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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. A, 19 novembre 2009, n° 09-04247

LYON

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

IT Rhône Provence (SAS)

Défendeur :

Vision Systems Automotive (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Martin

Conseillers :

Mmes Biot, Devalette

Avoués :

SCP Laffly-Wicky, SCP Aguiraud-Nouvellet

Avocats :

Mes de Carlan, Durade-Duplat

T. com. Lyon, du 28 mai 2009

28 mai 2009

Exposé du litige

La société Appareillage RBE et la société RBE Equipements, qui appartenaient au groupe Tagand Industries, détenu par Serge Tagand, étaient spécialisées, la 1re, dans la conception des pièces pour l'industrie automobile, la seconde, dans la fonderie.

Courant 1990, la société Appareillage RBE a fait fabriquer des outillages à la société Fonderie Georges puis en 2003, la société RBE Equipements a racheté l'activité de cette société qui est devenue en décembre 2005, la société IT Rhône Provence.

En 2005, la société Appareillage RBE a été rachetée par la société Vision, dirigée par Monsieur Putman et est devenue la société Vision Systems Holding, ci-après Vision, client important de la société IT Rhône Provence, ci-après IT Rhône.

Préalablement à cette acquisition, et à la demande de Monsieur Putman le 24 mai 2005, un contrat de fourniture de 3 ans était régularisé entre les sociétés Appareillages RBE et RBE Equipements qui stipulait que les prix, déterminés par produits annexes resteraient fermes et définitifs jusqu'au 1er mai 2008. Cette convention était destinée à apporter au groupe Vision un maintien des prix de RBE Equipements qui ne faisait pas partie du périmètre de la reprise.

Par pli recommandé du 26 septembre 2007, la société Vision a décidé de ne pas reconduire le contrat au-delà du 1er mai 2008 en précisant que les relations se poursuivraient sous forme de commandes client/fournisseur standard.

En août 2008, Monsieur Tagand a vendu la société IT Rhône à la société Métalic Laser Force, présentée comme concurrent de la société Vision, comme appartenant à un groupe concurrent.

Considérant qu'elle était prise en otage par son fournisseur, la société Vision a saisi le juge des référés en restitution de ses moules.

Déboutée en raison d'une contestation sérieuse, elle a assigné la société IT Rhône le 4 mars 2009 en restitution, sous astreinte des outillages dont elle a donné une liste précise, qui est sa propriété et porte son nom.

De son côté la société IT Rhône s'opposait à ces demandes, considérait qu'elle constituait une rupture brutale des relations commerciales et réclamait diverses sommes pour cette rupture outre la valeur intellectuelle des moules si ceux-ci devaient être restitués.

Par jugement du 28 mai 2009, le tribunal de commerce :

- a dit que la rupture était justifiée par le comportement d'IT Rhône et a rejeté toutes les demandes de celle-ci,

- a ordonné la restitution à la société Vision des 18 moules sous astreinte et s'est réservé de liquider celle-ci,

- a condamné la société IT Rhône à verser 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par déclaration du 3 juillet 2009, la société IT Rhône a interjeté appel du jugement.

Sur sa demande, l'affaire a été fixée de manière urgente, au visa de l'article 919 du Code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières écritures, qui sont expressément visées par la cour pour plus ample expose des moyens et prétentions de l'appelante, la société IT Rhône demande l'infirmation du jugement.

Elle demande:

- le rejet des prétentions de la société Vision sur les moules sur lesquels elle n'apporte pas la preuve qu'ils lui appartiennent et sur lesquels elle devrait verser la valeur intellectuelle apportée à ces moules,

- le constat de la rupture brutale par la société Vision des relations commerciales qui les liaient, alors qu'elle aurait dû respecter un délai d'un an,

- la prise d'acte de ce qu'elle accepte néanmoins cette rupture et de ce qu'elle a restitué les 18 moules, en exécution du jugement,

- la condamnation de la société Vision à lui verser les sommes de 21 095 euro pour la valeur intellectuelle de ces moules, de 311 714,06 euro pour rupture brutale, 100 000 euro pour préjudice moral et 15 000 euro d'indemnité de procédure.

Elle demande la condamnation de la société Vision aux dépens en ce compris les frais de recouvrement forcé.

Elle réfute tout d'abord les allégations de la société Vision selon laquelle elle serait le fournisseur et le concurrent de celle-ci par le biais de la maison-mère, la société Métalic Laser Force qui n'exerce pas dans la fonderie mais dans la découpe laser pour la métallurgie alors que de son côté, la société Vision exerce dans le domaine de l'équipement automobile. Elle précise que même le groupe Métalic auquel elle appartient n'exerce pas dans le même secteur d'activité sauf pour les portillons de sécurité des bus qui ne constituent pour Vision qu'un de ses 150 produits.

Elle précise qu'elle réalise sur commandes de Vision, des pièces de fonderie depuis 1990 à partir des moules fabriqués par la Fonderie Georges qui a cédé cette activité à RBE Equipement (devenue IT Rhône) depuis 2003.

Elle indique que la société Vision est sa principale cliente (de 26 à 30 % de son chiffre d'affaires) et que celle-ci a obtenu un gel des tarifs pendant 3 ans et a même exercé des pressions pour obtenir une baisse de ces tarifs et des délais de paiement favorables, sous peine de rupture.

Sur le fond, la société IT Rhône soutient:

- que la société Vision n'apporte pas la preuve qu'elle est propriétaire des moules qu'elle n'a totalement identifiés que tardivement et qu'à cet égard ni les factures de fabrication en 1990 ni le contrat de fourniture du 24 mai 2005, ni enfin les autres documents, ne sont probants,

- qu'elle peut exercer un droit de rétention sur ces moules en l'absence de règlement du coût de la valeur intellectuelle attachée à ces moules (études, brevets, savoir-faire d'entretien et adaptations réalisées par le fondeur sur les moules) selon les conditions générales des fonderies européennes, valeur chiffrée à 21 095 euro selon parère établi par le Président du syndicat général des fondeurs, observant à cet égard que le contrat du 24 mai 2005 ne régit pas la question de la valeur intellectuelle des moules,

- qu'en exécution du jugement revêtu de l'exécution provisoire, elle a restitué les 18 moules et ne pourra donc désormais honorer les commandes que la société Vision a continué à lui adresser jusqu'au 15 juillet 2009,

- que les considérations relatives à la crise du secteur automobile, à l'augmentation exagérée de ses tarifs, ou à son refus de signer un accord de confidentialité ou à une prétendue campagne de dénigrement ou un désengagement progressif, sont inopérantes ou fausses,

- que la rupture brutale des relations est bien imputable à la société Vision,

- alors qu'elle était tenue de respecter un préavis raisonnable d'un an après une relation d'affaires continue et importante pendant plus de 20 ans, ayant nécessité des investissements spécifiques, le secteur spécifique de la fonderie ne dispensant pas les partenaires de respecter un délai de prévenance,

- que la rupture s'est manifestée le 12 février 2009 par la reprise de 5 moules sous 6 jours, par l'assignation en référé d'heure à heure sur la restitution de la totalité des moules, sur la diminution enfin de 40 % du chiffre d'affaires, sans que les discussions antérieures (lettre sur l'accord de confidentialité, message électronique sur les conditions tarifaires) puissent être considérées comme des étapes d'une rupture annoncée, puisque les relations commerciales se sont poursuivies après la rupture du contrat de fourniture, et se poursuivent encore, la baisse de 40 % du chiffre d'affaires ne correspondant nullement à la crise du secteur automobile puisqu'elle ne se retrouve pas dans les chiffres d'affaires globaux de la société Vision,

- qu'elle n'a commis pour sa part aucune inexécution ou faute justifiant une telle brutalité dans la rupture, car l'allégation relative à des prétendus dénigrements n'est étayée par aucune preuve et serait imputable à une société tierce, car le grief relatif à une augmentation tarifaire de 20 % est infondé puisque cette augmentation était libre, après une période de gel des prix de 3 ans et n'a finalement pas été appliquée (augmentation de 2,8 % qui ne dépasse [pas] les tarifs appliqués par les autres fournisseurs), car les autres griefs enfin sont infondés (refus d'un accord de confidentialité aberrant après 18 ans de relations commerciales et en l'absence d'activité concurrentielle, prétendu blocage des livraisons ou de restitution des moules contredit par la poursuite des relations).

Sur le préjudice causé par cette rupture brutale, la société IT Rhône réclame sa perte de marge brute calculée sur 12 mois de préavis normal et au taux de 20 % appliqué sur la moyenne des chiffres d'affaires des trois dernières années, soit 180 611,31 euro outre une indemnité correspondant aux licenciements de 3 salariés sur 6 prévus (30 493,52 euro au minimum) outre 40 344,43 euro de pertes sur investissements et 27 986,40 euro représentant 30 % des loyers affectés à l'activité de Vision, soit une indemnité totale de 279 435,66 euro sauf à parfaire.

Elle demande 100 000 euro de préjudice moral pour dégradation de son image de marque du fait de la rupture brutale, compte tenu de la notoriété de son ancien client.

Aux termes de ses écritures, qui sont expressément visées par la cour pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l'intimée, celle-ci demande la confirmation du jugement qui a ordonné la restitution à son profit des outillages litigieux, sans créance de la société IT Rhône au titre d'une valeur intellectuelle attachée à ces outillages.

Elle demande également la confirmation du jugement qui a débouté la société IT Rhône de ses demandes reconventionnelles au titre d'une rupture qui n'est pas brutale et qui serait de toute façon justifiée par un comportement déloyal d'IT Rhône et une augmentation tarifaire que celle-ci a tenté de lui imposer.

Elle demande une indemnité de procédure de 10 000 euro.

Sur la propriété des moules, la société Vision indique que ses droits résultent tant des factures de fabrication réglées en 1990 à la société Fonderie Georges que du contrat de fourniture en date du 24 mai 2005 entre Appareillages RBE (Vision) et RBE Equipement, que des conditions générales d'achat de la société Vision.

Elle dénie tout droit de valeur intellectuelle sur ces moules par la société IT Rhône, en raison de l'ancienneté de ceux-ci (1990) qui sont largement amortis, mais aussi en raison du caractère supplétif des conditions générales de la fonderie européenne au regard du contrat de fourniture dont les dispositions relatives au droit de propriété des moules perdurent même après la résiliation de ce contrat. Elle considère en outre que même si ces règles devaient s'appliquer, aucune rétribution ne serait due à la société IT Rhône dès lors que celle-ci n'a ni conçu, ni fabriqué ni modifié ces moules depuis qu'elle en est dépositaire.

Sur la prétendue rupture brutale des relations contractuelles, la société Vision rappelle qu'elle est liée à son fournisseur, la société IT Rhône puisque c'est elle qui détient ses moules, ce qui explique qu'elle ait continué à passer ses commandes malgré le litige. Dans ce contexte, la société Vision fait valoir que la rupture des relations commerciales n'est pas brutale;

- pour avoir fait suite à une première résiliation du contrat de fourniture à compter du 1er mai 2008 (dans le respect du préavis contractuel de 6 mois), en raison de problème de livraisons et de qualité de produits, pour en revenir à un fonctionnement standard client/fournisseur, avec des commandes en fonction de la compétitivité de son fournisseur,

- pour avoir été précédée d'une demande de signature, avec menace de résiliation, d'un accord de confidentialité à la suite de propos de dénigrement tenus par la nouvelle Présidente directrice générale d'IT Rhône après le rachat par la société Métalic,

- pour avoir été précédée également d'une négociation tarifaire au cours de laquelle la société IT Rhône voulait lui imposer, en période générale de baisse des prix de l'aluminium, une hausse de 20 % sur 18 des 50 références.

Elle considère que, dans ce contexte, la demande en restitution d'abord de 5 moules le 9 janvier 2009, demande réitérée le 12 février 2009, puis formulée en référé d'heure à heure pour le 4 mars 2009 pour 18 moules, était justifiée et ne peut s'analyser comme une rupture brutale puisqu'en discussion depuis le 30 octobre 2008.

Au demeurant, cette rupture serait selon elle justifiée au sens de l'alinéa 4 de l'article L. 442- 6-1-5° du Code de commerce par les manquements de la société IT Rhône :

- du fait de ses actes de concurrence déloyale qui s'inscrivent dans le cadre du rachat de la société IT Rhône par le Groupe Métalic auquel appartient la société Métalic Laser, qui est bien un concurrent direct de la société Vision dans le domaine, notamment, des portillons de sécurité, ce qui justifiait la demande de signature d'un accord de confidentialité ;

- par suite de l'augmentation exagérée de ses tarifs de 20 % pour fragiliser un concurrent du groupe Métalic et sans justification économique puisqu'elle a accepté ultérieurement de limiter cette augmentation à 6,58 %, puis après appel d'offres, à 3 % ;

- du fait de la rétention de livraison de certaines marchandises pour obtenir que son client accepte la hausse tarifaire, ce qui lui a causé un double préjudice en termes de perte de marge et de frais de livraison en urgences.

Elle observe enfin que les prétentions de la société IT Rhône au titre de son préjudice ont beaucoup varié, alors qu'elle faisait état de ventes à perte, que le taux de marge brut de 20 % n'est pas établi et ne concerne que 50 % du chiffre d'affaires (18 outillages sur 50), que le pourcentage de licenciements annoncé (16,2 % du personnel) est sans rapport avec l'activité dédiée à la société Vision (10 % de l'activité totale), qu'il en est de même pour les pourcentages réclamés au titre des loyers et investissements.

La clôture a été prononcée à l'audience du 15 octobre 2009.

Motifs de la décision

Sur la restitution des moules et la demande reconventionnelle en paiement d'une somme au titre de leur valeur intellectuelle

La question de la propriété des moules est hors sujet puisque la société IT Rhône qui était dépositaire des moules litigieux n'en revendique pas la propriété et les a restitués à la société Vision, de sorte qu'au passage, il n'y a pas lieu de donner acte à la société IT Rhône de cette restitution.

Au demeurant, si les factures de 1990 établies par les Fonderies Georges ne permettent pas d'identifier les moules litigieux, le contrat de fourniture conclu le 24 mai 2005 entre la société Appareillage Equipement (devenue Vision) et la société RBE Equipements (devenue IT Rhône) établit de manière claire et précise en son article 9 que les moules servant à la réalisation des pièces produites par IT Rhône sont la propriété exclusive de la société Vision, peu important, s'agissant de la constatation d'un fait, que le contrat constatant ce fait, n'ait pas été, depuis lors, reconduit.

Par ailleurs, même si ce contrat ne traite pas explicitement de la question de la propriété intellectuelle du fondeur sur les moules et si, dans ces conditions, les dispositions supplétives des conditions générales des fonderies européennes sont applicables, ces dispositions ne dispensent pas le fondeur, qui n'est pas en principe le concepteur des produits qu'il réalise, d'établir en quoi il a fait un apport intellectuel à ces outillages réalisés par une société tierce en 1990, par études, savoir-faire ou adaptations qu'il aurait mis en œuvre, preuve non rapportée en l'espèce par la société IT Rhône, qui ne justifie pas non plus d'un savoir-faire particulier en matière d'entretien ou de créativité dans l'utilisation de ces outillages comme mentionnés par le Président du Syndicat des Fondeurs de France dans sa définition de cet apport intellectuel.

Il n'est pas établi non plus que dans le périmètre de l'acquisition des fonderies Georges par la société RBE Equipements, devenue IT Rhône, ait été incluse auparavant une créance d'apport intellectuel.

Le jugement qui a débouté la société IT Rhône de ce chef de demande, doit être confirmé comme il doit être confirmé sur la condamnation de celle-ci à restituer les moules à la société Vision, ce dont elle s'est, depuis, exécutée.

Sur la rupture brutale de relations commerciales établies

En application de l'article L. 442-6-5° engage sa responsabilité toute entreprise qui rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de cette relation commerciale.

En l'espèce, il est constant et non contesté que les sociétés Vision et IT Rhône issues respectivement des sociétés Appareillage RBE et RBE Equipements, elles-mêmes filiales du Groupe Tagand, ont été en relations commerciales, la première comme cliente de la seconde, pour la fabrication, à partir de ses moules, de pièces d'équipements automobiles, depuis au moins 1990, peu important à cet égard qu'à la veille de la cession en 2005 de la société Appareillage RBE au groupe Vision, ait été conclu entre les deux sociétés sœurs un contrat de fourniture et d'approvisionnement réciproques avec blocage des prix sur 3 ans et que ce contrat ait été ensuite résilié par la société Vision, avec effet au 1er mai 2008, puisque les relations commerciales n'ont jamais été interrompues et ont perduré après cette date.

C'est bien encore la société Vision qui a décidé de rompre partiellement ces relations commerciales établies en notifiant à la société IT Rhône sa volonté de reprendre 5 puis 18 au total des 50 moules dont cette dernière était dépositaire, pour s'approvisionner chez un autre fournisseur, volonté exprimée dans un mail du 8 janvier 2009 pour les 5 moules, réitérée par courriel des 16 janvier et 12 février 2009 et concrétisée par un PV d'huissier du 18 février 2009 constatant le refus d'IT Rhône de livrer les 5 moules en cause, et par l'assignation en référé d'heure à heure du 27 févier 2009 en restitution cette fois de 18 moules.

Même si ces outillages n'ont finalement été restitués qu'au 17 juillet 2009, avec une réalisation réduite mais néanmoins persistante des produits correspondants, c'est bien par courrier électronique puis par pli recommandé du 16 janvier 2009, que la société Vision a notifié sa décision de rompre immédiatement, donc sans préavis, sa relation commerciale sur 5 outillages, rupture étendue ensuite à 13 autres outillages par procédure de référé d'heure à heure.

En effet, ni les observations formulées par la société Vision sur les problèmes de qualité et de délais de livraison, ni les discussions engagées entre les parties sur les tarifications, à l'expiration du contrat de fourniture ayant opéré, notamment, blocage des prix pendant 3 ans, ni enfin la menace de rupture contenue dans la demande, formulée de manière pressante par la société Vision, de signature d'un accord de confidentialité, ne constituent, malgré la fermeté de ton des correspondances échangées, un préavis formel de rupture de la part de la société Vision, qui ne peut, non plus exciper, comme constituant un préavis de fait, donc inopérant, de l'absence certaine de diligence de la société IT Rhône à lui restituer les moules, circonstance pouvant tout au plus être prise en compte dans l'appréciation du préjudice, ainsi diminué, subi par cette dernière.

La société Vision n'établit pas non plus que cette rupture fautive, car brutale, était justifiée en raison de manquements de la société IT Rhône à ses obligations.

Certes, la société IT Rhône, qui prétend désormais n'être pas en situation de concurrence avec la société Vision, alors que ces deux sociétés le sont depuis le 1er août 2008, par le biais du Groupe Métalic auquel appartient la société IT Rhône, ensuite des opérations de cession intervenues, et au moins sur un produit, les portillons de sécurité d'autobus, a retardé le plus possible la signature d'un accord de confidentialité, dont elle ne discutait pas, à l'époque, l'opportunité, mais ce retard s'est inscrit dans une négociation globale et essentiellement tarifaire, dans laquelle la société Vision s'était elle-même engagée en sollicitant une baisse des tarifs de 10 %.

Par ailleurs la société IT Rhône, qui était certes en droit de négocier de nouveaux prix après une période de gel tarifaire de trois ans, a manqué de cohérence dans sa nouvelle politique de prix, en tentant d'imposer à son très ancien client, une augmentation de 20 % sur certaines de ses références alors que le prix de l'aluminium, qui rentre pour une grande part du coût des produits fabriqués, était en baisse sensible, pour descendre ensuite, au cours des discussions, à 12,4 %, puis 6,59 % et enfin, après l'assignation du 2 mars 2009, à 2,18 % sur les références en cause, ce décalage initial par rapport au marché et à la concurrence coïncidant en fait avec la cession d'IT Rhône en août 2008 à la société Métalic Force Laser appartenant au Groupe Métalic.

Cependant, dans la mesure où les autres griefs ne sont pas établis, tels ceux relatifs aux problèmes de qualité et de livraisons, ou ne résultent que des seules affirmations de la société Vision, tels les dénigrements auprès des clients, imputés à la nouvelle dirigeante d'IT Rhône, les atermoiements de cette société n'étaient pas suffisamment graves pour dispenser la société Vision d'un préavis de rupture après près de 20 ans de relations commerciales globalement satisfaisantes puisque s'étant poursuivies pour 32 références sur 50, le désengagement annoncé depuis, sur ces autres références, semblant s'opérer dans le respect des dispositions de l'article L. 442-6 susvisé.

Le jugement qui n'a pas retenu la rupture brutale des relations commerciales par la société Vision et qui a débouté la société IT Rhône de toutes ses demandes de ce chef, doit être infirmé.

Sur le préjudice

Le fait pour la société Vision d'avoir abusé de son droit de mettre fin à des relations commerciales a causé un préjudice à la société IT Rhône qui n'a pas été mise en mesure, en l'absence de préavis raisonnable, de réorganiser sa production et de trouver de nouveaux clients.

En l'espèce, eu égard à la durée des relations commerciales, au caractère partiel d'une rupture qui a porté sur 18 références, certes prépondérantes en termes de chiffres d'affaires, sur 50, au délai enfin de mise en œuvre effective de cette rupture, ce délai de préavis aurait dû être de 6 mois et représente, selon les éléments chiffrés fournis et non contestés, une perte de marge brute certaine de 90 305,65 euro, somme que devra lui verser la société Vision à titre de dommages-intérêts, toute discussion sur le terme de "vente à perte" utilisé dans un courrier établi par un tiers et qui n'a aucune réalité comptable, étant inopérante.

La société IT Rhône doit être déboutée de ses demandes de dommages-intérêts complémentaires faute de justificatifs de ses postes de préjudice, notamment en termes d'atteinte à son image de marque ou de pourcentages d'affectation des investissements et des locaux aux activités dédiées à la société Vision, mais aussi de preuve du lien de causalité entre la brutalité de la rupture imputée à la société Vision avec les licenciements de personnel qui sont en cours et, pour la plupart, conventionnels.

La société Vision doit être déboutée de sa demande d'indemnité de procédure et condamnée à verser à ce titre à la société IT Rhône la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le jugement doit être également infirmé sur ce point, les dépens de 1re instance, qui ont permis la restitution des moules, devant rester toutefois à la charge de la société IT Rhône.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement uniquement en ce qu'il a condamné, sous astreinte, la société IT Rhône Provence à restituer les moules et a débouté cette dernière de sa demande reconventionnelle en paiement d'une somme au titre de la valeur intellectuelle de ces moules, L'infirme pour le surplus, Et statuant à nouveau, Condamne la société Visions Systems Automotive à payer à la société IT Rhône Provence la somme de 90 305,65 euro pour rupture brutale partielle de relations commerciales, Condamne la société Visions Systems Automotive à payer à la société IT Rhône Provence la sonne de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute la société IT Rhône du surplus de ses demandes, Condamne la société IT Rhône Provence aux dépens de référé et de première instance, et la société Visions Systems Automotive aux dépens d'appel, avec, pour ces derniers, distraction au profit de la SCP Laffly-Wicky, avoués.