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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 6 mai 2009, n° 07-04848

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Claas France (SAS)

Défendeur :

Vitry Motoculture (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Le Fèvre

Conseillers :

MM. Roche, Birolleau

Avoués :

Me Teytaud, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Glauclère, Bourgeon

T. com. Créteil, du 27 févr. 2007

27 février 2007

LA COUR,

Vu l'appel interjeté par la SAS Claas France à l'encontre du jugement rendu le 27 février 2007 par le Tribunal de commerce de Créteil qui l'a condamnée à payer à la SA Vitry Motoculture les sommes de 125 671,50 euro de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales et de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens;

Vu les dernières conclusions enregistrées le 18 mars 2009 par la SAS Claas France par lesquelles elle demande à la cour d'infirmer le jugement et :

- à titre principal, de dire que l'article L. 442-6-I-5° ne saurait trouver en l'espèce à s'appliquer;

- subsidiairement, de limiter l'indemnisation à accorder à Vitry Motoculture à la somme de 35 379,50 euro;

- plus subsidiairement, de dire que Claas France est étrangère à la concurrence déloyale invoquée par Vitry Motoculture;

Vu les dernières conclusions enregistrées le 11 mars 2009 par la SA Vitry Motoculture qui demande la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu la rupture brutale des relations commerciales et sollicite que lui soient allouées les sommes de 125 057 euro au titre de la perte d'une année d'activité de vente du matériel neuf Claas et du matériel d'occasion induit par la vente du matériel neuf, 100 203 euro de dommages et intérêts au titre de l'incidence de la perte sur l'activité après-vente, de 53 558 euro pour la perte occasionnée par la démission d'un vendeur embauché par la société Primault, concurrent ayant repris le panneau Claas, et de 7 000 euro au titre de la dépréciation d'une moissonneuse-batteuse, et que Claas soit condamnée à lui payer la somme de 8 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel;

Considérant que la SA Vitry Motoculture, sise à Vitry-le-François (Marne), spécialisée dans la vente et l'entretien de matériels agricoles, a assuré, à partir de 1980, la distribution des matériels de marque Claas ; qu'ayant acquis, au premier semestre 2003, l'activité Tracteurs de la société Renault Agriculture, Claas France a étudié avec la société Vitry Motoculture les conditions dans lesquelles elle pourrait prendre part à un partenariat pour la représentation des marques Claas et Renault Agriculture ; que, le 24 septembre 2003, Claas France a informé Vitry Motoculture de sa décision de mettre fin au contrat les liant, expirant le 30 septembre 2003 ; que, le 2 septembre 2005, la SA Vitry Motoculture a assigné la SAS Claas France aux fins d'obtenir sa condamnation pour rupture brutale des relations commerciales;

Sur la rupture brutale des relations commerciales

Considérant que Vitry Motoculture fait grief à Claas France, au visa de l'article L. 442-6-5° du Code de commerce, d'avoir rompu leurs relations commerciales de façon brutale ; que Claas France réplique que, les parties étant liées par un contrat à durée déterminée excluant la tacite reconduction et prévoyant donc une rupture automatique, l'article L. 442-6-5° du Code de commerce ne peut trouver à s'appliquer, subsidiairement que Vitry Motoculture était informée des intentions de Claas depuis le 2 juillet 2003;

Considérant que les parties étaient liées, à la date de leur rupture, par un contrat à durée déterminée d'un an signé le 8 septembre 2002 dont l'article 6 précise qu'il prendra fin automatiquement le 30 septembre 2003, la tacite reconduction étant expressément exclue;

Mais considérant que la collaboration de Claas France et de Vitry Motoculture s'est inscrite dans une relation d'affaires continue et ancienne - de 1980 à 2003 - caractérisée par une succession de contrats d'une durée d'un an systématiquement renouvelés pendant 23 ans, et dont Claas ne conteste pas qu'elle représentait la moitié du chiffre d'affaires de son partenaire ; que cet élément caractérise l'existence entre les parties d'une relation commerciale établie soumise aux dispositions de l'article L. 442-6-5° du Code de commerce aux termes duquel la rupture d'une relation commerciale doit intervenir avec un préavis suffisant;

Considérant que c'est bien par lettre du 24 septembre 2003 que Claas a fait connaître sa décision de cesser toute relation avec Vitry Motoculture ; que ce courrier ne fait référence à aucun autre préavis antérieurement notifié; que, si Claas prétend que son président-directeur général Monsieur Thierry Lemaire a personnellement informé Monsieur James Simonnet, président du conseil d'administration de Vitry Motoculture, de sa décision, elle ne verse aux débats aucun élément au soutien de cette affirmation et ne démontre pas que la réunion du 2 juillet 2003, qui s'est d'ailleurs prolongée par des échanges de courriers entre Vitry Motoculture et Claas laissant présager une poursuite de la collaboration des deux entreprises, ait donné lieu à une annonce de rupture; qu'en tout état de cause, à supposer qu'une décision en ce sens ait été notifiée à Vitry Motoculture le 2 juillet 2003, ce qui n'est nullement établi, le préavis mis en œuvre, de seulement trois mois, est trop bref eu égard à l'ancienneté des relations et à la part élevée du chiffre d'affaires réalisé; que la rupture des relations commerciales intervenue présente, dans ces conditions, un caractère brutal;

Considérant qu'au regard de l'ancienneté de la relation, de l'importance de l'activité Claas dans le chiffre d'affaires de l'entreprise et de la saisonnalité de l'activité de vente de matériel agricole, Vitry Motoculture est fondée à soutenir que Claas était tenue de respecter un préavis d'une année;

Sur la réparation du préjudice

Considérant en premier lieu que, privée à effet du 30 septembre 2003 du bénéfice d'un contrat de concession qui aurait dû se poursuivre jusqu'au 30 septembre 2004, Vitry Motoculture est fondée à réclamer la condamnation de Claas à des dommages et intérêts correspondant à la marge brute qu'elle retirait de la distribution du matériel neuf Claas et de la vente de matériels d'occasion induite par la vente des matériels neufs (matériels d'occasion repris lors de la vente de matériels neufs Claas, matériels induisant une activité directement liée à la détention du panneau et entrant dès lors dans l'indemnisation due au titre du préavis), marge calculée sur la moyenne des exercices 2000 à 2002, soit, en ce qui concerne les matériels neufs Claas, 70 759 euro - montant non contesté par Claas - et pour les matériels d'occasion 54 298 euro - montant certifié par le cabinet d'expertise comptable SAS Peron, soit au total 125 057 euro;

Considérant en second lieu, sur la perte invoquée sur l'activité après-vente, que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Vitry Motoculture de sa demande de ce chef dès lors d'une part qu'elle n'identifie pas la baisse d'activité sur ce poste directement induite par la perte du panneau Claas, d'autre part qu'il n'est pas contesté que Claas a accordé à Vitry Motoculture une année de pièces détachées ; qu'il le sera également sur le rejet de la demande présentée au titre de la dépréciation d'une moissonneuse-batteuse dont il n'est pas démontré qu'elle soit en lien avec la rupture des relations ;

Considérant enfin que Vitry Motoculture est fondée à réclamer une indemnisation au titre de la désorganisation de son potentiel commercial induite par la démission de vendeurs repris par une société concurrente, démission consécutive, aux termes des courriers échangés avec les salariés, à la perte du panneau Claas ; qu'une somme de 10 000 euro sera, à ce titre, allouée à Vitry Motoculture;

Considérant que le jugement sera confirmé sur la condamnation au titre des frais irrépétibles de première instance ; que l'équité commande de condamner Claas France à payer à Vitry Motoculture la somme de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel ; que Claas France, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a fixé à la somme de 125 671,50 euro l'indemnité due à la SA Vitry Motoculture par la SAS Claas France, Statuant à nouveau de ce chef, La fixe à la somme de 135 057 euro, Ajoutant au jugement, Condamne la SAS Claas France à payer à la SA Vitry Motoculture la somme de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel, Rejette toutes autres demandes des parties, Condamne la SAS Claas France aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, avoué.