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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 10, 30 novembre 2009, n° 08-10851

PARIS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guillou

Conseillers :

Mmes Sarda, Zamponi

Avocat :

Me de Juvigny

TGI Meaux, 3e ch., du 4 déc. 2007

4 décembre 2007

Rappel de la procédure :

La prévention :

X Philippe

SAS Y prise en la personne de son représentant légal SA Z

ont été poursuivis devant le Tribunal de grande instance de Meaux

X Philippe

pour n'avoir pas à Croissy Beaubourg, courant 2003, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription, en sa qualité de représentant légal de la SAS Y, sise <adresse>, réclamé à ses fournisseurs, la SA Dutry, la Coopérative pâturages comtois et la SA Delavant devenue NCG+, de factures d'achat conformes, comportant sur chacune d'entre elles la mention d'une réduction de prix acquise à la date de la vente, et portant sur l'engagement du distributeur à maintenir en exposition un échantillonnage complet de la gamme des produits, en l'espèce, en facturant à tort sous forme de prestations de services spécifiques, dans le cadre de contrats de coopération commerciale négociés avec ces trois sociétés, de simples obligations générales résultant des achats et des ventes de produits, ne pouvant entraîner de rémunération spécifique de la part du fournisseur,

SAS Y

pour avoir à Croissy Beaubourg, entre le 1er novembre 2003 et le 19 février 2004, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription, prise en la personne de son représentant légal, la SA Z, son président, représentée par Monsieur D Olivier, siège social, <adresse>, exerçant sous l'enseigne A en qualité de distributeur, agissant pour le compte des enseignes B et C, effectué ou fait effectuer des achats de produits ou prestations de service pour une activité professionnelle, en omettant de faire établir des factures conformes à la législation, en l'espèce quatorze factures ne comportant pas de dénomination précise, ni la date, ni la quantité et ni le prix unitaire des services rendus à la société Delavant, devenue NCG+.

Le jugement :

Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré

X Philippe

coupable d'achat ou vente sans facture de produit ou prestation de service pour une activité professionnelle, courant 2003, à Croissy Beaubourg, infraction prévue par l'article L. 441-3 al. 1 du Code de commerce et réprimée par les articles L. 441-4, L. 470-2 du Code de commerce

SAS Y prise en la personne de son représentant légal SA Z

coupable de vente ou achat, par personne morale, de produit ou prestation de service pour une activité professionnelle sans facturation conforme, entre le 1er novembre 2003 et le 19 février 2004, à Croissy Beaubourg, infraction prévue par les articles L. 441-3 al. 3, L. 441-5 du Code de commerce, l'article 121-2 du Code pénal et réprimée par les articles L. 441-4, L. 441-5 du Code de commerce, les articles 131-38, 131-39 5° du Code pénal

Et en application de ces articles, a condamné

X Philippe à une amende délictuelle de 250 000 euro,

a ordonné la publication de la décision dans le journal " Le Monde " et les " Echos ".

SAS Y prise en la personne de son représentant légal SA Z à une amende délictuelle de 250 000 euro,

a ordonné la publication de la décision dans le journal " Le Monde " et les " Echos ".

Les appels :

Appel a été interjeté par :

- M. le Procureur de la République, le 11 décembre 2007 contre Monsieur X Philippe, SAS Y prise en la pers de son représentant légal SA Z

- Monsieur X Philippe, le 12 décembre 2007, des dispositions du jugement,

- SAS Y prise en la personne de son représentant légal SA Z, le 12 décembre 2007, des dispositions du jugement.

Décision :

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels régulièrement interjetés par le Ministère public et les prévenus à l'encontre du jugement entrepris.

A l'audience publique de la cour, la SAS Y est représentée par Monsieur Philippe F, responsable juridique de Y et par son conseil. X Philippe comparaît, assisté de son conseil.

L'enquête à l'origine des plaintes de la Direction Générale de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) département de Seine-et-Marne, s'inscrivait selon le plaignant, dans le cadre d'un programme national d'investigations visant à étudier les relations commerciales existant entre la grande distribution et ses fournisseurs, recherchant plus particulièrement à appréhender la réalité et l'ampleur de la " coopération commerciale " entre ces partenaires économiques.

Cette coopération commerciale, mise en place par le biais de contrats, induit l'engagement du distributeur à fournir, contre rémunération, à ses fournisseurs des services spécifiques, détachables des opérations d'achat ou de vente et visant à promouvoir les produits ou à procurer à ces fournisseurs des facilités d'ordre logistique ou administratif.

Ainsi, dans ce contexte d'investigation national, les services de la DGCCRF se sont rendus le 20 décembre 2001 dans les locaux de la société D, centrale d'achat commune et mandataire des sociétés B et E, à Croissy Beaubourg (77). Les enquêteurs ont demandé justification de la réalité, la spécificité et l'impact des services rendus par D à ses fournisseurs et communication des contrats conclus pour l'année 2002 avec 15 fournisseurs.

A la suite d'un désaccord survenu au cours de l'année 2002 entre E et B, la société D a été dissoute, ses activités notamment en matière de négociation et de gestion des accords de coopération commerciale étant redistribuées au sein de deux entités nouvelles : F pour E et Y pour B.

C'est à ces deux entités nouvelles que les services de la DGCCRF ont respectivement demandé la communication des pièces utiles à l'enquête en cours : factures récapitulatives annuelles afférentes à chaque prestation mentionnée dans les contrats-cadre, contrats d'application pour chaque opération de mise en avant réalisée, sur la base des contrats-cadre, situations intermédiaires valorisées par opération correspondant à la facture de participation publicitaire, enfin contrats-cadre de coopération commerciale pour l'année 2003.

L'étude des documents communiqués dans ce contexte d'enquête a permis, selon les enquêteurs, de mettre en évidence plusieurs infractions à la réglementation en vigueur relativement aux hypermarchés B et à un degré moindre aux supermarchés C.

Sur les faits reprochés à la société Y

La société Y prise en la personne de son représentant légal la SA Z est poursuivie pour avoir entre le 1er novembre 2003 et le 19 février 2004, agissant pour le compte des enseignes B et C, effectué des achats de produits ou prestations de services en omettant de faire établir 14 factures conformes c'est-à-dire comportant dénomination précise, date, quantité et prix unitaire des services rendus à la société Delavant devenue NCG +.

En l'espèce, les services enquêteurs ont noté que les dates figurant sur les factures litigieuses sont fixées au 15 de chaque mois, représentant pour l'Administration les dates d'échéance des paiements mensuels et non celles relatives à la réalisation des services spécifiques rendus.

Les enquêteurs ont également relevé que la quantité des services rendus mentionnée est toujours de 1 renvoyant donc pour eux, encore une fois, non aux services rendus mais au montant des acomptes mensuels ou des soldes perçus par Y.

Enfin, pour l'Administration, la dénomination précise exigée par la réglementation n'est pas davantage mentionnée, les appellations relevées " développement qualitatif MEA " ou " détention de gamme - coop gamme " ne répondant pas aux exigences d'une définition précise des services rendus.

La société Y, au contraire, soutient la conformité des factures en cause aux exigences de l'article L. 441-3 du Code de commerce soulignant d'abord qu'il suffisait au fournisseur ou à l'Administration de rapprocher les factures Y de celles du fournisseur pour vérifier le prix facturé et sa correspondance avec l'accord-cadre signé par ce dernier.

Elle soutient ensuite que les mentions relatives à la date des services, à la quantité des services rendus et au prix unitaire des services rendus sont conformes aux exigences de l'article précité s'agissant de prestations annuelles, et approuvés par une jurisprudence récente qui, rappelant le principe d'une interprétation stricte des textes prévoyant des conséquences pénales, avait dans une autre cause, relevé que la loi à l'époque n'exigeait pas une description de la nature ou des caractéristiques de la prestation de service ou des services qui en sont l'objet, pas plus que n'était définie par un texte la coopération commerciale à l'époque des faits.

Le Ministère public requiert que le dossier soit ramené à sa juste proposition [sic] mais demande à la cour de confirmer le jugement sur la déclaration de culpabilité, d'infirmer sur la peine en prononçant une peine d'amende sensiblement réduite.

Le conseil de la prévenue plaide en conséquence des observations ci-dessus développées, l'infirmation du jugement et la relaxe de sa cliente.

Sur les faits reprochés à Monsieur X Philipe.

Monsieur X Philippe, par ailleurs, qualifié de représentant légal de la SAS Y, est poursuivi pour facturation non conforme pour n'avoir pas réclamé à 3 fournisseurs SA Dutry, Coopérative Pâturages Comtois et SA Delavant devenue NCG+ des factures d'achat comportant sur chacune d'elles la mention d'une réduction de prix acquise à la date de la vente et portant sur l'engagement du distributeur à maintenir en exposition un échantillonnage complet de la gamme de produits, en l'espèce en facturant à tort sous forme de prestations de services spécifiques dans le cadre de contrats de coopération commerciale négociés avec ces trois sociétés, de simples obligations générales résultant des achats et des ventes de produits ne pouvant entraîner de rémunération spécifique de la part du fournisseur.

Il y a lieu tout d'abord de relever que X Philippe n'occupait pas la fonction de représentant légal de la société Y à l'époque des faits.

Il est salarié de la société Y depuis le 17 septembre 2002 en qualité d'acheteur et en cette qualité titulaire d'une délégation de pouvoir datée du 16 septembre 2002 et limitée à la seule famille de produits de la gamme " épicerie sucrée ".

Il convient donc de mettre le prévenu X hors de cause en ce qui concerne les relations avec les sociétés Dutry et Pâturages comtois et de le conserver dans les seuls éléments de la prévention relatifs à la SA Delavant devenue NCG+, fournisseur de nougats.

En l'espèce, les enquêteurs ont relevé de l'analyse des contrats et des factures de coopération commerciale litigieux, qu'aucune prestation spécifique n'avait été rendue, le montant de la rémunération des prestations " IPC, Négo centralisée, suivi de gamme ", " Détention de gamme, suivi de gamme " étant déterminé uniquement sur la base du chiffre d'affaires effectivement réalisé en 2003 et du taux de rémunération figurant dans le contrat de coopération commerciale, le minimum garanti par la SAS Y étant de 0.

Pour la DDCCRF, les sommes versées correspondent à des ristournes acquises en début d'année 2003 et directement liées aux ventes réalisées. Elles auraient dû donc, pour ce service, figurer sur chaque facture sous la forme d'une réduction de prix d'autant plus facilement quantifiable que les montants convenus sont établis en pourcentages du chiffre d'affaires.

Dès lors, la violation de l'article 441-3 du Code de commerce est caractérisée :

- par le fait d'avoir facturé les avantages obtenus (ristournes) sous forme de prestations de services alors que la facturation aurait dû émaner des fournisseurs s'agissant de réductions de prix ;

- par le fait de n'avoir pas réclamé aux fournisseurs des factures conformes comportant notamment la mention, sur chacune des factures d'achat intervenues tout au long de l'année 2003, de ces réductions de prix acquises à la date de la vente.

Le prévenu soutient qu'au moment des faits, il n'existait pas de texte pénal incriminant ces derniers faits de façon spécifique et que la coopération commerciale n'était pas définie par la loi. L'article L. 441-6 alinéa 5 du Code de commerce évoquait simplement " les conditions dans lesquelles un distributeur ou un prestataire de services se fait rémunérer par ses fournisseurs en contrepartie de services spécifiques ".

Le prévenu estime que les services mis en cause par l'Administration notamment la " détention de gamme " ou le " suivi de gamme " constituent des services qui relèvent de la coopération commerciale puisqu'ils visent bien à stimuler les ventes du produit du fournisseur auprès du consommateur. Position selon lui d'ailleurs aujourd'hui reconnue par la Cour de cassation pour la détention de gamme.

Il précise in fine pour demander sa relaxe qu'eu égard à la complexité du droit en la matière, il n'a pas eu l'intention délibérée de commettre une infraction.

Le Ministère public requiert réformation sur la peine et diminution sensible de l'amende prononcée.

Le conseil du prévenu plaide la relaxe faute d'intention coupable ou à défaut dispense de peine.

Sur quoi,

Considérant qu'aux termes de l'article L. 441-3 du Code de commerce, tout achat de produits ou toute prestation de services pour une activité professionnelle doivent faire l'objet d'une facturation. Le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou la prestation du service. L'acheteur doit la réclamer. La facture doit mentionner le nom des parties, la date de la vente ou de la prestation de services, la quantité, la dénomination précise et le prix unitaire hors TVA des produits vendus et des services rendus à la date de la vente ou de la prestation de services et directement liée à cette opération de vente ou de prestation de services.

Considérant que l'article 1 des contrats conclus par Y dispose notamment que le présent contrat constitue " un accord-cadre qui a pour objet d'arrêter les budgets annuels négociés entre les parties et calculés en fonction des spécificités des bénéficiaires et du chiffre d'affaires réalisé par ces derniers; chaque service spécifique, relevant des prestations convenues au titre des budgets d'opérations de mise en avant et d'opérations publicitaires et promotionnelles fera l'objet d'un contrat d'application qui précisera la nature, les produits et réseaux de commercialisation concernés, la période et le prix. "

Que l'article 2, qui porte sur les prestations de service et budgets comporte un tableau qui vise d'une part des prestations, dont il détaille une liste, d'autre part les budgets annuels en valeur relative ou absolue hors taxes ;

Qu'il résulte de ces dispositions que le contrat-cadre ne détermine pas le nombre de transactions relatives aux prestations effectuées, la nature et le prix de chacune d'entre elles, leur date de réalisation.

Sur les faits reprochés à Y

Considérant qu'en l'espèce, les factures litigieuses sont rédigées en termes généraux et ne permettent pas d'identifier avec précision la nature exacte des services rendus, les produits et quantité de produits concernés ainsi que les dates précises de réalisation de ces services ;

Que la cour estime que les mentions légales exigées doivent figurer sur les factures mêmes, sans qu'il soit besoin de se référer aux contrats de coopération correspondant ou aux accords commerciaux qui, en l'occurrence, manquent également de précision ;

Que le laconisme des factures incriminées contrevient manifestement aux dispositions de l'article L. 441-3 du Code de commerce, ce que ne pouvait ignorer un professionnel averti ;

Que le jugement dont appel sera donc confirmé sur la déclaration de culpabilité de la SAS Y ;

Considérant que, sur la peine, la cour infirmera le jugement déféré qui n'a pas distingué entre deux prévenus poursuivis, en des qualités différentes et sur des préventions différentes ; que pour mieux tenir compte de la nature des manquements commis, la cour prononcera à l'encontre de la société Y une amende de 75 000 euro ;

Sur les faits reprochés à X Philippe :

Considérant qu'en n'établissant pas ou n'exigeant pas dans le cadre de ses seules activités d'acheteur en épicerie sucrée, titulaire d'une délégation de pouvoirs, de factures dénommant exactement les réductions acquises à la date de la vente impossibles à déterminer avec certitude, le prévenu a violé les dispositions de l'article L. 441-3 du Code de commerce ci-dessus rappelé, ce qu'il ne pouvait ignorer en sa qualité de professionnel aguerri ;

Qu'il justifie à l'audience, avoir, depuis, et après s'être rapproché des services de la consommation et de la concurrence, apporté les modifications indispensables à la facturation dont il a la responsabilité ;

Que la cour en tiendra compte en condamnant le prévenu à une amende délictuelle de 1 000 euro ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels des prévenus et du Ministère public, Infirme le jugement sur les déclarations de culpabilité, Déclare la SAS Y coupable des faits visés à la prévention, Déclare X Philippe coupable des faits visés à la prévention visant la seule société SA Delavant devenue NCG+, Infirme sur les peines, Condamne la SAS Y à la peine de 75 000 euro d'amende délictuelle, Condamne X Philippe à la peine de 1 000 euro d'amende délictuelle.