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Décisions

CA Paris, 18e ch. C, 19 février 2009, n° 08-10255

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher (SA)

Défendeur :

Monribot

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Taillandier

Conseillers :

Mmes Métadieu, Bézio

Avocats :

Mes Peignard, Bellet

Cons. prud'h. Paris, du 4 sept. 2008

4 septembre 2008

Statuant sur le contredit formé par la société Yves Rocher à l'encontre d'un jugement rendu le 4 septembre 2008 par le Conseil de prud'hommes de Paris qui s'est déclaré compétent pour connaître du litige l'opposant à Madame Monribot;

Vu les conclusions remises et soutenues à l'audience du 10 décembre 2008 de la société Laboratoire de Biologie Végétale Yves Rocher qui demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de constater tout d'abord, qu'elle a toujours eu comme co-contractante la société Gaellic, que celle-ci n'est pas fictive, que par ailleurs, Madame Monribot ne saurait se prévaloir ni des dispositions de l'article L. 781-1-2 du Code du travail ni de celles de l'article L. 781-1-2 du même Code, en conséquence, renvoyer celle-ci à se pourvoir devant le Tribunal de commerce de Vannes et condamner la défenderesse à lui payer la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts et celle de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel;

Vu les conclusions remises et soutenues à l'audience du 10 décembre 2008 de Gaëlle Monribot, défenderesse au contredit, qui demande à la cour de:

Vu l'article L. 781-1-2 du Code du travail,

Vu l'article L. 121-1 du Code du travail,

Vu la Convention collective de parfumerie esthétique,

Vu les contrats de gérance libre régularisés entre les parties,

- Constater que la jurisprudence constante de la Cour de cassation juge que l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à rencontre de la société d'exploitation ne fait aucunement obstacle à ce que le conseil des prud'hommes se déclare compétent pour statuer sur la demande formulée par le locataire-gérant, personne physique, de bénéficier des dispositions de l'article L. 781-1-2 et L. 121-1 du Code du travail.

- Constater qu'au-delà de l'existence de la SARL Gaellic, l'activité était en fait exercée personnellement par Madame Monribot.

- A titre surabondant, dire et juger que la SARL Gaellic est une société fictive.

- En conséquence, confirmer le jugement rendu le 4 septembre 2008 par le Conseil de prud'hommes de Paris qui a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher et s'est déclaré compétent.

- Débouter la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher de toutes ses demandes, fins et conclusions.

- Dire et juger que Madame Monribot réunit cumulativement toutes les conditions posées par les articles L. 781-1-2 et L. 121-1 du Code du travail.

- En conséquence, requalifier les contrats de location-gérance en contrats de travail;

Sur ce, LA COUR

Considérant qu'il est constant que la société demanderesse a conclu, les 6 et 13 octobre 1998, avec la société Gaellic (alors en formation) dont Gaëlle Monribot détient 50 % des parts et est gérante, et qui a été créée le 14 novembre 1998, un contrat de gérance libre d'un fonds de commerce de vente de produits de beauté, d'hygiène et de soins esthétiques sous le nom "Institut de Beauté Yves Rocher" exploité 97 avenue Victor Hugo à Paris XVIe; que ce contrat a été rompu de façon amiable, les 20 décembre 2000 et 4 janvier 2001 et qu'un nouveau contrat de même nature a été signé entre les mêmes parties, pour l'exploitation du fonds situé au 342 rue de Vaugirard à Paris XVe à compter du 1er janvier 2001; que ce second contrat a été rompu par Gaëlle Monribot en qualité de gérante de la société Gaellic, le 8 avril 2003 à effet du 31 décembre 2003 ; que la société Gaellic a fait l'objet d'une liquidation judiciaire, par jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 7 janvier 2005;

Que soutenant relever des dispositions de l'article L. 7321-1 du Code du travail, la défenderesse a saisi le Conseil de prud'hommes de Paris qui a rendu la décision déférée ;

Considérant qu'au soutien de son contredît, la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher fait valoir en premier lieu, qu'elle a contracté avec la seule société Gaellic qui a une existence légale et n'est nullement une société fictive;

Qu'elle soutient, en toute hypothèse, que les conditions d'application de l'article L. 7321-1 du Code du travail ne sont pas réunies en l'espèce, les quatre critères exigés de façon cumulative par le législateur, à savoir, l'existence d'une activité de vente, la fourniture exclusive des marchandises et denrées par une seule entreprise industrielle ou commerciale, l'exercice de l'activité dans un local fourni ou agrée par celle-ci et aux conditions et prix imposés n'existant pas;

Que la défenderesse soutient, quant à elle, que l'existence de la société Gaellic est sans effet sur l'application de l'article L. 7321-1 du Code du travail et que dès lors, il importe peu que celle-ci soit fictive ou non; qu'en toute hypothèse, elle affirme démontrer la fictivité de cette société qui n'a été créée que pour les besoins de l'exploitation du fonds, qui n'a jamais eu aucune activité autre que cette exploitation et ne disposait d'aucune autonomie; qu'elle soutient également que le contrat de gérance libre n'a été conclu qu'en considération de sa personne;

Qu'en ce qui concerne les critères définis à l'article L. 7321-1 du Code du travail, elle affirme que son activité essentielle était la vente à titre exclusif des produits de la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher, qu'elle travaillait au sein d'un local appartenant à la société demanderesse, et selon des conditions d'exploitation et de prix imposées par celle-ci;

Considérant que l'article L. 7321-1 du Code du travail dispose que " les dispositions du présent Code sont applicables aux gérants de succursales dans la mesure de ce qui est prévu au présent titre ; que l'article L. 7321-2 du Code du travail énonce qu' " est gérant de succursale, toute personne dont la profession consiste essentiellement.., à vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise... ";

Considérant en l'espèce, que s'il n'est pas contesté que le contrat de gérance libre a bien été conclu entre la demanderesse et une société Gaellic dont Gaëlle Monribot était gérante et associée à 50 %, cette circonstance est inopérante, dès lors qu'il est établi que l'activité professionnelle en cause était, dans les faits, exercée non par la personne morale mais directement par sa gérante, quel que soit le montage juridique adopté par les parties et le caractère éventuellement fictif de la société;

Considérant qu'il résulte des pièces versées au débat que la société Gaellic a été créée de façon concomitante à la conclusion du contrat de gérance libre et qu'elle n'a eu pour seul objet que l'exploitation du fonds de commerce de vente de produits de beauté et soins esthétiques Yves Rocher, que seule Gaëlle Monribot, sa gérante a assuré l'exploitation de ce fonds, avec le concours de salariés non associés et qu'au vu des dispositions du contrat de gérance libre, et notamment des articles 13 et 15, ce contrat n'a été conclu qu'en considération de la personne de la gérante, tout changement de gérant devant être soumis à l'agrément de la société demanderesse; qu'il convient dès lors, de juger qu'indépendamment de l'existence de la société Gaellic, la défenderesse est en droit d'établir qu'elle remplit les conditions prévues pour bénéficier des dispositions des articles susvisés;

Considérant qu'afin de bénéficier du statut de salarié, le gérant de succursale doit justifier exercer la profession de vente de marchandise de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise;

Qu'il est constant qu'en l'espèce, aux termes du contrat de gérance libre, l'activité de la défenderesse consistait en la vente des produits de la société Yves Rocher et en l'exploitation d'un institut de beauté; que la fourniture des produits considérés par la société demanderesse avait un caractère exclusif ainsi qu'en dispose l'article 7-1 du contrat ainsi rédigé : " La présente location-gérance comporte à la charge de la gérante libre l'engagement de s'approvisionner exclusivement auprès de la société LBV Yves Rocher " et l'article 7-2 qui précise " La gérante libre s'oblige à ne pas approvisionner son Institut de Beauté Yves Rocher et à ne pas vendre des produits qui n'auraient pas été approuvés expressément par la société LBV Yves Rocher, sans avoir informé préalablement et par écrit la société de son intention de le faire, et donnant à celle-ci la possibilité de déterminer si les caractéristiques et les qualités de ces produits sont comparables à ceux qu'elle a antérieurement approuvés et s'ils sont compatibles avec l'image de marque des Instituts de Beauté Yves Rocher ";

Que si elle exerçait également une activité de soins de beauté, celle-ci avait un aspect complémentaire à l'activité de vente et y était intimement liée, la société exigeant aux termes de l'article 5-4 que les soins dispensés le soient avec les produits Yves Rocher et avec les traitements et méthodes spécifiques mis au point par la société demanderesse;

Considérant que celle-ci soutient que cette dernière activité dégageait une marge supérieure à celle de vente et qu'en conséquence, elle avait un caractère prédominant excluant l'application de l'article 7321-2 du Code du travail;

Que néanmoins, force est de constater que cette disposition ne vise nullement les résultats de l'activité professionnelle exercée mais uniquement la vente ; qu'une telle notion renvoie nécessairement à celle de chiffre d'affaire et non de marge, telle que revendiquée par la demanderesse et qu'en conséquence, il y a lieu de se référer au seul chiffre d'affaires de la société Gaellic qui font apparaître un chiffre d'affaires moyen en 2001, 2002 et 2003 pour les ventes de 520 000 euro alors que l'activité de soins de beauté dégage pour les mêmes années une moyenne, 214 000 euro; qu'il en résulte que la condition première relative à l'application de l'article en cause est établie ; que de même, il est établi par Gaëlle Monribot que son activité s'exerçait au sein de locaux appartenant à la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher, ce que ne conteste pas celle-ci;

Considérant qu'en ce qui concerne les conditions d'exploitation du fonds de commerce, il résulte du contrat de gérance libre et de l'ensemble des pièces produites au débat que la défenderesse était tenue, dans les faits, de respecter les procédures mises au point par la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher et concernant, principalement la décoration des instituts, leur éclairage intérieur et extérieur, l'agencement, le mobilier, l'aménagement et l'équipement des cabines de soins, la tenue vestimentaire des esthéticiennes, la présentation des produits, les techniques de vente et de conseils, les méthodes de soins, les campagnes publicitaires, la nature et la qualité des services, la comptabilité, les assurances etc...; qu'elle se voyait imposer le respect des campagnes promotionnelles engagées par la demanderesse et recevait de nombreuses instructions de celle-ci (cf les nombreux mails au cours de l'année 2003); qu'elle avait aussi l'obligation de soumettre sa comptabilité à la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher et que celle-ci intervenait même dans la gestion du personnel ainsi qu'il résulte d'un courrier datant des 22 février 1999 fournissant à la défenderesse des éléments d'information pour engager une procédure de licenciement à l'encontre d'une salariée ; qu'il ressort ainsi de ces éléments qui ne sont pas véritablement contestés par la société demanderesse qui, notamment, ne soutient pas que l'exploitation mise en place par Madame Monribot était différente de celle préconisée, que les conditions dans lesquelles était exploité le fonds s'effectuaient selon des prescriptions imposées par la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher, sans une véritable autonomie de la gérante;

Considérant enfin, quant aux prix pratiqués, que si la demanderesse soutient que Gaëlle Monribot était parfaitement libre des prix qu'elle appliquait aux produits qu'elle vendait, tous les éléments versés au dossier contredisent cette thèse dans la mesure où il est justifié que les prix étaient indiqués dans un catalogue émis par la demanderesse, que celle-ci procédait à des campagnes publicitaires informant les clients des tarifs pratiqués et fournissait régulièrement à la gérante des instructions quant à la politique tarifaire, la remise de chèques cadeau ou le recours à des rabais; que par ailleurs, les prix fixés étaient annoncés par voie d'affiches ou de bandeaux publicitaires, ce qui ne laissait aucune latitude au gérant ; que d'ailleurs, la demanderesse ne soutient pas que Gaëlle Monribot pratiquait des prix différents de ceux qu'elle fixait, se contentant de soutenir qu'elle avait la possibilité de proposer des prix inférieurs ou de consentir des réductions à ses clients, ce qui n'apparaît pas sérieux, vu la très faible marge dégagée sur de tels produits;

Considérant qu'en conséquence, il résulte de l'ensemble des éléments ci-dessus, que la défenderesse remplit les conditions requises par l'article 7321-1 du Code du travail et que dès lors, sans qu'il y ait lieu d'analyser les moyens tirés de l'article L. 1221-1 du Code du travail et de rechercher l'existence d'un lien de subordination, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu la compétence du conseil de prud'hommes pour connaître du litige; que le contredit, sera, en conséquence, rejeté;

Considérant que les circonstances de l'espèce conduisent à faire application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de Gaëlle Monribot à hauteur de la somme de 2 000 euro;

Que les frais du contredit seront à la charge de la demanderesse qui succombe en ses prétentions;

Par ces motifs, LA COUR, Rejette le contredit; Renvoie les parties devant le Conseil de prud'hommes de Paris; Condamne la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher à verser à Gaëlle Monribot la somme de 2 000 euro (deux mille euro) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile; Met les frais du contredit à la charge de la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher.