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Décisions

Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-42.090

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Distribution Casino France (Sté)

Défendeur :

Selvon

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Collomp

Rapporteur :

M. Ludet

Avocat général :

M. Carré-Pierrat

Avocats :

SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Monod, Colin

Cons. prud'h. Toulon, du 31 juill. 2006

31 juillet 2006

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 4 mars 2008), que Mme Selvon et M. Bracco ont signé le 30 janvier 2001 un contrat de cogérance avec la société Distribution Casino France (ci-après la société) aux termes duquel ils ont accepté conjointement et solidairement le mandat d'assurer la gestion et l'exploitation d'un magasin de vente au détail, dit "Petit Casino", situé à Toulon ; qu'après un inventaire réalisé le 14 juin 2004 faisant ressortir un manquant de marchandise pour 9 056,60 euro et un excédent d'emballages pour 477,21 euro, les cogérants ont été convoqués le 25 octobre 2004 pour un entretien en date du 2 novembre 2004 à l'issue duquel la société leur a notifié, par lettre du 9 novembre 2004, la résiliation de leur contrat de cogérance ; qu'estimant abusive la rupture de ce contrat, Mme Selvon a saisi la juridiction prud'homale pour voir constater la prescription des faits reprochés et obtenir paiement de diverses indemnités ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Distribution Casino France fait grief à l'arrêt de dire que "la résiliation du contrat de gérance s'analyse en un licenciement sans cause réelle ni sérieuse", que les faits reprochés à Mme Selvon sont prescrits, et de la condamner en conséquence à verser à Mme Selvon diverses sommes alors, selon le moyen : 1°) que les règles de prescription posées par l'article L. 122-44 devenu l'article L. 1332-4 du Code du travail ne s'appliquent pas aux gérants mandataires non salariés des succursales de maisons d'alimentation de détail ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 782-1 et suivants devenus les articles L. 7322-1 et suivants du Code du travail, ensemble l'article L. 122-44 devenu l'article L. 1332-4 du Code du travail ; 2°) subsidiairement, que les juges du fond ne peuvent dénaturer les pièces du dossier ; qu'en l'espèce, il résultait de la lettre du 9 novembre 2004 que l'exposante avait résilié le contrat de gérance au motif que les cogérants n'avaient pas justifié du manquant de marchandises constaté, et précisait que cette décision s'imposait en application de l'article 8 du contrat stipulant que "tout manquement non justifié entraînera la résiliation immédiate du contrat de gérance" ; qu'en retenant que l'exposante aurait reproché à Mme Selvon un manquant de marchandises, quand le reproche était exclusivement un défaut de justification du manquant constaté, la cour d'appel a dénaturé la lettre susvisée en violation de l'article 1134 du Code civil ; 3°) que tant que les faits reprochés ne sont pas constitués, le délai de prescription prévu par l'article L. 122-44 devenu l'article L. 1332-4 du Code du travail est insusceptible de courir ; qu'en l'espèce, l'exposante reprochait aux cogérants un manquant de marchandises injustifié ; qu'en retenant que les courriers échangés entre l'exposante et les cogérants auraient été "inopérants sur le délai légal de l'article L. 122-44", alors même qu'ils avaient pour objet de permettre aux cogérants de justifier des manquants de marchandises constatés, la cour d'appel a violé l'article L. 122-44 devenu l'article L. 1332-4 du Code du travail ; 4°) que le délai de prescription prévu par l'article 122-44 devenu l'article L. 1332-4 du Code du travail ne court qu'à compter du moment où l'employeur a une connaissance exacte des faits reprochés ; qu'en statuant comme elle l'a fait, quand l'exposante ne pouvait avoir une connaissance exacte des faits reprochés avant que les cogérants ne soient expliqués sur les manquants de marchandises constatés, la cour d'appel a violé l'article L. 122-44 devenu l'article L. 1332-4 du Code du travail ;

Mais attendu qu'il résulte des dispositions de l'article L. 782-7 recodifié L. 7322-1 du Code du travail que les dispositions de ce Code bénéficiant aux salariés s'appliquent en principe aux gérants mandataires non salariés de succursales de maisons d'alimentation de détail ; que les articles L. 122-4 et suivants devenus L.1231-1 et suivants du Code du travail, relatifs à la rupture du contrat de travail à durée indéterminée et l'article L. 122-44 devenu L. 1332-4 du même Code relatif à la prescription des sanctions, sont par conséquent applicables à ces gérants non salariés ; qu'ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que la société avait adressé le 23 juillet 2004 aux cogérants une lettre recommandée avec accusé de réception leur demandant de justifier un manquant relevé par un inventaire du 14 juin 2004 et leur impartissant pour ce faire, conformément à l'article 22 de l'accord collectif national des maisons d'alimentation à succursales, supermarchés, hypermarchés "gérants mandataires" du 18 juillet 1963 révisé et étendu par arrêté du 29 avril 2005, un délai de quinze jours, et qu'elle avait adressé la convocation à l'entretien préalable par lettre datée du 25 octobre 2004 avant de notifier la rupture du contrat par une lettre du 9 novembre 2004, la cour d'appel, qui n'encourt aucun grief de dénaturation, en a exactement déduit que la procédure de rupture du contrat avait été engagée après l'expiration du délai de prescription des faits fautifs ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à Mme Selvon des dommages-intérêts pour contrepartie financière de la clause de non-concurrence alors, selon le moyen : 1°) que les parties à un contrat de gérance non salariée de succursale de maison d'alimentation de détail, sont libres d'y insérer une clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière ; qu'en retenant que les gérants non salariés des succursales des maisons d'alimentation de détail pouvaient prétendre au bénéfice d'une indemnité dès lors que leur contrat comportait une clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; 2°) que seuls les salariés peuvent se prévaloir de la nullité de la clause de non-concurrence ne comportant pas de contrepartie financière ; que dès lors, en considérant que Mme Selvon pouvait, en sa qualité de gérante mandataire non salariée d'une succursale d'une maison d'alimentation de détail, se prévaloir de la nullité d'une clause de non-concurrence ne comportant pas de contrepartie financière, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu qu'en application du principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle et des dispositions de l'article L. 782-7 recodifié L. 7322-1 du Code du travail, une clause de non-concurrence introduite dans le contrat d'un gérant non salarié de succursale de maison d'alimentation de détail n'est licite que si elle comporte l'obligation pour la société de distribution de verser au gérant une contrepartie financière ; qu'ayant retenu que la clause ne comportait pas de contrepartie financière au bénéfice de Mme Selvon, la cour d'appel a, par ce seul motif, justifié sa décision ;

Mais sur le troisième moyen : - Vu l'article 455 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour condamner, par confirmation du jugement frappé d'appel, la société à verser à Mme Selvon la somme de 2 318 euro à titre de rappel de rémunération pour les mois de septembre et octobre 2004, ainsi que celle de 231,80 euro au titre des congés payés afférents, la cour d'appel a retenu "qu' en dehors de procéder par simple affirmation selon laquelle le rappel de rémunération n'est pas dû..., l'examen des bulletins mensuels de commissions concernant les périodes incriminées par Mme Selvon révèle le contraire" ;

Qu'en statuant ainsi sans répondre aux prétentions de la société qui soutenait que les cogérants n'avaient pas ouvert la supérette après leurs congés d'été 2004, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;

Par ces motifs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Casino à verser à Mme Selvon la somme de 2 318 euro à titre de rappel de rémunération pour les mois de septembre et octobre 2004, ainsi que de 231,80 euro au titre des congés payés y afférent, l'arrêt rendu le 4 mars 2008, entre les parties, par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.