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Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 5 mai 2009, n° 08-02666

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cross Data Base Technology (SA)

Défendeur :

Montravers (ès qual.), Martinez (ès qual.), Computech (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Simonnot

Conseillers :

Mmes Cocchiello, Serrin

Avoués :

SCP Guillou & Renaudin, SCP Castres, Colleu, Perot & le Couls-Bouvet

Avocats :

Mes Herzog, Groc

T. com. Nantes, du 7 août 2001

7 août 2001

Exposé du litige

La société Euritech, devenue la société Computech, qui vend des logiciels informatiques a, au cours du mois de mai de l'année 2000, noué des relations avec la société Cross Data Base Technology (société CDBT) afin de commercialiser des produits de cette société, dont des logiciels Data Exchanger.

S'estimant victime de divers actes de concurrence déloyale et d'une rupture brutale soit du contrat de distribution allégué soit de relations commerciales établies alléguées, la société Computech a, le 7 août 2001, assigné la société CDBT en paiement d'une provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice, pour la détermination duquel une expertise était sollicitée.

Par jugement du 7 août 2001, le Tribunal de commerce de Nantes a, notamment :

- constaté les agissements abusifs et l'abus de droit de la Cross Data Base Technology,

- condamné celle-ci à payer à la société Computech SA la somme de 50 000 euro à titre provisionnel, sur les dommages-intérêts à venir,

- ordonné une expertise sur le préjudice de la société Computech,

- condamné la société CDBT à payer à la société Computech la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société CDBT aux dépens.

La société CDBT a interjeté appel de cette décision.

Au cours de la procédure, la société Computech a été placée en liquidation judiciaire.

Par arrêt du 11 octobre 2005, la Cour d'appel de Rennes a :

- réformé la décision déférée,

- prononcé la mise hors de cause de Maître Martinez, ès qualité d'administrateur judiciaire de la société Computech SA,

- donné acte à Maître Montravers, ès qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la société Computech SA de son intervention volontaire,

- débouté la société Computech SA de l'ensemble de ses demandes dirigées contre la SA Cross Data Base Technology,

- condamné Maître Montravers, ès qualité de liquidateur de la société Computech SA, aux dépens de première instance et d'appel.

Maître Montravers, ès qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Computech a formé un pourvoi contre cet arrêt.

Par arrêt du 18 décembre 2007, la Cour de cassation a :

- sauf en ce qu'il a prononcé la mise hors de cause de Maître Martinez, ès qualités d'administrateur judiciaire de la société Computech, donné acte à Maître Montravers, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Computech de son intervention volontaire, réformé la décision déférée du chef de la rupture abusive du contrat de distribution et de la rupture brutale des relations commerciales prétendument établies et rejeté les demandes d'indemnisation pour ces mêmes chefs,

- au visa de l'article 4 du Code de procédure civile, cassé et annulé l'arrêt rendu le 11 octobre 2005, entre les parties, par la Cour d'appel de Rennes, remis sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la Cour d'appel de Rennes, autrement composée.

La société CDBT a demandé à la cour :

- qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle se désiste à l'égard de Maître Martinez, ès qualités d'administrateur judiciaire de la société Computech,

- à titre principal,

- que soit déclarées irrecevables les demandes de Maître Montravers relatives à l'existence et la rupture d'un contrat de distribution dont l'existence a été définitivement tranchée,

- dire qu'elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale,

- débouter Maître Montravers en conséquence et réformer la décision qui l'a condamnée à verser à titre provisionnel la somme de 50 000 euro à valoir sur le préjudice,

- juger le cas échéant que Maître Montravers ne peut prétendre à la réparation d'un préjudice sur une période très limitée, et au seul titre de la perte de chance au titre de la marge escomptée,

- subsidiairement,

- constater qu'aucun contrat de distribution n'a été signé par les parties,

- condamner Maître Montravers, ès qualités à lui payer la somme de 2 000 euro au titre des frais irrépétibles,

- condamner Maître Montravers, ès qualités aux dépens exposés devant la cour de renvoi.

La société CDBT s'est désistée de toute demande contre Maître Martinez ès qualité d'administrateur judiciaire de la société Computech. Ce désistement a été constaté par ordonnance du 3 septembre 2008.

Maître Montravers ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Computech demande à la cour de :

- confirmer le jugement du 15 décembre 2003 en toutes ses dispositions,

- y additant,

- condamner la société CDBT à lui payer la somme de 5 000 euro au titre des frais irrépétibles,

- condamner la société CDBT aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

La cour se réfère pour plus ample exposé des faits, moyens aux dernières écritures des parties en date des premier décembre 2008 et 6 février 2009.

Sur ce :

I Etendue de la saisine de la cour de renvoi :

Considérant que la société Computech a invoqué un préjudice en soutenant qu'il existait un contrat de distribution qui avait été rompu brutalement, qu'il existait des relations commerciales établies brutalement rompues, qu'il existait de la part de la société Cross Data des agissements concurrentiels déloyaux, que le jugement du tribunal de commerce, motivant sa décision en indiquant que "la société Euritech (devenue Computech) était distributeur officiel du produit Data Exchanger", que "l'embauche d'anciens salariés de la société Euritech par la société CDBT, puis leur intervention auprès de la société Euritech" est un procédé " déloyal et fautif ", que "le contrat de distribution a été rompu unilatéralement par la société CDBT, et utilisant un procédé déloyal et fautif, la société CDBT a récupéré à son seul profit le travail de distributeur de la société Euritech", a condamné la société CDBT à payer une somme de 50 000 euro à titre de provision sur les dommages-intérêts et ordonné une expertise,

Considérant que l'arrêt de cette cour a débouté la société Computech de ses demandes, après avoir estimé que n'existaient ni contrat de distribution ni relations commerciales établies entre les parties et indiqué que la société Computech ne reprenait pas le grief de concurrence déloyale ; que la Cour de cassation a cassé cet arrêt qui n'avait pas à nouveau examiné les griefs de concurrence déloyale que la société Computech reprenait nécessairement en demandant la confirmation du jugement du tribunal de commerce, qu'elle a cassé cet arrêt "sauf ce qu'il a [...] réformé la décision déférée du chef de la rupture abusive du contrat de distribution et de la rupture brutale des relations commerciales prétendument établies et rejeté les demandes d'indemnisation pour ces mêmes chefs",

Considérant qu'actuellement la société Computech conclut en la confirmation du jugement de première instance, que la société CDBT soutient que le litige est définitivement tranché sur l'existence d'un contrat de distribution, de sorte que les demandes formées à ce titre ne sont pas recevables,

Considérant que la cour de renvoi ne peut connaître que de la demande de la société Computech tendant à voir réparer le préjudice qu'elle estime subir du fait des agissements déloyaux de la société CDBT, qu'elle ne peut à nouveau examiner les griefs tirés de la brutalité de la rupture d'un contrat de distribution, de relations commerciales qui font l'objet d'une décision désormais définitive,

Considérant que les demandes que forme la société Computech au titre de l'existence d'un contrat de distribution et de relations commerciales établies seront rejetées, comme irrecevables,

II Sur l'existence d'actes de concurrence déloyale

Considérant que la société Computech fait état du débauchage de deux de ses commerciaux qu'elle avait formés, de la démarche directe des prospects de la société Computech et des clients de celle-ci ayant pour effet de détourner la clientèle, de l'entreprise de dénigrement auprès des clients,

Considérant que la société CDBT réplique en indiquant qu'elle ne s'est livrée à aucun démarchage direct ou indirect de clientèle, qu'elle a été, au contraire, victime des agissements de la société Computech qui a piraté les informations et les caractéristiques des produits Data Exchanger, qu'elle ne s'est livrée à aucun dénigrement de la société Computech, qu'elle n'a pas non plus débauché déloyalement ses salariés,

Sur le dénigrement :

Considérant que celui-ci ne peut résulter des seules allégations de la société Computech par courrier ou dans ses écritures ou encore de l'attestation de Monsieur Benayoun, dirigeant de la société Telemarket qui rapporte les propos que lui a tenus Computech sur ce point, que le dénigrement n'est pas établi,

Sur le démarchage de la clientèle :

Considérant que la société Computech n'a pas d'exclusivité sur la clientèle, et ne peut reprocher des actes de démarchage à la société CDBT, ou encore d'avoir signé de nouveaux contrats avec des clients qu'elle lui avait apportés (comme la société Telemarket par exemple),

Sur le débauchage :

Considérant que, selon les documents versés aux débats, la société CDBT et la société Computech se sont rapprochées en mai 2000, que quatre contrats d'installation de licence Data Exchanger ont été signés à la suite des travaux de prospection engagés par la société Computech, avec les sociétés Arcade à la fin du mois de juin 2000, Vin Nicolas en septembre 2000, Nina Ricci en décembre 2000 et Telemarket en janvier 2001, pour lesquels la société Computech a reçu une rémunération ; qu'il peut être dit qu'un courant d'affaires s'ébauchait, auquel il n'a cependant pas été donné suite ; que la société Computech avait embauché deux salariés, Monsieur Malherbe le 4 septembre 2000 et Monsieur Boucaud-Maître le 25 septembre 2000, avec des contrats à durée indéterminée comportant une clause de non-concurrence, qu'elle leur a fait suivre les 11 et 12 octobre 2000 des journées de formation organisées par les soins de CDBT, que ces deux salariés ont démissionné de la société Computech, le premier par courrier du 18 décembre 2000, le second par courrier du 12 janvier 2001,

Considérant que les salariés de la société Computech avaient prospecté de nouveaux clients, la société Mitsubishi en juillet 2000, la société Descours & Cabaud en novembre 2000, la société LLP en décembre 2000, que ces clients ont traité avec la société CDBT directement en 2001 ou 2002 avec Monsieur Boucaud-Maître ou Monsieur Malherbe et signé des contrats d'installation de licence,

Considérant que la société CDBT a, comme l'expose Monsieur Malherbe dans une attestation que les termes mesurés rendent crédible, débauché deux salariés de la société Computech "afin de développer de nouveaux axes de distribution", que si la liberté du commerce et de l'industrie consacre le droit du salarié de changer d'emploi, et si les procédés traditionnels de débauchage que sont la rémunération supérieure, ou les défraiements élevés ne sont pas établis en l'espèce, il n'en demeure pas moins que le débauchage est rapporté tant par l'attestation de Monsieur Malherbe que par la concomitance des deux démissions et également entre les démissions et les embauches par CDBT,

Considérant que la société CDBT ne peut invoquer valablement le piratage auquel se serait livrée la société Computech pour se dégager de la responsabilité qu'elle encourt, qu'il est vrai que la société Computech ne pouvait conserver sur son site Internet des informations concernant les produits Data Exchange alors que les relations entre les deux sociétés cessaient; que son dirigeant l'a parfaitement compris, s'engageant dans le mois de son interpellation du 29 mars 2001 à faire disparaître les informations de son site;

Considérant que les éléments du dossier établissent que la société CDBT a débauché du personnel dont la formation avait été financée par Computech et les a employés pour accomplir les travaux auxquels la société Computech les avait fait former, qu'elle a ainsi engagé sa responsabilité par ce procédé déloyal de nature parasitaire,

III Sur le préjudice :

Considérant que CDBT a profité du travail accompli par Computech dans la prospection de la clientèle, du savoir acquis des salariés de la société Computech qu'elle avait débauchés après qu'ils aient été formés aux frais de la société Computech, ce qui lui a permis de signer des contrats avec des clients démarchés par Computech, les sociétés LLP, Descours & Cabaud, Mitsubishi,

Considérant que les préjudices invoqués par la société Computech sont les conséquences de l'existence de contrat de distribution ou de relations commerciales établies dont la reconnaissance a été refusée par une décision définitive,

Considérant qu'il y a lieu de l'inviter à conclure sur le préjudice résultant du procédé de concurrence déloyale dont elle a été victime, qu'il appartiendra à la société CDBT de répliquer sur ce point,

Considérant qu'il sera sursis à statuer en l'état et que les dépens seront réservés,

Par ces motifs, LA COUR, Constate qu'il a été définitivement statué sur l'existence d'un contrat de distribution et sur la rupture abusive de relations commerciales, Déclare les demandes de la société Computech formées sur ces chefs irrecevables, Sur la concurrence déloyale, Dit que la société CDBT a usé de procédés déloyaux, Ordonne la réouverture des débats afin que les parties concluent sur le préjudice subi par la société Computech du fait de ces procédés déloyaux, et le chiffrent, Dit que la société Computech conclura pour le 15 juin 2009, Dit que la société CDBT conclura pour le 24 juillet 2009, Dit que l'affaire sera appelée et retenue à l'audience du mardi 22 septembre 2009 à 14 heures (collégiale), Sursoit à statuer sur les demandes de dommages-intérêts, de frais irrépétibles et sur les dépens.