société Vortex ayant interjeté appel du jugement, la Cour d'appel de Paris a, par arrêt du 22 juin 2005, confirmé le jugement en toutes ses dispositions et ordonné la mention de l'arrêt dans la publication.

La société Vortex s'est pourvue en cassation.

Par arrêt du 18 décembre 2007, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé l'arrêt mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société Vortex.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 6 mai 2009, la société Vortex, appelante, prie la cour, pour l'essentiel, d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle, de condamner la société NRJ à lui verser la somme de 60 000 euro à titre de dommages-intérêts et celle de 30 000 in solidum avec la société NRJ Groupe sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et de prononcer des mesures de publication.

Les sociétés NRJ et NRJ Groupe demandent à la cour, dans leurs dernières conclusions du 13 mai 2009, de confirmer le jugement déféré et de condamner la société Vortex à leur verser la somme de 30 000 euro au titre des frais irrépétibles.

Il est renvoyé aux dernières conclusions précitées des parties en date des 6 mai 2009 et 13 mai 2009 pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions et ce, conformément aux dispositions des articles 455 et 753 du Code de procédure civile.

Sur ce,

Considérant qu'au regard de l'arrêt de la Cour de cassation du 18 décembre 2007, le litige est limité à l'examen de la demande reconventionnelle de la société Vortex qui soutient que les annonces publicitaires qu'a fait paraître la société NRJ au cours des mois de septembre et octobre 2002 et qui se présentaient ainsi :

"NRJ 1ère radio de France des 11-14 ans avec 1 179 000 auditeurs quotidiens*

T'es pas jalouse au moins ?

"NRJ 1ère radio de France des 15-24 ans avec 2 151 000 auditeurs quotidiens*

Tu m'en veux pas... hein ?

constituent des publicités comparatives illicites à son égard, ces annonces visant la station de radio Skyrock aisément reconnaissable compte tenu de la lutte extrêmement serrée que les parties se livraient pour la première place sur le marché des auditeurs ayant moins de 25 ans;

Que la société Vortex fait valoir que dès lors que ces publicités l'interpellaient, la société NRJ ne pouvait livrer ses performances d'audience auprès des auditeurs de moins de 25 ans pour se donner le rang de " 1ère radio " tout en omettant de mentionner corrélativement les performances d'audience de Skyrock sur le même auditorat;

Que les sociétés intimées répliquent que les slogans précités ne visent que la société NRJ et que la situation de concurrence des radios Skyrock et NRJ ne suffit pas à considérer que les interpellations anonymes " T'es pas jalouse au moins ? " et "Tu m'en veux pas... Hein ? " s'adresseraient plus à la société Vortex qu'à une autre; que ces slogans ne font qu'affirmer sa position de 1ère radio pour les tranches d'âge 11-14 ans et 15-24 ans de sorte que la radio Skyrock pas plus qu'une autre station de radio concurrente n'y est l'objet d'une comparaison.

Considérant, ceci exposé, que n'est licite aux termes de l'article L. 128-1 du Code de la consommation sur lequel est fondée la demande, toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens offerts par un concurrent, que si:

1° Elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur;

2° Elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif;

3° Elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie.

Considérant que s'agissant du caractère identifiable du concurrent visé par les deux annonces publicitaires litigieuses dont les slogans utilisent le tutoiement, les premiers juges ont justement retenu que la station de radio Skyrock était immédiatement identifiable au vu des études Mediamétrie (pour les 15-24 ans) et IPSOS Médias (pour les 11-14 ans) réalisées en 2001-2002 qui démontrent que ces deux stations de radios dominaient le marché concernant les deux tranches d'âge 11-14 ans et 15-24 ans, loin devant les autres radios concurrentes ; que les décisions de justice produites par la société Vortex viennent confirmer cette constante rivalité de même que certains articles de la presse écrite (CB News octobre 2002, Stratégies septembre 2002) dont la teneur n'est pas contestée par la société NRJ.

Considérant que dès lors qu'un concurrent est identifié et que les annonces citent le nombre d'auditeurs de chaque tranche d'âge pour laquelle la société NRJ se proclame la première radio, procédant par là même à une comparaison, cette comparaison devait, pour répondre aux exigences de l'article L.121-8 précité, indiquer le nombre d'auditeurs pour ces mêmes tranches d'âge de la station concurrente visée par le message; que faute de le faire, et alors qu'il s'agit d'une caractéristique essentielle et représentative des services radiophoniques offerts par les sociétés NRJ et Vortex, ces annonces sont dépourvues de l'objectivité requise et constituent des publicités comparatives illicites;

Que le jugement entrepris sera, en conséquence, infirmé en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société Vortex.

Considérant que le préjudice subi par la société appelante et résultant de la diffusion des deux publicités susvisées dans cinq supports de presse (CB News du 9 au 15 septembre 2002, Le Figaro Economie du 16 septembre 2002, Le Nouvel Observateur du 19 septembre 2002, Libération du 23 septembre 2002 et Télérama du 2 octobre 2002, ces dates de parution et revues n'étant pas contestées par la société NRJ) sera réparé par l'allocation de la somme de 15 000 euro;

Que la publication du présent arrêt sera autorisée à titre de dommages-intérêts complémentaires suivant les modalités qui seront précisées au dispositif.

Considérant que l'équité commande d'allouer à la société Vortex la somme de 4 000 euro au titre de ses frais irrépétibles.

Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle formée par la société Vortex. Statuant à nouveau, Dit que la société NRJ, en publiant au cours des mois de septembre et octobre 2002 deux annonces publicitaires ainsi libellées : " NRJ 1ère radio de France des 11-14 ans avec 1 179 000 auditeurs quotidiens* T'es pas jalouse au moins ? " et " NRJ 1ère radio de France des 15-24 ans avec 2 151 000 auditeurs quotidiens* Tu m'en veux pas... Hein ? ", qui constituent des publicités comparatives illicites, a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Vortex. En conséquence, Condamne la société NRJ à verser à la société Vortex la somme de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts. Autorise la société Vortex à faire publier le dispositif de la présente décision dans trois journaux ou revues de son choix aux frais de la société NRJ sans que le coût global de ces insertions n'excède à la charge de celle-ci la somme de 15 000 euro. Condamne la société NRJ à verser à la société Vortex la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. La condamne aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile par la SCP Bolling, Durand & Lallement, avoué.