CA Montpellier, 2e ch., 6 octobre 2009, n° 08-05816
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Supra (SA)
Défendeur :
Société d'exploitation des cheminées Christian (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bachasson
Conseillers :
M. Chassery, Mme Debuissy
Avoués :
SCP Jougla-Jougla, SCP Auché-Hédou
Avocats :
Mes Mall, Vertut
Faits et procédure - Moyens et prétentions des parties
La Société d'exploitation des cheminées Christian (la société cheminées Christian), ayant son siège social à Lunel (34400), a pour activité la conception, la fabrication, la pose et la commercialisation de cheminées.
La société Richard Le Droff, aux droits de laquelle se trouve la société Supra, fabrique des cheminées d'intérieur, des poêles, des inserts et divers accessoires y afférents et commercialise ses produits par le biais d'un réseau de concessionnaires exclusifs.
Après avoir conclu, le 1er juin 1993, un contrat de " location-vente pour exposition " aux termes duquel la société Supra s'engageait à mettre à disposition de la société cheminées Christian du matériel d'exposition, ces deux sociétés ont signé, le 28 mars 1995, une convention de concession commerciale.
Selon cette convention, la société Supra accordait à la société cheminées Christian l'exclusivité de la vente de ses produits sur la partie orientale du département de l'Hérault, pour une durée indéterminée, à charge de respecter, en cas de rupture, un préavis de trois mois.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 30 mai 2006, la société Supra a indiqué à son concessionnaire "Dans un marché en forte croissance, vous n'avez réalisé que 15 habillages de la marque Richard Le Droff en 2005 et le quadrimestre 2006 se présente encore plus décevant en matière de prises de commandes dans un marché hyper actif. Nous vous informons donc de l'établissement imminent d'un concessionnaire Richard Le Droff à Montpellier. En conséquence, nous tenons à vous préciser qu'il ne vous sera plus possible de présenter, ni proposer la marque, ni les produits Richard Le Droff à l'occasion de la foire de Montpellier. Nous savons que la mesure est impopulaire mais nous sommes contraints de nous développer dans tous les départements pour y prendre notre part de marché ".
La société cheminées Christian devait répondre le 14 juin 2006 : " En main votre lettre du 30 mai 2006 dont les termes et la soudaineté ne manque (sic) pas de nous surprendre. Si nous pouvons comprendre que vous entendiez pour la première fois cette année, disposer directement d'un stand exclusivement consacré à la marque Richard Le Droff à l'occasion de la foire de Montpellier, pour laquelle nous sommes d'ores et déjà inscrite, nous ne saurions accepter votre projet visant à envisager " l'établissement imminent d'un concessionnaire Richard Le Droff à Montpellier ". En effet, rien lors de nos précédentes rencontres ou à l'occasion de diverses correspondances, ne pouvait laisser présager un tel projet. Aussi il paraît opportun de nous rencontrer afin que vous puissiez nous expliquer le fondement de votre lettre et la suite qu'il y a lieu de donner quant à notre collaboration [...] ".
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 21 juillet 2006, la société Supra mettait fin au contrat d'exclusivité en ces termes : " [...] Etant donné l'ancienneté de nos relations, nous sommes prêts à déroger à l'usage courant et vous laisser jusqu'à la fin de l'année 2006 pour écouler vos stocks et modèles d'exposition si cela vous intéresse, nous vous proposons une réunion avec le nouveau concessionnaire et nous-mêmes pour étudier une éventuelle collaboration comme agent distributeur sur votre région de Lunel. Faute d'accord, nous ne pourrons enregistrer de nouvelles commandes à compter du 15 septembre. En contrepartie, nous vous demandons de cesser toutes démarches actives sur Montpellier et ses environs et nous vous confirmons notre refus de vous voir exposer des produits, matériel, catalogues ou PLV de notre marque sur votre stand à la foire de Montpellier ".
Après un dernier échange épistolaire entre les parties intervenu les 7 août et 18 septembre 2006, la société cheminées Christian a fait assigner, selon exploit du 9 mai 2007, la société Supra devant le Tribunal de commerce de Montpellier en vue de sa condamnation à lui payer, sur le fondement de l'article L. 442-6, I-5° du Code de commerce, la somme de 187 623 euro en réparation de son préjudice consécutif à la rupture brutale de leurs relations commerciales.
Par jugement contradictoire du 25 juin 2008, le tribunal a fait droit à la demande et condamné la société Supra à payer à la société cheminées Christian la somme totale de 64 868 euro à titre de dommages et intérêts, outre 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Supra a régulièrement interjeté appel de ce jugement en vue de son infirmation, demandant à la cour, à titre principal, de rejeter la demande, subsidiairement, d'ordonner une mesure d'instruction, et de lui allouer 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient que :
- la résiliation du contrat de concession s'est opérée le 30 mai 2006 avec un préavis de quatre mois et une semaine expirant le 6 octobre 2006 au début de la foire de Montpellier, alors que le contrat prévoyait un préavis de trois mois,
- ce préavis a été prolongé, aux termes du courrier du 27 juillet 2006, jusqu'à la fin de l'année 2006, mais la société cheminées Christian a refusé cette offre, préférant cesser la commercialisation des produits Richard Le Droff,
- ses relations commerciales avec la société cheminées Christian ont débuté le 28 mars 1995, date de la signature du contrat de concession,
- le préavis de sept mois accordé au concessionnaire pour mettre fin à onze années de collaboration est suffisant pour que cette rupture ne soit pas considérée comme brutale, d'autant que la part des produits Richard Le Droff dans l'activité de la société cheminées Christian était peu élevée et que cette rupture est intervenue alors que cette société concessionnaire ne respectait pas les objectifs commerciaux fixés et utilisait en réalité la marque Richard Le Droff pour attirer la clientèle et commercialiser ensuite ses propres créations,
- il n'est justifié d'aucun préjudice résultant de la rupture des relations commerciales, les documents produits n'étant pas probants, de sorte qu'il y aurait lieu, le cas échéant, de recourir à l'institution d'une expertise.
La société cheminées Christian a conclu à la confirmation du jugement entrepris, sauf quant au montant de la réparation de son préjudice qu'elle évalue à la somme de 160 059 euro, et à l'allocation de la somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir que :
- ses relations commerciales avec la société Supra ont débuté le 1er juin 1993,
- la lettre du 30 mai 2006 ne faisant état que d'une interdiction de participer à la foire de Montpellier, la rupture des relations commerciales résulte de la lettre du 21 juillet 2006 qui a clairement fait état d'un préavis,
- le préavis contractuel de trois mois, d'ailleurs non respecté par la société Supra, ne saurait être retenu, eu égard à la durée de leurs relations commerciales, au caractère saisonnier de son activité, aux investissements réalisés et à l'importance des produits Richard Le Droff dans son chiffre d'affaires, qui imposaient un préavis de dix-huit mois, et non d'une année comme retenu par le premier juge, pour lui permettre de se réorganiser,
- cette rupture brutale a entraîné un manque à gagner de 79 901 euro et divers préjudices liés à la réfection de son magasin en juin 2005 dans l'intérêt de la présentation des produits Richard Le Droff moyennant 24 067 euro, à la nécessité de refaire cette présentation en décembre 2006 moyennant 25 753 euro, outre 538 euro liés au remaniement publicitaire destiné à ne plus apparaître comme un concessionnaire Richard Le Droff et 30 000 euro au titre de sa notoriété et de son image.
C'est en cet état que la procédure a été clôturée par ordonnance du 31 août 2009.
Motifs de la décision
1) Sur la rupture des relations commerciales
Attendu qu'aux termes de l'article L. 442-6, I-5° du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé par le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels;
Attendu qu'en l'espèce, les sociétés cheminées Christian et Supra étaient en relation commerciales depuis le 1er juin 1993, date du contrat de location-vente pour exposition, suivi du contrat de concession du 28 mars 1995;
Que la rupture de ces relations est intervenue, non pas le 30 mai 2006 comme le soutient la société appelante puisque la lettre qu'elle a adressée à cette date à la société intimée se bornait à l'informer de " l'établissement imminent d'un concessionnaire Richard Le Droff à Montpellier " et du fait qu'il ne lui serait "plus possible de présenter, ni proposer la marque, ni les produits Richard Le Droff à l'occasion de la foire de Montpelier ", ce qui ne constitue pas l'annonce de la résiliation du contrat de concession les liant, mais à la date du 21 juillet 2006, correspondant au courrier clair et précis mettant fin audit contrat avec un préavis au 15 septembre suivant;
Qu'en conséquence, le préavis effectif été de sept semaines ;
Attendu que le contrat de concession prévoyait un préavis de trois mois;
Que, toutefois, le fait qu'un préavis ait été convenu ne dispense pas le juge d'examiner si le délai ainsi fixé tient compte de la durée des relations commerciales et des autres circonstances de l'espèce, de façon à vérifier si le délai prévu est suffisant au sens de l'article L. 442-6, I-5° précité pour permettre à la partie éconduite de se réorganiser;
Qu'en l'espèce, alors que les parties étaient en relations commerciales stables et suivies depuis treize années, que les produits Richard Le Droff objet de la concession sur une zone géographique exclusive constituaient une part importante de l'activité de la société cheminées Christian et que cette dernière avait réalisé des investissements conséquents pour mettre en valeur ces produits dans son établissement, le premier juge a justement retenu qu'un préavis de douze mois aurait dû être accordé au concessionnaire pour lui permettre de faire face aux conséquences de la résiliation du contrat de concession;
Que le préavis contractuel de trois mois, d'ailleurs non respecté puisqu'il a été que de sept semaines, était manifestement insuffisant;
Que, dès lors, tenant l'insuffisance de ce préavis, la rupture des relations commerciales entre les parties a été brutale et de nature à engager la responsabilité délictuelle de la société Supra;
2) Sur la réparation du préjudice
a) Perte du bénéfice
Attendu que seul le préjudice réel de la société éconduite doit être indemnisé, lequel résulte, non de la perte du chiffre d'affaires avec la société concédante, mais de celle des bénéfices qu'elle pouvait escompter tirer du maintien de ses relations avec cette société, l'assiette retenue étant la moyenne du chiffre d'affaires hors taxes réalisé au cours des dernières années précédant la rupture, assiette à laquelle est affectée la marge brute bénéficiaire, et, ce, sur une période correspondant à la durée du préavis qui aurait dû être respecté;
Attendu qu'au vu des éléments comptables fournis par l'expert comptable de la société cheminées Christian dans son attestation du 13 septembre 2007, c'est à bon droit que le premier juge a retenu, au terme d'un calcul - que la cour adopte - fondé sur une marge brute au titre des produits Richard Le Droff évaluée à la somme mensuelle de 4 970 euro, que la perte liée à la brusque rupture des relations commerciales avait entraîné pour elle un préjudice de 50 408 euro;
b) Indemnisation des pertes annexes
Attendu que la société intimée avait fait exécuter, en juin 2005, des travaux d'aménagement dans son établissement pour un montant de 24 067 euro destinés à l'exposition de cheminées;
Qu'il ressort du procès-verbal de constat dressé par un huissier de justice le 12 septembre 2006 que sur les sept cheminées exposées, cinq étaient des modèles Richard Le Droff;
Qu'en conséquence, c'est par une exacte appréciation que le premier juge, estimant que la durée moyenne d'exposition de ce type de produit pouvait être fixée à trois ans, a évalué le préjudice de la société intimée de ce chef à 11 460 euro;
Attendu que concernant les frais qu'a engagés la société cheminées Christian à la suite de la perte de sa qualité de concessionnaire des cheminées Richard Le Droff, consistant à démonter les cheminées de cette marque exposées dans son établissement pour les remplacer par d'autres, ils ne sont pas consécutifs à la brutalité de la rupture des relations commerciales, mais à cette rupture elle-même, laquelle n'est pas fautive en soi;
Attendu, enfin, que le Tribunal de première instance a à bon droit évalué le préjudice d'image de la société intimée consécutif à la perte brutale de la concession des produits Richard Le Droff et de sa marque dans son établissement et sur ses documents publicitaires à la somme de 3 000 euro;
Qu'il n'est justifié d'aucun autre préjudice;
3) Sur les autres demandes
Attendu que la société appelante, qui succombe, sera condamnée à payer à la société intimée la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, verra sa propre demande de ce chef rejetée et supportera les dépens d'appel ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris. Y ajoutant, Condamne la société appelante à payer à la société intimée la somme de cinq mille euro (5 000) en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Déboute la société appelante de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la société Supra aux dépens d'appel, et autorise la SCP Auché-Hédou-Auché-Auché, avoués, à en recouvrer le montant aux forme et condition de l'article 699 du Code de procédure civile.