CE, 7e et 2e sous-sect. réunies, 20 mai 2009, n° 316601
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ministre de la Défense
Défendeur :
Réseau Gasel (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Martin
Commissaire du gouvernement :
M. Boulouis
Rapporteur :
Mme Chaduteau-Monplaisir
Avocats :
SCP Vier, Barthelemy, Matuchansky
LE CONSEIL : - Vu le pourvoi, enregistré le 28 mai 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de la Défense ; le ministre demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler l'ordonnance en date du 13 mai 2008 par laquelle le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes, statuant en application de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative, a annulé la procédure de passation de l'accord-cadre pour la fourniture de matériels de cuisine au profit des centres de restauration militaires de la marine nationale relevant de l'arrondissement maritime de Brest et de la région parisienne ; 2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Réseau Gasel présentée devant le Tribunal administratif de Rennes ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu la directive 2004-18-CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 ; Vu le Code des marchés publics ; Vu le Code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, Auditeur, - les observations de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de la société Réseau Gasel, - les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public, La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de la société Réseau Gasel ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, le 12 janvier 2008, le commissariat de la marine a lancé une procédure visant la passation d'un accord-cadre, d'une durée de quatre ans, ayant pour objet la fourniture de matériels de cuisine au profit des centres de restauration militaires de la marine nationale relevant de l'arrondissement maritime de Brest et de la région parisienne ; que l'avis d'appel à la concurrence relatif à ce marché a été publié au Bulletin officiel des annonces de marchés publics et au Journal officiel de l'Union européenne le 12 janvier 2008 ; que la date limite de réception des plis était fixée au 11 avril 2008 à 15 h 00 ; que la société Réseau Gasel a répondu à l'appel mais que son offre, étant arrivée le lundi 14 avril 2008, a été rejetée ; que la société Réseau Gasel a demandé au juge des référés du Tribunal administratif de Rennes, sur le fondement de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative, de différer la signature de l'accord-cadre jusqu'au terme de la procédure de référé précontractuel et d'annuler les actes pris par l'Etat dans le cadre de la procédure de passation de ce marché ; que le juge des référés a, par une ordonnance en date du 13 mai 2008, fait droit à cette demande et annulé la procédure ; que le ministre de la Défense se pourvoit en cassation contre cette ordonnance ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative : Le Président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics (...). Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par ce manquement, ainsi que le représentant de l'Etat dans le département dans le cas où le contrat est conclu ou doit être conclu par une collectivité territoriale ou un établissement public local. Le Président du tribunal administratif peut être saisi avant la conclusion du contrat. Il peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. Dès qu'il est saisi, il peut enjoindre de différer la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours (...) ;
Considérant qu'aux termes de l'article 36, relatif à la rédaction et aux modalités de publication des avis d'appel public à la concurrence, de la directive 2004-18-CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services : 1. Les avis comportent les informations mentionnées à l'annexe VII A et, le cas échéant, tout autre renseignement jugé utile par le pouvoir adjudicateur, selon le format des formulaires standard adoptés par la Commission (...) ; que le point 24 de l'annexe VII A de la directive 2004-18-CE indique les informations concernant les procédures de recours et devant figurer dans les avis de marché : Nom et adresse de l'organe compétent pour les procédures de recours et, le cas échéant, de médiation. Précisions concernant les délais d'introduction des recours ou le cas échéant, nom, adresse, numéro de téléphone, numéro de télécopieur et adresse électronique du service auprès duquel ces renseignements peuvent être obtenus ; qu'il résulte de ces dispositions que les acheteurs publics ne sont pas tenus de renseigner, dans l'avis de marché, la rubrique VI.4.2 relative aux délais d'introduction des recours dès lors qu'ils ont précisé au titre de la rubrique VI.4.3 les coordonnées du service auprès duquel ces renseignements peuvent être obtenus ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que l'avis de marché litigieux a indiqué, à la rubrique VI.4.1 relative à l'instance chargée des procédures de recours : Tribunal administratif de Rennes et ses coordonnées, et à la rubrique VI.4.3 relative au service auprès duquel des renseignements peuvent être obtenus concernant l'introduction des recours : greffe du tribunal de Rennes et ses coordonnées ; que, dès lors, en se fondant, pour annuler la procédure de passation du marché, sur le fait que la mention portée dans la rubrique VI.4.3 ne dispensait pas le ministre de renseigner également la rubrique VI.4.2, le juge des référés a commis une erreur de droit ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de la Défense est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;
Considérant que, en application de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;
Considérant en premier lieu qu'à l'annexe VII A de la directive 2004-18-CE précitée, il est écrit à la rubrique 6 c relative aux marchés publics de services : dans le cas d'accords-cadres, indiquer également la durée de l'accord-cadre, la valeur totale des prestations estimée pour toute la durée de l'accord-cadre ainsi que, dans toute la mesure du possible, la valeur et la fréquence des marchés à passer ; qu'il résulte de l'instruction que le pouvoir adjudicateur n'a pas indiqué, dans l'avis d'appel public à la concurrence litigieux, la valeur totale des prestations estimée pour la durée de l'accord-cadre ; qu'il était pourtant tenu de le faire, en application des dispositions prévues par la directive 2004-18-CE et de son annexe VII A précitées, pour être conforme au modèle fixé par le règlement (CE) n° 1564-2005 de la Commission du 7 septembre 2005, ainsi que le prévoit l'article 40 du Code des marchés publics ; que, même si les articles 76 et 77 du Code des marchés publics prévoi[en]t qu'un accord-cadre peut être passé sans minimum ni maximum, le ministre de la Défense, qui entendait passer un tel marché, était cependant tenu de faire figurer, dans la rubrique Quantité ou étendue globale de l'avis d'appel d'offres, selon le modèle fixé par le règlement communautaire mentionné ci-dessus, à titre indicatif et prévisionnel, les quantités de matériels à fournir ou des éléments permettant d'apprécier l'étendue du marché ; que l'absence d'une telle indication constitue, conformément à ce que soutient la société Réseau Gasel, un manquement à l'obligation de publicité et de mise en concurrence ; que, toutefois, la société Réseau Gasel n'apporte aucun élément sur le lien éventuel entre ce manquement et le motif du rejet de son offre lié à la tardiveté de celle-ci, de nature à justifier que ce manquement l'aurait lésée ou aurait été susceptible de la léser ;
Considérant en deuxième lieu que la société Réseau Gasel soutient d'une part, que l'avis public d'appel à la concurrence litigieux, indiquant seulement que la procédure est négociée, serait imprécis quant à la nature de cette procédure et omettrait en outre de mentionner l'existence d'un précédent appel d'offre demeuré infructueux, d'autre part, que le ministre n'aurait pas justifié des niveaux de capacité minimaux exigés et n'aurait pas valablement renseigné les rubriques VI.4.2) et VI.4.3) de l'avis d'appel public à la concurrence ; que, toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que ces irrégularités, à les supposer établies, qui se rapportent à une phase de la procédure antérieure à la sélection des offres, soient susceptibles d'avoir lésé ou risqué de léser la société requérante, dont la candidature a été admise et qui a présenté une offre correspondant à l'objet du marché, laquelle n'a été écartée qu'au motif qu'elle a été reçue par le pouvoir adjudicateur après la date limite de réception des offres ;
Considérant en troisième lieu qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'impose à un pouvoir adjudicateur souhaitant passer un marché en procédure négociée d'indiquer le délai pendant lequel le candidat est tenu par son offre ; que, dès lors, la société Réseau Gasel n'est pas fondée à soutenir que l'absence d'indication dans l'avis d'appel à la concurrence litigieux du délai dans lequel l'offre doit être maintenue entacherait la procédure de passation d'irrégularité, ni d'ailleurs que l'omission alléguée serait susceptible de la léser ou de l'avoir lésée ;
Considérant enfin que le moyen tiré de ce que les caractéristiques techniques des matériels objets du marché seraient telles que les candidats ne pourraient satisfaire la demande qu'en proposant des matériels de certaines marques et exclurait les produits de certains opérateurs n'est assorti d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Réseau Gasel n'est pas fondée à demander l'annulation de la procédure de passation du marché litigieux ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Réseau Gasel demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Décide :
Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Rennes en date du 13 mai 2008 est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société Réseau Gasel devant le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes est rejetée, ainsi que ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de la Défense et à la société Réseau Gasel.