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Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 20 janvier 2009, n° 08-00157

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Land (SARL)

Défendeur :

Chanel (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Guillanton

Conseillers :

Mme Cocchiello, M. Christien

Avoués :

SCP Bazille, SCP Gauvain & Demidoff

Avocats :

Mes Breger, Boneva-Desmicht

TGI Brest, du 5 déc. 2007

5 décembre 2007

Exposé du litige

La société Chanel, propriétaire de la marque éponyme sous laquelle elle distribue ses produits de parfumerie au travers d'un réseau de distribution sélective, a fait constater par procès-verbal d'huissier des 16 et 22 février 2005 que la société Land, exploitant une solderie sous l'enseigne commerciale Noz, diffusait ses produits sans son autorisation.

Elle l'a fait assigner en contrefaçon d'usage de marque ainsi qu'en violation de l'interdiction de revente hors réseau et en concurrence déloyale devant le Tribunal de grande instance de Brest, lequel a, par jugement du 5 décembre 2007, statué en ces termes :

" Condamne la société à responsabilité limitée Land à payer à la société par actions simplifiée Chanel la somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'usage illicite des marques appartenant à la société Chanel ;

Condamne la société à responsabilité limitée Land à payer à la société par actions simplifiée Chanel la somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitisme commis par la société Land ;

Fait interdiction à la société à responsabilité limitée Land de détenir, acheter ou vendre des produits Chanel, sous astreinte de 100 euro par produit infractionnel, à compter de la signification du présent jugement ;

Ordonne la publication du présent jugement dans deux journaux au choix de la société Chanel et aux frais de la société à responsabilité limitée Land, sans que le coût de chaque insertion n'excède 3 000 euro hors taxes ;

Condamne la société à responsabilité limitée Land à payer à la société par actions simplifiée Chanel la somme de 1 668,89 euro en paiement des frais engagés par cette dernière pour faire constater les agissements illicites faisant l'objet de la présente procédure ;

Condamne la société à responsabilité limitée Land à payer à la société par actions simplifiée Chanel la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement ;

Condamne la société à responsabilité limitée Land aux dépens ".

Déniant avoir usé illicitement de la marque Chanel ou avoir concurrencé déloyalement la société Chanel, la société Land a relevé appel de cette décision en concluant au rejet de la totalité des prétentions adverses.

Elle demande en outre l'allocation d'une indemnité de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Chanel a quant à elle formé appel incident en demandant à la cour de porter les dommages-intérêts alloués par les premiers juges à 20 000 euro au titre de la réparation du préjudice découlant de l'usage illicite de sa marque et de 20 000 euro au titre des agissant fautifs, parasitaires et déloyaux de la société Land.

Elle sollicite aussi l'augmentation du montant de l'astreinte assortissant la mesure d'interdiction prononcée par les premiers juges, la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux et l'allocation d'une indemnité complémentaire de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la société Land le 3 octobre 2008, et pour la société Chanel le 6 août 2008.

Exposé des motifs

Sur la contrefaçon par usage illicite de marque

Il résulte du procès-verbal de constat des 6 et 22 février 2005 que l'huissier s'étant déplacé dans les locaux commerciaux de la société Land a décrit le point de vente comme " un magasin moyenne surface, situé dans une zone artisanale et commerciale (...) genre hangar avec bardage de tôle " abritant " différents présentoirs où sont exposées à la vente, pêle-mêle, diverses marchandises souvent mélangées et de genres différents ".

L'huissier a en outre constaté le placardage d'affichettes publicitaires annonçant la vente à compter du 7 février 2005 avec rabais de 30 % de parfums et cosmétiques, dont ceux de la société Chanel dont la marque était reproduite, et il a en effet découvert dans une corbeille cinq produits Chanel dont les emballages " légèrement abîmés, légèrement rayés et légèrement déformés, semblant avoir été beaucoup manipulés " comportaient la mention suivante " Cet article ne peut être vendu que par des dépositaires agréés Chanel ".

Il est par ailleurs constant que les produits litigieux ont été fournis par la société Chanel à la société Galeries Rémoises à laquelle elle était liée par un contrat de distribution sélective puis ont été acquis par la société Futura Finances au cours d'une vente aux enchères organisée en décembre 2004 par le liquidateur judiciaire du distributeur agréé, l'acquéreur les ayant enfin revendus à la société Land.

Au visa de l'article L. 713-3 du Code de la propriété industrielle, la société Chanel fait en premier lieu grief à la société Land de s'être rendue coupable de contrefaçon par usage illicite de sa marque dès lors que, commercialisant ses produits au travers d'un réseau de distribution sélective, elle n'avait jamais consenti à ce qu'ils fussent commercialisés en dehors de ce réseau et que les conditions de remise en vente portaient atteinte à l'image et au prestige de sa marque.

Le propriétaire d'une marque ne peut toutefois, selon l'article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle, interdire un nouvel acte de commercialisation sous sa marque d'un produit qu'il a lui-même déjà mis dans le commerce sauf s'il justifie de motifs légitimes.

À cet égard, la société Chanel fait pertinemment valoir que la commercialisation de produits dans des conditions portant atteinte à l'image de la marque et à la réputation du fabricant est de nature à constituer un juste motif pour écarter la règle d'épuisement des droits attachés à la marque édictée par l'article L. 713-4 précité.

En effet, les produits de parfumerie et de cosmétique Chanel relèvent de la catégorie des produits de luxe dont la haute qualité et l'image de raffinement à laquelle ils sont attachés dans l'esprit des consommateurs légitiment le respect de conditions de commercialisation particulières tenant notamment à la sophistication du cadre dans lequel les produits doivent être exposés et à la qualification des vendeur.

Ainsi, le lieu de vente et l'agencement du magasin du distributeur ne doivent pas nuire au prestige et à la notoriété de la marque, et la clientèle doit pouvoir être conseillée par un personnel suffisamment qualifié, ce que la société Land, nonobstant ses allégations contraires, n'offrait nullement.

Il résulte au contraire des constatations de l'huissier que l'appelante exploite une solderie en libre service aménagée dans un hangar bardé de tôles situé dans une zone industrielle et commerciale et que l'emballage des produits litigieux présentait des défauts d'aspect imputables à une manipulation excessive et sans soin.

De surcroît, les affichettes apposées par la société Land faisaient usage à des fins publicitaires de la marque Chanel et, s'il est de principe que le distributeur offrant à la vente des produits authentiquement revêtus d'une marque peut aussi employer cette marque afin d'annoncer au public cette commercialisation, cette faculté ne l'autorisait nullement à utiliser celle-ci dans des conditions de nature à ternir son image, notamment comme en l'espèce en la reproduisant dans une mise en page et sur un support de médiocre qualité ainsi que dans un environnement dévalorisant.

La société Land ne peut sérieusement prétendre que les règles applicables à la liquidation judiciaire de la société Galeries Rémoises imposaient au titulaire de la marque de renoncer à ses droits sur celle-ci, alors que, si la liquidation judiciaire mettait fin au contrat de distribution sélective liant la société Chanel à son distributeur, la vente par adjudication du stock de marchandises selon les modalités prévues n'emportait nullement la déchéance des droits du propriétaire de la marque et singulièrement de celui d'exiger que son usage ne portât point atteinte à son image et à son prestige.

De même, elle ne peut davantage soutenir que la société Chanel aurait implicitement consenti à la re-commercialisation de ses produits en s'abstenant de contester judiciairement l'ordonnance du juge-commissaire du 7 novembre 2003 ayant autorisé la vente par adjudication des produits Chanel encore en stock chez le distributeur agréé en liquidation judiciaire, alors que cette ordonnance ne lui a jamais été notifiée et que, dès qu'elle en a eu connaissance, elle a, par courrier du 28 novembre 2003, informé le liquidateur de son opposition à la vente et rappelé qu'elle offrait de reprendre ses produits aux conditions prévues au contrat de distribution sélective la liant à la société Galeries Rémoises, obtenant ainsi leur retrait de la vente aux enchères organisée en décembre 2003, puis qu'elle a par un second courrier du 6 avril 2004 réitéré son opposition et communiqué au liquidateur, à la demande de celui-ci, le contrat de distribution sélective mentionnant l'interdiction de revente hors réseau et la faculté de reprise du fabricant.

Il s'en déduit que l'absence de recours contre la décision du juge-commissaire de la part de la société Chanel ne saurait s'analyser, à supposer même que ces recours aient pu avoir une chance raisonnable de succès, comme l'expression d'une volonté non équivoque de consentir à la re-commercialisation de ses produits en dehors de son réseau de distribution sélective.

Au demeurant, la société Land ne pouvait ignorer que le propriétaire de la marque s'opposait à une nouvelle commercialisation selon des modalités de nature à porter atteinte à son image et à son prestige, alors que l'emballage de chacun des produits en cause mentionnait explicitement que celui-ci ne pouvait être vendu que par un distributeur agréé par la société Chanel et qu'il appartenait donc à l'acquéreur de se renseigner sur les conditions de remise en vente auprès de la société Chanel ou en tout cas de son vendeur, la société Futura Finances, qui était en mesure de l'éclairer puisque les annonces légales ayant précédé la vente aux enchères spécifiaient que les acquéreurs devaient " se conformer à la législation et aux clauses accréditives de distribution des parfums et cosmétiques ".

A cet égard, la circonstance que la société Land ait informé par voie d'affiches sa clientèle qu'elle n'était pas revendeur agréé des produits Chanel n'est pas de nature à l'exonérer mais démontre au contraire qu'elle avait parfaitement conscience des conditions mises par le fabricant à la commercialisation de ses produits.

Il est ainsi établi que le contexte et les conditions d'exposition à la vente des produits Chanel ainsi que de la publicité ayant accompagné cette opération commerciale affectaient négativement la valeur de la marque en ternissant l'allure et l'image de prestige des parfums et cosmétiques de luxe fabriqués par la société Chanel, laquelle avait ainsi de justes motifs de s'opposer à une nouvelle commercialisation de ceux-ci dans de telles circonstances.

Le préjudice subi du fait de l'usage illicite de sa marque résulte de l'atteinte portée à la valeur distinctive et patrimoniale de celle-ci, les efforts consentis par la société Chanel pour promouvoir ses produits de luxe étant ternis par les agissements de la société Land qui dévalorisait la marque et en banalisait l'image.

La faute de la société Land n'a toutefois concouru à la réalisation du dommage qu'à due concurrence des 39 articles effectivement mis en vente dans son magasin, et non pour la totalité des 980 produits de marque Chanel cédés par le liquidateur judiciaire de la société Galeries Rémoises.

Les premiers juges ont donc à juste titre fixé en considération des éléments de la cause le montant des dommages-intérêts à 5 000 euro.

Sur la violation de l'interdiction de revente hors réseau et la concurrence déloyale

Aux termes de l'article L. 442-6-I-6° du Code de la propriété industrielle, le commerçant participant directement ou non à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective exempté au titre des règles applicables au droit de la concurrence engage sa responsabilité et s'oblige à réparer le préjudice causé.

Or, il n'est en l'espèce pas discuté que le réseau de distribution sélective créé par la société Chanel à l'effet de commercialiser ses produits de luxe est licite et bénéficie du règlement européen d'exemption du 22 décembre 1999, de sorte que cette société est fondée à poursuivre toute violation de l'interdiction de revente en dehors de son réseau.

La société Land, qui a participé à la violation de l'interdiction de revente hors réseau en commercialisant des produits de la société Chanel sans l'agrément de cette dernière, n'ignorait au demeurant pas l'existence de ce réseau de distribution sélective puisque, ainsi que cela a été précédemment rappelé, les annonces légales ayant précédé la vente aux enchères spécifiaient que les acquéreurs devaient " se conformer à la législation et aux clauses accréditives de distribution des parfums et cosmétiques ", que l'emballage de chacun des produits en cause mentionnait explicitement que celui-ci ne pouvait être vendu que par un distributeur agréé par la société Chanel et que surtout elle revendiquait elle-même par voie d'affichage dans son magasin la qualité de revendeur non agréé.

Au surplus, s'il est de principe que le seul fait de mettre en vente des produits habituellement commercialisés au travers d'un réseau de distribution sélective ne constitue pas en lui-même un acte de concurrence déloyale, il en va différemment lorsque cette commercialisation s'accompagne de circonstances fautives.

Ainsi, en placardant dans son point de vente des affiches reproduisant la marque Chanel alors qu'elle ne disposait que d'une quantité limitée de produits de cette marque et que l'étanchéité du réseau de distribution sélective mis en place par le propriétaire de la marque lui interdisait de se réapprovisionner, la société Land a utilisé celle-ci comme marque d'appel dans le seul but de profiter de son attrait auprès de la clientèle et de tenter de vendre d'autres articles que ceux annoncés.

Ces agissements visant à bénéficier du pouvoir attractif de la marque Chanel ont de surcroît permis à la société Land de tirer profit de l'image et du prestige de cette marque sans pour autant se soumettre aux contraintes pesant sur les distributeurs agréés, lesquels sont notamment tenus en vertu de leur contrat de distribution sélective d'offrir des services de conseil et de démonstration, d'employer un personnel qualifié en matière de parfumerie et de maintenir à un haut niveau de standing leur point de vente et son environnement.

Cette violation de l'interdiction de revente hors réseau de distribution sélective doublée d'agissements parasitaires constituent des fautes et ont généré un préjudice distinct de la faute caractérisant la contrefaçon par usage de marque et du préjudice né de l'atteinte à l'image de la marque en ayant découlé.

Il y a donc lieu de réparer ce préjudice séparément.

Les ventes réalisées par la société Land constituent un facteur de déséquilibre économique faussant les résultats des distributeurs agréés de la région qui étaient en droit de compter sur l'étanchéité du réseau de distribution sélective auquel ils appartiennent pour réaliser les objectifs de chiffre d'affaires que leur a assignés la société Chanel.

Celle-ci a en outre exposé des frais pour assurer l'étanchéité de son réseau, notamment en mettant en œuvre des moyens techniques visant à garantir la traçabilité de ses produits.

La société Chanel subit donc un trouble commercial aggravé par l'altération que sa clientèle pouvait avoir de la cohésion du réseau, mais celui-ci n'est toutefois imputable à la société Land que dans les limites des produits qu'elle a effectivement mis en vente, de sorte que les premiers juges ont pertinemment réparé ce poste de préjudice par l'allocation de dommages-intérêts d'un montant de 5 000 euro.

Sur les demandes accessoires de la société Chanel

Afin de garantir l'efficacité et la bonne exécution de leur décision, les premiers juges ont par ailleurs à juste titre fait interdiction à la société Land de détenir, acheter ou vendre des produits Chanel et exactement fixé à 100 euro par produit le montant de l'astreinte assortissant cette interdiction.

Ils ont également pertinemment condamné la société Land à rembourser à la société Chanel le coût du constat d'huissier dressé pour faire constater l'usage illicite de sa marque ainsi que les frais de la procédure sur requête exposés pour obtenir l'autorisation préalable au constat.

Le jugement attaqué sera donc confirmé en tous points.

Il convient en outre d'ordonner la publication du présent arrêt dans deux journaux au choix de la société Chanel et aux frais de la société Land sans que le coût de ces publications excède 4 000 euro hors taxe.

Et il serait enfin inéquitable de laisser à la charge de la société Chanel l'intégralité des frais exposés par elle à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement rendu le 5 décembre 2007 par le Tribunal de grande instance de Brest en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne sa publication ; Ordonne la publication du présent arrêt dans deux journaux au choix de la société Chanel et aux frais de la société Land sans que le coût de ces publications excède 4 000 euro hors taxe ; Condamne la société Land à payer à la société Chanel une somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ; Condamne la société Land aux dépens d'appel ; Accorde à la société civile professionnelle Gauvain et Demidoff, avoués associés, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.