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Décisions

CA Agen, 1re ch. civ., 4 mars 2009, n° 08-00488

AGEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Marm (SARL)

Défendeur :

Chanel (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Boutie

Conseillers :

MM. Nolet, Marguery

Avoués :

SCP Teston-Llamas, SCP Narran

Avocats :

Mes Breger, SCP Salans, Associés

TGI Marmande, du 11 janv. 2008

11 janvier 2008

A la suite de la liquidation judiciaire de la société Galeries Remoises " Le Printemps ", son liquidateur, autorisé par ordonnance du juge-commissaire du 7 novembre 2003, mettait en vente aux enchères le stock de cette société. Le 13 décembre 2004, la société Futura Finances achetait ainsi des articles de parfumerie et de cosmétique de grandes marques dont la marque Chanel. Elle revendait une partie de ces produits à la société Marm, magasin exerçant sous l'enseigne Noz à Sainte Bazeille qui les mettait en vente à compter du 7 février 2005.

A la demande de la société Chanel, un procès-verbal d'huissier était dressé le 15 février 2005 et qu'il indiquait:

- que le magasin Noz est situé en bordure de la RN 113 jouxtant le magasin Pier Import et que les produits sont exposés dans des bacs ou des portants, la présentation générale et l'agencement ainsi que la décoration étant modeste et correspondant au standing habituel d'une solderie,

- que des affiches étaient apposées tant à l'entrée que dans le magasin dont certaines reproduisaient le sigle Chanel, indiquant la vente de produits de luxe provenant d'une liquidation judiciaire avec un rabais de 30 %,

- que cinq produits de marque Chanel ont été trouvés, la responsable du magasin ayant déclaré que les autres produits avaient été vendus, 39 produits Chanel ayant été livrés par la " maison mère " Futura Finance,

- que les articles de marque Chanel portaient la mention " cet article ne peut être vendu que par les dépositaires agréés Chanel ".

Au vu de ce document, la société Chanel assignait la société Marm en concurrence déloyale.

Par jugement du 11 janvier 2008, le Tribunal de grande instance de Marmande :

- décidait que la société Marm avait fait un usage illicite de la marque Chanel et qu'elle avait ainsi porté atteinte à l'image et à la réputation de la marque,

- décidait que la société Marm avait participé indirectement à la violation de l'interdiction de revente hors réseau et qu'elle avait ainsi engagé sa responsabilité délictuelle en commettant des actes de concurrence déloyale envers la société Chanel,

- condamnait la société Marm à payer à la société Chanel la somme de 25 000 euro toutes causes de préjudice confondues et celle de 5 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonnait la mainlevée du séquestre du 15 février 2005 et la remise à la société Chanel de la totalité des produits pour destruction,

- faisait interdiction à la société Marm de détenir, acheter ou vendre des produits Chanel sous astreinte de 200 euro par infraction constatée,

- ordonnait la publication du jugement dans trois journaux au choix de la société Chanel dans la limite de 8 000 euro.

Par déclaration du 20 mars 2008, la société Marm relevait appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions déposées le 16 décembre 2008, elle soutient que la société Chanel ne démontre pas l'existence d'un réseau de distribution sélective, que celui-ci n'est pas étanche et qu'en toute hypothèse, la société Chanel a manqué à ses obligations. Elle fait valoir encore qu'aucun acte de contrefaçon ne peut lui être reproché ni aucun acte de concurrence déloyale. Elle conclut à la réformation de ce jugement et au débouté des demandes. Elle réclame encore la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Chanel, dans ses dernières écritures déposées le 6 janvier 2009 estime que les premiers juges ont fait une exacte application des règles de droit aux éléments de l'espèce. Elle sollicite donc la confirmation du jugement entrepris dans son principe mais, par appel incident, elle sollicite la somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'usage illicite de la marque, 20 000 euro en application de l'article 1382 du Code civil et que le montant de la publication de la décision soit porté à 10 000 euro, outre le coût du constat. Elle réclame encore la somme de 20 000 euro en remboursement de ses frais irrépétibles.

Sur quoi,

Sur le réseau de distribution sélective de la société Chanel

Attendu que la société appelante estime que les pièces communiquées n'établissent pas la sincérité du réseau de distribution sélective revendiqué, faute de produire des contrats conclus avec des détaillants agréés ;

Mais attendu que la société Chanel a versé aux débats le contrat signé avec la Galerie Rémoise, identique au contrat-type par ailleurs produit ; que l'appelante ne conteste pas sérieusement l'existence de plus de 1 000 revendeurs agréés des produits Chanel ; qu'elle ne conteste pas davantage, aux termes de ses écritures d'appel, le caractère licite de ce contrat que le tribunal a justement retenu tant du point de vue communautaire que de point de vue national ;

Attendu que pour conclure aussi à l'épuisement du droit des marques, l'appelante fait valoir l'absence d'étanchéité du réseau par l'absence de prévision de l'ouverture d'une procédure collective du commerçant; qu'elle affirme que les règles de la procédure collective, en raison de leur caractère dérogatoire au droit commun, l'emportent sur le contrat ; que d'ailleurs, si la société Chanel, dans un courrier adressé au liquidateur le 28 novembre 2003, indiquait s'opposer à la mise au enchères des produits Chanel, elle n'engageait aucune procédure au soutien de cette opposition;

Mais attendu que la société Chanel fait justement remarquer que les clauses III et IV du contrat de distributeur agréé assurent l'étanchéité juridique, seule nécessaire, par l'interdiction faite à ce distributeur de vendre et de s'approvisionner en produits Chanel en dehors du réseau ; qu'il est également stipulé que si le contrat cesse "pour quelque cause que ce soit", le distributeur cesse la vente des produits et la société Chanel s'engage à reprendre son stock; qu'en exécution de ces clauses, dans son courrier du 28 novembre 2003 adressé au liquidateur, la société Chanel s'opposait à la vente aux enchères des produits de sa marque et formulait une offre d'achat restée sans réponse ; que les termes du contrat de distribution exclusive étaient donc respectés ;

Qu'ainsi, les dispositions du jugement concernant le caractère licite du réseau de distribution sélective seront confirmées.

Sur le comportement de la société Marm

Attendu que pour conclure à l'infirmation du jugement qui la déclarait coupable d'usage illicite de la marque Chanel, d'avoir porté atteinte à l'image et la réputation de cette marque, d'avoir participé indirectement à la violation de l'interdiction de revente et d'avoir ainsi commis des actes de concurrence déloyale envers la société Chanel, la société Marm fait valoir:

- que l'emploi de la marque Chanel sur les affiches publicitaires est autorisé lorsque les produits authentiques ont été mis sur le marché avec le consentement du titulaire de la marque,

- que les produits mis en vente ont été acquis licitement,

- que la société Chanel ne démontre aucun motif légitime pour écarter le principe d'épuisement de la marque,

- les produits Chanel étaient mis en vente dans des conditions conformes au prestige de la marque.

Mais attendu que certes, si l'achat des produits a été fait de manière régulière à la suite de la vente aux enchères, il est à remarquer que la publicité n'est autorisée que si la commercialisation est licite, c'est-à-dire conforme au contrat de distribution exclusive ;

Qu'en l'espèce, la société Marm ne justifie pas de l'achat allégué des produits Chanel auprès de la société Futura Finances, aucune facture n'étant produite ;

Que l'annonce de la vente aux enchères faite par le liquidateur précisait que les acquéreurs devaient se conformer à la législation et aux clauses accréditives de distribution des parfums et cosmétiques;

Que tous les produits Chanel mis en vente portaient la mention " ne peut être vendu que par les dépositaires agréés Chanel " ;

Qu'ainsi, la société Marm ne saurait se réfugier derrière l'acquisition régulière de produits authentiques pour justifier de la vente de ces produits et de l'usage de la marque alors qu'aucune autorisation préalable n'était demandée au propriétaire de celle-ci et que ce revendeur n'était pas agréé ;

Attendu que la société Chanel justifie de motifs légitimes pour s'opposer à l'usage de sa marque notamment par l'existence d'un réseau étanche de distribution sélective, et par la mise en vente des produits dans une solderie (hangar avec bardage de tôles situé dans une zone commerciale (cf. constat d'huissier) dans des conditions dévalorisantes, sans que les précautions mises en avant par l'appelante ne soient établies ;

Attendu qu'il résulte de ces éléments que le tribunal décidait justement que la société Marm avait fait un usage illicite de la marque Chanel, qu'elle avait sciemment violé l'interdiction de vente hors réseau prévu par l'article L. 442-6-I 6° du Code de la propriété intellectuelle et commis une faute délictuelle au sens de l'article 1382 du Code civil constituant un acte de concurrence déloyale.

Sur la réparation du préjudice

Attendu que la vente des produits Chanel par l'intermédiaire de distributeurs agréés exclusifs accompagnée d'une importante publicité dont les justificatifs se trouvent au dossier contribue à l'image de marque de cette société ; que les agissements de la société Marm ont porté atteinte à cette image et à l'organisation commerciale de la société Chanel ; que ces fautes sont en lien direct avec le préjudice subi par cette société;

Attendu que par appel incident la société Chanel explique qu'il doit lui être alloué la somme de 20 000 euro en réparation du préjudice subi du fait de l'usage illicite de sa marque, une somme identique en réparation des actes de concurrence déloyale et que les frais de publication judiciaire doivent être portés à 10 000 euro;

Mais attendu qu'aucun élément nouveau produit en cause d'appel ne justifie l'élévation du préjudice justement évalué à la somme globale de 25 000 euro par le tribunal et fondée à la fois sur les agissements fautifs de la société Marm, sur la notoriété de la marque, sur le fait que les produits vendus étaient fabriqués en 1993 et qu'ils étaient mis en vente dans une zone commerciale relativement éloignée de tout centre urbain important;

Qu'ainsi, le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions;

Attendu que la société Marm, qui succombe dans ses prétentions, supportera les dépens;

Que, tenue aux dépens, elle devra payer à la société Chanel la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort, Au fond, confirme le jugement rendu le 11 janvier 2008 par le Tribunal de grande instance de Marmande, Y ajoutant, Condamne la société Marm à payer à la société Chanel la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Marm aux dépens et autorise la SCP d'avoués Narran à les recouvrer conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.