CA Pau, 1re ch., 14 décembre 2009, n° 09-00426
PAU
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Labourd Immobilier Promotion (SARL)
Défendeur :
Granier
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Nègre
Conseillers :
M. Augey, Mme Belin
Avoués :
SCP Longin, Longin-Dupeyron, Mariol, SCP de Ginestet-Duale-Ligney
Avocats :
Mes Vincens, Hilbert
Madame Granier a conclu le 27 février 2004 avec la SARL Labourd Immobilier Promotion un contrat d'agent commercial à durée indéterminée, et elle était chargée de rechercher des immeubles pour le compte de cette société.
Le contrat stipulait notamment que le total des surfaces des transactions réalisées annuellement ne pourrait être inférieur à 1500 m².
Madame Granier recevait tous les mois une avance sur commissions, ainsi qu'une commission basée sur la superficie des immeubles présentés.
Par lettre du 20 septembre 2006, la SARL Labourd Immobilier Promotion a notifié à Madame Granier la rupture du contrat, au motif que les quotas n'avaient pas été atteints, et elle a préparé un protocole prévoyant le paiement d'un solde de commissions ainsi qu'une indemnité de résiliation.
Madame Granier a refusé les termes de ce protocole et elle a fait assigner la SARL Labourd Immobilier Promotion devant le Tribunal de grande instance de Bayonne, à fin de voir dire et juger qu'elle est bénéficiaire d'un contrat d'agent commercial, et qu'en l'absence de faute grave, elle est en droit de prétendre au paiement des indemnités prévues aux articles L. 134-1 et suivants du Code du commerce.
Par jugement du 26 janvier 2009, cette juridiction a d'une part déclaré irrecevables les conclusions présentées par la SARL Labourd Immobilier Promotion au motif qu'elle n'a pas fait connaître son siège social ainsi que l'organe qui la représente, en violation des dispositions de l'article 59 du Code de procédure civile.
Sur le fond, elle a fait valoir que la convention litigieuse s'analyse comme un contrat d'agent commercial, et qu'aucune de ses dispositions ne rend incompatible l'application du statut d'agent commercial avec l'activité non salariée exercée pour le compte d'un marchand de biens.
Le tribunal a donc jugé que Madame Granier à laquelle il n'est reproché aucune faute grave est en droit de bénéficier des dispositions des articles L. 134-7 et L. 134-12 du Code du commerce relatifs au paiement des commissions, et de l'indemnité compensatrice de la clause de non-concurrence, et la SARL Labourd Immobilier Promotion a été condamnée à lui payer la somme de 40 158,70 euro au titre de sa facture de commissions, 9 901,73 euro correspondant au rappel de commissions pour la période de préavis, 71 292,51 euro représentant le montant de l'indemnité consécutive à la rupture du contrat d'agent commercial, et 10 455,25 euro au titre de l'indemnisation de la clause de non-concurrence.
La SARL Labourd Immobilier Promotion a relevé appel de ce jugement.
Elle a conclu à sa réformation, ainsi qu'à la condamnation de Madame Granier au paiement d'une indemnité de 7 000 euro pour frais irrépétibles.
Elle fait valoir d'une part que ses conclusions étaient recevables, au motif qu'elle a signifié l'adresse de son siège social dans le courant de la procédure.
Sur le fond, elle soutient que les dispositions relatives au statut d'agent commercial ne sont pas applicables à la convention souscrite par Madame Granier, et qu'en tout état de cause elle ne remplit pas les conditions requises par la loi du 13 juillet 2006 modifiant l'article 4 de la loi du 2 janvier 1970 qui réglemente le statut d'agent commercial en matière immobilière.
Elle prétend que ces nouvelles dispositions ne sont applicables qu'aux personnes négociant ou s'engageant pour le compte de personnes physiques ou morales titulaires de la carte professionnelle, et qui prêtent leur concours d'une manière habituelle aux opérations portant sur les biens d'autrui.
L'appelante fait observer qu'elle exerce une activité exclusive de promotion immobilière et qu'elle n'intervient donc pas pour le compte d'autrui, mais seulement dans son propre intérêt, en prospectant des terrains et en procédant à l'élaboration de programmes immobiliers destinés à être commercialisés.
Madame Granier a conclu à la confirmation du jugement, en demandant d'autre part à la cour d'appel d'ordonner la capitalisation des intérêts, et elle a sollicité la condamnation de l'appelante au paiement d'une indemnité de 6 500 euro au titre des frais irrépétibles.
Elle fait valoir qu'elle exerce la profession libérale d'agent commercial et qu'elle est régulièrement immatriculée au registre spécial des agents commerciaux, que la société Labourd Immobilier Promotion exerce une activité de promotion immobilière et de marchands de biens, et qu'elle a souscrit le 1er mars 2004 un contrat d'agent commercial à durée indéterminée, son mandat consistant dans la recherche d'immeubles ou de monuments historiques bénéficiant de lois de défiscalisation, pour permettre à son mandant d'acquérir des biens immobiliers destinés à la revente dans le cadre des programmes.
Elle s'appuie sur les dispositions de l'article 97 de la loi du 13 juillet 2006 pour soutenir que les personnes qui interviennent en tant que mandataires non salariés des agents immobiliers sont assujetties au statut d'agent commercial dès lors qu'ils ne perçoivent pas directement de fonds de la part des tiers.
Elle fait valoir que l'appelante a reconnu en cause d'appel qu'elle a la qualité de promoteur immobilier et qu'elle n'est donc pas soumise à la loi du 2 janvier 1970 relative aux agents immobiliers, et que dès lors la concluante ne peut avoir cette qualité.
Elle ajoute qu'elle était mandatée pour rechercher et négocier des contrats au nom et pour le compte de la société Labourd Immobilier Promotion et qu'il s'agit d'une activité d'agent commercial au sens des dispositions du Code du commerce réglementant ce statut.
Madame Granier a fait observer d'autre part qu'aucune faute grave ne peut lui être reprochée, et qu'elle doit donc bénéficier des dispositions légales relatives au paiement des commissions et indemnités de rupture.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 septembre 2009.
Motifs de l'arrêt
Il résulte des pièces versées aux débats que par contrat du 25 février 2004 prenant effet au 1er mars de la même année, la société Labourd Immobilier Promotion a fait souscrire à Madame Granier un contrat dénommé d'agent commercial pour une durée indéterminée, et l'article 3 de cette convention stipule qu'un mandat est confié à Madame Granier à fin de rechercher des immeubles, monuments historiques ou bénéficiant des lois de défiscalisation pour permettre à la société LIP d'acquérir des biens immobiliers destinés ensuite à la revente dans le cadre de programmes.
Ce contrat précise que Madame Granier se voit attribuer en exclusivité un secteur géographique.
D'autre part l'examen de ce contrat et notamment celui des articles 5, 7, 8, 9, 10, 11 et 12 révèle qu'il s'agit de la reproduction des dispositions du Code du commerce relatives au statut des agents commerciaux en ce qui concerne le mode de calcul de la rémunération et des commissions, la clause de non-concurrence d'une durée de six mois, ainsi que les conditions de la rupture du contrat.
Par lettre du 20 septembre 2006, la société LIP a notifié à Madame Granier la résiliation du son contrat, au motif que la clause de quota prévue à l'article 8 n'a pas été exécutée.
Cet article 8 stipule que le total des surfaces des transactions réalisées annuellement ne pourra être inférieur à 1500 m2.
Madame Granier soutient qu'elle est en droit de bénéficier des dispositions du Code du commerce relatives aux agents commerciaux, et l'appelante fait observer de son côté qu'elle ne peut prétendre aux dispositions de ce statut, au motif qu'elle a exercé en réalité des fonctions d'agent immobilier mais de manière illégale, dans la mesure où elle ne justifie pas d'une carte professionnelle.
Il convient de constater d'une part que la société LIP a pour objet social la promotion immobilière, c'est-à-dire qu'elle procède à l'achat de biens immobiliers qu'elle rénove et qu'elle revend.
Elle n'exerce donc pas une activité d'agent immobilier de sorte que les dispositions de la loi du 2 janvier 1970 relative au statut d'agent immobilier ne peuvent recevoir application.
D'autre part, l'article L. 134-1 du Code du commerce dispose que l'agent commercial est un mandataire qui à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et éventuellement de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestations de services au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux.
C'est exactement l'activité à laquelle s'est livrée Madame Granier pour le compte de la société LIP puisqu'elle était chargée aux termes de son contrat, de rechercher et de négocier des achats de biens immobiliers au nom et pour le compte de la société LIP ; qu'elle a été rémunérée par le biais de commissions, et qu'elle n'avait donc pas le statut d'agent salarié ni d'agent immobilier dans la mesure où elle n'a jamais prêté son concours à des opérations d'entremise sur des biens immobiliers appartenant à autrui, d'autant que la société LIP n'avait pas le statut d'agent immobilier.
Enfin, il y a lieu de rappeler qu'aux termes de l'article 97 de la loi du 13 juillet 2006, les personnes qui interviennent en tant que mandataire non salarié des agents immobiliers sont assujetties au statut des agents commerciaux dès lors qu'elles ne perçoivent pas directement de fond de la part de tiers, et doivent ainsi bénéficier d'une immatriculation au Registre spécial des agents commerciaux.
Tel est le cas de Madame Granier qui est immatriculée à ce registre ainsi qu'il ressort d'un extrait délivré par le greffe du Tribunal de commerce de Lyon le 9 décembre 2004.
Il est donc parfaitement établi que Madame Granier relève du statut des agents commerciaux dans ses relations avec la société LIP.
Il résulte des articles L. 134-11, L. 134-12, et L. 134-13 du Code du commerce que l'agent commercial dont le contrat est rompu à l'initiative du mandant doit bénéficier du respect d'une période de préavis, et d'autre part du paiement d'une indemnité en réparation de son préjudice.
D'autre part, aux termes de l'article L. 134-13 du même code, ces indemnités réparatrices ne sont pas dues lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.
La faute grave se définit comme celle qui procède du comportement conscient et délibéré de l'agent qui adopte une attitude d'une gravité telle qu'elle ruine immédiatement l'intérêt commun présidant aux relations avec le mandant, et mettant en péril les intérêts légitimes de celui-ci.
En l'espèce, le contrat a été résilié en raison du non-respect des quotas par Madame Granier.
Il ne s'agit en aucun cas d'une faute grave répondant aux critères définis ci-dessus, et d'ailleurs la société LIP n'a à aucun moment dans ses écritures évoqué l'existence d'une faute grave et n'en a en tout état de cause pas rapporté la preuve.
Dès lors, Madame Granier est en droit de bénéficier du paiement des rémunérations, commissions et indemnités suivantes, étant précisé que les justificatifs qu'elle a communiqués n'ont pas fait l'objet de la moindre contestation de la part de la société LIP :
- commissions :
a) 40 158,70 euro TTC au titre de la facture des commissions du 18 octobre 2006, étant précisé que cette somme a été calculée sur la base des éléments fournis par la société LIP, par l'intermédiaire de son expert-comptable ;
b) 9 901,73 euro correspondant au rappel de commissions pour la période de préavis, pour une durée de trois mois, en application des dispositions de l'article 10 du contrat ;
c) 10 455,25 euro au titre de l'indemnisation de la clause de non-concurrence, en application des dispositions de l'article 11 du contrat qui stipule que pendant la durée de l'interdiction soit six mois, l'agent percevra une indemnité compensatrice égale à 20 % de la moyenne mensuelle des commissions perçues par l'agent au cours des 12 derniers mois d'activité, et Madame Granier a justifié que le montant total de ses droits à commission pour les 12 mois de l'année 2006 s'élève à la somme de 52 276,24 euro.
- sur le montant de l'indemnité de rupture :
L'article 134-12 du Code du commerce dispose qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
L'indemnité de cessation du contrat d'agent commercial a pour objet de réparer le préjudice subi, qui comprend la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties.
Cette règle de la réparation intégrale du préjudice a pour effet d'entacher de nullité les clauses du contrat qui pourraient avoir pour effet de la mettre en échec, directement ou indirectement.
En l'espèce, l'article 12 du contrat stipule que l'agent aura droit à une indemnité en réparation du préjudice subi égale à six mois de commissions.
En application du principe de réparation intégrale du préjudice, cette clause contractuelle ne peut pas recevoir application.
Le préjudice subi par l'agent commercial correspond d'une part au montant des commissions auxquelles il aurait pu continuer à prétendre si le contrat s'était normalement poursuivi.
Ce préjudice est constitué également par la valeur économique de son contrat dans la mesure où celui-ci est cessible, et où il constitue l'élément corporel immobilisé de son patrimoine professionnel, et d'ailleurs l'article L. 134-13 du Code du commerce rappelle que si l'agent commercial cède son mandat à un tiers, il perd son droit à indemnité.
Tous les usages confirment que le prix de cession d'un contrat d'agent commercial est déterminé sur la base de deux années de commissions, quelle qu'ait pu être la durée de la relation contractuelle.
Madame Granier a enfin versé aux débats un nombre important de pièces qui démontrent la qualité et l'importance du travail qu'elle a fourni pour le compte de la société LIP.
Elle a perçu une rémunération mensuelle de commissions d'un montant de 2 970,52 euro.
Elle est donc en droit de prétendre au paiement d'une indemnité de rupture calculée sur la base de 24 mois de commissions, soit la somme de 71 292,48 euro.
Le jugement déféré sera donc confirmé en toutes ses dispositions, sauf à préciser que la somme due au titre de l'indemnité consécutive à la rupture est fixée à 71 292,48 euro au lieu de 71 292,51 euro.
D'autre part, il y a lieu, en application des dispositions de l'article 1154 du Code civil, d'ordonner la capitalisation des intérêts sur chacune des sommes dues à compter du 26 janvier 2009, correspondant à la date du jugement déféré et au point de départ des intérêts au taux légal.
Enfin, il serait inéquitable de laisser à la charge de Madame Granier les frais irrépétibles qu'elle a dû engager en cause d'appel ; la société LIP sera donc condamnée à lui payer une indemnité de 3 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement du 26 janvier 2009 du Tribunal de grande instance de Bayonne, sauf à préciser que l'indemnité de rupture est fixée à la somme de 71 292,48 euro (soixante et onze mille deux cent quatre vingt douze euros et quarante huit centimes) au lieu de 71 292,51 euro (soixante et onze mille deux cent quatre vingt douze euros et cinquante et un centimes). Y ajoutant, Ordonne la capitalisation des intérêts dus au taux légal sur chacune des sommes dues à compter du 26 janvier 2009, ce dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil, Condamne la SARL Labourd Immobilier Promotion à payer à Madame Marie-Josée Granier une indemnité de 3 000 euro (trois mille euro) en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la SARL Labourd Immobilier Promotion aux dépens, et autorise la SCP de Ginestet-Duale-Ligney, avoués, à recouvrer directement ceux d'appel, en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.