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Décisions

CA Lyon, 3e ch. civ. B, 19 février 2009, n° 08-03551

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Aldi Marché (SARL)

Défendeur :

Neudis (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Flise

Conseillers :

Mme Devalette, M. Maunier

Avoués :

SCP Aguiraud-Nouvellet, Me Morel

Avocats :

Me Senechal-l'Homme, Selarl Legalis

T. com. Lyon, du 21 avr. 2008

21 avril 2008

Par acte d'huissier de justice délivré le 6 avril 2007, la société Aldi Marché a poursuivi devant le Tribunal de commerce de Lyon l'indemnisation du préjudice résultant pour elle de l'opération de publicité comparative réalisée en janvier 2007 par la société Neudis, qui exploite un magasin de grande distribution à l'enseigne Leclerc, sur la commune de Genay (69), à trois kilomètres de sa propre enseigne implantée sur la commune de Massieux (01).

Par jugement du 21 avril 2008, le tribunal de commerce l'a déboutée de ses réclamations et fait application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en faveur de la société Neudis.

La société Aldi Marché a interjeté appel le 28 mai 2008.

Aux termes de ses dernières conclusions, expressément visées par la cour, elle sollicite :

- la condamnation de la société Neudis à lui payer la somme de 1 euro à titre de dommages-intérêts en indemnisation de son préjudice,

- la publication de la décision à intervenir dans cinq revues ou journaux au choix de la société appelante, le coût de chaque insertion étant limité à 5 000 euro,

- l'affichage de la décision à intervenir à l'entrée principale du magasin Leclerc à Genay pendant 15 jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 300 euro par jour de retard,

- l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en sa faveur.

Elle expose que :

- avoir constaté en janvier 2007 que la société Neudis procédait à une opération de publicité comparative entre les produits " Eco + " de Leclerc et d'autres enseignes dont Aldi, en plaçant à l'entrée de son magasin une affiche représentant un podium, sur la première marche duquel était placée la photographie d'un assortiment de produits Eco +, et sur la seconde marche la photographie d'un assortiment de produits Aldi avec l'indication en gros caractères:

"6,59 % plus chers que E. Leclerc Genay

Soit 3,33 euro plus chers et 25,75 % de produits en moins

Constat d'huissier de justice effectué le 22 janvier 2007"

- avoir procédé elle-même le 1er février 2007 chez Leclerc, sous contrôle d'huissier de justice, à l'achat des produits présentés dans l'assortiment ;

- avoir par lettre du 5 février 2007 mis en demeure la société Neudis de retirer la publicité, mais avoir essuyé un refus;

- avoir constaté qu'en juillet 2007, la société Neudis a renouvelé l'opération, plaçant l'assortiment Aldi sur la troisième marche avec l'indication suivante :

"21,17 % plus chers que E. Leclerc Genay

Soit 9,46 euro plus chers et 11,22 % de produits en moins

Constat d'huissier effectué le 20 juin 2007";

- avoir fait consigner par huissier de justice le 23 juillet 2007 ses propres constatations.

Elle fait valoir en premier lieu que la publicité est trompeuse, en ce que :

- pour des raisons inexpliquées, le nombre total de produits présentés dans chaque assortiment est différent : 34 dans l'assortiment Leclerc, 32 dans l'assortiment Aldi;

- trois des produits de l'assortiment Eco + n'ont pas été trouvés chez Leclerc le 1er février 2007 ;

- l'affichage d'une économie globale est source de confusion : seul l'affichage du prix de chaque produit aurait permis au consommateur de se faire une opinion;

- l'affirmation selon laquelle l'assortiment Aldi comprendrait 27,75 % de produits en moins est invérifiable pour le consommateur, le mode de calcul n'étant même pas précisé;

- le constat d'huissier dont la société Neudis se prévaut répertorie les prix à l'unité ou au kilo, sans tenir compte des différences d'emballage et de conditionnement, qui conditionnent le prix, ainsi le vin vendu chez Leclerc en bouteilles plastique et en bouteille de verre chez Aldi;

- le consommateur est trompé par la présentation de produits Eco + nécessairement moins chers parce que présentés :

* par lots, dont en quantité largement supérieure aux produits Aldi, donc (confitures, pâtes et biscottes);

* en moindre quantité, soit par le poids (thon, mayonnaise) ou en unités (couches);

* dans des conditionnements moins coûteux (concentré de tomate, vin).

Elle soutient ensuite que l'affichage effectué par la société Neudis ne permettait pas au consommateur d'identifier les produits comparés, sauf à s'approcher au plus près de l'affiche, et lui faisait ainsi croire que de manière générale les produits Eco + sont moins chers que les produits Aldi.

Elle conteste tout valeur à la mention "photo non contractuelle - liste disponible en caisse" apposée sur l'affiche litigieuse, sachant que les clients vont se fier à l'affiche sans aller solliciter la communication de la liste, et fait observer que ladite liste n'a jamais été produite.

Elle rappelle les conclusions de la revue 60 millions de consommateurs, qui dans un article de février 2007 a mis en évidence la qualité supérieure, de manière générale, des produits "hard discount" sur les produits premier prix des grandes marques de la distribution, parlant même d'un "vrai fossé". Elle ajoute que si les produits répondent aux mêmes besoins, nombre d'entre eux ne présentent pas la même qualité, et en prend pour exemple 12 produits sur les 32 ayant servi à la comparaison.

Elle se prévaut d'un arrêt rendu par la présente chambre le 5 juin dernier dans une instance concernant Casino, qui a été condamné pour avoir procédé à une publicité comparative trompeuse sur la disponibilité et les caractéristiques essentielles de cinq produits.

Dans ses uniques écritures, expressément visées par la cour, la société Neudis conclut à la confirmation du jugement entrepris et à l'allocation d'une indemnité complémentaire pour ses frais d'instance hors dépens.

Elle se prévaut de :

- la validation des tableaux de comparaison par huissier de justice,

- l'apposition sur l'affiche de la mention "photo non contractuelle - liste détaillée en caisse",

- l'absence de poursuites après le contrôle des services de la DCCRF, alertée par la société Aldi Marché.

Elle conteste la mention dans le constat adverse de l'absence de trois produits Eco + dans ses rayons, que l'huissier de justice n'a pas lui-même constaté, se limitant à recueillir les propos d'un responsable du magasin.

Elle conteste encore que l'emballage et le conditionnement soient des caractéristiques essentielles d'un produit de grande consommation, expliquant qu'elle s'en est tenue à un élément objectif de comparaison : le prix.

Elle conteste que les articles choisis ne soient pas représentatifs du panier-type de la ménagère.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 novembre 2008.

Sur ce :

En application de l'article L. 121-8, alinéa 1, du Code de la consommation :

"Toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n'est licite que si :

1° Elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur;

2° Elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif;

3° Elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie".

En l'espèce, la comparaison porte sur le prix d'un assortiment de 34 produits, constituant un panier-type selon la société Neudis, qui n'explique pas de manière satisfaisante le fait que, sur l'affiche litigieuse, l'assortiment Aldi Marché ne comporte que de 32 produits.

En premier lieu, la société Neudis ne précise pas ses critères de choix, se limitant à affirmer que la liste constitue un "panier-type de la ménagère", ce qui ne correspond à rien de précis. La sélection opérée présente donc un caractère arbitraire. Ainsi, n'y figure aucun produit frais. De plus, il était loisible à la société Neudis d'écarter délibérément des produits de consommation courante, assurément en nombre plus important que 34, dont le prix serait désavantageux pour elle.

En deuxième lieu, la présentation sur l'affiche d'un prix global inférieur du panier des produits Eco +, est contestable, en ce que:

- le prix de certains produits Eco + est déterminé sur la base d'un conditionnement par lots (goûters fourrés), ou de plus grande contenance (spaghettis, confiture, biscottes), nécessairement moins chers à l'unité que les produits vendus chez les concurrents en conditionnement moins important;

- certains produits Eco + comportent des quantités moindres que les produits concurrents, ne serait-ce que de quelques unités : couches bébé (52/54) pot de mayonnaise (470 gr/475 gr), thon au naturel (185 gr/200 gr).

Il est indifférent que pour d'autres produits, la comparaison des quantités soit en faveur de la société Neudis.

En troisième lieu, la comparaison est faussée, quand le conditionnement, qui rentre dans les caractéristiques du produit, diffère d'une marque à l'autre, ainsi pour un produit en tube d'un côté, en boîte de l'autre (concentré de tomate), ou en bouteille en bouteille plastique d'un côté, et en bouteilles en verre de l'autre (vin).

En quatrième lieu, la comparaison faite ainsi de manière globale est source de confusion, et même trompeuse, en ce qu'elle ne permet pas au consommateur de s'assurer au vu de l'affiche que dans l'assortiment le produit de marque Eco + qui l'intéresse est moins cher que le produit concurrent.

En cinquième lieu, l'affiche litigieuse tend à dire que les produits Eco + de l'assortiment, donc les produits Eco + manière générale, sont moins onéreux, ce qui n'est pas démontré, ni même soutenu dans la présente instance.

A cet égard, le dépôt en caisse de la liste détaillée, mentionné sur l'affiche, ne saurait suppléer l'affichage lui-même. Quant à la mention " photo non contractuelle ", elle est impropre à réparer les inexactitudes et les imprécisions de l'affiche. Elle constituerait même un aveu du doute que pouvait avoir la société Neudis sur la validité du procédé.

De surcroît, la liste détaillée n'a pas été versée aux débats.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que l'affiche litigieuse, qui a présenté un groupe de produits, arbitrairement constitué, en prenant pour seul critère le prix global des différents assortiments, ne répondait pas aux exigences de pertinence et d'objectivité posées par le Code de la consommation en matière de publicité comparative de produits concurrents.

En conséquence, la société Aldi Marché est bien fondée en son action en concurrence déloyale.

Le jugement déféré sera infirmé.

Il sera alloué à la société Aldi Marché l'euro de dommages-intérêts sollicité.

Il n'y a pas lieu d'ordonner la publication du présent arrêt.

En revanche, le dispositif du présent arrêt devra être affiché pendant huit jours à l'entrée principale du magasin Leclerc, au même emplacement et sur une affiche de dimension 120 cm x 90 cm, et ce sous astreinte de 300 euro par jour de retard.

Il sera alloué à la société Aldi Marché une indemnité pour frais d'instance.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement déféré, Statuant à nouveau Dit qu'en janvier 2007, la société Neudis exploitant le magasin à l'enseigne Leclerc à Genay (69) a violé les dispositions du Code de la consommation en matière de publicité comparative, et ainsi commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Aldi Marché Condamne la société Neudis à payer à la société Aldi Marché la somme de un euro de dommages-intérêts Déboute la société Aldi Marché de sa demande aux fins de la publication du dispositif de la présente décision Ordonne l'affichage du dispositif de la présente décision à l'entrée principale du magasin Leclerc de Genay, dans le délai d'un mois suivant la signification de la présente décision, sur une affiche de dimension 120 cm x 90 cm en majuscule d'imprimerie de 5 mm de hauteur minimum, sous peine d'une astreinte de 300 euro par jour de retard, et pendant huit jours consécutifs Condamne la société Neudis à payer à la société Aldi Marché la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile La condamne aux dépens de première instance et d'appel, avec pour ces derniers distraction au profit de la SCP Aguiraud-Nouvellet, avoués, sur son affirmation de droit.