Livv
Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 1 septembre 2009, n° 08-04644

RENNES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Dam (SA)

Défendeur :

Coulon

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Guillanton

Conseillers :

Mme Cocchiello, M. Christien

Avoués :

SCP Castres, Colleu, Perot & Le Couls-Bouvet, SCP d'Aboville, de Moncuit Saint-Hilaire & Le Callonnec

Avocats :

Mes Briaud Belliot, Catoni, Michel

T. com. Nantes, du 3 avr. 2008

3 avril 2008

Exposé du litige

Jacques Coulon et la société Dam ont signé le 8 août 2001 un contrat d'agent commercial.

Monsieur Coulon a mis un terme à ce contrat le 24 janvier 2003, reprochant à la société Dam de ne plus recevoir le chiffre d'affaire et d'avoir fait intervenir un autre représentant sur son secteur d'activité.

Après de nombreux échanges de correspondances, Monsieur Coulon assignait la société Dam devant le Tribunal de commerce de Nantes.

Par jugement du 3 avril 2008, le Tribunal de commerce de Nantes a:

- dit la société Dam responsable de la rupture du contrat d'agent commercial,

- condamné la société Dam à payer à Monsieur Coulon la somme de 2 373,26 euro au titre de l'indemnité de préavis, outre les intérêts au taux légal à compter du 3 janvier 2005,

- condamné la société Dam à payer à Monsieur Coulon une indemnité de rupture équivalente à 18 mois de commission HT calculée sur la commission moyenne des douze derniers mois de collaboration avant le 24 janvier 2003 outre les intérêts au taux légal à compter du 3 janvier 2005,

- débouté Monsieur Coulon de ses autres demandes,

- débouté la société Dam de ses demandes reconventionnelles,

- condamné la société Dam à lui payer la somme de 2 000 euro à titre d'indemnité pour frais irrépétibles, condamné la société Dam aux dépens.

La société Dam a en a relevé appel.

Par conclusions du 20 mai 2009, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de son argumentation, la société Dam demande à la cour de:

- réformer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions à l'exception de celle qui déboute Monsieur Coulon de sa demande de documents,

- dire que Monsieur Coulon a commis des fautes graves en infraction avec son contrat d'agent commercial et dire que la résiliation est prononcée à ses torts,

- débouter Monsieur Coulon de toutes ses demandes,

- condamner Monsieur Coulon au paiement de la somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts, condamner Monsieur Coulon à lui payer la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner Monsieur Coulon aux dépens et dire que les dépens d'appel seront recouvrés avec le bénéfice du recouvrement direct.

Par conclusions du 25 mai 2009 auxquelles il est expressément référence pour l'exposé complet de son argumentation, Monsieur Coulon demande à la cour de:

- confirmer le jugement sauf en ce qu'il n'a pas statué sur les commissions dues, l'a débouté de sa demande de communication de pièces et a évalué de manière insuffisante l'indemnité de cessation de contrat,

- statuant à nouveau,

- condamner la société Dam à lui verser:

- la somme de 634,77 euro TTC au titre des commissions dues sauf à parfaire,

- la somme de 30 003 euro au titre de l'indemnité de cessation de contrat, sauf à parfaire,

- les intérêts au taux légal à compter du 3 janvier 2005, outre l'application de l'article 1154 du Code civil,

- lui enjoindre de lui remettre les informations permettant le calcul de sa rémunération, sous astreinte de 200 euro par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

- condamner la société Dam à lui payer la somme de 5 000 euro au titre des frais irrépétibles,

- condamner la société Dam en tous les dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Sur ce

* Sur la rupture du contrat d'agent commercial:

Monsieur Coulon avait signé avec la société Baf un contrat d'agent commercial en vertu duquel il plaçait les meubles audiovisuels.

Le 8 août 2001, il signait avec la société Dam un contrat d'agent commercial selon lequel il avait l'exclusivité pour le placement de produits supports audio-visuels de marque Vogel's, sur le secteur du grand Ouest de la France. La société Dam était informée de l'existence du contrat signé avec Baf, Monsieur Coulon lui confirmait par courrier du 5 septembre 2001 qu'il n'y avait pas de concurrence entre les produits qu'il distribuait pour le compte de Baf et de Dam.

Ultérieurement, la société Dam a diversifié sa gamme de produits et proposé des meubles Vogel's et des télécommandes universelles.

Les parties se reprochent mutuellement des violations de leurs obligations.

* Fautes graves imputées à la société Dam:

- Sur le non-paiement de commissions dues et l'absence de remise des relevés de commissions à compter du mois d'août 2002:

Selon l'article 3 du contrat,

"sur toute commande prise dans le secteur de l'article 1 et sur toute affaire traitée par le mandant dans le même secteur, l'agent reçoit, de quelque façon que la commande soit parvenue au mandant, une commission HT net équivalente à 10 % des commandes directes, et de 3 % des commandes indirectes.

"Les commissions sont réglées le mois suivant chaque mois écoulé sur relevé des factures établies le mois précédent par le mandant, avec déduction des affaires facturées et précédemment commissionnées et dont il est établi que le paiement par le client n'aura pas lieu.

"Le règlement en temps voulu des commissions par le mandant est une condition essentielle du présent contrat".

Monsieur Coulon s'est plaint par courrier du 8 novembre 2002 puis par courrier du 24 janvier 2003 de ce que les commandes traitées indirectement ne lui ont pas été réglées ou comportent manifestement des erreurs, et que l'absence de documents justifie ses interrogations.

La société Dam soutient que Monsieur Coulon a été destinataire de façon hebdomadaire de la copie des factures émises aux clients de son secteur ainsi que mensuellement d'un état comptable valorisé ligne par ligne et que par ailleurs, des compléments lui ont été versés en 2004. Toutefois, Monsieur Dam le conteste et il lui suffisait, pour en justifier, de produire aux débats ces documents dans leur intégralité, ce que la lecture du bordereau des pièces de la société Dam ne justifie aucunement.

Ainsi, la production des documents comptables sera ordonnée toutefois sans astreinte, et la société Dam sera condamnée au paiement de la somme de 634,77 euro à parfaire au titre de commissions dues, outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 5 janvier 2005 qui seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du Code civil.

- Non-respect de l'exclusivité territoriale et de produits:

Il apparaît que Monsieur Geslin, agent commercial de la société Dam est intervenu sur le même secteur que Monsieur Coulon pour placer des produits Vogel's dès le deuxième semestre de l'année 2002. Plusieurs clients en ont fait la remarque à Monsieur Coulon et s'en sont étonnés, s'agissant manifestement des mêmes produits et non de meubles audio-visuels ou encore de télécommandes universelles. Monsieur Coulon s'en est plaint auprès de Dam par courrier du 25 octobre 2002 qui est resté sans réponse. La société Dam soutient que Monsieur Geslin est intervenu auprès de clients que délaissait Monsieur Coulon et que cette intervention a été acceptée par celui-ci. Toutefois, ainsi qu'il sera dit plus loin, le délaissement de certains clients reste allégué par Dam, et si des discussions ont eu lieu au sujet de l'intervention de Monsieur Geslin sur le secteur de Monsieur Coulon, aucun avenant au contrat de Monsieur Coulon n'a été signé par les parties.

Il y a une violation manifeste par la société Dam de son obligation de respecter l'exclusivité consentie à son agent, Monsieur Coulon dès le courant du dernier trimestre de l'année 2002, dont il s'est inquiété et à laquelle la société Dam n'a pas voulu mettre fin. Il s'agit d'une faute grave de la part de la société Dam justifiant la rupture de la convention d'agent commercial.

* Fautes graves imputées à Monsieur Coulon :

- Activité concurrente à la société Dam :

Ainsi qu'il a été dit plus haut, la société Dam connaissait l'existence d'un contrat signé avec la société Baf, qui portait sur les produits différents, meubles audio-TV pour Baf et supports audiovisuels pour Dam. Elle avait accepté cet état de fait puisqu'il n'en découlait aucune concurrence, ne faisant aucune observation à Monsieur Coulon. Elle ne peut sérieusement soutenir que le développement par Dam de produits télécommandes universelles et meubles TV-audio a obligé "Monsieur Coulon à se mettre en conformité avec ses engagements auprès de Baf". Il n'y a pas de faute grave de la part de Monsieur Coulon dont le mandat donné par la société Dam était de placer uniquement des supports audiovisuels de la société Vogel's et qui devait respecter le mandat que lui avait donné la société Baf, ce que Dam n'ignorait pas.

Aucune faute grave ne peut lui être reprochée.

- Défaut d'informations données au mandant :

Le contrat (article 2) prévoit que " l'agent tient informé le mandant de l'état du marché, du comportement de la clientèle et des initiatives de la concurrence. Il met en œuvre tous les soins professionnels requis pour transmettre les informations qu'il recueillera sur la solvabilité des acheteurs et pour veiller à la régularité des règlements. "

Ce texte ne fixe pas de modalités particulières quant à la transmission des informations, leur régularité, l'agent organisant son activité en toute liberté : Monsieur Coulon a donné des informations à son mandant, ce que la société Dam reconnaît, par plusieurs courriers des 25 septembre et 10 décembre 2001, par courriers des 25 mars, 27 juin, 8 novembre et 18 décembre 2002, également dans un courrier du 25 octobre 2002, précisant les rapports entretenus avec les clients, leur comportement, et la société Dam s'en est manifestement contentée, ne faisant aucune remarque sur le caractère succinct ou encore irrégulier de cette information.

Aucune faute grave ne peut lui être reprochée.

- Mauvaise exécution de ses obligations (tri des clients, mauvaises performances):

Selon la société Dam, Monsieur Coulon aurait fait un tri dans la clientèle à démarcher, aurait délaissé certains clients et aurait eu de mauvaises performances. Toutefois, selon les pièces versées aux débats, Monsieur Coulon avait les mêmes résultats que le chef de vente de la société Dam, Monsieur Mazi et la société Dam rencontrait des difficultés pour s'implanter chez certains, notamment les centres Leclerc, s'en plaignant dans un courrier qu'elle adressait, le premier septembre 2002, à tous ses commerciaux. En outre, contrairement à ce qu'affirme sans le démontrer la société Dam, Monsieur Coulon n'a pas fait le tri dans les clients, les produits qu'il plaçait pour Baf et Dam étant différents, et par ailleurs, selon les documents relatifs aux commissions qu'il percevait, il a bien démarché les centrales d'achat Leclerc, et les divers centres Leclerc.

Aucune faute grave ne peut lui être reprochée.

- Non-respect de la zone géographique :

Empiétant sur le secteur du Sud-Ouest consenti par la société Dam à Monsieur Martin, autre agent commercial, Monsieur Coulon a pris deux commandes en novembre 2002. La société Dam lui a adressé le 29 novembre 2002 une note lui précisant que "ceci est particulièrement inélégant" par rapport à son collègue, et lui demandant "d'éviter dès maintenant ces interférences". Monsieur Coulon a résilié le contrat d'agent par courrier du 24 janvier 2003 mais il a pris une nouvelle commande hors secteur le 28 janvier 2003 auprès du magasin Leclerc de Cognac, qu'il aurait inscrite, selon la société Dam, sur son état de vente pour 246,22 euro. Monsieur Coulon indique avoir traité avec des clients de longue date de manière non délibérée.

Si Monsieur Coulon a empiété encore une fois sur le secteur attribué exclusivement à un autre agent malgré l'avertissement qu'il avait reçu en novembre 2002, il apparaît que les circonstances de l'espèce, alors que les relations contractuelles existant entre les parties se dénouaient, alors que la société Dam ne justifie pas que Monsieur Coulon a inscrit la commande sur son état de vente de sorte que l'empiétement l'aurait mise en difficulté vis-à-vis de son agent commercial, Monsieur Martin, ne permettent pas de donner à la faute commise un caractère de gravité.

Il convient ainsi de dire que la rupture est exclusivement imputable à la société Dam en raison des fautes graves qu'elle a commises.

* Sur l'indemnité de cessation du contrat

Le contrat précise en son article 4 in fine que l'indemnité compensatrice est calculée conformément aux usages de la profession, qu'elle est payable au jour de la cessation effective du contrat et porte intérêt à compter du même jour.

L'indemnité de cessation du contrat a pour objet de réparer le préjudice subi par l'agent, qui comprend la perte de toutes ses rémunérations.

C'est avec une juste appréciation au regard de ces éléments, de la durée effective du contrat que le premier juge a calculé l'indemnité compensatrice due par la société Dam à Monsieur Coulon à 18 mois de commission calculée sur la commission moyenne brute des douze derniers mois (en l'espèce de 23 812 euro), sauf à parfaire, cette somme étant calculée au regard des documents fournis actuellement. C'est également en raison de l'objet de cette indemnité que contrairement à la demande de Monsieur Coulon, "les frais de réemploi" ne peuvent être pris en compte pour le calcul de l'indemnité compensatrice.

Cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 5 janvier 2005 et les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du Code civil.

La décision du premier juge sera confirmée.

* Sur la demande de dommages-intérêts formée par la société Dam:

Cette demande, que rien ne justifie, sera rejetée.

* Sur les frais irrépétibles et les dépens:

Succombant en ses prétentions, la société Dam sera condamnée à payer à Monsieur Coulon la somme de 5 000 euro au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles et supportera les dépens qui seront recouvrés pour ceux d'appel avec le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement déféré en ce qui concerne le montant de l'indemnité, le montant des commissions dues, la production de documents comptables, Statuant à nouveau, Condamne la société Dam à payer à Jacques Coulon : la somme de 634,77 euro au titre des commissions dues, sauf à parfaire, la somme de 23 812 euro au titre de l'indemnité compensatrice, sauf à parfaire, outre les intérêts sur ces sommes au taux légal à compter du 5 janvier 2005, Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, Condamne la société Dam à remettre à Jacques Coulon les documents nécessaires au calcul de sa rémunération, soit un extrait des documents comptables nécessaire à la vérification du montant des commissions dues, Confirme le jugement pour le surplus, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Condamne la société Dam à payer à Jacques Coulon la somme de 5 000 euro au titre des frais irrépétibles, Condamne la société Dam aux dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.