CA Chambéry, ch. com., 24 février 2009, n° 07-02631
CHAMBÉRY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Bery (SARL)
Défendeur :
Chanel (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Robert
Conseillers :
MM. Greiner, Morel
Avoués :
SCP Bollonjeon-Arnaud-Bollonjeon, SCP Fillard/Cochet-Barbuat
Avocats :
Me Breger, SCP Salans & Associés
Faits procédure prétentions et moyens
Informée que des articles de parfumerie portant sa marque étaient proposés à la vente dans un magasin à l'enseigne Noz, exploité dans un local sis 2577 avenue des Landiers à Chambéry par la SARL Bery, alors même que celle-ci n'est pas un distributeur agréé de la marque Chanel et qu'il était clairement apposé la mention sur tous les produits en cause: "Cet article ne peut être vendu que par les dépositaires agréés Chanel", la SAS Chanel a, en vertu d'une ordonnance l'y autorisant, fait dresser le 22/02/2005 par Maître Corinne Ormedo, huissier de justice, un procès-verbal de constat et saisie dont il résulte que la société Bery avait acquis de son fournisseur, la société Futura Finances, un lot de 39 articles de la marque Chanel qu'elle avait en grande partie revendus, puisqu'il n'en restait plus que 7, appréhendés par l'huissier;
Il s'avère des investigations entreprises que la société Futura Finances avait fait l'acquisition de ce lot dans une vente aux enchères publiques, ordonnée judiciairement dans le cadre des opérations de liquidation judiciaire de la société " Les Galeries Rémoises" - magasin à enseigne Printemps, distributeur agréé des articles Chanel dans la ville de Reims.
C'est dans ces conditions que par assignation délivrée le 7 octobre 2005 à la société Bery, la société Chanel a saisi d'une action en contrefaçon de marque par usage illicite et concurrence déloyale le Tribunal de grande instance de Chambéry qui, par jugement du 08/11/2007, faisant partiellement droit à ses prétentions, a:
- dit que la SARL Bery a fait un usage illicite des produits de marque Chanel et qu'elle a distribué des produits Chanel hors réseau ;
- condamné la SARL Bery à verser à la SAS Chanel la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts ;
- débouté la SAS Chanel de sa demande en réparation au titre de la concurrence déloyale ;
- ordonné la mainlevée du séquestre pratiqué le 22 février 2005 et la remise des produits à la SAS Chanel pour destruction ;
- dit que la présente décision fera l'objet d'une publication dans deux publications au choix de la SAS Chanel aux frais de la SARL Bery dans la limite de 7 000 euro TVA en sus ;
- dit que sous peine d'une astreinte de 200 euro par infraction, la SARL Bery ne pourra acquérir, détenir et vendre des produits Chanel ;
- condamné la SARL Bery à rembourser à la SAS Chanel la somme de 563,97 euro TTC ;
- condamné la SARL Bery à verser à la SAS Chanel la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné la SARL Bery à supporter la charge des entiers dépens ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
La société Bery a relevé appel de ce jugement et, reprenant les prétentions et moyens qu'elle avait fait valoir en première instance, elle demande à la cour, aux termes des dernières conclusions qu'elle a signifiées le 09/12/2008 et auxquelles il convient de se reporter, de :
- réformer par partie la décision entreprise et notamment en ce qu'elle a dit que la SARL Bery a fait un usage illicite des produits de marque Chanel et a distribué lesdits produits hors réseau;
- dire qu'elle n'a commis aucun acte de contrefaçon des marques Chanel;
- dire n'y avoir lieu à paiement de dommages et intérêts au profit de la SAS Chanel ;
- débouter la société Chanel de l'intégralité de ses demandes ;
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société Chanel de sa demande en réparation au titre de la concurrence déloyale ;
- condamner la société Chanel à lui verser la somme de 5 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- la condamner aux entiers dépens.
La société Chanel, dans ses dernières conclusions récapitulatives signifiées à la cour le 30/12/2008 auxquelles il est renvoyé pour un exposé de ses prétentions et moyens, demande à la cour de:
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la société Bery avait fait un usage illicite des marques dont elle est titulaire, distribué des produits de sa marque hors réseau, ordonné la mainlevée du séquestre et la remise des produits saisis pour destruction, fait interdiction sous astreinte à la société Bery d'acquérir, détenir ou vendre des produits Chanel et condamné celle-ci à lui rembourser les frais d'huissier,
- d'infirmer le jugement en ses autres dispositions, et statuant à nouveau de:
- de condamner la société Bery à lui verser la somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'usage illicite de ses marques en vertu des articles L. 713-4 et 716-9 du Code de la propriété intellectuelle,
- de dire et juger que la société Bery a engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil en s'approvisionnant dans des conditions anormales, en violation du réseau de distribution sélective, en mettant ses produits en vente sans être soumise aux contraintes des distributeurs agréés, tout en bénéficiant de la valeur publicitaire de la marque, en portant atteinte à l'image de marque et à la réputation de Chanel,
- en conséquence, de la condamner de ce chef, en vertu de l'article L. 442-6-I 6° du Code de commerce, à lui verser la somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts pour agissements parasitaires et déloyaux,
- en toute hypothèse d'ordonner la publication de la décision dans trois journaux de son choix aux frais de la société Bery dans la limite de 10 000 euro TVA en sus et de condamner celle-ci à lui verser une indemnité de 20 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile;
Sur quoi, LA COUR,
1° Sur l'usage illicite de la marque
Attendu que la société Chanel, qui diffuse les articles vendus sous sa marque par l'intermédiaire d'un réseau de distributeurs agréés, justifie, par la production du contrat-type qu'elle conclut avec ces derniers, que ce réseau de distribution sélective répond aux exigences requises pour être reconnu licite au regard du droit de la concurrence, en ce compris l'exigence d'étanchéité juridique du réseau que lui dénie la société Bery, mais à laquelle répond, dans des conditions suffisantes, la clause III du contrat qui interdit au distributeur agréé de céder les produits objet du contrat à toute collectivité, groupe, négociant, grossiste ou détaillant n'appartenant pas au réseau de distribution sélective de la société Chanel et de s'approvisionner auprès des collectivités, groupes, négociants, grossistes ou détaillants n'appartenant pas au dit réseau, ainsi que les clauses V et VII aux termes desquelles le distributeur s'interdit de céder ou transférer tout ou partie des droits qu'il tient du contrat et s'engage, en cas de cessation du contrat pour quelque cause que ce soit, à cesser sans délai la vente des produits encore en sa possession et à le restituer à la société Chanel qui s'oblige à le reprendre sur la base du prix acquitté par le détaillant agréé lors de la livraison;
Qu'il s'ensuit qu'en vertu de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle la commercialisation de produits portant la marque Chanel par un revendeur non agréé constitue un usage illicite de la marque, sauf à démontrer, en application de l'article L. 713-4 du dit Code, que la société Chanel aurait épuisé ses droits sur la marque en consentant à la mise sur le marché des dits produits en dehors du circuit de distribution qu'elle a mis en place;
Que la société Bery, qui s'estime précisément fondée à opposer en l'espèce à la société Chanel l'épuisement de ses droits, prétend tirer de son inaction à empêcher la mise aux enchères publiques du stock des produits de sa marque, ordonnée judiciairement dans le cadre des opérations de liquidation judiciaire de l'un de ses distributeurs agréés, caractérisée notamment par sa carence à exercer un recours contre l'ordonnance, en date du 07/11/2003, par laquelle le juge commissaire a autorisé cette vente, la preuve d'un accord implicite de sa part à leur cession par voie d'adjudication et à leur réintroduction subséquente sur le marché en dehors de son circuit de distribution;
Mais attendu que si ce consentement peut être implicite, il doit résulter d'actes positifs traduisant de façon certaine la renonciation du titulaire de la marque à se prévaloir de ses droits;
Or attendu qu'il résulte des pièces produites par la société Chanel, qu'une fois informée de l'existence de cette ordonnance qui ne lui a pas été notifiée, elle a adressé au mandataire judiciaire un courrier daté du 28/11/2003 pour lui signifier son opposition à la vente aux enchères de ses produits et dans lequel elle déclare renouveler la proposition de rachat qu'elle avait faite en application des clauses du contrat, moyennent le prix de 11 638 euro, de sorte que loin d'avoir acquiescé à cette mise aux enchères publiques elle démontre avoir clairement exprimé son opposition en invoquant expressément le bénéfice de la protection que la marque confère aux dits articles;
Qu'il s'ensuit que la société Bery ne peut se prévaloir, ni de l'inefficacité de son opposition à la remise sur le marché des articles litigieux par voie d'enchères publiques, ni de la régularité de l'acquisition des articles en cause dans le cadre d'une vente ordonnée judiciairement, comme de la manifestation d'un renoncement, volontaire ou forcé, de la société Chanel à se prévaloir des droits conférés par la marque, dont au contraire le mandataire judiciaire avait pris soin de rappeler l'existence et la portée par l'introduction, dans les conditions générales de vente, d'une clause imposant aux "acquéreurs de se conformer à la législation et aux clauses accréditives de distribution des parfums et cosmétiques", et dont les termes ont été reproduits en caractères très apparents sur les avis d'annonce légale de la dite vente publiés et affichés par le commissaire-priseur;
Que le premier juge en a justement déduit que la société Bery, qui tient ses droits de la société Futura, adjudicataire, et qui en tout état de cause ne pouvait ignorer l'interdiction qui lui était faite de diffuser les articles en cause sans l'autorisation de la société Chanel, au regard de la mention figurant sur chacun des articles en cause, s'était rendue coupable d'usage illicite de la marque Chanel;
Attendu que sa responsabilité se trouve toutefois atténuée par l'inefficacité des mesures prises par la société Chanel pour prévenir le dommage résultant de la mise aux enchères publiques du lot en cause, puisqu'à défaut d'avoir pu faire utilement opposition à l'ordonnance autorisant la vente, elle aurait pu se porter adjudicataire du lot en cause;
Que c'est par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal a réduit à 10 000 euro le montant de l'indemnité compensatrice du préjudice résultant de l'atteinte portée aux droits de la société Chanel par cet usage illicite de sa marque;
2° Sur des faits distincts de concurrence déloyale
Attendu que si la revente, dans des conditions de présentation médiocres, par un distributeur non agréé, de produits destinés à être diffusés à travers un réseau de distribution sélective juridiquement étanche et licite au regard des règles de la concurrence constitue un acte de concurrence déloyale et de parasitisme engageant la responsabilité de son auteur sur le fondement de l'article L. 442-6 I 6° du Code de commerce, le préjudice allégué de ce chef par la société Chanel ne se distingue pas de celui que lui a causé l'usage illicite de la marque par la société Bery, dans la mesure où il trouve sa cause dans les mêmes faits de revente hors réseau par un distributeur non agréé qui caractérisent cet usage illicite;
Que c'est donc à juste titre que le tribunal a rejeté comme non fondé le second chef de demande formé par la société Chanel;
Attendu en définitive que le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions, en ce compris les mesures accessoires ordonnées par le tribunal et non contestées en appel;
Que l'équité commande que la société Chanel soit indemnisée des nouveaux frais qu'elle a été contrainte d'exposer en appel pour assurer sa représentation en justice;
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement, Confirme le jugement en toutes ses dispositions; Y ajoutant, Condamne la société Bery à verser à la société Chanel une nouvelle indemnité de 1 500 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile; Rejette toutes autres demandes; Condamne la société Bery aux dépens et accorde à la SCP d'avoués Fillard et Cochet-Barbuat le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.