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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. A, 8 octobre 2009, n° 08-07766

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

EGMEIRA (SAS)

Défendeur :

Toray Plastics Europe (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Martin

Conseillers :

Mmes Biot, Devalette

Avoués :

SCP Baufume-Sourbe, SCP Laffly-Wicky

Avocats :

SCP Levy-Roche-Lebel, Selarl Renaud, Me Pardi-Medail

T. com. Bourg-en-Bresse, du 17 oct. 2008

17 octobre 2008

Faits procédure prétentions des parties

La société EGMEIRA est une société spécialisée dans l'activité de maintenance mécanique et de serrurerie; elle emploie une vingtaine de salariés.

Cette société était en relation d'affaires avec la société Toray Plastics Europe (société Toray) depuis de nombreuses années, assurant des interventions de maintenance de différents ordres sur l'outil industriel de la société Toray dans le cadre de contrats annuels.

Le dernier contrat annuel signé entre les parties le 30 mars 2006 précisait en son article 2 : "Le présent contrat est conclu pour une durée d'un an prenant effet le 1er avril 2006 et se terminant de plein droit le 31 mars 2007 sauf dénonciation par lettre recommandée avec accusé de réception 3 mois avant l'échéance."

Par ailleurs, la société Toray sollicitait également les services de la société EGMEIRA ponctuellement pour des prestations non prévues par le contrat annuel.

En fin d'année 2006, la société Toray a entendu lancer un appel d'offres, la consultation lancée portant également sur les interventions ponctuelles. Dans le cadre de cet appel d'offres un cahier des charges a été établi et remis à la société EGMEIRA dès le début du mois de janvier 2007.

Par lettre recommandée du 31 janvier 2007, la société Toray a informé la société EGMEIRA qu'elle résiliait le contrat de prestation en vigueur à effet au 31 mars 2007.

La société EGMEIRA n'a pas été retenue dans le cadre de la consultation lancée par la société Toray.

Par acte du 5 septembre 2007, la société EGMEIRA a fait assigner la société Toray afin à titre principal de voir dire et juger que la société Toray devait respecter un préavis expirant au 1er juillet 2008 et la voir condamner au paiement de la somme de 350 711 euro à titre de dommages-intérêts, outre 15 000 euro au titre du préjudice moral, et à titre subsidiaire voir dire et juger que la société Toray a rompu ses relations commerciales dans des conditions fautives au regard du contrat et des dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce et voir ordonner une mesure d'expertise.

Par jugement du 17 octobre 2008, le Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a dit que la société Toray n'a pas respecté le préavis tel qu'il était contractuellement prévu, et a condamné la société Toray à payer à la société EGMEIRA la somme de 70 142,25 euro à titre de dommages-intérêts et celle de 1 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société EGMEIRA a relevé appel du jugement dont elle sollicite la réformation en demandant à la cour de dire et juger que la société Toray se devait de respecter un préavis expirant au 1er juillet 2008 et de condamner l'intimée à lui payer la somme de 350 711 euro à titre de dommages-intérêts venant réparer la perte de chance de réaliser une marge commerciale au cours d'un préavis d'une durée conforme aux exigences légales, cette somme portant intérêts à compter de l'assignation, ainsi que la somme de 15 000 euro à titre de réparation du préjudice moral causé par une rupture des relations commerciales intervenue dans des conditions brutales, abusives et vexatoires.

A l'appui de ses demandes, elle invoque les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce et elle soutient que compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales établies (depuis 1982), de l'importance du volume d'affaires échangé et des investissements qu'elle avait consentis pour s'adapter aux spécificités des missions qu'elle accomplissait, la fixation d'un préavis expirant au 1er juillet 2008 et correspondant à une durée de 17 mois était seul adapté aux circonstances des relations commerciales. A titre surabondant, elle fait observer que la société Toray n'a même pas respecté le délai contractuel de trois mois avant l'échéance. En outre, elle fait valoir que pour la catégorie des prestations annexes réalisées sur commandes ponctuelles de la société Toray, cette dernière n'a respecté aucun avertissement ou formalité pour rompre les relations commerciales.

Elle entend souligner la mauvaise foi de son adversaire en expliquant que la mise en concurrence à laquelle la société Toray soutient avoir procédé se révèle n'être qu'un prétexte spécieux puisque les prestations qu'elle-même offrait dans le cadre de l'appel d'offres étaient moins onéreuses que celles offertes par ses prétendues concurrentes.

La société Toray, intimée et appelante à titre incident, fait valoir de son côté que dans la réalité le préavis consenti à la société EGMEIRA a duré 4 mois, du 31 janvier au 31 mai 2007, car la société finalement choisie par la société Toray n'a débuté ses interventions que le 1er juin 2007, que non seulement le préavis contractuel fixé à 3 mois a été respecté mais que la société EGMEIRA ne peut sérieusement soutenir qu'il y aurait eu brusque rupture parce que le délai de préavis n'aurait pas été suffisamment important au regard de l'ancienneté des relations commerciales.

Elle indique que la rupture n'a pas été imprévisible puisque les contrats étaient conclus à durée déterminée et prévoyaient leur expiration de plein droit à leur terme, soit pour le dernier le 31 mars 2007, qu'elle n'a pas été davantage soudaine ni violente dès lors que la société EGMEIRA avait été informée de sa volonté de réorganiser la prestation de maintenance mécanique secteur T dès la fin de l'année 2006 et s'est vue remettre le cahier des charges établi dans ce cadre dès le 4 janvier 2007.

Elle prétend que le délai de préavis de 4 mois était suffisant compte tenu de la durée pour laquelle était conclu chaque contrat, lequel prévoyait son expiration de plein droit ce qui ne conférait à la société EGMEIRA aucune garantie sur la conclusion d'un nouveau contrat.

Elle demande donc la réformation du jugement en ce qu'il a considéré qu'elle n'avait pas respecté le préavis contractuel et le rejet des demandes de la société EGMEIRA.

Elle sollicite enfin la condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 7 500 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et la somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Motifs de la décision

Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 442-6 I 5° du Code de commerce qu'engage la responsabilité de son auteur le fait par tout industriel de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels;

Attendu qu'en l'espèce, la relation commerciale établie entre la société EGMEIRA et la société Toray a revêtu deux formes: d'une part un contrat annuel définissant les opérations de maintenance et leur cadre d'exécution, d'autre part des prestations non prévues par le contrat annuel faisant l'objet de commandes ponctuelles; que, selon les indications non contredites de l'appelante, cette seconde partie de la relation représentait un chiffe d'affaire conséquent, pratiquement équivalent à celui procuré par les prestations prévues au contrat;

Attendu que les dispositions de l'article 442-6 I 5° sont applicables aussi bien aux relations résultant des contrats annuels successivement signés qu'aux relations entretenues hors contrat; qu'en application de ce texte, la société Toray avait l'obligation de consentir à la société EGMEIRA un délai de préavis suffisant pour l'ensemble des prestations consenties, la brutalité de la rupture sanctionnée par la loi résultant soit de l'absence de préavis écrit soit de l'insuffisance du préavis écrit donné ;

Attendu que s'agissant des prestations définies par contrat, il était prévu que chaque partie pourra dénoncer le contrat par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au moins 3 mois avant l'échéance ; que par lettre recommandée avec accusé de réception du 31 janvier 2007 la société Toray a informé la société EGMEIRA de sa décision de résilier le contrat qui prendra fin le 31 mars 2007, en lui rappelant qu'elle envisageait de modifier le périmètre de la prestation "maintenance mécanique T" à compter du 1er avril 2007 et qu'un nouveau cahier des charges lui avait été remis le 4 janvier; que cette lettre de dénonciation ne visait que le contrat de prestation EG/TPEu/010406-310307 et qu'aucun préavis n'a été donné en ce qui concerne les prestations hors contrat lesquelles ont effectivement cessé en même temps que les prestations contractuelles;

Attendu qu'il n'est pas discuté par la société Toray que les relations d'affaires existant entre les deux sociétés remontaient à 1982 et qu'elles se sont matérialisées par la conclusion successive et ininterrompue de différents contrats auxquels se sont jointes des prestations complémentaires;

Attendu que le fait que les relations d'affaires se sont concrétisées dans le cadre de contrats à durée déterminée expirant de plein droit à leur terme, ce qui selon la société Toray rendait sa co-contractante consciente que sa position était susceptible d'être remise en cause à chaque fois, n'est pas de nature à éluder l'application des dispositions de l'article 442-6 I 5° ; qu'en effet, les dispositions législatives applicables à toute "relation commerciale établie" ont pour but, nonobstant ce qu'ont pu prévoir les parties, de conférer un délai de préavis suffisant ou raisonnable afin que le co-contractant dispose du temps nécessaire pour réorienter son activité suite à la cessation de relations commerciales stables et continues;

Que, par ailleurs, il importe peu que la société Toray ait estimé que les prestations fournies par la société EGMEIRA ne lui donnaient plus entière satisfaction et qu'elle ait décidé de procéder à un appel d'offres susceptible de remettre en cause la présence sur le site de sa co-contractante; que la société EGMEIRA n'en est pas moins fondée à revendiquer l'application des dispositions de l'article 442-6 I 5° précité dès lors qu'il n'est pas fait état de manquements graves de sa part justifiant une rupture sans préavis;

Attendu que pour apprécier la durée du préavis dont devait bénéficier l'appelante, il convient de prendre en considération de façon prépondérante la durée des relations entretenues entre les deux sociétés, soit 25 années, mais également le chiffre d'affaires réalisé par la société EGMEIRA auprès de la société Toray rapproché de son chiffre d'affaires total (soit 27,9 % en 2005 et 26,3 % en 2006) ainsi que la spécificité des missions conduites impliquant la mise en place d'une équipe de quatre personnes spécialisées;

Qu'au vu de ces éléments, il convient de fixer à 10 mois la durée du préavis dont devait bénéficier la société EGMEIRA;

Attendu que le point de départ du délai de préavis est la lettre recommandée du 31 janvier 2007, date de la manifestation de volonté de la société Toray de ne pas renouveler le contrat ; qu'à cette même date la société EGMEIRA était avertie de ce que la société Toray entendait désormais confier à une seule société la maintenance mécanique des lignes de production de l'atelier T et intégrer aux missions confiées les prestations jusque-là effectuées au coup par coup; que la société EGMEIRA qui, comme d'autres entreprises, a participé à l'appel d'offres est de fait intervenue sur le site jusqu'à la fin du mois de mai 2007, ainsi qu'il résulte des lettres de la société Toray des 24 avril et 15 mai 2007; que le préjudice subi par la société EGMEIRA, évalué sur la base de la marge brute qu'aurait pu escompter celle-ci dans l'hypothèse où sa co-contractante eût respecté un délai de préavis suffisant, doit être, en conséquence, calculé sur une durée de 10 - 4 = 6 mois;

Attendu que selon les documents comptables produits, non discutés par l'intimée, la marge brute annuelle réalisée par la société EGMEIRA auprès de la société Toray s'est élevée en moyenne au cours des trois derniers exercices comptables 2004, 2005, 2006 à la somme de 280 569 euro ; que sur cette base il sera alloué à la société EGMEIRA une somme de 140 284,50 euro, le jugement étant réformé dans cette mesure;

Attendu que la société EGMEIRA ne démontre pas que la rupture des relations est intervenue dans des conditions vexatoires et abusives génératrices d'un préjudice moral, qu'elle n'établit par aucun élément que la société Toray l'aurait maintenue dans de faux espoirs, les documents produits montrant au contraire que la société EGMEIRA a été suivie tout au cours de la procédure d'appel d'offres puis informée dans un temps normal du résultat de ladite procédure; que sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral sera donc rejetée;

Attendu que les intérêts courront à compter du jugement à titre compensatoire;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la société EGMEIRA l'intégralité des frais irrépétibles qu'elle a exposés en appel; qu'il lui sera accordé une indemnité complémentaire sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens. Réformant pour le surplus, Condamne la société Toray Plastics Europe à payer à la société EGMEIRA la somme de 140 284,50 euro à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 17 octobre 2008. Condamne la société Toray Plastics Europe à payer à la société EGMEIRA une somme complémentaire de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Rejette toutes autres demandes des parties. Condamne la société Toray Plastics Europe aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Baufume Sourbe avoués.