CA Pau, 1re ch., 17 novembre 2009, n° 08-02504
PAU
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Dieman (SARL)
Défendeur :
Etablissements Gabriel Beyria (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Negre
Conseillers :
M. Augey, Mme Belin
Avoués :
SCP de Ginestet-Duale-Ligney, Me Vergez
Avocats :
Mes Munoz, Gauthier-Delmas
Exposé des faits et de la procédure
La SARL Etablissements Gabriel Beyria est constructeur de panneaux de bois massif. La SARL Dieman est intervenue pendant une dizaine d'années au titre de la commercialisation de ces panneaux, sans contrat écrit, contre paiement d'une commission à chaque commande.
Toute collaboration entre ces deux sociétés a cessé après l'envoi par la SARL Dieman à la SARL Gabriel Beyria d'une lettre recommandée du 24 avril 2006 avec accusé de réception du 27 suivant mettant la SARL Beyria en demeure de lui payer une indemnité de rupture du contrat d'agent commercial. C'est dans ces conditions que la SARL Dieman a assigné la SARL Etablissements Gabriel Beyria au paiement d'indemnités de rupture de contrat d'agent commercial, dommages et intérêts et accessoires.
Le Tribunal de commerce de Mont-de-Marsan, par jugement du 25 mai 2007 assorti de l'exécution provisoire, a dit que la SARL Dieman n'a pas le statut d'agent commercial à l'égard de la SARL Beyria, débouté la SARL Dieman de sa demande d'indemnité de rupture de contrat d'agent commercial et de ses demandes de dommages et intérêts complémentaires, condamné la SARL Beyria à payer à la SARL Dieman la somme de 18 896,55 euro avec intérêts de droit à compter de l'assignation et celle de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le tribunal a estimé que les dispositions de l'article L. 134-1 du Code de commerce ne sont pas réunies car le rôle de la SARL Dieman était limité à l'indication d'affaires et à l'entretien de l'aspect relationnel avec les clients, soit une fonction de relations publiques et de suivi de clientèle ; il retient que les commissions étaient calculées sur les commandes enregistrées par la SARL Etablissements Gabriel Beyria qui concluait seule les contrats. Il admet l'obligation au paiement de 4 factures passées après le 24 avril 2006 mais correspondant à des commandes antérieures. Le rejet de la demande de dommages et intérêts est fondé sur l'absence de justificatif de préjudice consécutif à la brusque rupture des relations.
La SARL Dieman a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe le 2 août 2007.
Prétentions et moyens des parties
Par conclusions du 4 décembre 2008, la SARL Dieman demande la réformation de la décision, de voir dire qu'elle bénéficie du statut d'agent commercial à l'encontre de la SARL Etablissements Gabriel Beyria, de condamner cette dernière à lui payer la somme de 152 901 euro pour rupture du contrat d'agent commercial et une somme de 28 455,59 euro au titre des commissions impayées avec intérêts au taux légal à compte de la mise en demeure et capitalisés par application de l'article 1154 du Code civil, outre une somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et celle de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle demande le rejet de l'ensemble des demandes de la société Etablissements Gabriel Beyria.
Elle dit avoir été mandatée par la SARL Etablissements Gabriel Beyria pour la négociation des produits fabriqués (définition des prix, modalités de paiement et remises aux clients, suivis de commandes), sa commission étant calculée sur la base des factures remises aux clients. Elle estime que le jugement a eu une vision restrictive de la définition tirée de l'article L. 134-1 du Code de commerce du contrat d'agent commercial, et qu'en l'espèce il n'y avait pas simple contrat de commissionnement.
Elle ajoute s'être trouvée dans l'impossibilité de poursuivre ses activités faute par la société Gabriel Beyria de lui communiquer les documents commerciaux et tarifaires nécessaires. Elle chiffre sa demande d'indemnités sur la base de 2 années de commissions brutes hors TVA.
La SARL Etablissements Gabriel Beyria par conclusions du 26 janvier 2009 " sous les plus expresses réserves quant à la date de l'éventuelle signification du jugement et la recevabilité de l'appel " demande la confirmation de la décision rejetant toutes demandes de la SARL Dieman, sa réformation quant à la condamnation relative aux commissions, se reconnaissant débitrice envers la société Dieman de la somme de 5 486,18 euro à titre de demandes incidentes, elle demande l'allocation d'une somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat, la compensation des sommes éventuellement dues, et une somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle émet des réserves quant au respect du délai d'appel, en l'absence de justification de la date de signification du jugement dont appel, des mesures d'exécution ayant été mises en œuvre.
Elle expose que les contacts entre le responsable de la SARL Dieman et des industriels l'ont amenée à développer de manière informelle une activité d'indicateurs d'affaires pour le compte de la SARL Gabriel Beyria, sans avoir été en charge de négociation des prix définitifs, ni de conclusion des contrats, qu'il était sans effet que les tarifs de l'année 2006 n'aient pas été communiqués, les tarifs 2005 continuant à s'appliquer, de sorte que le statut d'agent commercial ne peut être reconnu à l'appelant et l'application de l'indemnité prévue à l'article L. 134-1 doit être écartée. Elle ajoute que c'est la société Dieman qui lui a brusquement, sans préavis, dans un processus de dénigrement et sans justification, adressé la mise en demeure du 24 avril 2006, qu'elle suppose due au déménagement de la SARL Dieman dans les Deux-Sèvres pour y exercer une activité supplémentaire. Elle se base sur les factures émises jusqu'au 24 avril 2006 pour chiffrer le solde restant du sur commissions.
Elle fait état d'un préjudice commercial minoré par la nécessité dans laquelle des dirigeants de la société Beyria se sont trouvés de multiplier des déplacements auprès de leurs clients pour suppléer la carence de la SARL Dieman.
En réplique au moyen tiré d'une éventuelle irrecevabilité de l'appel, l'appelante déclare avoir satisfait à la sommation de communiquer la signification du jugement, qu'elle a interjeté appel dans le mois suivant la décision et qu'en tout état de cause l'intimée a formé des demandes incidents ne pouvant prospérer que sur un appel recevable.
Discussion
* Sur la recevabilité de l'appel
En définitive l'irrecevabilité de l'appel n'est pas soulevée stricto sensu, de simples réserves ne pouvant répondre aux exigences de formulation des exceptions de procédures. En tout état de cause il a été satisfait en cours de procédure à la demande formulée par la SARL Beyria de communication de l'acte de signification du jugement du 25 mai 2007 dont il a été relevé appel le 2 août 2007 par la production du commandement de payer du 6 novembre 2007 mentionnant une signification antérieure du jugement ni datée ni produite. En réalité la discussion porte plutôt sur la validité de la procédure de saisie-vente mise en œuvre par la société Dieman en exécution dudit jugement. Il ne doit donc pas être tenu compte des "réserves" exprimées.
* Sur les demandes principales
Sur la nature des relations contractuelles entre les parties
L'intervention pendant plusieurs années de la société Dieman dans la mise en relation de clients acheteurs de panneaux avec le vendeur la société Beyria n'est pas contestée sans qu'elle ait donné lieu à convention écrite définissant le périmètre d'intervention de la société Dieman et les modalités de paiement de ce service, mais sans aucune difficulté signalée ou établie avant le mois d'avril 2006. Les dispositions invoquées de l'article L. 134-1 du Code de commerce qui définissent l'agent commercial, applicables selon cette codification à compter du 27 mars 2007 renvoient en réalité aux dispositions antérieures et successivement applicables, notamment celles résultant de la loi 91-593 du 25 juin 1991 puis l'ordonnance 18 décembre 2000 relative aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants et au décret n° 58-1345 du 23 décembre 1958, la définition de l'agent commercial n'ayant pas subi de changement notable.
Il importe donc de déterminer si la SARL Beyria agissait en qualité de mandataire de la SARL Beyria, à titre de profession indépendante, si elle était chargée de façon permanente, de négocier et éventuellement de conclure des contrats de vente de panneaux produits par la SARL Beyria au nom et pour le compte de celle-ci.
Les éléments fournis à l'appréciation du premier juge ont été reproduits devant la cour, il s'agit essentiellement de factures ou de comptes rendus de visites aux clients potentiels ou réels de la société Beyria. Il en ressort que les factures adressées par la SARL Beyria aux clients portaient mention soit du nom de Monsieur Muller (un membre de la société Dieman, dont le statut réel dans cette société n'a pas été justifié), soit d'un numéro lui correspondant, à la rubrique "représentant", mais n'étaient établies que par la venderesse. Après que les clients aient été contactés par la société Dieman, celle-ci renvoyait les acheteurs vers l'entreprise Beyria pour faire une offre, envoyer de la documentation, organiser une livraison, régler un litige.
Certains de ces compte-rendus font certes état d'éléments de suivi des commandes, mentionnent la satisfaction des clients, leurs doléances, mais il n'en résulte nullement que Monsieur Muller avait pouvoir de négocier tarifs, délais, livraisons, reprises, les contrats étant en définitive conclus et suivis par la SARL Beyria. La seule mention très isolée de "notre agent Monsieur Muller" par la SARL Beyria n'apparaît pas avoir plus de valeur que l'appellation de représentant. La possession par la SARL Dieman d'un carnet de commande au nom de la société Beyria est d'autant moins de nature à mettre ce constat en doute que ce carnet est complet, apparemment ancien, et totalement vierge de toute trace de commande.
En outre, il n'est pas précisé si Monsieur Muller était le seul membre de la SARL Dieman à intervenir de cette manière dans les affaires de la société Beyria, si un volume d'affaires avait été prédéfini, étant observé qu'il n'est pas contesté que la SARL Dieman ne bénéficiait d'aucune exclusivité.
Il ressort encore du bilan produit par la société Dieman que l'activité afférente à la SARL Beyria était prévue au titre des immobilisations incorporelles sous l'intitulé "clientèle Beyria" d'une valeur modique de 2 500 euro, alors que le fonds commercial de cette société figure pour 353 000 euro. Encore peut-il être relevé que cette société n'apporte pas non plus la preuve de la publicité de cette activité revendiquée d'agent commercial par une inscription au registre du commerce.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a écarté l'application du statut d'agent commercial et l'application de l'indemnité applicable en fonction de ce contrat.
Sur les demandes relatives aux commissions
L'application des dispositions contractuelles convenues entre les parties quant au paiement de commissions à la SARL Dieman pour chaque commande conclue suite à son intervention au titre de son action dans la prospection de clients et de la mise en contact du vendeur et d'acheteurs réguliers ou potentiels n'a pas lieu d'être remise en cause rétroactivement du fait de la cessation de leur collaboration. L'inexécution par le vendeur de son obligation de paiement de la commission convenue préalablement pour des ventes réalisées grâce à l'intervention de la SARL Dieman, fussent-elles facturées plus tard, n'est pas justifiée. Dans ces conditions, le jugement sera également confirmé en ce qu'il a retenu le principe de l'obligation au paiement de sommes sur des factures postérieures à la résiliation des relations contractuelles.
La SARL Beyria ne conteste pas être redevable de 8 factures émises entre le 28 février et le 24 avril 2006 pour un montant global de 5 486,18 euro.
La société Dieman justifie ses réclamations complémentaires à hauteur de 13 410,27 euro par 4 autres factures datées du 29 juin 2006 pour des commandes anciennes: facture 8578 de 4 164,23 euro correspondant à un accusé de réception de commande à SA Bray du 21 avril 2004 ; facture 8579 de 1 827,61 euro pour une commande Pitois matériaux du 5 janvier 2006 ; facture 8581 de 6 643,18 euro pour une commande Docks de Mouy du 17 mars 2006 ; facture 8580 de 775,25 euro pour une commande PMR du 27 mars 2006. Dès lors que la SARL Beyria ne justifie du paiement de ces commissions, elles sont également dues, ce qui porte le total à la somme de 18 896,45 euro. Le surplus des réclamations n'est ni explicité ni justifié.
Cette somme doit porter intérêts au taux légal à compter de sa demande, soit de l'assignation par application de l'article 1153 du Code civil, la demande de capitalisation des intérêts doit être accueillie conformément à l'article 1154 du Code civil.
* Sur la demande reconventionnelle
En l'absence de toute disposition écrite quant aux modalités de cessation des relations contractuelles des parties, chacune d'entre elle avait la possibilité de mettre un terme à leur collaboration sans préavis particulier, seule une faute prouvée dans les conditions de cette résiliation en relation avec un préjudice pourrait donner lieu à dommages et intérêts.
En l'espèce la SARL Beyria fait essentiellement état de la brusquerie de cette rupture, de trouble commercial et de démarches effectuées par ses salariés auprès des clients.
Il doit être relevé que la lettre du 24 avril 2006 a été suivie d'une réponse de la SARL Dieman du 19 mai 2006 puis d'une dernière lettre du 31 mai 2006 de la société Dieman signifiant l'impossibilité de toute poursuite de collaboration ; la résiliation du contrat s'est donc réalisée en un mois et a donné lieu à des explications réciproques entre les parties. Par ailleurs, il n'est nullement justifié ni de dénigrement de la part de la société Dieman, ni d'éléments comparatifs des frais de déplacements exposés par Pierre Beyria et William Bayard avant et après la cessation des activités de la SARL Dieman, ni du reste de la balance à opérer avec les économies réalisées sur des commissions.
Cette demande doit donc être rejetée comme non justifiée.
* Sur les demandes accessoires
Au regard de la décision rendue, il n'y a pas lieu à dommages et intérêts pour résistance abusive de la part de la SARL Beyria, la demande principale au titre de commission d'agent étant rejetée.
La SARL Dieman sera condamnée au paiement d'une somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens doivent être mis à sa charge.
Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort; Infirme très partiellement le jugement du Tribunal de commerce de Pau du 25 mai 2007 sur les montants alloués à titre de commission, Condamne la SARL Etablissements Gabriel Beyria à payer à la SARL Dieman la somme de 18 896,45 euro (dix huit mille huit cent quatre-vingt seize euro et quarante cinq centimes) portant intérêts au taux légal à compter de l'assignation, Dit que les intérêts échus des capitaux produiront eux mêmes intérêts avec capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, Confirme le jugement en ce qu'il a exclu l'application du statut d'agent commercial et rejeté la demande reconventionnelle en dommages et intérêts, Condamne la SARL Dieman à payer à la SARL Etablissements Gabriel Beyria la somme de 1 500 euro (mille cinq cents euro) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SARL Dieman aux entiers dépens, Dit qu'il pourra être fait application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile au profit de Me Vergez, avoué.