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Décisions

CA Rouen, 1re ch. 1er cabinet, 16 décembre 2009, n° 08-01484

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gricourt

Défendeur :

Philiponnat (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Le Boursicot

Conseillers :

Mmes Boisselet, Prudhomme

Avoués :

SCP Colin-Voinchet Radiguet-Thomas Enault, Couppey

Avocats :

Mes Dubos, Carnoye

TGI Le Havre, du 7 févr. 2008

7 février 2008

Par contrat du 1er janvier 2004, la société Philiponnat-Les Domaines Associés (ci-après Philiponnat) a confié à Raphaël Gricourt en qualité d'agent commercial la vente de produits commercialisés sous les marques de Champagne Philiponnat ou de Saint Marceaux. Ce contrat contenait la clause de non-concurrence usuelle en la matière, et spécifiait notamment que l'agent commercial s'interdisait formellement de s'intéresser, pendant la durée d'exécution du contrat, à la commercialisation, sous quelque forme que ce soit d'autres vins de champagne, sauf accord préalable écrit de la direction de Philiponnat.

Par lettre recommandée du 26 avril 2005, Philiponnat a mis fin à ce contrat sans préavis ni indemnité en invoquant la faute grave de son agent, ayant consisté à commercialiser sans son accord les champagnes de la société Billecart Salmon.

Par acte du 21 juillet 2005, Philiponnat a assigné Raphaël Gricourt devant le Tribunal de grande instance du Havre afin d'obtenir réparation du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale commis par ce dernier.

Par jugement du 7 février 2008, le tribunal a condamné Raphaël Gricourt à payer à Philiponnat les sommes de 12 232 euro en réparation de son préjudice, et celle de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Raphaël Gricourt en a relevé appel le 25 mars 2008.

Par ordonnance du 5 mai 2009, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de Raphaël Gricourt tendant à obtenir communication par cinq autres agents commerciaux liés à Philiponnat de tous leurs contrats.

Par conclusions du 27 octobre 2009, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet des moyens, il expose que les usages en vigueur dans le secteur de la représentation de vins l'autorisaient à représenter sans l'autorisation de son mandant du champagne d'une maison concurrente, et que la clause de non-concurrence doit s'apprécier dans ce contexte. Il reprend donc la demande précédemment rejetée par le conseiller de la mise en état, tendant à ce qu'il soit fait injonction aux autres agents commerciaux de Philiponnat énumérés dans ses écritures de produire les contrats les liant tant à Philiponnat qu'à d'autres maisons de champagne.

Au fond, il fait valoir essentiellement que le contrat du 1er janvier 2004, non signé de Philiponnat, ne peut faire la preuve de l'accord de volonté intervenu entre les parties, et qu'ainsi le contenu de ce contrat ne peut lui être opposé. Il conteste dès lors avoir commis la moindre faute à l'égard de Philiponnat, et réclame reconventionnellement paiement des sommes de 1 438,41 euro au titre d'indemnité de préavis, 14 432,40 euro au titre d'indemnité compensatrice, et 3 896,75 euro au titre d'indemnité de remploi, avec intérêts à compter du 26 avril 2006, et application de l'article 1154 du Code civil, outre une indemnité de procédure de 4 000 euro.

Par conclusions du 16 octobre 2009, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet des moyens, Philiponnat fait valoir que le contrat a été paraphé par Philiponnat et signé de Raphaël Gricourt et qu'en application de l'article 1322 du Code civil, un acte vaut comme acte sous-seing privé dès lors qu'il est signé par la partie à qui on l'oppose. La clause de non-concurrence qu'il contient est donc parfaitement applicable. A défaut, l'article L. 134-3 du Code de commerce, qui prohibe toute représentation d'une entreprise concurrente sans autorisation du mandant ne pourrait être écarté. Ainsi, l'agent ne contestant pas la commercialisation de champagne concurrent, est caractérisée une faute grave à son encontre, qui justifie la résiliation du contrat à ses torts sans indemnités. La demande d'indemnités formée par ce dernier est d'ailleurs prescrite, plus d'un an s'étant écoulé entre la date de la rupture, soit le 26 avril 2005, et la date de la première demande devant le tribunal.

En revanche, les agissements de concurrence déloyale commis par son agent ont causé à Philiponnat un préjudice certain constitué des éléments suivants:

- perte des investissements réalisés : 8 232 euro

- perte de clientèle : 18 575 euro

- perte d'image : 5 000 euro

Elle lui réclame donc paiement des sommes de:

- 31 807 euro en réparation du préjudice subi,

- 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Philiponnat a conclu à nouveau le 28 octobre 2009, afin d'ajouter à ses précédentes demandes, qu'elle reprend intégralement, une prétention supplémentaire au paiement de la somme de 5 000 euro en réparation du préjudice causé par la violation par Raphaël Gricourt des principes de loyauté et de respect de la contradiction au cours du débat judiciaire.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 octobre 2009.

Par conclusions de procédure du 29 octobre 2009, Raphaël Gricourt a sollicité le rejet des écritures déposées le 28 octobre 2009 pour violation du principe de la contradiction.

Sur ce :

Sur la procédure :

Il résulte de la chronologie ci-dessus rappelée que Raphaël Gricourt n'a pas été mis en mesure par son adversaire de répondre utilement à sa demande de dommages et intérêts de 5 000 euro, formulée pour la première fois le jour même de la clôture. Les écritures du 28 octobre 2009 reprenant pour le surplus les prétentions et moyens précédemment développés, et n'apportant ainsi aucun élément nouveau aux débats, seront rejetées en totalité, la cour retenant au titre de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile les écritures déposées le 16 octobre 2009 par Philiponnat.

Sur le fond :

Sur la demande de communication de pièces :

Raphaël Gricourt expose que les pièces dont il sollicite la communication ont pour objet de démontrer qu'en matière de représentation de vins, et plus particulièrement de champagne, la pratique, notamment suivie par Philiponnat, admet la représentation par un même agent de plusieurs maisons.

Cependant, cette affirmation, contestée fermement par l'intéressée, se heurte frontalement aux prescriptions tant de la loi, et plus précisément de l'article L. 134-3 du Code de commerce, qui prohibe de façon générale toute représentation par l'agent commercial, qu'il ait ou non la qualité de commerçant, d'une entreprise concurrente de celle d'un de ses mandants, que du contrat dont il sera démontré plus loin qu'il a bel et bien force de loi entre les parties.

La communication de pièces sollicitée n'est donc pas utile à la solution du litige et ne sera pas ordonnée.

Sur le cadre juridique des relations entre les parties:

Il est constant que le contrat d'agent commercial daté du 1er janvier 2004, après avoir été paraphé à chaque page par les deux parties, soit, pour Philiponnat le président du conseil d'administration de la société, Charles Philiponnat, n'a jamais été signé par ce dernier. En revanche, il l'a bien été par Raphaël Gricourt, qui a d'ailleurs apposé la mention " Lu et approuvé " au pied de sa signature, et qui n'a jamais contesté qu'il en était bien le signataire.

Dès lors, en application de l'article 1322 du Code civil, Philiponnat est bien fondée, nonobstant le fait qu'il ne soit pas signé d'un de ses représentants, à opposer à Raphaël Gricourt l'écrit matérialisant le contrat qu'il a signé, et dont il n'est pas contesté qu'il a bien été remis à cette société, ce qui invalide l'affirmation de Raphaël Gricourt selon laquelle il ne s'agirait que d'un projet. Dès lors l'article I de ce contrat, qui porte interdiction formelle à l'agent de s'intéresser pendant la durée d'exécution du contrat à la commercialisation sous quelque forme que ce soit d'autres vins de Champagne, sauf accord préalable écrit de la direction de la société, est bel et bien applicable. Il est par ailleurs dépourvu de toute ambigüité, et c'est vainement que Raphaël Gricourt soutient qu'un champagne peut n'être pas concurrent d'un autre champagne, en raison de la spécificité de chacun de ces produits.

En outre, le contrat d'agent commercial n'est soumis à aucun formalisme particulier. L'article 1341 du Code civil exige certes la rédaction d'un écrit pour toute obligation dépassant une certaine somme, mais ce texte n'édicte qu'une règle de preuve et ne fait pas dépendre l'existence de l'obligation elle-même du respect de cette règle. Dès lors, ce texte n'est pas pertinent en l'espèce, puisque Raphaël Gricourt ne conteste ni la relation contractuelle en elle-même ni sa qualification juridique. Or les dispositions de l'article L. 134-3 du Code de commerce, qui fixe de façon impérative les règles du mandat d'intérêt commun, et dont la clause insérée au contrat n'est que la reprise, sont en tout état de cause applicables et prohibent tout aussi clairement la représentation par l'agent sans autorisation du mandant d'une entreprise concurrente.

Dès lors, la représentation par Raphaël Gricourt d'une maison de champagne concurrente, à savoir la société Billecard Salmon à compter d'avril 2005, non contestée par l'intéressé qui ne soutient pas qu'il y aurait été autorisé, constitue bel et bien une faute grave justifiant la résiliation immédiate du contrat d'agent commercial.

Sur les demandes respectives des parties:

La résiliation immédiate du contrat pour faute grave de Raphaël Gricourt étant jugée bien fondée, les demandes d'indemnités formées par ce dernier ne peuvent prospérer, sans qu'il soit utile d'examiner si elles sont ou non prescrites.

Philiponnat est en outre bien fondée à solliciter réparation du préjudice qui lui a été causé par la rupture du contrat, à condition cependant d'en établir l'existence et l'étendue.

A cet effet, Philiponnat produit un simple relevé de montants de chiffres d'affaires, dont elle prétend qu'ils auraient été réalisés par Raphaël Gricourt en 2004 et 2005, et expose que son préjudice est égal à la perte de marge correspondante, qu'elle vise au poste " perte de clientèle ". Outre le fait que les chiffres produits, qui sont de simples affirmations de la société, qui n'a même pas jugé utile de recueillir une attestation de son expert-comptable, doivent être reçus avec prudence, il n'est pas démontré que Raphaël Gricourt, bien que bénéficiant d'une exclusivité, aurait été en mesure de réaliser les mêmes performances s'il avait poursuivi son contrat, et il n'est pas davantage établi que Philiponnat n'a pu procéder à son remplacement. En outre, Philiponnat ne peut prétendre à un droit quelconque sur la clientèle, qui demeure libre de choisir son cocontractant ou sa marque de champagne. Le tribunal a enfin justement relevé que les faits de concurrence déloyale proprement dits ont été très brefs puisqu'ils se sont limités aux premières semaines d'avril 2005, sans que la perte de chiffre d'affaires en résultant pour le mois considéré soit établie. Dès lors la demande de Philiponnat au titre de la perte de clientèle ne peut être accueillie.

En ce qui concerne les investissements réalisés pendant l'exécution du contrat, dont il est justifié à hauteur de 8 232 euro, il n'est pas démontré qu'ils ont été totalement perdus, puisque Raphaël Gricourt aurait, selon les affirmations de Philiponnat ci-dessus visées, réalisé un chiffre d'affaire en 2004 et 2005 de près de 80 000 euro. Dès lors la réparation allouée à Philiponnat à ce titre sera ramenée à la somme de 4 000 euro.

Enfin, la perte d'image subie par Philiponnat à la suite de la rupture est incontestable et a été justement appréciée par le tribunal.

Le jugement sera donc réformé sur le montant des dommages et intérêts dûs par Raphaël Gricourt, qui sera ramené à la somme de 6 000 euro.

Raphaël Gricourt, qui succombe, supportera les dépens, avec recouvrement direct au profit de Maître Couppey, avoué, et les frais de procédure exposés en appel par Philiponnat à hauteur de 1 000 euro.

Par ces motifs, LA COUR, Ecarte des débats les écritures déposées par la société Philiponnat le 28 octobre 2009, Réformant le jugement uniquement sur le montant des dommages et intérêts alloués à la société Philiponnat, Condamne Raphaël Gricourt à payer à la société Philiponnat la somme de 6 000 euro à titre de dommages et intérêts, Confirme le jugement sur le surplus, y compris sur l'indemnité allouée à la société Philiponnat au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens, Rejette le surplus des demandes au fond, Condamne Raphaël Gricourt à payer à la société Philiponnat la somme complémentaire de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Le condamne également aux dépens, avec recouvrement direct au profit de Maître Couppey, avoué.